II. LA CRÉATION D'UNE ALLOCATION JOURNALIÈRE

1. L'absence de rémunération explique largement le faible recours au congé de solidarité ou d'accompagnement

L'ouverture du droit à un congé pour accompagner une personne en fin de vie a constitué une avancée importante dans une meilleure prise en charge des patients.

Pourtant, si aucune statistique n'est disponible sur le nombre de personnes qui en ont demandé le bénéfice, on estime généralement qu'il est très peu utilisé , en tout cas à un degré bien inférieur aux besoins. Cette situation s'explique par l' absence de rémunération , qui empêche certaines personnes d'y avoir recours et engendre, de plus, des inégalités , que rien ne justifie.

De ce fait, il arrive très fréquemment qu'à la place du congé, le proche demande à son médecin un arrêt maladie , que ce dernier peut difficilement refuser. Il est indéniable que l'accompagnement d'une personne en fin de vie a un impact sur l'état de santé de l'entourage. Pour autant, les personnes qui, en l'absence d'alternative, recourent à cette solution se mettent dans une situation juridique incertaine , tant du point de vue du retour dans leur emploi que de l'assurance maladie. De plus, cette solution tend à associer accompagnement et maladie , ce qui est clairement contraire à l'esprit de la démarche et à la philosophie que souhaitent développer les associations ou le législateur à ce sujet.

Ces considérations rendent nécessaire de stabiliser financièrement la situation des personnes qui choisissent d'accompagner un proche à la fin de sa vie. Qui plus est, ce choix est le meilleur pour le malade, pour son entourage et pour la société.

Enfin, le droit actuel ne répond, même partiellement, qu'à la situation des salariés et des fonctionnaires et militaires. Il ne paraît pas justifié d'exclure a priori des personnes qui ne sont pas dans l'une de ces situations professionnelles : travailleurs indépendants, demandeurs d'emploi... La situation est, en définitive, la même pour tous : l'accompagnement d'un proche en fin de vie.

2. Une allocation journalière pour accompagner une personne en fin de vie

La question de la rémunération du congé de solidarité familiale a déjà été soulevée, en 1999, lors de l'examen de la proposition de loi visant à garantir le droit à l'accès aux soins palliatifs. Le Gouvernement avait alors opposé l'article 40 de la Constitution à des amendements allant dans ce sens.

Dix ans après, la mission parlementaire d'évaluation de la loi « Leonetti » de 2005 7 ( * ) a mis en avant la nécessité de créer un congé d'accompagnement rémunéré et a envisagé deux solutions : une allocation ou un congé payé. Alors que la mission avait privilégié la seconde possibilité, la proposition de loi a opté pour une allocation journalière d'accompagnement. Malgré l'article 40, l'Assemblée nationale a accepté le dépôt de ce texte et le Gouvernement a levé le gage durant la discussion en séance publique.

Pour autant, tout amendement d'initiative parlementaire visant à étendre le champ de l'allocation (bénéficiaires, durée...) se verrait assurément opposer l'irrecevabilité financière de l'article 40 .

• L'éligibilité

La proposition de loi prévoit de créer une « allocation journalière d'accompagnement d'une personne en fin de vie », versée aux bénéficiaires d'un congé de solidarité familiale. Une condition limitative supplémentaire est posée : l'accompagnement doit être réalisé à domicile . Si cette allocation ne concerne donc pas les personnes qui accompagnent un patient hospitalisé, l'Assemblée nationale a cependant permis le maintien du versement de l'allocation durant les jours éventuels d'hospitalisation d'une personne accompagnée à domicile.

L'allocation est également versée aux personnes qui ne bénéficient pas du congé de solidarité familiale, c'est-à-dire celles qui ne sont ni salariées ni fonctionnaires, aux conditions d'avoir suspendu toute activité professionnelle et d'accompagner un proche à domicile. Là aussi, les personnes éligibles sont les ascendants, descendants, frères, soeurs ou partageant le même domicile.

• Le cumul avec d'autres revenus

La proposition de loi est muette sur les possibilités ou interdictions pour le bénéficiaire de cumuler l'allocation avec d'autres revenus.

Le salarié qui a choisi de passer à temps partiel, en accord avec son employeur, dans le cadre d'un congé de solidarité familiale, peut-il cumuler sa rémunération et l'allocation forfaitaire ? Le texte le permet en l'état.

L'article L. 544-9 du code de la sécurité sociale prévoit expressément que l'allocation journalière de présence parentale n'est pas cumulable avec diverses indemnisations (maternité, maladie, chômage...) ou allocations (parentale d'éducation, adultes handicapées...). En l'absence de disposition contraire, on doit donc en conclure que le cumul serait autorisé pour la nouvelle allocation.

• La durée et le montant

Le versement est limité à une durée maximale de trois semaines et il cesse au plus tard à compter du jour suivant le décès .

Le montant est fixé par décret . L'exposé des motifs de la proposition de loi indique « qu'il serait forfaitaire et identique à celui de l'allocation journalière de présence parentale ». Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé et des sports, l'a ainsi confirmé, lors du débat à l'Assemblée nationale 8 ( * ) : « le décret d'application fixera son montant à 49 euros, soit un montant égal à celui de l'allocation journalière de présence parentale pour 2009 ».

L'allocation journalière de présence parentale (articles L. 544-1 à L544-9 du code de la sécurité sociale)

La personne qui assume la charge d'un enfant atteint d'une maladie, d'un handicap ou victime d'un accident d'une particulière gravité rendant indispensable une présence soutenue et des soins contraignants bénéficie d'une allocation journalière de présence parentale.

Le droit est ouvert pour une période égale à la durée prévisible du traitement de l'enfant, dans une limite maximale de trois ans. Cette durée est réexaminée périodiquement.

Le nombre d'allocations journalières versées pour un même enfant au titre d'un mois civil ne peut être supérieur à vingt-deux.

Le montant de l'allocation est fixé par décret ; il est majoré pour la personne assumant seule la charge de l'enfant. Au 1 er janvier 2009, l'allocation journalière est égale à 41,37 euros pour un couple et à 49,16 euros pour une personne seule.

Un complément forfaitaire pour frais peut être attribué, mensuellement, aux ménages ou aux personnes dont les ressources ne dépassent pas un plafond, lorsque la maladie, le handicap ou l'accident exige des dépenses spécifiques. Au 1 er janvier 2009, ce complément est égal à 105,82 euros par mois.

Enfin, sans disposition spécifique contraire inscrite en loi de finances, cette nouvelle allocation sera imposable au titre de l'impôt sur le revenu.

3. Le financement

Si la proposition de loi, dans sa version initiale, faisait porter la charge de cette nouvelle allocation sur les organismes d'assurance maladie, elle était peu précise sur la désignation du régime responsable. Un amendement du Gouvernement adopté à l'Assemblée nationale prévoit désormais que l'allocation sera financée par le régime d'assurance maladie de la personne qui accompagne un proche en fin de vie .

Cette décision suscite deux interrogations.

• Pourquoi l'Etat ne prend-il pas à sa charge cette dépense de solidarité nationale ?

Certes, le Gouvernement avance le fait que de nombreuses personnes sont amenées, aujourd'hui, à demander des arrêts maladie pour accompagner un proche en fin de vie ; la création de l'allocation constitue donc, en quelque sorte, un redéploiement de dépenses pour les régimes sociaux.

Cette argumentation est contestable : ces personnes sont contraintes d'utiliser de tels moyens, juridiquement peu satisfaisants par ailleurs, en raison de l'absence d'une rémunération du congé. Il n'est guère convaincant de raisonner à partir de l'effet pour justifier la cause...

De plus, on notera que les autres allocations du livre VIII du code de la sécurité sociale ne sont pas à la charge des organismes de sécurité sociale :

- l'allocation de solidarité aux personnes âgées est remboursée aux organismes qui en sont débiteurs par le fonds de solidarité vieillesse, établissement public de l'Etat, financé par des cotisations et contributions sociales ;

- l'allocation supplémentaire d'invalidité est à la charge du fonds spécial d'invalidité administré par l'Etat ;

- l'allocation aux adultes handicapés, le complément de ressources et la majoration pour la vie autonome sont financés par l'Etat via le fonds national des prestations familiales ;

- les allocations de logement relevant de ce livre sont financées par le fonds national d'aide au logement, dont les ressources proviennent de cotisations sociales et de l'Etat.

L'allocation journalière de présence parentale, dont le montant servira de référence à celui de l'allocation d'accompagnement, est - il est vrai - versée par les caisses d'allocations familiales.

• Pourquoi faire le choix du régime d'assurance maladie dont relève l'accompagnant ?

Cette question en soulève deux autres :

- ce risque relève-t-il des branches maladie ou famille ? Si l'allocation doit être mise à la charge des régimes sociaux, il est difficile de définir le risque auquel elle s'attache plus particulièrement. S'agissant de l'accompagnement d'une personne par un ascendant, un descendant, un frère, une soeur ou une personne partageant le même domicile, il ne serait pas illégitime de penser que le risque famille serait plus approprié ;

- l'allocation doit-elle être à la charge du régime de la personne qui accompagne ou de la personne accompagnée ? Si le seul argument avancé par le Gouvernement tient à la diminution parallèle des arrêts maladie, il ne résout pas pour autant la question du régime sur lequel doit porter la charge. En effet, l'accompagnement à domicile, tel qu'il est prévu par la proposition de loi, devrait limiter les cas d'hospitalisations imposées par la situation d'isolement familial ou affectif du malade. Dans ces conditions, on serait en droit de considérer que l'allocation devrait plutôt être mise à la charge du régime de la personne accompagnée.

En définitive, sur cette question du financement de l'allocation, le Gouvernement a avancé peu d'arguments convaincants . Il est vrai que les estimations sur lesquelles il se fonde n'entraînent pas une charge financière importante : il semble qu'environ 25 % des 100 000 personnes en soins palliatifs actuellement en France seraient à domicile ; dans l'hypothèse où la demande d'allocation serait présentée par un proche dans 80 % de ces cas, le montant annuel total est évalué à environ 20 millions d'euros .

Quoi qu'il en soit, le Gouvernement ayant fait ce choix, celui-ci ne peut être amendé par initiative parlementaire, en raison, à nouveau, des règles posées par l'article 40 de la Constitution.

*

* *

En conclusion, il n'est pas contestable que l'aménagement du congé de solidarité familiale, son élargissement aux frères et soeurs et la création d'une allocation journalière soient des avancées, qui ne sauraient être négligées.

Plus largement, l'examen de la proposition de loi donne l'occasion d'apprécier la grande diversité des dispositifs existants en matière d'accompagnement des personnes gravement malades ou handicapées. Leur mise en place a répondu, à un moment donné, à une demande spécifique pour répondre à des situations de détresse et il serait temps d'envisager cette question globalement, afin de s'assurer de l'effectivité de ces différents droits.

Votre commission se propose d'améliorer encore les conditions de l'accompagnement d'un proche en fin de vie, notamment dans le sens de l'uniformisation du droit à congé et de la sécurisation des règles de protection sociale des accompagnants, et regrette que les règles de recevabilité financière des amendements ne lui permettent pas d'intervenir de manière plus décisive pour ce qui concerne l'allocation d'accompagnement. Elle a donc adopté la proposition de loi dans la rédaction résultant de ses travaux.

* 7 « Solidaires devant la fin de vie », rapport d'information Assemblée nationale n° 1287 (XIII e législature) fait par Jean Leonetti, au nom de la mission d'évaluation de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.

* 8 Le 17 février 2009, cf. Journal officiel Débats Assemblée nationale n° 25 du 18 février 2009, p. 1779.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page