III. LES OBSERVATIONS DE LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES

La Commission des affaires européennes comprend les inquiétudes des auteurs de la proposition de résolution. Il ne serait pas acceptable que le droit communautaire facilite le dumping social ou remette en cause le droit de grève.

Toutefois, elle ne partage pas complètement la lecture pessimiste qui est faite de cette jurisprudence et diverge sur le choix des réponses à ces défis.

A. SUR L'OPPORTUNITÉ D'UNE RÉVISION DE LA DIRECTIVE

Les auditions de votre rapporteur ont montré que la voie d'une révision de la directive était semée d'embûches.

1. Des inquiétudes légitimes

En remettant en question le modèle nordique de dialogue social et, dans une moindre mesure le modèle rhénan, la Cour de justice a indubitablement porté un coup aux syndicats de ces pays et à la force des conventions qui y sont négociées. Comme le relève la proposition de résolution, ces arrêts tombe mal à propos à l'heure où la « flexicurité » est promue au niveau européen.

On peut aussi regretter l'interprétation très stricte faite par la Cour de la notion de règles impératives minimales. Elle donne l'impression d'une directive d'harmonisation maximale ; les salariés détachés ne peuvent obtenir plus que les minimums légaux.

L'arrêt Commission c/Luxembourg du 19 juin 2008 ne fait que confirmer cette inclination de la Cour. Elle y affirme que l'ajout de dispositions d'ordre public au socle des règles impératives minimales devant être respectées par les entreprises prestataire « constitue une dérogation au principe fondamental de la libre prestation des services, devant être entendue strictement et dont la portée ne saurait être déterminée unilatéralement par les États membres ». Elle ajoute que les dispositions d'ordre public sont celles « dont l'observation a été jugée cruciale pour la sauvegarde de l'organisation politique, sociale ou économique de l'État membre concerné, au point d'en imposer le respect à toute personne se trouvant sur le territoire national de cet État membre ou à tout rapport juridique localisé dans celui-ci ».

Enfin, votre rapporteur considère que plusieurs des pistes avancées pour améliorer la directive sont judicieuses. L'information et la coopération administrative entre les Etats membres devraient être tout particulièrement renforcées.

Faut-il pour autant réviser la directive ?

2. Une demande faiblement relayée

Les discussions engagées entre la CES et BusinessEurope semblent être au point mort. BusinessEurope jugerait la révision inutile. Mme Séverine Picard, conseillère juridique de la CES, a d'ailleurs refusé de parler de négociation à ce stade.

Du coté de la Commission européenne, M. José Manuel Barroso qui a été reconduit à sa tête a certes insisté sur le renforcement de l'Europe sociale. Mais sur la question de la révision de la directive « détachement de travailleurs », ses engagements restent encore flous. Les réflexions en cours tendraient à considérer que les principes de la directive sont sains. Les problèmes relèveraient plutôt de l'interprétation et de la mise en oeuvre. La voie d'un règlement améliorant l'application et l'interprétation de la directive par les États serait privilégiée. Le choix d'un règlement d'application immédiate permettrait d'aller plus vite et d'apporter des réponses sans prendre le risque de rouvrir l'ensemble de la directive.

Par ailleurs, les Etats membres qui ont été directement touchés par les décisions de la Cour de justice, en particulier la Suède et l'Allemagne, n'ont pas appuyé de demandes en faveur de la révision de la directive. Au contraire, ils réfléchissent à l'aménagement de leur modèle de relations sociales pour le rendre compatible avec la jurisprudence de la Cour.

Le gouvernement suédois a ainsi proposé le 8 octobre 2009 une série de mesures qui devraient entrer en vigueur le 1 er avril 2010. Sans bouleverser le système suédois, ces mesures encadrent les possibilités pour un syndicat d'engager une action collective contre une entreprise étrangère pour obtenir l'application d'un accord collectif. Elles précisent notamment que les revendications ne peuvent porter que sur des situations visées dans un accord central de branche et applicables en Suède à des mêmes collaborateurs. Le ministère du travail sera chargé de donner aux entreprises étrangères toute information sur les accords collectifs qui leur seraient applicables.

En Allemagne, conformément à l'accord de coalition CDU-SPD survenu en juin 2007, deux lois adoptées en avril 2009 ont étendu l'obligation de salaire minimum. La première donne un cadre juridique permettant de rendre obligatoire le salaire minimum aux travailleurs détachés quel que soit leur Etat d'origine. La seconde étend le salaire minimum à un certain nombre de branches. Ce débat doit être replacé dans le contexte général d'affaiblissement du modèle allemand de négociation collective de branche. L'arrêt Rüffert qui est postérieur à cet accord de coalition n'en est pas l'initiateur.

Enfin, il convient de rappeler que la directive de 1996 a été négociée dans une Europe composée de quinze Etats membres présentant des niveaux de richesse assez proches. Dans une Europe des 27 aux disparités économiques et sociales beaucoup plus marquées, il n'est pas acquis que la révision de la directive aboutirait au résultat souhaité par les auteurs de la proposition de résolution. Il est même certain que la liste des matières relevant du noyau dur serait raccourcie. A ce jour, le noyau dur recouvre environ la moitié du code du travail sans compter les dispositions dites d'ordre public.

3. Une révision pas si nécessaire

Quelle que soit la vigueur des critiques à leur encontre, il est essentiel de replacer les arrêts Laval et Rüffert dans leur contexte. La directive de 1996 n'a pas été privée d'effet utile.

La Cour devait confronter la directive de 1996 au modèle de relations sociales de certains Etats membres. Elle a dû constater que les modèles reposant sur une négociation collective décentralisée au niveau de chaque entreprise n'étaient pas aisément compatibles avec la notion de règles impératives minimales arrêtées par la loi ou par des conventions collectives d'application générale. La directive de 1996 était dès l'origine une côte mal taillée.

Il est incontestable que ces arrêts ont eu des conséquences importantes pour ces Etats membres. Mais, ils n'emportent pas les mêmes effets pour tous les autres. Le modèle français par exemple reste parfaitement adapté à la directive de 1996. Les travailleurs détachés dans notre pays sont protégés par les taux de salaire minimum définis par la loi ou les conventions collectives étendues par la loi.

En outre, même si la directive était révisée pour soumettre les entreprises prestataires à des normes sociales allant au-delà des règles impératives de protection minimale, il n'est pas sûr que la Cour jugerait ce nouveau texte compatible avec les traités. Modifier la directive ne modifierait pas automatiquement la jurisprudence de la Cour.

Au final, une révision de la directive présenterait en l'état plus d'inconvénients que d'avantages.

L'action devrait porter en priorité sur une meilleure information des entreprises et des travailleurs ainsi que sur l'approfondissement de la coopération administrative. Des marges de progrès existent pour faire respecter la directive en vigueur, quelle que soit ses insuffisances. Les représentants du ministère du travail ont indiqué que l'effort de l'administration française se concentrait sur ces deux aspects. La coopération administrative permet notamment des résultats tangibles pour sanctionner les entreprises qui ne respectent pas le noyau dur. La Bulgarie par exemple infligerait de lourdes amendes aux entreprises en infraction en France.

Lorsque la nouvelle Commission européenne sera investie, il conviendra de l'interpeller sur ses intentions, en particulier par rapport à l'idée d'un règlement d'interprétation et d'application.

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