II. UNE PRÉVISION BUDGÉTAIRE ALÉATOIRE, UNE GESTION COÛTEUSE POUR LES FINANCES PUBLIQUES

De 2006 à 2008, les crédits inscrits au budget général ont été systématiquement insuffisants pour faire face au paiement, par le Crédit foncier, des primes d'épargne-logement. Cette situation a abouti à la constitution d'une dette à l'égard du CFF dont les modalités de résorption restent à définir. Elle atteste également de la nécessité d'améliorer la fiabilité de la prévision budgétaire en la matière.

A. DES SOUS-BUDGÉTISATIONS RÉPÉTÉES, PRÉJUDICIABLES AUX INTÉRÊTS FINANCIERS DE L'ETAT

Le paiement des primes afférentes aux comptes épargne et aux plans d'épargne logement ainsi que le paiement des frais de gestion du dispositif s'imputent sur l'action 1 « Epargne logement » du programme 145 « Epargne », au sein de la mission « Engagements financiers de l'Etat » 28 ( * ) . Les primes ont fait l'objet, en loi de finances pour 2010, d'une dotation de 1,25 milliard d'euros, dont 750 000 euros au titre des frais de gestion de ce dispositif par le CFF.

1. Un report de charge croissant jusqu'en 2009

Ainsi que l'a souligné la Cour des comptes dans ses notes relatives à l'exécution budgétaire de 2008 et 2009, les crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2006, 2007 et 2008 ont été systématiquement insuffisants pour couvrir les primes d'épargne-logement servies par le Crédit foncier . Malgré des ouvertures de crédits complémentaires en loi de finances rectificative (en 2006 et 2007) ou par décret d'avance (en 2008), cette situation s'est traduite par l'existence, à la fin de chaque exercice, d'un report de charge croissant, aboutissant à la constitution d'une dette totale de 963 millions d'euros à fin 2008, à l'égard du CFF ( cf . tableau).

Evolution du report de charge de 2007 à 2009

(en millions d'euros)

Source : direction générale du Trésor

Comme l'indique le tableau qui précède, la tendance qui vient d'être décrite a toutefois connu une inflexion forte en 2009, année où les primes servies ont atteint 907,7 millions d'euros, soit une diminution de 43 % par rapport à 2008 et de 38,5 % par rapport à 2007 . Selon la direction générale du Trésor, ce mouvement s'explique :

1) par les taux de clôture élevés observés en 2007 (19,96 %) et 2008 (19,5 %), auxquels succède logiquement « une stabilisation, voire un ralentissement des fermetures de PEL et du volume financier de primes versées » ;

2) par le contexte économique , dans lequel « les épargnants n'ont pas souhaité retirer leurs liquidités du PEL, compte-tenu du rendement intéressant (proposé) par rapport aux autres produits d'épargne réglementés ». De la même manière, certains PEL des générations 1997-1999, ayant atteint ou dépassé dix ou douze ans d'ancienneté, n'ont pas eu intérêt à être clôturés car ils continuent à présenter un rendement comparativement intéressant, et ce malgré leur fiscalisation ;

3) enfin, par des taux d'emprunt immobilier peu attractifs pour ces générations (4,80 % pour la génération 1997, 4,60 % pour la génération 1998 et 4,31 % pour la génération 1999, contre 4,43 % de taux moyen pour un prêt libre en 2009).

1,157 milliard d'euros de crédits avaient été inscrits à l'action 1 pour financer, en 2009, les primes d'épargne logement et les frais de fonctionnement exposés par le CFF. En exécution, les primes ont atteint 907,657 millions d'euros, et les frais facturés par le CFF 4,661 millions d'euros (dont 3,219 millions d'euros d'intérêts débiteurs, 0,68 million d'euros de commissions de gestion et 0,69 million d'euros de frais de gestion). A ce total de 912,319 millions d'euros, se sont ajoutés 759 315 euros de fongibilité entre l'action 1 et l'action 2 29 ( * ) . 244 millions d'euros restaient donc disponibles, qui ont été intégralement utilisés pour résorber une partie de la dette contractée à l'égard du CFF. Le report de charge est ainsi passé de 963 millions d'euros fin 2008 à plus de 719 millions d'euros fin 2009.

L'exécution 2010 semble à nouveau marquée par la baisse sensible de fermeture de PEL de près de 40 % par rapport à 2010 et d'environ 61 % par rapport à 2009. Ainsi, au 1 er novembre 2010, près de 514 millions d'euros de primes avaient été versés contre environ 802 millions d'euros à la même date en 2009. Au total, d'après les prévisions de la direction générale du Trésor, en 2010, le montant des primes versées ne devrait pas excéder 612 millions d'euros .

2. Une entorse aux principes budgétaires

La persistance d'un report de charge de plusieurs centaines de millions d'euros enfreint plusieurs principes budgétaires . Dans sa note d'exécution budgétaire 2009, la Cour des comptes considérait tout d'abord que l'Etat, en demeurant débiteur à l'égard du CFF, « met à mal trois des quatre principes budgétaires », et en l'occurrence :

1) le « correct calibrage » des dotations en loi de finances initiale, ce que votre rapporteur spécial analyse comme une entorse au principe de sincérité ;

2) le principe d' universalité , en « faisant financer par un établissement de crédit des dépenses qui doivent juridiquement être inscrites au budget » ;

3) le principe d' annualité , en « repoussant d'un exercice sur l'autre la charge non budgétée des dépenses d'épargne logement ». Sur ce dernier point, le Gouvernement a pu avancer que le découvert de l'Etat auprès du CFF correspondait à une volonté de « lissage » d'une dépense dont l'inflation était considérée comme ponctuelle . Votre rapporteur spécial partage l'analyse de la Cour des comptes, selon laquelle un tel lissage peut se concevoir s'il s'opère au moyen d'une réserve de trésorerie préalablement constituée, mais ne présente guère d'intérêt s'il se traduit par la constitution d'une dette et le paiement d'intérêts. Les arguments du Gouvernement sont donc, à cet égard, difficilement recevables.

Outre qu'elles peuvent s'analyser comme une entorse aux principes budgétaires, il n'est pas certain que les avances consenties par le CFF constituent une bonne opération financière pour l'Etat , dans la mesure où leurs conditions 30 ( * ) sont moins avantageuses que celles que l'Agence France Trésor pourrait consentir à d'autres services auxquels sont consenties de telles avances.

Dans sa note d'exécution budgétaire 2008, la Cour avait comparé la rémunération des avances du CFF avec les émissions de Bons du Trésor à taux fixe (BTF) par l'AFT. Elle en avait conclu que « aux sept dates d'émission (de BTF à 1 mois intervenues en 2008), la rémunération versée au CFF [...] a toujours été supérieure au taux des BTF, sans même prendre en compte la capitalisation mensuelle des intérêts ».

Ainsi, en 2008, année où les intérêts versés ont été les plus élevés, le coût du financement par le CFF aurait été supérieur d'environ 500 000 euros par rapport au recours à des BTF. En revanche, le CFF estime que, au moins pour la période récente, les conditions qu'il propose sont plus favorables à l'Etat que celles d'un refinancement par les BTF.

Il va de soi que les exigences du marché constituent un facteur déterminant pour apprécier la comparaison entre le financement par BTF et les avances rémunérées consenties par le CFF. En tout état de cause, la politique monétaire non conventionnelle actuelle, qui perturbe la vision des taux à court terme, ne permet pas de se prononcer sur le surcoût pour l'Etat. Quoi qu'il en soit, votre rapporteur spécial adhère aux remarques de la Cour des comptes : il n'est pas souhaitable qu'un déficit de cette ampleur soit débudgétisé.

Par ailleurs, comme indiqué plus haut, les avenants successifs à la convention de 1992 entre l'Etat et le Crédit foncier ont prévu qu'en cas de solde débiteur, l'Etat paierait au CFF des intérêts au taux EONIA majoré de 6,5 points de base. La direction générale du Trésor rappelle que le taux initialement prévu était égal au taux EONIA+12,5 points de base, et que les avenants successifs ont donc permis de « limiter le coût du portage du découvert auprès du CFF ».

D'après les réponses au questionnaire, ces clauses ont entraîné le paiement par l'Etat de montants d'intérêts égaux à 12,54 millions d'euros en 2007, 21,2 millions d'euros en 2008 et 3,3 millions en 2009.

Ces montants, qui gagneraient à figurer explicitement dans la justification au premier euro des projets et rapports annuels de performances , ne sont pas directement corrélés à celui du report de charge constaté, chaque année, en début de gestion, mais à la variation du solde du compte ouvert auprès du CFF.

Les intérêts étant calculés à la fin de chaque mois, le paiement des provisions par l'Etat a pour effet de minorer le solde débiteur auquel sont appliqués les intérêts débiteurs, voire de le transformer en solde créditeur auquel sont appliqués des intérêts créditeurs .

Afin de minorer au maximum les intérêts débiteurs en début d'année, la direction générale du Trésor verse une provision importante dès qu'elle dispose des crédits budgétaires, c'est-à-dire, le plus souvent, pour le mois de février. Ainsi, en 2009, pour éviter de dépasser le seuil d'un milliard d'euros prévu par la convention Etat-CFF, la provision transférée en janvier, correspondant à la quasi-totalité de la dotation budgétaire votée en loi de finances pour 2009, a permis de rétablir un solde créditeur. Une telle opération ne consiste pas à apurer le découvert mais à le combler provisoirement. Il s'agit donc d'une opération de « cavalerie » qui consiste à pousser les déficits en avant sans les résorber ( cf. tableau ci-après).

Au 1 er novembre 2010, près de 404 000 euros d'intérêts avaient été versés au Crédit foncier, ce qui met en évidence la très forte diminution du découvert .

Évolution du solde débiteur de l'Etat auprès du CFF entre 2006 et 2010

(en euros)

2006

2007

2008

2009

2010

Provisions reçues

Primes payées

Provisions reçues

Primes payées

Provisions reçues

Primes payées

Provisions reçues

Primes payées

Provisions reçues

Primes payées

Janvier

0,00

182 263 830,36

220 000 000,00

153 550 356,38

220 000 000,00

132 375 295,08

1 083 144 075,09

143 351 490,72

0,00

48 910 560,47

Février

235 000 000,00

225 986 545,49

865 000 000,00

184 871 876,17

973 000 000,00

175 091 204,99

0,00

142 401 262,50

819 242 824,31

58 277 295,94

Mars

220 000 000,00

216 947 060,36

200 000 000,00

156 807 371,67

0,00

146 220 542,14

0,00

92 716 312,11

0,00

60 642 783,71

Avril

350 000 000,00

164 380 671,18

77 000 000,00

117 554 820,25

0,00

146 955 806,07

0,00

79 095 433,22

90 000 000,00

53 821 215,86

Mai

0,00

129 286 573,91

0,00

109 677 285,25

0,00

112 518 077,46

0,00

56 787 286,23

70 000 000,00

45 171 262,66

Juin

200 000 000,00

147 209 271,73

0,00

112 765 600,73

0,00

133 311 784,13

0,00

68 799 458,25

0,00

55 618 453,51

Juillet

85 000 000,00

118 151 431,55

0,00

118 455 200,80

0,00

134 811 994,13

0,00

66 606 326,58

110 000 000,00

52 580 938,90

Août

0,00

94 962 734,65

0,00

75 427 876,27

0,00

79 237 611,37

0,00

43 444 317,57

39 256 066,08

Septembre

85 000 000,00

100 545 296,49

0,00

81 916 724,10

145 000 000,00

107 064 655,09

70 000 000,00

49 790 763,82

50 000 000,00

47 478 646,81

Octobre

0,00

135 598 226,55

0,00

119 254 879,97

0,00

167 211 852,87

0,00

59 301 663,45

52 287 117,54

Novembre

0,00

124 048 992,94

0,00

116 488 647,96

0,00

114 014 960,91

0,00

48 339 593,95

Décembre

0,00

144 881 694,10

0,00

128 988 890,95

151 855 924,91

139 310 829,63

2 605 963,15

57 023 219,70

Total

1 175 000 000,00

1 784 262 329,31

1 362 000 000,00

1 475 759 530,50

1 489 855 924,91

1 588 124 613,87

1 155 750 038,24

907 657 128,10

1 139 242 824,31

514 044 341,48

Solde débiteur année n

- 609 262 329,31

- 113 759 530,50

- 98 268 688,96

248 092 910,14

Solde débiteur année n-1

- 95 702 408,82

- 715 299 633,68

- 842 703 558,34

- 963 363 591,95

- 719 242 824,31

Commission gestion année n

- 1 341 361,09

- 1 107 294,82

- 1 191 424,57

-680 997,95

Intérêts débiteurs année n

-8 993 534,46

- 12 537 099,34

- 21 199 920,08

- 3 291 144,55

Solde débiteur total

- 715 299 633,68

- 842 703 558,34

- 963 363 591,95

- 719 242 824,31

Source : direction générale du Trésor


* 28 L'action 2 de ce programme « Instruments de financement du logement social » retrace quant à elle l'intervention de l'Etat au niveau des prêts du secteur aidé du Crédit foncier de France et des prêts conventionnés gérés par la Société de gestion du fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété (SGFGAS), l'ensemble de ces prêts concourant à l'amélioration de l'accession à la propriété.

* 29 Ce redéploiement a contribué à financer un dépassement des dépenses initialement prévues et dû à la restructuration de prêts en faveur de l'outre-mer.

* 30 Soit EONIA+0,065 % et capitalisation mensuelle.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page