PRÉSENTATION DE L'AVIS DE MME FRANÇOISE LABORDE

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JEUDI 17 JUIN 2010

Mme Françoise Laborde, rapporteure de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, sur la proposition de loi n° 340 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes et sur la proposition de loi n° 118 (2009-2010), présentée par M. Roland Courteau et plusieurs de ses collègues, relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.

Mme Françoise Laborde , rapporteure pour avis de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes . - Deux principes de base sous-tendent la démarche de la délégation : les violences au sein du couple ont été une réalité longtemps occultée ; il est essentiel que le domicile conjugal -au sens large, ce qui inclut les formes de cohabitation hors mariage- ne soit plus un lieu de non-droit. Aujourd'hui, il est de notre devoir de soutenir les associations d'aide aux victimes et de leur rendre hommage mais notre mission, plus que jamais, est aussi de veiller au réalisme et à la simplicité des normes.

La première partie de notre rapport est à la fois historique et très actuelle. J'y rappelle comment notre délégation a pu, depuis sa création, contribuer à l'émergence d'un droit nouveau qui a eu un effet « déclencheur » de révélation des violences conjugales. A l'occasion de la réforme du divorce, nous avions, en 2001 et en 2003, souligné la nécessité de renforcer les pouvoirs du juge civil, notamment pour évincer le conjoint violent du domicile et de préserver dans le code civil la notion essentielle de répétition des violences verbales, tout en insistant sur la prise en compte de la cohabitation hors mariage. L'ordonnance de protection des victimes et la pénalisation du harcèlement se situent dans la même lignée.

Notre rapport détaille ensuite les dispositions de la loi du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs. Il est frappant de constater à quel point cette loi, issue de l'initiative sénatoriale, a provoqué un « déclic » à la fois social, judiciaire, et législatif . Par la suite, l'Assemblée nationale s'est également mobilisée : sa mission d'évaluation a formulé en juillet 2009 soixante cinq propositions de nature législative, dont l'essentiel a été repris dans une proposition de loi, cosignée par Mme Danielle Bousquet, M. Guy Geoffroy et soutenue par l'ensemble des membres de la mission. Je retiendrai une seule des multiples données recueillies : le faible taux de révélation des violences conjugales est estimé à 10 % par l'Observatoire national de la délinquance (OND). Il ne faut donc pas s'alarmer outre mesure de la hausse statistique de 30 % depuis 2004 des violences conjugales puisqu'elle résulte de celle du taux de plainte.

La seconde partie de notre rapport analyse le contenu et l'impact envisageable de la nouvelle étape que le Parlement s'apprête à franchir.

Le Sénat devra se prononcer sur la base de deux propositions de loi. La première, présentée par M. Roland Courteau, plus concise, avec cinq articles, que le texte des députés, reprend certaines de ses suggestions qui n'avaient pas été retenues par les lois du 4 avril 2006 ou du 5 mars 2007 et comporte un volet relatif aux enfants. Pour l'essentiel, ses préoccupations sont susceptibles d'être satisfaites par les trente cinq articles de la proposition qui nous a été transmise par l'Assemblée nationale. Toutefois, un certain nombre d'hommes étant également victimes de violences, l'intitulé de la proposition sénatoriale est plus neutre que celui qui a été retenu par l'Assemblée nationale.

Le dispositif adopté par les députés modifie neuf codes en vigueur, avec la volonté très positive de traiter les violences conjugales selon une approche générale, mais une telle complexité présente des risques et des effets pervers.

J'insisterai sur cinq aspects ponctuels.

L'article premier prévoit la création d'une ordonnance de protection des victimes : c'est la mesure la plus innovante. Elle s'inspire de l'outil phare de la politique espagnole, délivré par le magistrat de permanence après que la victime a rempli un simple imprimé. Une transposition pure et simple paraissait cependant mal adaptée au droit français, fondé sur le principe du contradictoire. Si 90% des victimes n'osent pas porter plainte, c'est parce qu'elles craignent les conséquences possibles de cette démarche en matière de logement, de garde des enfants ou de régularité du séjour pour les étrangères. Pour répondre à ces difficultés, l'article premier prévoit d'accorder à la victime le temps nécessaire pour décider de la suite à donner à cette première étape sur le plan civil ou pénal : le juge peut prendre trois séries de mesures tendant à assurer la sécurité de la victime, faciliter son logement et fixer les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

L'article 2 bis (nouveau), qui résulte de l'adoption d'un amendement du Gouvernement, prévoit un dispositif de surveillance électronique mobile applicable à titre expérimental, pendant trois ans. Les auditions ont montré que le bilan qu'en font les magistrats était, pour le moins, nuancé : le déclenchement intempestif des alarmes provoque d'abord un « stress » important et mobilise des moyens dont le coût peut être supérieur à une journée de détention. Ensuite, pour un meurtrier déterminé à passer à l'acte, le bracelet n'est pas un obstacle majeur puisqu'il peut être arraché. De plus, ces contraintes obligent le condamné à avoir un domicile stable alors qu'il peut avoir fait l'objet d'une mesure d'éloignement et se retrouver quelque temps sans domicile fixe. Il faut retenir ces observations de bon sens et remédier, d'urgence, aux imperfections techniques de la surveillance électronique qui la rendent difficilement opérationnelle à l'heure actuelle.

L'article 8 modifie la définition du délit de dénonciation calomnieuse. Nombre de victimes de violences sont menacées par cette « infraction boomerang ». La nouvelle rédaction prévoit de ne plus considérer qu'il y a calomnie lorsque le juge prononce la relaxe de l'agresseur supposé au bénéfice du doute. Il s'agit d'éviter les plaintes systématiques pour dénonciation calomnieuse et de libérer la parole des victimes.

L'article 17 crée un délit de violences psychologiques, inspiré de l'article 222-33-1 du code pénal qui définit le harcèlement moral au travail. Ce n'est pas une révolution juridique puisque, depuis 1892, la jurisprudence admet, outre les atteintes physiques, les violences qui sont « de nature à provoquer une sérieuse émotion ». Et le fait de harceler autrui au téléphone constitue d'ores et déjà le délit d'appels téléphoniques malveillants réitérés. Il s'agit cependant d'une innovation majeure qui soulève deux principales inquiétudes sur son applicabilité. En premier lieu, le représentant de l'Association nationale des juges d'application des peines fait observer que le harcèlement moral était d'ores et déjà difficile à prouver dans le cadre professionnel : il risque de le devenir encore bien plus dans les relations de couple, à l'abri des regards extérieurs et en l'absence de témoins objectifs. Les classements sans suite des plaintes risquent de se multiplier et, devant les tribunaux, le doute profitera à la personne poursuivie.

Une seconde objection formulée par certaines associations de femmes concerne les risques d'utilisation abusive de ce dispositif par des conjoints violents qui tenteraient de se présenter eux-mêmes comme victime de harcèlement conjugal. En même temps, elles ont rappelé l'utilisation fréquente du mutisme comme moyen d'intimidation et on peut effectivement s'interroger sur la difficulté de prendre en compte le silence d'un conjoint au niveau juridique.

Le maintien de cette nouvelle incrimination se justifie néanmoins, selon la délégation, sur la base de trois arguments. Il s'agit tout d'abord d'adresser un message particulièrement clair à la fois aux auteurs et aux victimes sur l'anormalité des comportements en cause. En second lieu, il a été observé, notamment au Canada, que l'aggravation de la sanction des violences physiques se traduisait par une augmentation de la pression psychologique au sein des couples : le législateur doit donc fixer un nouveau palier de protection adapté à l'évolution des comportements. Enfin, la pacification des relations de couples se justifie, en fin de compte, par le devoir de protection des enfants témoins, trop souvent oubliés. Nous préconisons donc de parier que cette mesure pénale aura plus d'effets bénéfiques que d'inconvénients.

Symétriquement, il est logique de rappeler que, du côté de la prévention, un certain nombre de stages de « gestion des conflits » ont fait la preuve de leur efficacité dans les relations de travail. La délégation propose de s'en inspirer afin de créer les outils permettant à chacun de maîtriser ses émotions et de réguler les comportements de couple. Ce serait un éclairage utile à l'article 11 A qui précise que l'éducation civique et la formation des enseignants, doivent intégrer l'égalité entre les femmes et les hommes et une sensibilisation aux violences faites aux femmes.

Plus globalement, la loi n'est jamais autant dans son rôle que lorsqu'elle protège le faible contre le fort. Tel est bien l'objet des deux propositions de loi soumises à l'examen du Sénat, puisque, présentées en parallèle, et en « rafale », elles prévoient en faveur des victimes  : une nouvelle procédure accélérée, l'aide juridictionnelle, des soins médico-psychologiques à l'agresseur, la surveillance électronique, des espaces de rencontres sécurisés, un titre de séjour permettant de travailler, un accès prioritaire au logement social, la formation de tous les personnels concernés, un contrôle renforcé du contenu des médias, une nouvelle définition du harcèlement, une mobilisation contre les mariages forcés et plusieurs rapports de contrôle.

Cette énumération suffit à elle seule à justifier la conformité de ces textes au principe de rééquilibrage de l'égalité des chances entre hommes et femmes. Résultant de l'initiative parlementaire, et voté à l'unanimité à l'Assemblée nationale pour l'un d'entre eux, ces textes ne sauraient être, du point de vue politique, affaiblis dans leur portée. Du point de vue technique, leurs dispositions n'ont cependant pas toutes été soumises aux filtres juridiques qui entourent la confection des projets de loi : leur insertion harmonieuse dans l'ordre juridique français mérite d'être affinée par la commission des lois.

Les conditions d'application concrètes de l'ensemble de ces dispositifs de secours, qui relèvent principalement de la solidarité nationale, seront à court terme déterminantes. A moyen terme, et c'est là ma plus profonde conviction, la mobilisation du volet répressif ou curatif doit être réduit par un effort de prévention et d'éducation énergique, global et efficace.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Le bracelet électronique fixe suppose certes un domicile fixe, il consiste à assurer à des heures déterminées que l'on est chez soi ; mais le bracelet mobile a pour finalité de localiser le porteur dans ses déplacements -le délinquant sexuel n'aura pas le droit de s'approcher de l'école, etc.

Mme Françoise Laborde , rapporteur pour avis . - Certains disent que l'utilisation du bracelet est difficile. En France, on y a rarement recours.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Tout de même 7.000 bracelets fixes !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'Etat chargée de la famille et de la solidarité . - Je me suis rendue en Espagne pour observer ce dispositif qui va être transposé en France. Certes, il y a eu des problèmes techniques, tels que des déclenchements d'alerte intempestifs, mais le matériel peut être amélioré. Avec le bracelet mobile, l'auteur de violences ne peut approcher à moins de 400 mètres : s'il franchit cette limite, la victime est avertie car elle porte un détecteur. La France va expérimenter ce système car les résultats en Espagne sont spectaculaires.

Mme Françoise Laborde , rapporteure pour avis . - La délégation a formulé les recommandations suivantes :

I. La délégation approuve sans réserve ces deux textes dans leur principe : la loi n'est jamais autant dans son rôle que lorsqu'elle protège, en particulier les victimes de violence au sein des couples.

Recommandation n° 1 - Lancer un signal fort et unanime de pacification des relations familiales : légiférer dans ce domaine comporte en soi une valeur symbolique et humaine qui va bien au delà de la simple addition des composantes du texte.

Recommandation n° 2 - Mieux prendre en considération un des enjeux les plus graves et le plus souvent passé sous silence : celui des enfants témoins de violences conjugales et d'atteintes à la dignité du parent agressé.

II. La délégation observe que la proposition de loi issue des travaux de l'Assemblée nationale comporte trente cinq articles modifiant neuf codes en vigueur et formule, à cet égard, deux séries d'observations.

- Elle se félicite de la transversalité de l'approche ainsi retenue tout en signalant une des rares lacunes du texte :

Recommandation n° 3 - Faciliter l'accès à l'emploi des victimes de violences conjugales. L'emploi est en effet le remède essentiel à la désocialisation et à l'insuffisante solvabilité qui limite l'accès au logement.

- Elle s'inquiète des risques de dérive et des possibilités d'abus que comportent nécessairement l'introduction de normes nouvelles et complexes.

Recommandation n° 4 - Veiller à la lisibilité du dispositif, tant par le justiciable que par les praticiens du droit et mobiliser les règles nouvelles pour venir en aide à celles et ceux qui en ont le plus besoin.

III. Sans aucunement minimiser la portée de la nouvelle ordonnance de protection des victimes, la délégation suggère de rappeler qu'il s'agit d'un outil temporaire et complémentaire.

Recommandation n° 5 - Rappeler aux victimes que le droit pénal en vigueur permet d'aboutir à des solutions plus énergiques, à condition de porter plainte.

IV. La délégation estime nécessaire de tirer les conséquences législatives d'une réalité sociologique : la violence psychologique précède et accompagne presque toujours les violences physiques.

Recommandation n° 6 - Porter un coup d'arrêt à l'escalade des conflits au sein du couple en adressant un message aux agresseurs et aux victimes selon lequel le « harcèlement conjugal » est un comportement inacceptable.

Recommandation n° 7 - Surmonter les objections liées à la difficulté de prouver les violences psychologiques en améliorant leur capacité de détection par les médecins et les magistrats.

V. La délégation souligne la nécessité de mettre en oeuvre l'exigence de prévention en ciblant les actions les plus performantes.

Recommandation n° 8 - Améliorer la prévention par des actions de sensibilisation et de formation efficaces sur les violences conjugales :

- diffuser de façon plus large, y compris dans le cercle de famille, les supports de formation, les conseils ou les stages relatifs à la « gestion des conflits » ;

- décloisonner la formation initiale et continue des professionnels en contact avec les victimes en favorisant la mixité des publics en formation, ce qui facilitera la mutualisation des actions des différents intervenants ;

- informer et sensibiliser les enseignants dans le cadre de leur formation professionnelle initiale et continue ;

- apprendre aux élèves, dès le plus jeune âge et tout au long de la scolarité, les exigences de la vie en groupe ou en famille et le respect des autres.

Recommandation n° 9 - Favoriser les groupes de parole de victimes ou d'auteurs de violence : ils aident les femmes à surmonter le traumatisme qu'elles subissent et ont également démontré leur efficacité en diminuant le taux de récidive des agresseurs qui y participent dans le cadre de leur suivi socio-judiciaire.

VI. La délégation, tout en soulignant que les femmes sont, en pratique, les principales victimes des violences conjugales, rappelle que les dispositions protectrices de la loi s'appliquent conformément au principe d'égalité.

Recommandation n° 10 - Rendre plus neutre l'intitulé du texte en retenant celui de la proposition de loi n° 118 (2009-2010) « relative aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants ».

Mme Virginie Klès . - Le terme de « conflit » est à bannir lorsque l'on parle de violences. Les mécanismes ne sont pas les mêmes. La difficulté pour prendre en charge les violences conjugales, c'est qu'on ne parvient pas à faire la différence entre ce qui relève d'un conflit et ce qui est une violence. Les deux ne se traitent pas de la même façon, mais les psychologues mettent au point des techniques d'entretien pour repérer les comportements stéréotypés, qui signalent des violences, alors que les conflits ne donnent pas lieu à de tels comportements.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Je suis étonnée que l'on emploie encore le mot « conflit » : nous avions déjà essayé en 2006 de bannir ce vocabulaire. Pour la même raison, nous ne voulons pas de médiation pénale dans les affaires de violences conjugales.

M. Laurent Béteille . - Les recommandations de la délégation correspondent pour nombre d'entre elles aux prescriptions formulées par l'assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Plusieurs sont d'ordre réglementaire - éducation, formation...

En Suède, la présence des enfants est une circonstance aggravante des violences.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Si la commission des lois cherchait à faire respecter la répartition entre les articles 34 et 37 de la Constitution, elle devrait d'abord se couvrir de cendres... Un groupe de travail sur la qualité des lois a été mis en place. Certaines des recommandations formulées par Mme Laborde relèvent aussi des politiques publiques. Quoi qu'il en soit, si les lois avaient uniquement une vertu d'information, ce ne serait pas la peine d'en faire.

M. Charles Gautier . - Adressez-vous aux auteurs de projets de loi.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Cela vise aussi les auteurs de propositions ou d'amendements ! En 2006, Mme Borvo Cohen-Seat proposait déjà ce que le présent texte prévoit.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat . - Vous n'en avez pas voulu.

M. Jean-Jacques Hyest , président . - Bien que d'accord avec vous sur le fond, nous considérions que ces mesures étaient d'ordre réglementaire. Mais puisque le rôle de la loi n'est plus de sanctionner ou prescrire, mais de populariser, d'informer, d'annoncer...

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