ANNEXE 1 - COMPTE RENDU DE L'AUDITION DE MME MICHÈLE ALLIOT-MARIE, MINISTRE D'ÉTAT, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTÉS

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a présenté tout d'abord le projet de loi organique portant application de l'article 61-1 de la Constitution.

Soulignant que la mise en place des questions préjudicielles de constitutionnalité par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 constituait une avancée importante dans la pratique démocratique au quotidien, elle s'est félicitée qu'un esprit de consensus, dépassant les clivages partisans, ait marqué les débats à l'Assemblée nationale. Elle a également estimé que le projet de loi organique permettait de surmonter deux risques qui avaient, jusqu'à présent, dissuadé le constituant de prévoir un contrôle a posteriori de la constitutionnalité des lois : d'une part, un engorgement des juridictions, provoqué par l'afflux de questions sans objet, déjà tranchées ou dilatoires ; d'autre part, une déstabilisation de l'organisation juridictionnelle.

Affirmant que le projet de loi organique garantissait la cohérence entre le mécanisme de l'article 61-1 de la Constitution et les principes du droit français, Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que la question prioritaire de constitutionnalité permettait de réaffirmer et de renforcer la hiérarchie des normes. Parallèlement, elle a jugé que ce procédé ne remettait pas en cause la spécificité de chacun des ordres de juridiction et ne les privait ni de leurs compétences propres, ni de leur souveraineté : à ce titre, elle a souligné qu'il appartiendrait au seul Conseil constitutionnel de vérifier la conformité des lois à la Constitution, mais qu'il ne deviendrait pas pour autant une cour suprême, dans la mesure où son contrôle resterait abstrait et ne préjugerait pas de la solution retenue par les autres juges pour trancher le litige au fond.

En ce qui concerne la procédure, Mme Michèle Alliot-Marie a fait valoir que le caractère « prioritaire » de la question de constitutionnalité permettait aux justiciables de tirer pleinement profit de leur droit de contester, à tout moment et devant toutes les juridictions, la validité de la loi qui leur est appliquée. Elle a ainsi déclaré que, dans un souci de cohérence, il était nécessaire que cette règle de priorité s'applique à toutes les juridictions et a salué le travail de l'Assemblée nationale, celle-ci ayant apporté d'importantes clarifications en la matière.

Mme Michèle Alliot-Marie a ensuite indiqué que, pour ne pas dénaturer le dispositif de l'article 61-1 de la Constitution, le système procédural de « filtrage », voulu par le constituant, devait ménager un équilibre entre l'impératif de célérité et celui d'efficacité. Ayant rappelé que le texte issu des travaux de l'Assemblée nationale prévoyait l'examen, par les juges du fond, de la question de constitutionnalité « sans délai, dans une limite de deux mois », elle a craint que ce délai maximal ne provoque la multiplication des procédures dilatoires, une déresponsabilisation des juridictions, incitées à attendre passivement l'expiration du délai de deux mois, et ne retarde des procédures déjà longues, entraînant l'engorgement des juridictions suprêmes. Elle a ajouté que, compte tenu de l'automaticité de la saisine du Conseil constitutionnel dans le cas où les cours suprêmes n'auraient pas statué dans le délai de trois mois, il serait possible que des lois contestées parviennent au Conseil constitutionnel sans qu'il n'y ait eu un filtrage effectif, en méconnaissance de l'esprit de l'article 61-1 de la Constitution.

Après avoir souscrit pour l'essentiel aux propos de Mme Michèle Alliot-Marie, M. Hugues Portelli , rapporteur, a néanmoins considéré que le mécanisme de transmission ou du renvoi des questions de constitutionnalité recouvrait deux problèmes de nature différente :

- la possibilité pour le justiciable de saisir directement les cours suprêmes dans l'hypothèse où le premier juge saisi ne se serait pas prononcé dans le délai de deux mois était porteuse de risques importants ;

- en revanche, la transmission automatique après un certain délai des questions du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation au Conseil constitutionnel, afin de garantir la rapidité et l'effectivité du contrôle, paraissait nécessaire et conforme, aux systèmes généralement retenus par les pays disposant d'un système de contrôle a posteriori.

En outre, il a rappelé que, après l'entrée en vigueur de la loi organique portant application de l'article 61-1 de la Constitution, le Conseil constitutionnel serait amené à fonctionner pleinement comme une juridiction. Il a observé que, de ce fait, les règles de déontologie applicables aux membres du Conseil, qui sont actuellement soumis au même régime d'incompatibilités que les parlementaires, devraient être adaptées. Il a ainsi indiqué que des problèmes spécifiques pouvaient survenir pour les membres du Conseil constitutionnel exerçant, par ailleurs, la profession d'avocat, ceux-ci pouvant se trouver dans des situations de conflit d'intérêts. Il a donc souhaité que les avocats soient soumis à une interdiction d'exercer leur profession pendant la période où ils appartiennent au Conseil constitutionnel.

En réponse à ces remarques, Mme Michèle Alliot-Marie a rappelé que les membres du Conseil constitutionnel étaient soumis au décret n° 59-1292 du 13 novembre 1959 sur les obligations du Conseil constitutionnel, ce texte imposant aux membres du Conseil de « s'abstenir de tout ce qui pourrait compromettre l'indépendance et la dignité de leurs fonctions ». Elle a donc estimé que la demande de M. Portelli était déjà satisfaite.

En outre, Mme Michèle Alliot-Marie a affirmé vouloir éviter que des questions ne découlant pas directement de l'application de l'article 61-1 de la Constitution, comme le fonctionnement du Conseil constitutionnel ou le statut de ses membres, soient abordées à l'occasion du présent projet de loi organique.

Répondant à M. Patrice Gélard , qui s'interrogeait sur une éventuelle modification du règlement intérieur du Conseil constitutionnel et sur un accroissement de ses moyens financiers et humains, Mme Michèle Alliot-Marie a déclaré que ces questions ne relevaient pas de la loi organique ; cependant, elle a confirmé que le règlement intérieur serait révisé et s'est engagée à accorder des moyens supplémentaires au Conseil si la pratique en faisait apparaître la nécessité.

M. Patrice Gélard a ensuite observé que certaines lois qui n'avaient pas fait l'objet d'une saisine dans le cadre du contrôle a priori, et ce, malgré des doutes substantiels sur leur conformité à la Constitution, pourraient désormais être déférées au Conseil constitutionnel.

S'étant demandé si la notion de « changement de circonstances » n'était pas trop vaste, insuffisamment précise et trop mouvante, M. Jean-Jacques Hyest , président, a craint que les juges du fond s'estiment incapables d'apprécier l'existence - ou l'absence - d'un tel changement, et qu'ils soient, de ce fait, incités à transmettre les questions de constitutionnalité à la cour suprême de leur ordre.

Ayant souligné que la notion de « changement de circonstances » concernait à la fois les circonstances de droit, comme une révision de la Constitution, et de fait, M. Hugues Portelli a rappelé que d'autres critères encadraient strictement l'appréciation du juge.

En réponse à M. Pierre Fauchon , qui souhaitait savoir si les avocats au Conseil et à la Cour demeureraient les seuls à pouvoir plaider devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ou si, dans le cadre des questions de constitutionnalité, chaque avocat serait habilité à intervenir à tous les niveaux du « filtrage », Mme Michèle Alliot-Marie a déclaré que ce débat n'était pas tranché et que, en outre, il ne relevait pas de la loi organique. Elle a en outre indiqué qu'il n'y avait sans doute pas lieu d'imposer aux parties une obligation de représentation devant le Conseil constitutionnel, ni de réserver le cas échéant cette représentation à une catégorie d'avocats.

Ayant estimé que la présence d'avocats au Conseil et à la Cour était un gage de sécurité pour les justiciables devant ces juridictions, M. Jean-Jacques Hyest , président, a souhaité que cette question soit traitée en lien avec le futur texte sur les professions du droit.

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