B. UNE INTERPRÉTATION STRICTE PAR LA COUR DE JUSTICE

Les Etats ou les organisations syndicales peuvent-ils imposer aux entreprises le respect de normes sociales qui vont au-delà de ce qui est expressément prévu par la directive ? Dans les arrêts « Laval » du 18 décembre 2007 et « Rüffert » du 3 avril 2008, la CJCE a répondu par la négative, livrant ainsi une interprétation stricte des termes de la directive.

1. Rappel des faits

? Dans l'affaire « Laval », une entreprise lettone, Laval un Partneri Ltd , avait détaché en Suède une partie de ses salariés pour y construire une école. Les syndicats suédois ont demandé à l'entreprise d'adhérer à la convention collective du bâtiment applicable localement. A la suite du refus de l'entreprise, les syndicats ont organisé un blocus de son chantier. Dans l'impossibilité de travailler, les salariés détachés sont rentrés dans leur pays d'origine. Puis des actions de boycott de l'entreprise ont conduit à son éviction du marché suédois.

Laval a porté plainte devant les juridictions suédoises en demandant que le blocus et les actions de solidarité ayant conduit au boycott soient déclarées illégales. La CJCE a été interrogée par un tribunal suédois sur la compatibilité des actions entreprises par les syndicats avec le principe de libre prestation et les règles de la directive sur le détachement de travailleurs.

? Dans l'affaire « Rüffert », le Land de Basse-Saxe avait adopté une loi prévoyant que les entreprises ayant remporté un marché public devaient appliquer les conventions collectives locales, notamment en matière de salaire minimum. En 2003, un marché a été passé avec l'entreprise Objekt und Bauregie pour la construction d'une prison. L'entreprise a eu recours à un sous-traitant polonais qui n'a pas respecté le salaire minimum conventionnel.

Le Land a alors résilié le contrat conclu avec Objekt und Bauregie , qui a porté l'affaire devant les tribunaux. La juridiction d'appel a décidé d'interroger la CJCE sur le point de savoir si la loi appliquée en Basse-Saxe, qui permet à un adjudicateur de travaux publics d'imposer aux entreprises qui remportent le marché le respect de certaines conventions collectives, est compatible avec le principe de la libre prestation de service et avec les dispositions de la directive.

2. La solution dégagée par la Cour de justice

Dans les deux affaires, la Cour a donné raison aux entreprises plaignantes en interprétant strictement les termes de la directive.

? La Cour souligne d'abord que les conventions collectives dont l'application a été demandée ne sont pas des conventions d'application générale au sens de la directive, c'est-à-dire celles qui s'appliquent sur tout le territoire d'un Etat membre ou à toutes les entreprises appartenant à un secteur ou à une profession déterminée. Comme l'observe la CJCE, les conventions collectives dont l'application a été demandée dans ces deux affaires ne répondaient pas à cette condition : elles ne s'appliquaient qu'à certaines entreprises du secteur de la construction.

? La Cour estime ensuite que les Etats membres n'ont pas le droit de fixer des conditions qui vont au-delà de ce qui est prévu par la directive. Dans l'arrêt « Rüffert », elle indique que l'article 3 de la directive « ne saurait être interprété en ce sens qu'il permet à l'Etat membre d'accueil de subordonner la réalisation d'une prestation de services sur son territoire à l'observation de conditions de travail et d'emploi allant au-delà des règles impératives de protection minimale » . Les règles impératives de protection minimale sont celles qui sont prévues explicitement par la directive.

La Cour estime que toute autre interprétation priverait la directive d'effet utile . Sans être très explicite sur ce point, elle semble craindre qu'une interprétation plus souple de sa part n'incite les Etats membres à multiplier les conditions au détachement de travailleurs, officiellement pour protéger les salariés, mais en réalité pour préserver leur marché intérieur.

? C'est en effet la protection du droit à la libre prestation de service qui est au coeur du raisonnement de la Cour. Celle-ci considère que les actions collectives menées par les syndicats, dans la première affaire, et les dispositions de la législation de Basse-Saxe, dans la seconde, sont susceptibles de rendre « moins attrayante » ou de « gêner » l'exécution par les entreprises de leurs prestations dans l'Etat membre d'accueil et constituent, dès lors, un obstacle à la libre prestation de services .

De plus, imposer une négociation des salaires entreprise par entreprise empêche les employeurs de savoir à l'avance quel sera le niveau de rémunération de leurs salariés détachés et complique donc tout exercice de prévision économique.

3. Une préoccupation légitime

Ces arrêts ont suscité l'inquiétude de la confédération européenne des syndicats (CES) et de différentes formations politiques en Europe. Le groupe socialiste du Sénat s'en fait l'écho lorsqu'il rappelle, dans sa proposition de résolution, la nécessité de « lutter contre ce qui pourrait s'apparenter à du " dumping social " ».

La jurisprudence de la CJCE a en effet pour conséquence de rendre possible une concurrence entre les entreprises fondée sur les écarts de salaires, tout au moins dans les pays, comme l'Allemagne ou la Suède, où la négociation sociale est décentralisée et où les conventions collectives ne s'appliquent pas nécessairement à tout un secteur d'activité. Or l'ambition de la directive n'était-elle pas précisément d'égaliser les conditions de la concurrence en Europe en imposant à tous les employeurs le respect des mêmes normes sociales sur un territoire ?

Sur le plan juridique, votre commission doit cependant admettre que les termes mêmes de la directive confortent plutôt l'analyse développée par la CJCE, dans la mesure où celle-ci fait clairement référence aux conventions collectives d'application générale.

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