N° 117

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2009-2010

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 novembre 2009

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) , comportant le texte de la commission, sur la proposition de résolution européenne présentée par MM. Richard YUNG, Simon SUTOUR, Roland RIES, Mmes Raymonde LE TEXIER, Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Jacqueline ALQUIER, MM. Robert BADINTER, Didier BOULAUD, Mmes Bernadette BOURZAI, Claire-Lise CAMPION, Jacqueline CHEVÉ, Christiane DEMONTÈS, MM. Jean DESESSARD, Bernard FRIMAT, Jean-Pierre GODEFROY, Serge LAGAUCHE, Serge LARCHER, Jacky LE MENN, Mme Catherine TASCA et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, présentée en application de l'article 73 quinquies du Règlement, portant sur le respect du droit à l' action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs ,

Par M. Denis BADRÉ

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Hubert Haenel , président ; MM.  Denis Badré, Michel Billout, Jean Bizet, Jacques Blanc, Jean François-Poncet, Aymeri de Montesquiou, Roland Ries, Simon Sutour, vice-présidents ; Mmes Bernadette Bourzai, Marie-Thérèse Hermange, secrétaires ; MM. Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, Pierre Bernard-Reymond, Didier Boulaud, Mme Alima Boumediene-Thiery, MM. Gérard César, Christian Cointat, Philippe Darniche, Mme Annie David, MM. Robert del Picchia, Pierre Fauchon, Bernard Frimat, Yann Gaillard, Charles Gautier, Mme Fabienne Keller, MM. Serge Lagauche, Jean-René Lecerf, Mmes Colette Mélot, Monique Papon, MM. Jean-Claude Peyronnet, Hugues Portelli, Yves Pozzo di Borgo, Josselin de Rohan, Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

66 (2009-2010)

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le 24 octobre dernier, M. Richard Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés ont déposé, en application de l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, une proposition de résolution européenne (1 ( * )) portant sur le respect du droit à l'action collective et des droits syndicaux en Europe dans le cadre du détachement de travailleurs. Elle s'alarme des conséquences de la jurisprudence récente de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) sur l'application et le respect de l'esprit de la directive 96/71/CE du 16 décembre 1996 concernant le détachement des travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

A la demande du groupe socialiste, cette proposition a été inscrite à l'ordre du jour réservé aux groupes de l'opposition et aux groupes minoritaires. Elle sera examinée lors de la séance du 10 décembre 2009.

L'article 73 quinquies a été inséré dans le Règlement du Sénat par la résolution du 2 juin 2009 tendant à modifier ledit Règlement pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008.

Il prévoit en particulier que la proposition de résolution est envoyée à l'examen préalable de la commission des affaires européennes qui statue dans le délai d'un mois en concluant soit au rejet, soit à l'adoption de la proposition, éventuellement amendée. La proposition de résolution est ensuite examinée par la commission saisie au fond - en l'espèce la commission des affaires sociales - qui se prononcera sur la base du texte adopté par la commission des affaires européennes ou, à défaut, du texte de la proposition de résolution. La commission des affaires sociales a désigné notre collègue Marc Laménie comme rapporteur le 18 novembre dernier.

Afin de permettre à chacun de disposer du même niveau d'information, votre rapporteur a souhaité convier à ses auditions l'auteur de la proposition de résolution ainsi que le rapporteur de la commission des affaires sociales.

Comme l'article 73 quinquies le permet en cas d'inscription d'une proposition de résolution européenne à l'ordre du jour, la commission des affaires européennes exercera les compétences attribuées aux commissions saisies pour avis.

I. LE DÉTACHEMENT DE TRAVAILLEURS DANS L'UNION EUROPÉENNE : PROMOUVOIR LA LIBRE PRESTATION DES SERVICES SANS ENCOURAGER LE DUMPING SOCIAL

Conséquence naturelle de l'approfondissement constant du marché intérieur, il est de plus en fréquent que des salariés travaillant habituellement dans un Etat membre de l'Union européenne se voient confier par leur employeur une mission temporaire dans un autre Etat membre. Si aucun chiffre précis n'est disponible, la Commission européenne estimait en 2006 que le nombre total de travailleurs détachés avoisinait un million, soit 0,4 % de la population en âge de travailler.

Ces situations de détachement transnational posent immédiatement la question de la règle de droit applicable. Est-ce celle de l'Etat sur le territoire duquel le salarié travaille habituellement ou celle de l'Etat sur le territoire duquel le salarié est détaché temporairement ?

A. UN RÉGIME JURIDIQUE CLARIFIÉ PAR LA DIRECTIVE DU 16 DÉCEMBRE 1996

1. Les enjeux d'un développement organisé du détachement transnational de travailleurs

L'article 49 du traité instituant les Communautés européennes (dit « traité CE » ci-après) consacre le principe selon lequel les Etats membres doivent garantir la libre prestation des services à l'intérieur de la Communauté. Cette liberté fondamentale garantie par le traité, comme le rappelle la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) (2 ( * )) , comprend le droit pour un prestataire établi dans un Etat membre de détacher temporairement des travailleurs dans un autre Etat membre aux fins d'y prester un service.

Sont ainsi prohibées les discriminations ouvertes fondées sur la nationalité du prestataire mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, bien que fondées sur des critères en apparence neutres, aboutissent en fait au même résultat (3 ( * )) .

Cette liberté ne doit pas être confondue avec la liberté de circulation des travailleurs (article 39 du traité CE) (4 ( * )) ou la liberté d'établissement (article 43 du traité CE). Elle se distingue en particulier de la liberté de circulation des travailleurs par le fait que les travailleurs retournent dans leur pays d'origine après l'accomplissement de leur mission.

Outre qu'elle contribue à stimuler la concurrence, la libre prestation de services peut pallier des pénuries temporaires de main d'oeuvre dans un Etat membre.

Toutefois, l'exercice de cette liberté est susceptible de porter atteinte à l'égalité de traitement entre entreprises et au respect des droits de travailleurs.

En effet, le risque est que les entreprises originaires d'un Etat membre dans lequel le système de protection sociale est moins protecteur et les coûts du travail moins élevés profitent de cet avantage concurrentiel pour conquérir des marchés dans les Etats membres offrant une meilleure protection à leurs travailleurs. Si aucun garde-fou n'est prévu, les marchés du travail des Etats d'accueil peuvent être déstabilisés par l'arrivée à grande échelle de travailleurs détachés soumis aux conditions de travail et d'emploi applicables dans leur pays d'origine.

L'enjeu consiste donc à concilier la libre prestation des services avec une concurrence loyale et le refus d'un nivellement par le bas des normes sociales.

2. Des incertitudes juridiques qui n'étaient plus tolérables

Jusqu'à l'adoption de la directive du 16 décembre 1996, la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles servait de cadre juridique pour déterminer la règle de droit applicable à un détachement de travailleur.

Cette convention posait comme règle générale le libre choix de la loi applicable par les parties. Toutefois, son article 6 paragraphe 2 stipulait qu'à défaut de choix, « le contrat de travail est régi [...] par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s'il est détaché à titre temporaire dans un autre pays ». Sauf disposition contraire, la loi applicable était donc celle du pays d'origine.

Cette situation était insatisfaisante puisqu'elle rendait possible la mise en concurrence des droits des travailleurs.

En l'absence de législation communautaire, la Cour de justice a toutefois admis que la libre prestation de services pouvait être limitée « pour des raisons d'intérêt général tenant à la protection sociale des travailleurs » (5 ( * )) . Sur ce fondement, elle a jugé que « le droit communautaire ne s'oppose à ce que les Etats membres étendent leur législation ou les conventions collectives du travail conclues par les partenaires sociaux, relatives aux salaires minimaux, à toute personne effectuant un travail salarié, même de caractère temporaire, sur leur territoire, quel que soit le pays d'établissement de l'employeur , de même que le droit communautaire n'interdit pas aux Etats membres d'imposer le respect de ces règles par les moyens appropriés ».

3. La directive du 16 décembre 1996 : la définition d'un noyau dur de protections minimales

Cette faculté ouverte aux Etats membres par la Cour de justice est devenue une obligation avec l'adoption de la directive 96/71 du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services.

Cette directive précise les règles impératives en vigueur dans le pays d'accueil qui doivent s'appliquer aux travailleurs détachés . Ce « noyau dur » garantit ainsi aux travailleurs détachés le respect par leur employeur, pendant le détachement, de certaines règles protectrices de l'État membre d'accueil.

Les règles impératives sont celles portant sur :

- les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos,

- la durée minimale des congés annuels payés ;

- les taux de salaire minimum ;

- les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;

- la sécurité, la santé et l'hygiène au travail ;

- les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d'emploi des femmes enceintes et des femmes venant d'accoucher, des enfants et des jeunes ;

- l'égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d'autres dispositions en matière de non-discrimination.

Ces règles doivent être fixées par la législation du pays d'accueil ou par des conventions collectives déclarées d'application générale .

A cette liste, on notera que la directive autorise les Etats membres à ajouter « les dispositions d'ordre public ». Cette expression couvre les normes sociales jugées fondamentales dans un Etat membre.

Précisons que ce noyau dur de règles impératives ne s'applique que si ces règles sont plus favorables que celles en vigueur dans le pays d'origine. Dans le cas contraire, le travailleur détaché continue naturellement de bénéficier des règles de son Etat d'origine. Par ailleurs, la directive laisse la faculté aux entreprises prestataires qui le souhaitent d'accorder à leurs salariés des conditions plus favorables que les normes minimales du pays d'accueil.

Ce texte place ainsi sur un pied égal les entreprises nationales et étrangères. Ces dernières se doivent de respecter ni plus, ni moins, les normes s'imposant aux entreprises nationales.

La directive offre aussi une plus grande sécurité juridique. D'un côté, les entreprises prestataires connaissent les règles du travail du pays d'accueil qu'elles sont tenues d'appliquer. De l'autre, les salariés peuvent faire valoir leurs droits plus aisément.

La législation française relative au détachement de travailleurs

Définies par les articles L. 1261-1 et suivants du code du travail, les règles du détachement transnational de travailleurs s'appliquent aux employeurs établis hors de France qui sont amenés à intervenir dans quatre cas :

- l'exécution d'une prestation de services : les « prestations de services » s'entendent comme les activités de nature industrielle, commerciale, artisanale, libérale ou agricole, réalisées dans le cadre d'un contrat conclu entre une entreprise prestataire et le destinataire de cette prestation, moyennant un prix convenu entre eux. Sont notamment visées toutes les opérations de sous-traitance (secteur du BTP...) ;

- la mobilité intragroupe : par exemple, la mise à disposition de personnel entre entreprises d'un même groupe ou établissements d'une même société pour une mission ou une période de formation ;

- la mise à disposition de salariés au titre du travail temporaire : une entreprise de travail temporaire régulièrement établie à l'étranger peut détacher des salariés auprès d'une entreprise utilisatrice en France ;

- la réalisation d'une opération pour propre compte : par exemple, une entreprise établie à l'étranger, propriétaire en France de plantations, y détache temporairement ses salariés afin de procéder à des coupes de bois.

Même si la durée de la prestation peut varier d'une journée à plusieurs mois selon l'importance de la tâche à accomplir, le détachement doit conserver un caractère temporaire.

Avant le début de la prestation, l'employeur doit transmettre une déclaration préalable de détachement à la direction départementale du travail du lieu où s'effectue la prestation. A défaut, l'employeur est passible de l'amende prévue pour les contraventions de quatrième classe (article R. 1264-1 du code du travail), soit 750 euros maximum.

Ne sont pas applicables aux salariés détachés les dispositions du droit du travail français relatives à la conclusion et à la rupture du contrat de travail, la représentation du personnel, la formation professionnelle, la prévoyance.

En revanche, comme la directive de 1996 le permet, la loi française étend aux salariés détachés les dispositions d'ordre public suivantes : les libertés individuelles et collectives dans la relation du travail, l'exercice du droit de grève et les dispositions relatives à la lutte contre le travail illégal.

Source : Ministère du travail

* (1) Proposition de résolution européenne n°66 (2009-2010) .

* (2) Voir l'arrêt du 14 octobre 2004, Omega, C-36/02, point 35.

* (3) Voir l'arrêt de la CJCE du 3 février 1982 Seco et Desquenne, affaires 62/81 et 63/81.

* (4) Voir l'arrêt du 27 mars 1990, Rush Portuguesa, C-113/89.

* (5) Arrêt du 3 février 1982 précité.

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