II. 2009 : UNE ANNÉE CHARNIÈRE POUR LES RETRAITES

A. 2008 : UN RENDEZ-VOUS PARTIELLEMENT MANQUÉ

La loi du 21 août 2003 avait prévu l'organisation de rendez-vous quadriennaux destinés à examiner les différents paramètres des régimes de retraite, en fonction des nouvelles données économiques, sociales et démographiques disponibles, afin de procéder ensuite aux ajustements nécessaires.

Le rendez-vous de 2008 a été le premier de ces bilans d'étape, qui s'échelonneront jusqu'en 2016. Malgré des mesures louables en faveur de l'emploi des seniors et des petites retraites, inscrites dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009, ce rendez-vous n'a pas répondu aux attentes , pourtant nombreuses, sur le financement de l'assurance vieillesse.

1. De réelles avancées en matière d'emploi des seniors

a) La mobilisation pour l'emploi des seniors

L'amplification de la mobilisation pour l'emploi des seniors figurait parmi les priorités du rendez-vous 2008. Cet objectif s'est trouvé concrétisé dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 qui a mis en oeuvre :

- des mesures visant à inciter les salariés et les fonctionnaires à prolonger leur activité au-delà de l'âge légal (libéralisation du cumul emploi-retraite, revalorisation de la surcote, suppression des « clauses couperets » dans la fonction publique) ;

- des mesures incitant les entreprises à mieux intégrer les seniors dans leur politique de gestion des ressources humaines (conclusion d'accords ou de plans d'action en faveur de l'emploi des salariés âgés sous peine de pénalités, aménagement de la mise à la retraite d'office).

S'il est encore trop tôt pour dresser un bilan exhaustif de l'application de ces mesures, les premiers résultats sont plutôt encourageants .

Pour commencer à apprécier les effets de la libéralisation du cumul emploi-retraite 4 ( * ) en vigueur depuis janvier 2009, la Cnav a mené une enquête en juillet-août sur un échantillon de 5 700 nouveaux retraités portant sur les possibilités de cumuler un salaire et une pension de retraite. Les données recueillies montrent que :

- le dispositif semble bien connu des personnes interrogées  (67 % des personnes n'ayant jamais cumulé un emploi et une retraite déclarent néanmoins le connaître) ;

- le bénéfice du cumul concerne principalement certaines catégories socioprofessionnelles telles que les cadres et les employés : 16 % des cadres et 12 % des employés déclarent cumuler, contre 5 % des ouvriers.

Des accords en faveur de l'emploi des seniors 4 ( * ) ont été conclus dans quatre branches. Trente-trois branches, qui couvrent la moitié des effectifs du secteur privé (soit 7,5 millions de salarié), ont ouvert des négociations, parmi lesquelles le bâtiment, la propreté, la métallurgie ou encore le transport. Malgré les demandes de report de la mesure en raison de la crise économique, le Gouvernement a réaffirmé sa détermination à mettre en oeuvre le dispositif de pénalités à compter du 1 er janvier 2010.

La revalorisation de la surcote 5 ( * ) semble aussi avoir produit des effets positifs puisque la proportion de nouveaux bénéficiaires s'établit à 12,20 % au premier trimestre 2009 contre 9,6 % en 2008.

Proportions des pensions avec surcote

Source : SNSP

En revanche, aucune donnée n'est encore disponible pour mesurer l'incidence du report à soixante-dix ans de l'âge de la mise à la retraite d'office 6 ( * ) étant donné que la mesure n'entrera en vigueur qu'au 1 er janvier 2010. Il faut toutefois rappeler que certaines branches professionnelles bénéficient encore aujourd'hui d'une dérogation leur permettant de procéder à la mise à la retraite d'office de salariés âgés de soixante ans. Ces dérogations doivent prendre fin le 31 décembre 2009 et ne seront pas prolongées.

La mobilisation pour l'emploi des seniors est donc en marche . Dans le contexte économique actuel, il est indispensable qu'elle soit confirmée et même amplifiée par les pouvoirs publics. La crise ne doit en effet pas servir d'alibi pour revenir aux mauvaises pratiques d'éviction des seniors dans le but d'ajuster les effectifs des entreprises ou d'éviter les licenciements économiques. Certains syndicats ont plaidé pour le retour des préretraites, sous de nouvelles formes ou appellations. Le retour à de telles pratiques entrerait en totale contradiction avec la politique menée actuellement en faveur de l'emploi des seniors. Elle serait d'autant plus aberrante que les dispositifs de préretraites publiques déclinent progressivement.

b) Le déclin des préretraites publiques

Les préretraites permettent aux salariés seniors, sous certaines conditions, de cesser leur activité avant leur départ en retraite, tout en conservant un revenu. Dans le secteur privé, elles peuvent être entièrement ou partiellement prises en charge par l'entreprise. Lorsque le financement relève exclusivement de celle-ci, les dispositifs sont appelés préretraites « maison ». Lorsque le financement appelle une intervention de l'Etat, il est convenu de parler de « préretraites publiques ». Ce sont ces « dernières préretraites » qui sont en voie d'extinction , ainsi que le montre une étude de la Dares de juin 2009 7 ( * ) .

De 1963 aux années 2000, l'Etat a mis en place divers dispositifs de préretraite : l'allocation spéciale du fonds national pour l'emploi (AS-FNE), la cessation anticipée de certains travailleurs salariés (Cats), la cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (Caata), la préretraite progressive (PRP), permettant un temps partiel jusqu'à la retraite, et l'allocation de remplacement pour l'emploi (Arpe). L'objectif de la plupart de ces dispositifs était de limiter le nombre de licenciements économiques, notamment parmi les ouvriers. Il était alors communément admis que cela favoriserait l'embauche de salariés plus jeunes, tout en permettant à ceux ayant connu des conditions de travail difficiles de s'arrêter de travailler. De son côté, la fonction publique a également mis en oeuvre deux dispositifs de préretraites : le congé de fin d'activité (CFA) et la cessation progressive d'activité (CPA).

A la fin des années quatre-vingt-dix, les pouvoirs publics ont pris progressivement conscience, non seulement que le maintien de ces dispositifs avait des effets désastreux sur le taux d'emploi des seniors , mais qu' il ne favorisait pas non plus l'emploi des jeunes salariés . Depuis la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites et le plan national d'action concerté pour l'emploi des seniors de 2006, les politiques de l'emploi visent à promouvoir l'offre et la demande de main-d'oeuvre de salariés âgés. Ainsi, la plupart des dispositifs de préretraites ont été peu à peu soit restreints (Cats, AS-FNE dans le privé ; CPA dans la fonction publique), soit mis en extinction ou non prorogés (Arpe et PRP dans le privé, CFA dans le public). Les préretraites « maison », quant à elles, ont été plus lourdement taxées 8 ( * ) .

Amorcée en 1997, la baisse du nombre d'entrées dans les dispositifs de préretraites publiques du secteur privé s'est depuis poursuivie. En 2008, seulement 8 260 salariés du secteur privé sont entrés dans un dispositif de préretraite publique, soit 21 % de moins qu'en 2007 ; ils étaient 78 780 en 1998.

Première conséquence de la diminution continue des entrées, les effectifs de préretraités ne cessent de se réduire. Fin 2008, 62 400 salariés du secteur privé étaient en préretraite publique contre 81 100 en 2007 et 222 100 en 1998.

Allocataires en préretraite avec participation de l'Etat
(secteur privé) au 31 décembre 2008

Deuxième conséquence, les crédits consacrés aux préretraites publiques (hors Caata) sont en baisse continue depuis 2003. Ils ont été divisés par plus de trois entre 2003 et 2008 pour s'établir à 450 millions d'euros aujourd'hui.

Dépenses pour les mesures de préretraites publiques

(en millions d'euros)

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

AS-FNE

648

558

436

339

294

396

223

CATS

27

96

292

267

268

234

144

PRP

385

420

407

328

248

162

84

ARPE

957

439

168

43

8

3

Nd

Total

2 017

1 513

1 302

978

818

795

451

Source : direction générale à l'emploi et à la formation professionnelle

2. Le coup de pouce accordé aux petites retraites

Le rendez-vous de 2008 devait aussi être l'occasion d' accroître l'effort de solidarité envers les retraités percevant des revenus modestes . Après la mesure d'urgence prise en mars 2008, qui s'était traduite par un versement exceptionnel de 200 euros en leur faveur, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a :

- autorisé une revalorisation du minimum vieillesse au-delà de ce que permet le code de la sécurité sociale (article 73). Chaque année, entre 2009 et 2012, une revalorisation particulière de l'allocation sera accordée aux personnes isolées afin d'atteindre 25 % d'ici 2012. Le minimum vieillesse a ainsi été revalorisé de 6,9 % au 1 er avril 2009 . Les prochaines revalorisations interviendront respectivement aux 1 er avril 2010, 2011 et 2012 ;

- recentré le minimum contributif sur les assurés ayant eu de longues carrières faiblement rémunérées (article 80) ;

- revalorisé les pensions de réversion servies aux veufs et veuves âgés d'au moins soixante-cinq ans et disposant de faibles pensions de retraite (article 74). Celles-ci seront majorées de 11 % à compter de 2010 ;

- instauré un nouveau dispositif de revalorisation des retraites non salariées agricoles, ciblé sur les assurés aux revenus les plus modestes (article 77).

En revanche, il faut souligner que l'objectif fixé en 2003 9 ( * ) de porter le montant de la pension des salariés ayant travaillé à temps complet et disposant de la durée d'assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein, à 85 % du SMIC, est loin d'être atteint, en particulier pour les salariés agricoles. Il reste donc beaucoup à faire pour réduire les « poches de pauvreté » dans l'agriculture.

3. Le dossier de la pénibilité au point mort

Le bilan d'étape n'a, en revanche, pas permis de débloquer les négociations sur le dossier de la pénibilité . La loi de 2003 invitait en effet les partenaires sociaux à engager, dans un délai de trois ans, une négociation interprofessionnelle sur la définition de la pénibilité au travail. La question est d'importance car, du périmètre retenu, dépendront la nature et l'ampleur de la prise en compte, notamment financière, de la pénibilité.

Le groupe de travail paritaire , intitulé « pénibilité et réparation : faisabilité et financement dédié », mis en place en 2005 par les partenaires sociaux, a formulé trois grandes préconisations :

- faciliter, d'une part, la mobilité professionnelle et géographique des salariés ayant occupé des emplois pénibles, d'autre part, l'abondement d'un compte-épargne-temps via une partie des sommes perçues par les salariés (primes, repos compensatoires, majoration de salaires) afin de leur permettre d'avancer leur départ en retraite ;

- intégrer un volet pénibilité dans le dispositif de prise en charge de l'invalidité pour éviter de mettre le coût de la réparation à la charge des entreprises ;

- définir une approche globale portant sur les postes de travail jugés pénibles et créer un dispositif de type Cats (cessation d'activité des travailleurs salariés) pour les salariés exposés aux travaux pénibles ou à des produits dangereux et toxiques.

Lors de la reprise des négociations en 2007, le Medef a proposé la mise en place d'un dispositif de cessation anticipée d'activité « ouvert aux salariés ayant travaillé quarante ans (sans limite d'âge) dont trente ans d'exposition à des contraintes physiques et psychiques marquées, à un environnement agressif ou à certains rythmes de travail, et qui souffrent de traces durables, identifiables et irréversibles sur leur santé. Après validation par une commission médicale, le contrat de travail du salarié prendrait fin à son initiative avec une indemnité de rupture de même nature juridique qu'une indemnité de licenciement » . Ce dispositif n'a pas rencontré l'accord des autres partenaires sociaux.

Depuis, le dossier est dans l'impasse . Chaque partie semble s'arc-bouter sur sa position. D'un côté, les syndicats souhaitent tirer profit du dossier de la pénibilité pour faire valoir un certain nombre de revendications (contreparties salariales, amélioration des conditions de travail, effort en matière de prévention, etc.). De l'autre, nombre d'employeurs craignent que les négociations n'aboutissent à donner de trop nombreux gages aux salariés, en termes de compensations.

Composante majeure de la réflexion sur l'allongement de la durée d'activité , la question de la pénibilité ne manquera pas d'être au programme du rendez-vous de 2010 . Les syndicats conditionnent d'ailleurs toute nouvelle réforme paramétrique (augmentation de la durée de cotisation ou report de l'âge légal) à la prise en compte de la pénibilité de certains métiers et à la possibilité, pour les salariés concernés, de partir en retraite avant les autres.

4. L'absence de réponse au besoin structurel de financement de la branche vieillesse

Le rendez-vous de 2008 n'a pas non plus tenu ses promesses en matière de redéploiement des cotisations chômage au bénéfice des cotisations vieillesse , prévu par la loi du 21 août 2003. Pour garantir le financement des retraites d'ici à 2020, l'exposé des motifs du texte envisageait en effet des hausses de cotisations vieillesse compensées à due concurrence par des baisses de cotisations à l'assurance chômage afin de ne pas peser sur la compétitivité des entreprises et l'emploi. Ce scénario reposait toutefois sur deux préalables : d'une part, la baisse du chômage, d'autre part, l'accord des partenaires sociaux gestionnaires de l'Unedic sur le principe du redéploiement et la réduction des cotisations chômage.

Alors que Gouvernement avait annoncé, le 1 er octobre 2008, une augmentation de la part patronale déplafonnée des cotisations retraite de 0,3 % en 2009 , de 0,4 % en 2010 et de 0,3 % en 2011, le fort ralentissement économique et la dégradation du marché du travail l'ont conduit, en janvier dernier, à poser un moratoire à cette augmentation. En 2009, l'opération aurait dû rapporter 1,8 milliard d'euros à la Cnav . En 2012, l'absence de transfert d'un point de cotisation retraite en provenance de l'Unedic privera la branche vieillesse de 6,5 milliards d'euros.

*

En définitive, le bilan d'étape 2008 peut être qualifié de rendez-vous manqué, dans la mesure où il n'a apporté aucune réponse pérenne à la question du financement de l'assurance vieillesse . La situation financière très dégradée de la branche et les perspectives d'aggravation de son déficit à l'horizon 2020-2050 justifient pourtant de trouver d'urgence des solutions .

* 1 L'article 88 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a entièrement libéralisé le cumul emploi-retraite pour les assurés âgés de plus de soixante-cinq ans ou âgés de plus de soixante ans et disposant d'une carrière complète.

* 4 L'article 87 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a mis en place un dispositif d'incitation, pour les entreprises et les branches professionnelles, à la conclusion d'accords en faveur de l'emploi des seniors. A défaut d'accord, les entreprises devront s'acquitter d'une pénalité de 1 % de la masse salariale, à compter du 1 er janvier 2010.

* 5 L'article 89 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 prévoit une revalorisation de la surcote par décret afin de la rendre plus attractive. Le taux de surcote a ainsi été porté de 3 % à 5 % par année cotisée au-delà de la durée d'assurance et périodes équivalentes ouvrant droit au taux plein ( décret n° 2008-1509 du 30 décembre 2008).

* 6 L'article 90 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a profondément réformé le régime de la mise à la retraite d'office dans le secteur privé. Celui-ci ne peut désormais intervenir avant l'âge de soixante-dix ans sans le consentement de l'intéressé.

* 7 « Les préretraites publiques en 2008 », Dares, Premières informations, n° 26.3, juin 2009.

* 8 La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a assujetti les préretraites « maison » à une contribution spécifique, à la charge exclusive des employeurs, dont le produit est affecté au fonds de solidarité vieillesse (FSV).

* 9 Article 4 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites.

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