B. SUR LES RISQUES D'UNE ALTÉRATION PROFONDE DE L'EXERCICE DU DROIT DE GRÈVE : RESTER VIGILANT

Le raisonnement développé par la Cour pour contrôler la légitimité et la proportionnalité d'une action collective au regard des libertés économiques fondamentales n'est pas étonnant. La Cour use fréquemment de cette construction juridique pour garantir l'application des traités.

Toutefois, force est de reconnaître que cette jurisprudence est porteuse d'incertitudes, voire de conflits avec notre droit national.

1. La compatibilité avec l'exercice du droit de grève en France

Le septième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que le droit de grève « s'exerce dans le cadre des lois qui le règlementent ».

La Constitution marque que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle mais qu'il a des limites. Le législateur est habilité à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève peut être de nature à porter atteinte (17 ( * )) . Ainsi, l'intervention du législateur est non seulement possible en matière de droit de grève mais encore nécessaire à son exercice.

Sur ces fondements, la loi française définit les modalités d'exercice du droit de grève : préavis, service minimum, catégories de personnel privées du droit de grève... Toutefois, elle ne cherche pas à définir les motifs pouvant conduire des travailleurs à engager une action collective.

La Cour de cassation laisse aussi une grande latitude aux syndicats. Une grève ne sera pas déclarée illicite si elle dépasse le périmètre de l'entreprise. De même, elle ne sera pas déclarée abusive même si elle a pour but d'empêcher une entreprise concurrente d'occuper une part du marché concerné. Dans une décision récente (18 ( * )) , la Cour de cassation a censuré l'arrêt qui avait jugé que la grève déclenchée par les employés de la Régie des transports de Marseille (RTM) pour s'opposer à la décision de la Communauté urbaine qui avait voté la délégation de service public pour exploiter la ligne du futur tramway constituait un trouble manifestement illicite puisqu'elle ne constituait pas « une revendication de nature salariale ou touchant à l'emploi et que la RTM ne disposait pas de la capacité de donner satisfaction à une telle revendication ». La Cour de cassation a censuré cette décision estimant que « la défense du mode d'exploitation du réseau des transports urbains constituait pour les employés de la RTM une revendication d'ordre professionnel, et que la capacité de l'employeur à satisfaire les revendications des salariés est sans incidence sur la légitimité de la grève » (19 ( * )) . On est loin du contrôle de proportionnalité de la Cour de justice.

Or, les juridictions nationales étant responsables de l'application et du respect du droit communautaire, elles devraient épouser le raisonnement de la Cour de justice dans l'hypothèse où le droit de grève mettrait en cause la libre prestation de services d'une entreprise étrangère.

Mais pourraient-elles cantonner cette jurisprudence à ces seules hypothèses sans qu'on leur reproche de discriminer les entreprises nationales lorsqu'elles sont exposées à un mouvement de grève ?

2. Des raisons de ne pas sur-interpréter les arrêts de la Cour de justice

La solution avancée pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice est l'adoption d'une clause de progrès social par analogie avec la clause Monti. Votre rapporteur estime que cette solution est désormais dépassée compte tenu de l'entrée en vigueur imminente du traité de Lisbonne.

Outre le fait que l'introduction dans les traités d'une clause de progrès social ne pourrait plus être aujourd'hui annexée au traité de Lisbonne puisque celui-ci est définitivement ratifié par l'ensemble des États membres, elle n'apparaît pas indispensable pour infléchir la jurisprudence de la Cour de justice. Le nouveau traité comporte déjà des dispositions de nature à la faire évoluer dans un sens moins favorable aux impératifs du marché intérieur.

Le dialogue des juges, en particulier avec la Cour européenne des droits de l'homme, pourrait aussi être fécond.

Enfin, il ne faut pas occulter les points positifs des récents arrêts de la Cour de justice. Le droit à l'action collective est consacré comme un droit fondamental faisant partie intégrante des principes généraux du droit communautaire dont la Cour assure le respect. Par ailleurs, elle y affirme que la Communauté a « non seulement une finalité économique mais également une finalité sociale ».

Les prémices d'un infléchissement sont peut-être déjà là.

* (17) Voir la décision n° 2007-556 DC du 16 août 2007.

* (18) Soc. 23 octobre 2007.

* (19) Voir l'article de M. Bernard Edelman, avocat, in Recueil Dalloz - 2009 - n° 23.

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