Audition de Stéphanie HENNETTE-VAUCHEZ, professeure de droit public à l'Université Paris ouest Nanterre La Défense (mercredi 2 mars 2011)

Sous la présidence de Muguette Dini, présidente, la commission a procédé à l' audition de Stéphanie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l'Université Paris ouest Nanterre La Défense , sur le projet de loi relatif à la bioéthique dont Alain Milon est le rapporteur .

Alain Milon, rapporteur . - Madame Hennette-Vauchez, nous vous avons adressé une liste de quatre thèmes sur lesquels nous serions heureux de vous entendre : la logique juridique du système d'interdiction de la recherche sur les embryons, avec dérogations qui deviendraient pérennes ; la question de l'anonymat du don d'organes et de gamètes ; la notion de dignité de la personne humaine, qui est en droit difficile à concilier avec celle d'autonomie de la volonté ; enfin, l'intérêt de l'enfant.

Sophie Hennette-Vauchez, professeure de droit public à l'université Paris Ouest Nanterre-La Défense . - Je travaille sur ces notions depuis le vote des lois de bioéthique de juillet 1994. Le législateur avait alors fait oeuvre novatrice, instaurant quelque chose à la place de rien. La bioéthique à la française prenait naissance, fondée en particulier sur l'anonymat et la gratuité du don, sur la non-patrimonialité des conventions prenant le corps humain pour objet.

Quinze ans plus tard, alors que la deuxième grande révision de la législation est en cours, je ne suis pas certaine que cette méthode fondée sur l'affirmation de grands principes demeure opératoire. On pourrait choisir de réfléchir de façon empirique. Par exemple, le principe de la dignité de la personne humaine a enflammé les débats, le législateur de 1994 l'a inscrit dans le code civil, le Conseil constitutionnel lui a donné rang de principe de valeur constitutionnelle. Mais on réfléchit depuis vingt ans sur le refus des soins en fin de vie ou la délimitation des contours de la procréation médicalement assistée, sans progresser, c'est à dire en s'enlisant.

Le principe de dignité est ambigu. Le rapport du comité animé par Simone Veil, chargé d'étudier une éventuelle révision du Préambule de 1946, le rapport du Conseil d'Etat sur les moyens juridiques d'interdire le port du voile intégral ont souligné l'ambivalence du principe de dignité, qui peut se comprendre dans deux acceptions contradictoires. L'individu peut l'opposer aux tiers et à la société pour obtenir un droit ; mais la société et les tiers peuvent imposer une certaine lecture de la dignité, qui limite alors la liberté individuelle. Le comité Veil avait estimé urgent de ne pas constitutionnaliser le principe et de n'envisager que la notion d'égale dignité. J'en suis moi aussi convaincue. Mieux vaut partir du problème à résoudre plutôt que des grands principes.

Le projet de loi maintient l'interdiction de la recherche sur l'embryon, avec dérogations pérennes. Mais pourquoi appliquer un principe d'interdiction quand on vise à autoriser cette recherche, en raison des promesses thérapeutiques qu'elle recèle et de la nécessité pour la France d'être dans la course internationale ? Le Conseil d'Etat estime que l'interdiction avec dérogations et l'autorisation sous conditions reviennent au même. A un élément important près : la visibilité internationale du dispositif. La recherche sur les cellules souches mobilise dans le monde des sommes énormes, un nombre considérable de chercheurs, et la médecine régénérative suscite une très forte attente dans des sociétés vieillissantes. L'interdiction avec dérogations pérennes manque son but : les chercheurs se déplacent, ils s'installent dans l'environnement le plus favorable, y compris juridiquement, à leur activité. Or notre droit n'offre pas suffisamment de sécurité ni de visibilité. Le rapport Leonetti reconnaît que ce système est mal compris à l'étranger.

La commission spéciale de l'Assemblée nationale n'a pas voulu qu'un aspect mercantile et vulgaire pèse sur les décisions du législateur, celui-ci doit être guidé par les grands principes. Je crois préférable de partir du problème tel qu'il se pose. La recherche ne saurait être autorisée parce qu'elle rapportera à terme de l'argent. Mais ne tombons pas, à l'inverse, dans l'hypocrisie ou la naïveté. Il n'y a pas à se réjouir qu'aucune grande entreprise privée ne se soit portée candidate auprès de l'agence de la biomédecine. Demain, ces technologies viendront de l'extérieur, elles feront l'objet de brevets, elles auront un coût.

Faut-il absolument préserver les grands principes et une bioéthique à la française ? Mais quels grands principes ? La question du statut de l'embryon revient toujours, immuable. Or le droit protège des valeurs : on peut donc être respectueux de l'embryon lorsqu'existe un projet parental et en accepter la destruction en l'absence de tel projet.

Sur la procédure d'information génétique à caractère familial, j'attire votre attention sur les incertitudes qui demeurent sur les responsabilités individuelles en cas de découverte d'une information importante pour la parentèle. Et je m'étonne de la facilité déconcertante avec laquelle l'Assemblée nationale a traité à nouveau cette question en première lecture. Le code de la santé publique prévoit qu'en cas de diagnostic d'une anomalie génétique grave, le médecin informe son patient des risques que son silence ferait courir aux membres de sa famille. Il comporte aussi une procédure d'information de la famille par le truchement de l'agence de la biomédecine. Mais ce silence ne saurait fonder une action en responsabilité.

Le décret d'application sur la procédure d'information à caractère familial n'ayant pas vu le jour, le Parlement se saisit à nouveau de cette question. Le point de départ des travaux de l'Assemblée nationale est l'existence d'un principe de responsabilité civile. Mais le droit issu de la loi de 2004 n'est pourtant pas si clair et les commentateurs ont à l'époque été nombreux à souligner les incertitudes qui demeurent dans le code de la santé publique. La responsabilité civile, en effet, suppose l'existence d'un préjudice, d'une faute et d'un rapport de causalité entre les deux. Le préjudice, ici, est la perte de chance d'être soigné d'une affection génétique. Mais la perte de chance n'est pas une notion juridique très stable... Et le traitement, la prévention ou la survenance d'une affection sont soumis à de nombreux facteurs multiplicateurs. La faute existe-t-elle ? Cela se discute. Le droit à l'intimité pourrait faire obstacle à cette qualification. Et la causalité est difficile à établir. Un juge pourrait trouver bien hasardeux de conclure à la responsabilité du patient qui n'a pas transmis l'information.

Le législateur souhaite-t-il vraiment consacrer un principe général de responsabilité civile d'un individu à l'égard de toute sa parentèle, ou plus exactement des membres de sa famille potentiellement concernés et dont il possède les coordonnées ? En outre, la non-divulgation de l'information médicale n'engagera pas la responsabilité de l'individu en cas d'affection grave mais non susceptible d'actions de prévention ; elle l'engagera pour des affections minimes susceptibles de prévention ! J'y insiste : quelle place veut-on donner à la génétique dans les relations familiales ? Cela mérite un vaste débat.

La question de l'anonymat du don d'organes ou de gamètes a été éclairée par l'évolution des droits de l'enfant. Les choses sont plus simples pour le don d'organes que pour le don de gamètes. Le don entre vifs, par nature, n'est pas anonyme ; cela ne pose aucun problème. Par principe, l'anonymat du don est préférable pour couper court aux enjeux de contre-don, de dette, mais on admet parfaitement une dérogation au principe s'il s'agit de sauver une vie.

Il est possible de transposer cette approche aux gamètes. Les trentenaires conçus par insémination artificielle avec donneur devraient, en application du code de la santé publique, avoir accès aux données non identifiantes ; or, ce n'est pas le cas. Le législateur pourrait s'intéresser à ces dysfonctionnements et mieux encadrer la pratique de la PMA - par exemple, quelle garantie a-t-on de la limitation à dix procréations par don, puisque les Cecos n'ont pas de banque commune ? Leurs fichiers de données ne semblent pas non plus respecter la législation et les règles de la commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Quant à l'accès aux données identifiantes, le projet de loi initial n'autorise que très partiellement la levée du secret ; il s'agit seulement de permettre à l'enfant d'accéder à son identité. On ne va pas vers une possible sélection des donneurs en France, où il n'y a pas de sélection du donneur selon des critères raciaux, sociaux. On ne s'oriente pas non plus vers l'établissement de la filiation. L'évolution par rapport au compromis de 1994 ne pose pas de difficultés, car les raisons de 1994 ne sont plus aussi valables. Le rapport Leonetti rappelle qu'il s'agissait alors de légitimer une pratique mal considérée. Ce n'est plus le cas aujourd'hui. La convention de New-York de 1990 sur les droits de l'enfant et les échos de celle-ci dans divers textes européens tendent à donner une place nouvelle à l'intérêt supérieur de l'enfant. Ceci a bouleversé notre approche traditionnelle de la filiation. On a vu les atermoiements juridiques suscités par la gestation pour autrui à l'étranger et les conséquences à en tirer sur l'état-civil : notre conception traditionnelle et cette nouvelle approche des droits de l'enfant entraient en conflit.

Les dispositions du projet de loi initial sur la levée de l'anonymat, dissociée de l'établissement d'une filiation, me semblaient mériter discussion.

Alain Milon, rapporteur . - Je suis sur beaucoup de points en phase avec votre approche et je connais bien vos travaux. Je n'ai donc guère de questions à vous poser. En vous conviant devant la commission, je voulais surtout que mes collègues puissent vous interroger. Personnellement, je sais ce que je crois, mais le rapporteur suivra bien sûr la position majoritaire de la commission.

Catherine Deroche . - Un statut de l'embryon différent selon l'existence ou non d'un projet parental, cela ne revient-il pas à prôner un statut juridique d'usage ?

J'ai tenu des réunions avec les élus de mon département sur ces questions. Les mêmes questions reviennent : quelles sont les conséquences juridiques pour la filiation, pour les successions ?

Guy Fischer . - Je remercie le rapporteur de vous avoir conviée ici. Votre intervention décoiffe ! Vous êtes très éloignée des positions de l'Assemblée nationale. Et vous nous poussez à réfléchir en profondeur. Nous devons analyser précisément le texte de l'Assemblée nationale. L'avancée est-elle réelle s'agissant de la recherche sur l'embryon ? On sent les pesanteurs ! Le texte s'en tient presque au statu quo. L'anonymat du don est un point essentiel, il faut avoir cela à l'esprit. L'élargissement de la procréation médicalement assistée mérite d'être envisagé et vous avez bien exposé le problème. Enfin je déplore que la gestation pour autrui ne fasse l'objet d'aucune disposition. Nous serons très attentifs sur ces quatre points aux propositions du rapporteur. Comme sur l'euthanasie, tous les groupes politiques sont partagés : chacun se prononcera selon sa culture, sa vision, ses origines, sur les propositions qui nous sont faites.

Marie-Thérèse Hermange . - Sur quels travaux scientifiques concrets vous appuyez-vous pour parler de promesses thérapeutiques pour l'homme dans la recherche sur les cellules souches embryonnaires ?

C'est dans le cas des inséminations avec donneur, IAD, que se pose le problème de l'anonymat. Pensez-vous que les Cecos, lorsqu'ils apparient les couples donneurs et receveurs, appliquent le principe de dignité ? Celui-ci n'est plus, selon vous, opératoire. A-t-il encore son fondement dans la loi de bioéthique aujourd'hui ?

Jacky Le Menn . - En quoi le système d'interdiction-dérogations se traduit-il par un manque de sécurité juridique ?

André Lardeux . - Quelle analyse faites-vous des articles concernant la possibilité d'un transfert d'embryons post mortem ? Est-il juridiquement possible que l'embryon soit tantôt sujet, tantôt objet ?

Sophie Hennette-Vauchez . - La discussion sur le statut de l'embryon est née dans les années quatre-vingt et s'est prolongée durant la décennie suivante. L'embryon est-il une chose ou une personne ? La question est ainsi posée parce que le code civil ne connaît que ces deux catégories. Or, prendre le problème sous cette forme conduit dans des impasses. Aucune de ces deux thèses n'a réussi à convaincre ni à entrer en correspondance avec le droit positif. Il faut envisager par conséquent un statut non immuable, variable selon l'existence ou non de liens juridiques avec une personne juridique. Le projet parental, notion consacrée par le législateur, peut servir de fondement. Le statut de l'embryon est ainsi évolutif.

André Lardeux . - Ceux qui abandonnent leur projet parental abandonnent donc, juridiquement, l'embryon ?

Sophie Hennette-Vauchez . - De fait !

Alain Milon, rapporteur . - Précisons que les études et les recherches ne portent pas sur l'embryon mais sur les cellules souches embryonnaires.

Jean-Louis Lorrain . - Mais elles peuvent conduire à créer des embryons !

Alain Milon, rapporteur . - Ce qui me choque dans le texte est le critère posé de finalité thérapeutique : n'y a-t-il pas là en filigrane une obligation de résultat ? N'écarte t on pas la recherche fondamentale ?

Sophie Hennette-Vauchez . - Pour ce qui concerne la procréation avec donneur, rien ne s'oppose, juridiquement, à ce que l'on autorise la levée de l'anonymat tout en maintenant l'interdiction d'établissement d'une filiation.

Sur les recherches, le terme de « promesses thérapeutiques » n'est peut-être pas parfait mais la communauté scientifique s'accorde sur l'intérêt de poursuivre les recherches sur les cellules souches embryonnaires. La dignité est le fondement de la loi de 1994, mais que recouvre ce principe ? Pour ma part, je l'ignore ! Pour certains de nos concitoyens, la recherche embryonnaire viole le principe de dignité, d'autres font une lecture inverse. Je ne sais pas, comme juriste, s'il est possible de faire le départ entre ces deux approches mais le principe de dignité ne me paraît pas opératoire sur ces sujets. Le législateur a manqué son objectif, ai-je dit : en effet, le fait de poser une interdiction et dans le même mouvement, de prévoir des dérogations, visait bien à autoriser la recherche. Or ce système juridique peu sûr et incompréhensible pour les étrangers encourage-t-il vraiment la recherche ?

Les universitaires sont unanimes à s'étonner que la question du transfert d'embryons post mortem revienne avec une telle récurrence dans le débat public car il concerne très peu de cas. Je m'étonne qu'il prenne autant de place dans le projet de loi, tandis que la levée de l'anonymat n'y figure pas. La question est au moins aussi importante !

Isabelle Debré . - Lorsque l'on procède à une recherche ADN et que le père est ainsi identifié, l'enfant peut prétendre faire établir la filiation. Comment traiter différemment les enfants issus d'un don de gamètes ?

Sophie Hennette-Vauchez . - La chose est simple dans le code civil. La procréation médicalement assistée fait l'objet de dispositions particulières, visant un équilibre et protégeant donc le donneur. Du reste, la revendication des trentenaires ne porte pas sur la filiation : ils veulent seulement connaître leurs origines.

Alain Milon, rapporteur . - Pouvez-vous nous donner votre avis sur le consentement et sur la mise en place des personnes de confiance ?

Stéphanie Hennette-Vauchez . - En droit civil, le consentement est incontestablement reconnu comme une nécessité avant toute investigation thérapeutique. Mais nous avons parfois du mal à accepter le corollaire du consentement, à savoir le droit du patient à refuser les soins. Je vous renvoie aux grandes affaires de refus de transfusion sanguine par les témoins de Jéhovah. Les juges français ont eu une appréciation très particulière de la loi.... Le consentement a également des répercussions sur la question de la fin de vie.

J'en viens à la personne de confiance. Ce dispositif s'est arrêté au milieu du gué. On a fait comme s'il y avait un transfert décisionnel en matière médicale mais la personne de confiance n'est que consultée ; elle n'a aucun pouvoir décisionnaire. La loi de 2005 a consacré l'arrêt des soins thérapeutiques, mais le législateur a prévu que seul le collège médical pouvait en décider. Toutes les conséquences juridiques n'ont pas été tirées.

Muguette Dini, présidente . - Je vous remercie pour le grand intérêt de votre intervention qui nous proposait une vision originale de certaines des questions que soulève ce projet de loi.

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