b) Une « fourchette » vraisemblable : entre 0 et 0,5 point de PIB

On pourrait déduire de l'importance de cet intervalle que l'impact économique de la grippe A/H1N1 sur le PIB de 2009 ne peut faire l'objet d'une évaluation suffisamment précise pour avoir une utilité pratique.

En réalité, selon les estimations de votre commission des finances, cet impact semble devoir être compris entre 0 et 0,5 point de PIB, l'estimation la plus probable étant d'environ 0,2 point de PIB.

Il ne faut pas se laisser abuser par le fait que certaines des estimations indiquées ci-avant ont été réalisées à l'aide d'un modèle économétrique. Le résultat obtenu dépend en effet de manière très directe des hypothèses que l'on retient. En fait, les divergences d'évaluation découlent essentiellement de trois facteurs :

- le nombre de jours de travail manqués par les malades, qui dépend directement du « taux d'attaque », c'est-à-dire de la proportion de la population contractant la maladie au cours de la période ;

- le nombre de salariés absents venant s'ajouter aux salariés malades ;

- la réduction de leur consommation par les ménages en conséquence de la pandémie.

Dans le cas du nombre de jours de travail manqués par les malades, il faut souligner qu'un taux d'attaque de 30 % n'est pas présenté par le Gouvernement ou les organismes internationaux comme le scénario le plus probable, mais comme un scénario « raisonnablement défavorable », devant être utilisé pour élaborer les plans de lutte contre la maladie, en application du « principe de précaution ». Ce taux ne doit donc pas être utilisé pour élaborer le scénario central de prévisions économiques.

L'avis de l'Institut de veille sanitaire (InVS) du 28 septembre 2009 dans la perspective de la campagne de vaccination, transmis au directeur général de la santé, suggère que le taux d'attaque devrait être de l'ordre de 10 % à 15 % en 2009, et pourrait atteindre 25 % ou 30 % en 2010 si d'autres vagues se produisaient.

En termes de prévisions de croissance pour 2009 et 2010, ce qu'il faut retenir, c'est que le taux d'attaque devrait être de l'ordre de 10 % à 15 % en 2009. En effet, c'est ce taux d'attaque qui aura un impact sur le PIB de 2009. Si des vagues supplémentaires se produisaient en 2010, elles n'auraient vraisemblablement pas d'impact significatif sur le PIB global de 2010, le retard éventuel pris au premier trimestre étant alors compensé les trimestres suivants.

Les deux autres facteurs (nombre de salariés absents par salarié malade et réduction de leur consommation par les ménages en conséquence de la maladie) dépendent quant à eux essentiellement d'une éventuelle réaction de panique de la population. En l'absence de mutation du virus, par nature peu probable, on voit mal ce qui pourrait susciter un tel phénomène.

Au total, l'absentéisme devrait être bien inférieur aux scénarios envisagés dans le cadre du plan national « Pandémie grippale ».

Les hypothèses d'absentéisme du plan « Pandémie grippale », relevant de l'application du « principe de précaution », ne peuvent être retenues pour effectuer des prévisions économiques

1. L'hypothèse de taux d'attaque de 35 % correspond à un scénario volontairement défavorable

Le plan national « Pandémie grippale », qui ne concerne pas spécifiquement la pandémie actuelle, retient l'hypothèse d'une vague unique touchant 35 % de la population. Les Etats-Unis retiennent, pour leur propre planification, un taux analogue, de 30 %. Cela correspond à l'ordre de grandeur retenu par les différentes simulations présentées ci-avant. Dans le cas de la grippe espagnole de 1918 et de la pandémie de grippe de 1957, ce taux a été de respectivement 25 % et 35 %.

Le taux de 35 % ne doit pas être considéré comme une prévision concernant la pandémie actuelle, mais comme un scénario défavorable. Il est légèrement supérieur au « pire cas raisonnable », de 30 %, envisagé, le 29 juillet 2009, dans le cas du Royaume-Uni, par le Centre européen pour la prévention et le contrôle des maladies ( European Center for Disease Prevention and Control , ECDC). Comme le souligne l'ECDC, les chiffres qu'il indique « représentent un pire cas raisonnable s'appliquant à un pays européen (le Royaume-Uni) avec les données disponibles en juillet 2009. Ils ne devraient pas être utilisés pour des prévisions ».

Ainsi, dans l'hémisphère sud, qui sort de l'hiver, le taux d'attaque a été compris entre 10 % et 20 %.

L'avis de l'Institut de veille sanitaire (InVS) du 28 septembre 2009 dans la perspective de la campagne de vaccination, transmis au directeur général de la santé, suggère que le taux d'attaque devrait être de l'ordre de 10 % à 15 % en 2009, et pourrait atteindre 25 % ou 30 % en 2010 si d'autres vagues se produisaient. L'InVS se garde bien de faire des prévisions précises en matière de taux d'attaque, adoptant une approche par scénarios, avec un taux d'attaque de respectivement 10 %, 20 % et 30 %. Cependant, il souligne que, dans le cas des vagues déjà constatées en 2009, « quand la vague survient en période de circulation saisonnière, le taux d'attaque semble compris entre 10 % et 15 %, avec prépondérance du virus A/H1N1 2009 ». Par ailleurs, il indique : « Un scénario qui apparaît aujourd'hui vraisemblable, au vu de l'expérience des pays déjà touchés, serait celui d'une première vague qui, si elle survenait avant l'hiver, pourrait engendrer un taux d'attaque clinique de l'ordre de 10 % à 15 %. Cette première vague pourrait être suivie d'une ou deux autres vagues sachant que les données des pandémies passées plaident en faveur d'un taux d'attaque cumulatif d'environ 25 % à 30 % » .

2. L'hypothèse selon laquelle le supplément d'absentéisme serait égal à 4 fois le nombre de malades est de toute évidence pessimiste

Selon le plan national « Pandémie grippale », une vague unique touchant 35 % de la population pendant 3 mois correspondrait ponctuellement à un taux de personne malades compris entre 2,5 % et (lors du pic) 7,5 %, ce qui, si l'on considère qu'à 1 malade s'ajouteraient 3 autres absents (garde des enfants, absentéisme dû à la peur...), correspondrait à un taux d'absentéisme maximal de 30 %.

Il est pessimiste de supposer que l'absentéisme correspondrait à 4 fois le nombre de personnes malades. Certes, cela serait envisageable en cas de pandémie avec un taux de mortalité élevé, mais on voit mal comment cela pourrait se produire avec la grippe A/H1N1. Ainsi, la circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009 du directeur général du travail aux préfets considère ces chiffres comme maximalistes. L'étude précitée de la Banque Mondiale suppose dans le cas d'une pandémie pourtant beaucoup plus mortelle (0,3 % de la population totale mourrait) qu'à 1 salarié malade s'ajouterait seulement 1 salarié absent supplémentaire.

Le tableau ci-après indique quelques estimations plausibles. Le scénario le plus vraisemblable selon les informations disponibles semble être celui d'un impact de - 0,2 point de PIB en 2009 (et + 0,2 point de PIB en 2010, le retard de production étant alors rattrapé).

L'impact de la grippe A/H1N1 sur le PIB de 2009 : quelques ordres de grandeur

Scénarios

Optimiste

Central

Pessimiste

Hypothèses

Pandémie

Taux d'attaque clinique au dernier trimestre 2009 (%)

5,0

12,5*

30,0

Durée de la maladie (en jours)

6

6

6

Offre

Nombre de salariés sains absents par salarié malade

1

1

1

% de l'absentéisme se retrouvant dans le PIB

33**

33**

33**

Demande

% de réduction de la consommation des ménages

-0,2***

-0,4***

-1,0***

Impact sur le PIB de 2009 (en points de PIB)

Offre

-0,1

-0,1

-0,3

% moyen de salariés malades au 4 e trimestre

0,3

0,8

2,0

% moyen de salariés absents au 4 e trimestre

0,7

1,6

3,9

Demande

-0,1

-0,2

-0,5

Impact total sur le PIB de 2009

-0,1****

-0,2****

-0,5****

Impact total sur le PIB du 4e trimestre (en %)

-0,3

-0,8

-2,0

* L'avis de l'Institut de veille sanitaire (InVS) du 28 septembre 2009 dans la perspective de la campagne de vaccination, transmis au directeur général de la santé, suggère que le taux d'attaque devrait être de l'ordre de 10 % à 15 % en 2009, et pourrait atteindre 25 % ou 30 % en 2010 si d'autres vagues se produisaient. Le taux de 12,5 % retenu ici est la moyenne de la fourchette attendue pour 2009.

** Le redéploiement des effectifs sur les fonctions essentielles, l'augmentation du temps de travail des salariés présents et le recours à l'intérim font que l'absentéisme ne se retrouve que partiellement dans le PIB. Certaines études estiment que seulement 10 % des heures de travail perdues par les salariés absents ont un impact sur la production (Cf., dans le cas des Etats-Unis, Steven G. Allen, « How Much Does Absenteeism Cost ? », Journal of Human Resources , n°18, 1983). Cependant d'autres études retiennent un taux plus élevé, par exemple de l'ordre de 60 % (Société générale, prévisions économiques d'août 2009). L'hypothèse de 33 %, retenue ici, correspond donc à une hypothèse moyenne. Une hypothèse de 60 % semble en effet excessive, compte tenu de la faible utilisation actuelle des capacités de production.

*** Cela correspond à une diminution, pour les malades, de 80 % des dépenses d'alimentation et de 100 % des dépenses de transport, de loisirs, de culture, d'hôtellerie et de restauration, le temps de la maladie. On suppose que les autres dépenses sont soit contraintes à court terme (logement), soit simplement décalées au cours du trimestre (habillement...).

**** Les impacts sur l'offre et sur la demande ne s'additionnent pas.

Source : commission des finances du Sénat

Les « scénarios catastrophe » prévoyant des pertes de plusieurs points de PIB paraissent totalement irréalistes dans le cas de la pandémie actuelle

1. Les pandémies pourtant incomparablement plus grave constatées par le passé n'ont pas suscité de crise économique majeure

Il est paradoxal que de nombreux économistes prévoient un impact très négatif de la grippe A/H1N1, alors même que cet impact paraît avoir été modeste dans le cas des pandémies pourtant plus graves constatées par le passé.

Selon l'étude précitée du ministère des finances du Canada (2006), le PIB réel des Etats-Unis aurait été réduit de seulement 0,5 point en 1918 du fait de la grippe espagnole, dont on rappelle qu'elle a provoqué la mort d'environ 50 millions de personnes, et étant donc d'une tout autre gravité que la pandémie actuelle. Ainsi, « les données suggèrent que la pandémie de 1918 a eu des effets directs modestes résultant de l'absentéisme dû à la maladie, mais que les effets indirects ont été très faibles. C'est compatible avec le résultat général d'Albala-Bertrand que l'activité humaine est très résiliente à de nombreux chocs naturels. Les gens s'adaptent et travaillent autour du choc ; ceux qui ne sont pas affectés travaillent plus dur et plus longtemps pour compenser. La faible durée des chocs limite aussi leur impact ».

De même, en 2005, Oxford Economic Forecasting - le même organisme qui prévoit actuellement une réduction du PIB du Royaume-Uni de l'ordre de 5 points du fait de la grippe A/H1N1 - estimait qu'en 2003 la pandémie de syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), correspondant certes à un taux de contamination très faible, mais à un taux de mortalité de près de 10 % des personnes infectées, avait réduit le PIB des pays d'Asie orientale de seulement 0,6 point (allant toutefois jusqu'à 2,9 points pour Hong Kong et 3 points pour Singapour). Cet impact n'apparaît en outre pas très clairement, le ministère des finances du Canada estimant, dans l'étude précitée, que les fluctuations observées de l'activité économique peuvent s'expliquer sans le SRAS.

2. Les estimations très élevées qui ont été publiées correspondent à des scénarios irréalistes, où la pandémie durerait plus d'une année et susciterait la panique

Le niveau très important (de respectivement - 3 points et - 5 points de PIB) des estimations précitées de la Banque Mondiale (qui ne concerne pas spécifiquement la pandémie actuelle) et d' Oxford Economic Forecasting (relative au seul Royaume-Uni) vient essentiellement du fait que ces organismes supposent que la pandémie dure longtemps (au moins un an), ce qui, joint à une panique de la population tout au long de la pandémie, fait que les ménages réduisent très fortement leur consommation (avec un impact de 1,8 point de PIB dans le cas de la Banque mondiale et, dans le cas d'OEF, l'hypothèse que les ménages réduisent leurs dépenses « discrétionnaires » de 30 %, soit environ 6 points de PIB).

Il est bien évident que si l'on retient l'hypothèse que les ménages réduisent leur consommation de plusieurs points de PIB pendant toute une année, le PIB de l'année concernée sera réduit d'un montant analogue. Il ne s'agit pas là des conséquences d'un calcul savant, mais de la conséquence immédiate de l'hypothèse retenue. Dans le cas de la pandémie actuelle, de tels scénarios catastrophe ne sont pas vraisemblables.

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