C. UNE SOLUTION : L'ACCÈS RÉGULÉ À L'ÉLECTRICITÉ DE BASE

1. Les préconisations du rapport Champsaur

Afin d'alimenter sa réflexion, le Gouvernement a demandé au mois d'octobre 2008 à une commission composée de personnalités qualifiées et de parlementaires, dont votre rapporteur, présidée par M. Paul Champsaur, de formuler des propositions sur l'organisation du marché électrique. L'objectif qui lui a été fixé était de parvenir à une organisation de marché qui, simultanément, protège les intérêts des consommateurs, incite à la maîtrise de la demande et aux investissements, et s'inscrive dans le marché européen de l'électricité.

Dans son rapport d'avril 2009, la commission Champsaur envisage deux solutions , après avoir écarté celles d'une déréglementation totale du marché de l'électricité, d'un acheteur unique ou d'un découpage d'EDF en plusieurs entités.

La première solution consisterait dans une libération des prix, couplée avec un mécanisme de taxation et de réallocation des bénéfices du parc de production en base. La suppression des tarifs réglementés, au moins pour les plus gros consommateurs, se traduirait par un alignement du prix du marché sur les coûts des moyens de production thermique, donc par une hausse de la facture électrique du client final et par une forte augmentation des bénéfices d'EDF sur le périmètre de ses actifs de production en base. La mise en place d'une taxe permettrait alors de capter ces bénéfices pour les redistribuer aux clients finals, via un rabais sur la facture électrique proportionnel à la part d'énergie en base nécessaire pour répondre aux besoins de chaque consommateur. Le dispositif fonctionnerait alors comme une Contribution au Service Public de l'Électricité (CSPE) négative.

La deuxième solution, effectivement retenue par le présent projet de loi, est celle de l'accès régulé à l'électricité de base . Elle consiste à permettre, dans la limite d'un plafond global, à tout fournisseur alimentant des consommateurs sur le territoire national d'obtenir une certaine quantité d'électricité de base, à un prix régulé reflétant la réalité des coûts complets du parc de production nucléaire historique. La quantité d'électricité à laquelle chaque fournisseur aura droit sera proportionnée à son portefeuille prévisionnel de clients résidant en France. Pour ne pas générer d'effet d'aubaine, les conditions d'accès seront ajustées ex-post en fonction du portefeuille effectif de clients, un complément de prix étant dû par le fournisseur à EDF en cas d'écart. Pour permettre à EDF de maintenir son parc nucléaire en état, le prix de l'accès régulé devra couvrir l'ensemble des coûts de production : exploitation, maintenance, prolongement de la durée de vie, démantèlement des centrales et gestion des déchets radioactifs.

C'est ce mécanisme d'accès régulé à l'électricité de base, renommé accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) par l'Assemblée nationale, qui fait l'objet de l'article 1 er du projet de loi. Son plafond global est fixé à 100 TWh par an, soit environ un quart de la production d'électricité d'origine nucléaire d'EDF. Au-delà de ce plafond, l'ARENH servira également à couvrir les pertes techniques des gestionnaires de réseaux 2 ( * ) , qui sont de l'ordre de 30 TWh par an.

2. Une contribution nécessaire à la sécurité d'approvisionnement

Le système électrique français se trouve actuellement dans une situation de tension entre l'offre et la demande, qui appelle un effort d'investissement.

Selon la dernière programmation pluriannuelle des investissements (PPI) de production d'électricité, entre 1973 et 2007, la consommation intérieure d'électricité s'est développée deux fois plus vite que l'ensemble de la consommation d'énergie. La consommation finale d'électricité a presque triplé sur cette période, passant de 151 TWh en 1973 à 434 TWh en 2007. Cette hausse est principalement due à l'augmentation de la consommation d'électricité dans le secteur résidentiel et tertiaire, qui est passée de 59 TWh en 1973 à 284 TWh en 2007.

Par ailleurs, depuis une dizaine d'années, la puissance appelée en période de pointe de consommation croît plus rapidement que la consommation, en raison du développement d'usages nouveaux de l'électricité (informatique, équipements domestiques restant en veille, appareils rechargeables multiples, équipements de confort) et de la poursuite du développement du chauffage électrique. Alors que le record de consommation nationale réalisé à ce jour est de 92,4 GW, atteint le 7 janvier 2009 lors d'une vague de froid, RTE estime que ce niveau de pointe extrême pourrait atteindre 104 GW durant l'hiver 2014-2015 et 108 GW durant l'hiver 2019-2020.

C'est pourquoi, à côté du parc nucléaire d'EDF, la PPI 2009-2020 confirme le besoin d'un parc thermique classique minimal pour le bon fonctionnement du système électrique. Or, la moitié du parc de production charbon, correspondant aux installations les plus polluantes, a vocation à être déclassée. La PPI considère les centrales au fioul et les turbines à combustion gaz comme la seule alternative à l'hydroélectricité pour la production de pointe, mais relève que le marché n'assure pas une rentabilité suffisante aux investissements dans de nouvelles capacités de production de pointe.

Aujourd'hui, les fournisseurs d'électricité présents en France n'ont aucune obligation de concourir à la sécurité d'approvisionnement. Implicitement, c'est EDF qui joue le rôle d'assureur du système électrique. Le présent projet de loi va permettre aux fournisseurs concurrents de proposer des offres compétitives par rapport à celles d'EDF. En contrepartie, il prévoit d'imposer à chaque fournisseur de détenir, de façon directe ou indirecte, des capacités de production ou d'effacement de consommation proportionnées à son portefeuille de clients.

3. La mise en place d'un marché des capacités d'effacement

L'article 2 du présent projet de loi prévoit que l'obligation de capacités qui sera imposée à tout fournisseur d'électricité pourra porter aussi bien sur des capacités d'effacement que sur des capacités de production, et que ces garanties de capacités seront échangeables.

Le rapport du groupe de travail parlementaire sur la maîtrise de la pointe électrique, coprésidé par MM. Serge Poignant et Bruno Sido, qui a été rendu public au mois d'avril dernier distingue trois catégories d'effacements de consommation :

- le pilotage d'urgence , qui peut prendre la forme d'un délestage dans lequel le client n'est pas consulté ou d'une information d'urgence aux personnes (dispositif Eco Watt mis en place en Bretagne) ;

- le pilotage contractualisé de la charge , le consommateur pouvant passer un contrat directement avec son fournisseur (cas des sites industriels importants) ou bien avec un « agrégateur » qui se charge de valoriser l'effacement par ailleurs  (cas des petits consommateurs) ;

- l'incitation tarifaire , qui consiste à transmettre au client un signal prix modulé dans le temps en fonction du coût d'approvisionnement en électricité. Le tarif heures pleines / heures creuses est proposé par tous les fournisseurs, les tarifs EJP et Tempo sont des offres d'effacement de pointe mobile au tarif réglementé de vente proposés uniquement par EDF.

En France, les effacements tarifaires représentent actuellement 1,3 TWh et les effacements contractualisés moins de 2 GWh, soit au total moins de 0,3 % de la consommation d'électricité. La marge de progression est importante, si l'on considère qu'aux États-Unis, selon les régions, 3 à 5 % de la consommation peut être effacée, c'est-à-dire déplacée des périodes de pointe aux périodes de moindre consommation.

Le caractère échangeable des garanties de capacités annonce la mise en place d'un marché secondaire de l'effacement. Celle-ci interviendra avant que l'obligation des fournisseurs de contribuer à la sécurité d'approvisionnement en électricité prenne effet, à l'issue d'un délai de trois ans suivant la publication du décret d'application prévu par ailleurs.

4. Un paramètre-clef à déterminer : le prix de l'ARENH

Le projet de loi ne fixe pas directement le prix de l'électricité vendue par EDF à ses concurrents dans le cadre de l'ARENH. L'article 1 er se contente d'indiquer que ce prix doit être représentatif des conditions économiques de production d'électricité par les centrales du parc nucléaire historique, et en énumère les composantes de coûts. Ce prix aura une dimension politique, puisqu'il sera d'abord fixé par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie, après avis de la CRE. Au terme d'une période transitoire de trois ans, il sera fixé sur proposition de la CRE, mais les ministres pourront toujours s'y opposer.

L'enjeu crucial porte donc sur le niveau initial du prix de l'ARENH, à partir duquel il pourra ensuite évoluer . L'Assemblée nationale a prévu que ce prix initial sera fixé en cohérence avec le TaRTAM, précision qui ne figurait initialement que dans l'exposé des motifs du projet de loi. Actuellement, le prix du TaRTAM, pour une consommation constante « en ruban », est de 42 euros le MWh.

Lors de son audition devant votre commission, M. Henri Proglio, président directeur général d'EDF, a clairement indiqué qu'il considère ce montant de 42 euros le MWh comme un prix plancher, en deçà duquel son entreprise subirait une perte de recettes par rapport à la situation actuelle.

Pour sa part, M. Gérard Mestrallet, président directeur général de GDF Suez, également auditionné par votre commission, a considéré que les volumes d'électricité ne seront attribués à chaque fournisseur au titre de l'ARENH qu'à hauteur de la part du nucléaire dans la consommation totale, soit environ 80 %, le complément étant couvert par le marché de gros ou les moyens propres de production du fournisseur. Il en a déduit que la cohérence recherchée avec le TaRTAM pourrait aboutir à fixer le prix initial de l'ARENH au niveau de 38 euros le MWh pour les consommateurs industriels.


* 2 Il s'agit des pertes dues à l'échauffement, ou « effet Joule », des câbles traversés par un courant électrique.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page