3. Un champ d'application fondé sur le principe communautaire d'établissement des acteurs
a) Le choix de la sécurité juridique

La présente proposition de loi s'appliquerait aux personnes établies en France, qu'elles soient éditeurs (article 2) ou détaillants (article 3).

Votre commission s'est interrogée sur les règles communautaires applicables en la matière, puisqu'elles conditionnent le champ d'application du texte : faut-il retenir ce principe d'établissement ou peut-on viser l'ensemble des acteurs exerçant leur activité sur le territoire national ?

En droit communautaire, comme il a été dit précédemment et contrairement semble-t-il à l'appréciation de certains pays étrangers, la vente de livres numériques sur Internet semble plus relever de la prestation de services effectuée par la voie électronique que de la vente d'une marchandise en tant que telle, contrairement à la vente de livre papier.

Il est donc nécessaire de s'assurer de la compatibilité d'un tel système avec le droit communautaire et plus particulièrement avec deux directives fixant certaines règles pour le fonctionnement du marché intérieur :

- la directive n° 2006/123/CE sur les services dans le marché intérieur (« directive services ») ;

- la directive n° 2000/31/CE relative à certains aspects juridiques des services de la société de l'information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »).

(1) La directive « services »

L'objectif de la directive est d'établir un cadre juridique qui supprime les obstacles à la liberté d'établissement des prestataires de services et à la libre circulation des services entre les États membres. La proposition couvre une large variété d'activités économiques et ne s'applique qu'aux prestataires établis dans un État membre de l'Union européenne ou d'un autre État partie à l'Espace économique européen.

Les régimes d'autorisation ou les exigences particulières imposées dans un État membre pour accéder ou exercer certaines activités doivent donc être justifiés et doivent répondre de façon proportionnée et non discriminatoire aux objectifs de la directive.


Pour les entreprises établies en France

En matière de liberté d'établissement, la directive subordonne la compatibilité des régimes d'autorisation et d'un certain nombre d'autres exigences nationales au respect des critères issus du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) et de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE).

Selon l'article 15 (g) de la directive, si l'accès ou l'exercice d'une activité de service est subordonné au respect par le prestataire de pratiquer des tarifs obligatoires minimum et/ou maximum, cette exigence doit être :

- non discriminatoire ;

- nécessaire, c'est-à-dire justifiée par des raisons impérieuses d'intérêt général dégagée par la CJUE ;

- proportionnelle c'est-à-dire que cette exigence doit être propre à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, de ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif et d'autres mesures moins contraignantes ne doivent pas permettre d'atteindre le même résultat.

Les raisons impérieuses d'intérêt général dégagées par la CJUE sont très variées mais il est possible d'en retenir plusieurs pour démontrer la nécessité d'une loi sur le prix du livre numérique : la protection de la propriété intellectuelle et des objectifs de politique culturelle ( cf. considérant 40 et article 4-8° de la directive).

La CJUE a également estimé très récemment que la protection du livre en tant que bien culturel peut être considérée comme une exigence impérative d'intérêt public susceptible de justifier des mesures de restriction à la libre circulation des marchandises.

Or, on peut considérer que cette proposition de loi ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l'objectif poursuivi, à savoir favoriser le pluralisme dans la création, l'édition et la distribution de livres numériques (en particulier pour les ouvrages difficiles), et qu'il ne peut pas être atteint par des mesures moins contraignantes.

L'article 1 er § 4 de la directive peut être également invoqué pour justifier la mesure, même si, à ce stade, cet article n'a jamais été invoqué pour justifier des restrictions à l'accès ou à l'exercice d'une activité.

Selon cet article : « La présente directive ne porte pas atteinte aux mesures prises au niveau communautaire ou au niveau national, dans le respect du droit communautaire, en vue de la protection ou de la promotion de la diversité culturelle ou linguistique, ou du pluralisme des médias ».

Cet article doit être lu en combinaison avec l'article 167 du TFUE qui dispose que : « 1. L'Union contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun.

2. L'action de l'Union vise à encourager la coopération entre États membres et, si nécessaire, à appuyer et compléter leur action dans les domaines suivants (...) : - la création artistique et littéraire, y compris dans le secteur de l'audiovisuel. (...)

(...) 4. L'Union tient compte des aspects culturels dans son action au titre d'autres dispositions des traités, afin notamment de respecter et de promouvoir la diversité de ses cultures. »

Toutefois, la CJUE a considéré que l'article 167 ne peut être invoqué comme une disposition insérant dans le droit communautaire une cause de justification pour toute mesure nationale en la matière susceptible d'entraver le commerce intracommunautaire.

Au vu de ces éléments et compte tenu de la possible invocation de ces raisons impérieuses générales au soutien de la restriction à la liberté d'établissement, il est donc possible de justifier, au regard de la directive « services », une loi qui imposerait à une entreprise établie en France de respecter le prix fixé par l'éditeur.


Pour les entreprises établies dans un autre État membre de l'Union européenne

Il semble que le même raisonnement ne soit pas transposable dans le cas de la libre prestation de services, c'est-à-dire lorsqu'une entreprise établie dans un autre État membre souhaite fournir des services en France ou plutôt lorsqu'un consommateur français souhaitera commander un livre numérique à une entreprise établie dans un autre État membre.

C'est pourquoi le choix de la sécurité juridique conduit à ne pas les faire entrer dans le champ d'application de la loi.

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