Audition d'Axel KAHN, directeur de recherches à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), président de l'Université Paris Descartes (mercredi 2 mars 2011)

Muguette Dini, présidente . - Dans le cadre de nos auditions sur le projet de loi relatif à la bioéthique, nous avons le plaisir de recevoir Axel Kahn, directeur de recherches à l'institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), président de l'université Paris Descartes .

Alain Milon, rapporteur . - Je souhaite soumettre à votre analyse toute une série de questions. Est-il conforme à l'éthique que la dignité de la personne pose des limites à l'autonomie de la volonté et que l'on puisse donc interdire à quelqu'un de mener une action qu'elle a librement décidé et dont elle assume les conséquences ?

Pouvons-nous nous passer des recherches sur les cellules souches embryonnaires ? Est-ce possible à court ou à moyen terme, est-ce souhaitable ?

Comment garantir la liberté de consentement aux dons pour les donneurs vivants ?

L'anonymat du don doit-il être systématiquement préservé ?

Quel encadrement vous paraît-il nécessaire pour les tests génétiques ?

Axel Kahn . - La première question est d'un extrême intérêt mais aussi d'une extraordinaire difficulté tant d'un point de vue juridique que philosophique. Le terme de dignité doit être défini car on utilise ce mot sans s'interroger sur sa signification, son histoire, ses sens multiples.

Avec Mme Veil, j'ai fait partie d'un comité chargé de proposer au Président de la République une révision du préambule de la Constitution française et nous avons proposé d'écrire : « Tous les hommes naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droit ».

Plusieurs sens s'attachent à la notion de dignité.

La dignité, c'est un honneur que l'on acquiert et que l'on peut perdre, lorsqu'on est, par exemple, élevé à la dignité de chevalier de la légion d'honneur.

Pour les stoïciens, être digne, c'est rester impassible dans l'adversité et dans la douleur. On dit d'ailleurs : « Il est resté digne jusqu'à la fin ». C'est bien dans ce sens que le comprend l'association pour le droit à mourir dans la dignité.

La dignité, au sens religieux, c'est celle qui est conférée à la créature privilégiée, créée à l'image de Dieu. Comment serait-il possible que cette créature ne fut pas digne puisqu'elle a hérité d'une étincelle de la divinité ?

Kant a également défini la dignité : l'humanité doit être considérée dans notre personne, comme dans la personne de tout autre, comme une fin et jamais comme un moyen. Il y a des valeurs qui se prêtent à des opérations comptables, et qui ont donc un prix, et il y a une valeur qui n'a pas de prix et que l'on appelle la dignité.

Une des caractéristiques très importante de trois de ces définitions de la dignité est qu'elle est en partie extérieure à la personne. Des autorités extérieures sont opposables à la volonté de la personne. L'Eglise considère ainsi que cette dignité de la créature à l'image de Dieu implique qu'elle ne se comporte pas de façon indigne de cette magnificence dont elle a hérité par la création. Kant estime quant à lui que la dignité de la personne limite considérablement l'usage que toute personne peut faire de son corps. Evidemment, la dignité honorifique implique des droits, mais aussi des devoirs auxquels il convient de se conformer.

Une cinquième définition de la dignité est celle à laquelle on fait appel en droit : il s'agit d'une valeur intrinsèque à la personne, qui ne s'oppose pas à sa liberté. En d'autres termes, aucune définition de la dignité ne peut être opposable à l'expression de la liberté de la personne. Il est donc impossible de discriminer quiconque au nom de la dignité : il ne peut y avoir des êtres d'un rang supérieur à d'autres.

Seule cette dernière notion me semble importante pour le sujet qui nous occupe : toute l'histoire est pleine de décisions judiciaires très problématiques de ce point de vue. La plus célèbre est celle concernant le lancer de nain, qui a été interdit en raison de son atteinte à la dignité. Il s'agit là d'une définition de la dignité qui est extérieure à la personne de cet entrepreneur qui voulait gagner sa vie en servant de projectile. A moins que l'on considère, ce qui n'était pas le cas, que ce nain n'était pas libre de pouvoir refuser : on aurait pu lier à l'état de contrainte économique l'interdiction de cette activité. Il en va de même pour la prostitution.

Juridiquement, la notion de dignité est difficile à définir.

En revanche, la réponse à la question du rapporteur est aisée : dans ma définition de la dignité, je ne peux discriminer quiconque vis-à-vis de l'emploi, de l'assurance ou du droit de vivre en arguant que sa dignité serait insuffisante. Il revient à la personne elle-même de fixer les limites de sa propre dignité. On ne peut donc imposer à une personne des devoirs auxquels elle serait assujettie du fait d'une dignité à laquelle elle devrait déférer. Aucune notion de dignité ne doit ainsi être opposable à l'expression de la volonté d'une personne.

Peut-on se passer de la recherche sur les cellules souches embryonnaires humaines ? Ces cellules sont prélevées sur un embryon humain de six à sept jours. Il y a dans l'embryon une cavité et, faisant protubérance dans cette cavité, il y a un amas de cellules que l'on prélève et qui peuvent être mises en culture. Ces cellules ne sont pas un embryon, dont la définition est la suivante : état du développement qui, dans des conditions favorables et par lui-même, peut se transformer en un être complet. Or, des cellules souches embryonnaires placées dans l'utérus d'une femme donneraient une tumeur et non pas un bébé. Cependant, ces cellules sont bien évidemment dérivées d'un embryon qui a été détruit.

Marie-Thérèse Hermange . - La précision est d'importance !

Axel Kahn . - Au-delà des cellules souches embryonnaires, il faut également parler de la recherche sur l'embryon : cette recherche est indispensable si l'on travaille sur le premier stade du développement embryonnaire humain. Pour travailler sur l'adolescence, il faut des adolescents, même chose pour l'âge mûr ou pour la vieillesse. Si l'on veut travailler sur les déterminants du développement embryonnaire et sur les maladies associées, il faut bien évidemment étudier l'embryon.

Souvent, quand on parle de recherche embryonnaire, on a en tête la mise en oeuvre d'une médecine régénératrice, c'est-à-dire la culture de cellules miracles qui permettraient de soigner de nombreuses maladies. Aujourd'hui, il y a des méthodes plus prometteuses que l'étude des cellules souches embryonnaires pour obtenir des cellules régénératrices, notamment les cellules souches induites dont la découverte par un chercheur japonais en 2006 est extrêmement intéressante et a bouleversé la discipline. C'est pourquoi les parlementaires n'auront plus à se pencher sur le clonage thérapeutique, totalement passé de mode dès lors qu'il existe des méthodes beaucoup plus efficaces pour parvenir au même résultat.

Cela étant dit, les cellules souches induites ne permettent pas de travailler sur les premiers stades du développement embryonnaire. Pour lutter contre la stérilité et essayer de comprendre les anomalies du développement, faut-il poursuivre ces recherches ? Il n'y a guère d'autres possibilités. D'ailleurs, depuis longtemps ma conviction est faite : je ne trouve pas qu'il soit possible, même pour des croyants fervents qui considèrent que l'embryon est doté d'une âme dès la fécondation, de s'opposer à la recherche sur l'embryon. La recherche médicale doit s'opérer à tous les âges de la vie humaine et si l'on considère que le premier âge de la vie humaine est l'âge embryonnaire, il serait singulier d'écarter de toute recherche ce stade de développement. Certes, quand on fait une recherche sur un patient, on ne le détruit pas alors que tel est le cas pour la recherche sur l'embryon. Mais il faut rappeler que, naturellement, seul un embryon sur trois fécondés devient un bébé. Je me suis exprimé sur ces questions devant la commission pontificale de bioéthique et devant l'assemblée épiscopale de France : personne ne m'a démontré en quoi ce serait moins reconnaître la singularité de l'embryon humain que de le détruire sans autre forme de procès ou de le laisser dans l'azote liquide, ce qui aboutit au même résultat, plutôt que d'autoriser cette recherche dans des conditions très contrôlées et après que les géniteurs et l'agence de la biomédecine ont donné leur accord. D'ailleurs, chacun sait où nous en sommes actuellement : en 2002, il avait été proposé que la recherche sur l'embryon soit extrêmement contrôlée mais quand Jean-François Mattei est arrivé aux affaires, après le changement de majorité, il s'est trouvé confronté au dilemme suivant : chercheur biologiste de très grand talent, il connaissait l'importance de la recherche sur l'embryon mais catholique très engagé, il était également choqué par la recherche sur l'embryon. Il a donc proposé d'interdire la recherche sur l'embryon... tout en l'autorisant pendant cinq ans. Pour l'instant, le texte propose d'en rester là, ce qui est d'une logique assez singulière. Il serait plus raisonnable d'appréhender le problème dans toutes ses dimensions. Cela vous permettrait de discuter de la valeur et de la singularité de l'embryon, que je ne conteste nullement par ailleurs.

La troisième question portait sur la liberté du consentement pour les donneurs vivants. Nous sommes ici au coeur d'une interrogation de bioéthique. La bioéthique, c'est l'interrogation sur l'action correcte associée à l'obligation de spécifier les valeurs qui la fondent. Savoir si l'on peut ou non tuer son prochain n'est pas une question bioéthique. En revanche, la question de savoir dans quelle condition un donneur vivant peut consentir à ce qu'on lui prélève un organe ou un bout d'organe pour en soigner un autre est un vrai dilemme : d'un côté, les vies que l'on va sauver grâce à ce don et la beauté du don sont des engagements qui nous vont droit au coeur ; d'un autre côté, quelle est la situation d'un donneur vivant dont le génotypage a montré qu'il était le seul donneur de la famille compatible avec un enfant menacé de mort ? Si jamais il refuse de donner son organe, il sera responsable de la mort de cet enfant et le poids du regard des autres peut être écrasant. Peut-on dans ce cas parler d'un consentement libre et éclairé ? Certaines données épidémiologiques montrent que cette question est légitime : il y a une dizaine d'années, les dons de rein d'une femme à son mari étaient deux fois plus importants que les dons inverses, ce qui est d'autant plus curieux que la glomérulonéphrite est beaucoup plus fréquente chez les femmes que chez les hommes ! Nous sommes donc au milieu du gué et il faut trouver une règle pour ne pas dissuader la spontanéité du don tout en ne forçant pas les gens à le faire.

J'en viens à l'anonymat du don de gamètes. Pour faire un embryon, il faut des ovules et des spermatozoïdes. Lorsque les hommes sont stériles, une des solutions est d'utiliser le sperme d'un donneur. Même chose d'ailleurs pour les ovules dont les dons vont sans doute croître à l'avenir. Il y a trente ans, la question ne se posait pas car les Cecos maintenaient l'anonymat et il était presque entendu que les parents ne diraient jamais à l'enfant les conditions de sa naissance. La filiation humaine est double : le sang et le coeur, alors que la filiation animale ne se fait que par le sang. Notre entendement nous permet de léguer des valeurs et de l'amour à un enfant même si l'on n'en est pas le géniteur. Les exemples dans l'histoire sont multiples où cette filiation par l'esprit et par le coeur pallie l'absence de filiation par le sang. Cependant, la société a évolué et il est incontestable que nous assistons dans le monde entier à une marée montante d'un retour aux origines biologiques. Face à cette situation, un généticien comme moi ne peut s'empêcher de sourire : il sait bien que les hommes et les femmes s'attirent et qu'il arrive à des hommes et à des femmes de céder à des avances : avant que le contrôle des naissances n'ait fait des progrès, 10 % des hommes n'étaient pas les pères biologiques de leurs enfants. La notion de vérité des origines nous était totalement étrangère.

Mais un code du droit des enfants a été voté par l'ONU et il indique que tout enfant a droit à la vérité sur ses origines. Les psychiatres et les psychanalystes recommandent aux parents qui recourent à des donneurs de dire aux enfants les conditions dans lesquelles ils ont été conçus. Un enfant qui sait qu'il a été conçu dans ces conditions peut vouloir chercher des informations sur son géniteur : il existe environ cent cinquante cas de ce genre en France. C'est dans ce contexte là que Roselyne Bachelot-Narquin avait proposé qu'on se rapproche de la solution préconisée par Ségolène Royal en 2002 sur une éventuelle levée de l'anonymat des femmes qui accouchent sous X, celles-ci pouvant désormais fournir des informations non identifiantes les concernant et même accepter de rencontrer leurs enfants s'ils en font la demande. Lorsque j'ai parlé de cela devant les députés, j'ai bien vu qu'ils n'étaient pas convaincus par cet intégrisme de la vérité sur les origines et qu'ils n'étaient pas enthousiasmés par la proposition de la ministre de la santé. Quand Xavier Bertrand est arrivé, il a rétabli l'anonymat. L'hypertrophie de l'importance de la vérité des origines ne va pas dans le sens de l'intérêt général. Ce qu'il y a de plus humain dans la filiation, ce n'est pas ce qui passe par le sang.

Vous m'avez enfin interrogé sur l'encadrement des tests génétiques : ce serait extraordinairement difficile à réaliser. Nous sommes incapables de limiter l'accès à l'information. Nous sommes déjà démarchés pour réaliser des tests génétiques et, dans trois ou quatre ans, on nous proposera sans doute de télécharger sur notre portable notre code génétique. Parler d'une limitation de l'accès aux tests génétiques n'a pas beaucoup de sens.

Socrate nous dit « Connais-toi toi-même ». Ce serait une interprétation réductrice de croire que l'on ne peut se connaître soi-même qu'avec son code génétique sur son portable. Plutôt que de limiter l'accès au test, il faut mettre en place un système public de référence d'information sur la signification des données génétiques, car nos concitoyens vont être inondés de propositions. Il faut donc leur permettre de faire valoir leur autonomie. Des experts autonomes et indépendants devront pouvoir dire ce qui est intéressant et ce qui ne l'est pas. Certes, il ne faut pas revenir sur l'interdiction de l'utilisation des tests génétiques pour calculer les polices d'assurance. Mais pour ce qui est de limiter l'accès aux tests génétiques, c'est hors de votre capacité.

Jean-Louis Lorrain . - Ne serions-nous pas en train de tuer la bioéthique ? On nous demande de légiférer pour répondre à des citoyens, mais aussi à des chercheurs et à des agences. Nos débats mènent à des compromis : sont-ils compatibles avec l'éthique ? Certains sujets sont traités en fonction des inclinaisons des ministres, du dogme du moment. Dans le fond, la bioéthique est devenue utilitariste : ne faudrait-il pas en revenir à des concepts de bioéthique médicale dont l'essentiel est de se préoccuper du soin ? N'y a-t-il pas une dilution du concept de bioéthique ?

Nous estimons que fixer un terme à la loi l'affaiblit : ne pensez-vous pas que nous avons besoin d'une veille permanente sur des sujets précis ? Je pense en particulier à la question de l'homme surajouté ou à celle de l'utérus artificiel.

Catherine Procaccia . - En vous écoutant, M. Khan, on a l'impression que les choses sont simples et claires. Pourtant, de nombreuses questions se posent et je me demande si elles ne découlent pas du fait que, désormais, avoir un enfant est un droit, et même une obligation de service public. Cette évolution a de lourdes conséquences sur le projet de loi que nous examinons.

Vous avez évoqué le cas de cent cinquante trentenaires qui veulent connaître leur origine ; tout à l'heure, nous avons parlé des transferts post mortem et de la gestation pour autrui pour lesquels le nombre de demandes est plus faible encore, sans doute. Croyez-vous que l'effectif de personnes concernées soit un élément à prendre en compte lorsque nous légiférerons ?

Marie-Thérèse Hermange . - En ce qui concerne l'insémination avec donneur, on parle beaucoup de l'anonymat, mais il faut également évoquer la question de la sélection pratiquée par les Cecos pour apparier les couples demandeurs avec les donneurs. Cette pratique correspond-elle à votre définition de la dignité ?

Il y a vingt-cinq ans, on congelait les ovocytes selon une méthode lente. Celle-ci a-t-elle entraîné des anomalies génétiques ?

Peut-on légiférer en 2011 comme en 2004 sans prendre en compte les travaux de Yamanaka de 2006 sur les cellules souches pluripotentes induites (iPS) ? Le père du clonage a d'ailleurs abandonné ses propres travaux pour rejoindre l'équipe de ce chercheur.

A-t-on épuisé tous les travaux en matière d'embryologie animale ? Travailler sur l'embryon humain plutôt que sur l'embryon animal ne serait-il pas devenu plus facile pour les chercheurs ?

Louis Pinton . - Pour ce qui est de la filiation, vous avez distingué les animaux des hommes. Vétérinaire, j'ai connu des cas curieux : un chiot a été adopté par une chienne qui a même eu une montée de lait à son contact et s'est comportée comme sa mère biologique ; ou bien encore alors que les chèvres sont en chaleur en septembre et saillies par le bouc, il arrivait dans certains troupeaux que rien ne se passe. Dans ce cas-là, nous demandions au fermier de nous indiquer une vieille chèvre dont il comptait se débarrasser. Nous lui faisions une injection d'oestrogènes à forte dose qui déclenchait des chaleurs. Aussitôt, les autres chèvres entraient à leur tour en chaleur et la question était réglée. Le monde animal n'est donc pas toujours si éloigné.

Bernard Cazeau . - Quelle est votre position sur les mères porteuses ?

Guy Fischer . - Comme vous l'avez dit, la recherche sur l'embryon est interdite, mais elle continue à être autorisée : ne serait-il pas temps de mettre fin à cette hypocrisie qui pénalise nos équipes de recherche ?

Isabelle Debré . - Une remarque sur la limitation des tests génétiques : actuellement, et même si ce n'est pas autorisé en France, on peut, par simple courrier, envoyer en Belgique une mèche de cheveux du père présumé et de l'enfant pour régler un éventuel problème de filiation. N'aurait-on pas intérêt à trouver des positions communes en Europe plutôt qu'à tenter de légiférer dans notre coin ?

André Lardeux . - Certains pays ont levé l'anonymat sur les donneurs de gamètes : quelles en ont été les conséquences ? Par ailleurs, dispose-t-on d'un bilan exact des recherches pratiquées sur les embryons ?

Axel Kahn . - Je vais commencer par répondre sur l'embryon : aujourd'hui, les iPS sont beaucoup plus crédibles que le clonage thérapeutique. C'est pourquoi Wilson a abandonné ses recherches. Cela faisait d'ailleurs dix ans que je disais que le clonage thérapeutique était une mystification. La suite des événements m'a donné raison. Mais les iPS ne permettent pas de mener des recherches sur le développement embryonnaire. En outre, on ne peut pas se passer de recherche sur l'embryon, même si celles pratiquées sur les animaux sont utiles. La recherche médicale passe obligatoirement par la recherche sur l'homme.

La loi actuelle ne doit pas être maintenue en l'état parce que la situation est absurde. Il serait vraiment préférable d'indiquer que la recherche sur l'embryon ne peut se faire que dans des conditions particulières, extrêmement encadrées, compte tenu de la singularité et de la valeur que l'on accorde à l'embryon. Il n'est vraiment pas possible d'institutionnaliser un moratoire sur une interdiction : c'est un problème de cohérence. J'ai discuté de cette question avec des orthodoxes et c'est d'autant plus intéressant qu'ils considèrent que l'animation de l'embryon est immédiate. Ils sont dépositaires d'une tradition de certains pères de l'Eglise du deuxième siècle de notre ère et qui considéraient que l'animation était contemporaine de l'orgasme masculin. L'un d'eux estimait même que ce que ressent l'homme à ce moment-là manifestait l'insufflation de l'âme dans l'embryon, ce à quoi Saint Augustin répondait qu'il y avait tellement d'orgasmes non suivis d'embryon qu'il s'étonnait qu'il y ait autant d'âmes qui se promènent dans la nature. Le débat est donc extrêmement ancien. Il m'importe que toute position éthique puisse être fondée sur des valeurs explicites et partagées. Toutes les recherches sur la personne sont encadrées et celles sur l'embryon doivent l'être d'autant plus.

Monsieur Pinton m'a parlé de l'adoption animale : je suis un homme de cheval et j'ai les mêmes expériences que lui. Quand un poulain perd sa mère, on le frotte avec l'urine d'une autre jument ayant pouliné pour le faire adopter. Mais tous ces cas relèvent en réalité d'une erreur de la mère, qui croit avoir affaire à son rejeton biologique, et non d'une adoption par le coeur.

J'en viens au transfert post mortem : faut-il légiférer alors que le nombre de cas est restreint ? L'urgence d'une législation est liée au nombre de cas concernés. Il n'empêche que si l'on veut que la loi de bioéthique soit une loi-cadre, à savoir qu'elle pose des valeurs partagées par l'immense majorité de nos concitoyens, il est important de se référer aux principes. A vous entendre, il y aurait autant de raison à dénoncer une loi le permettant qu'une loi l'interdisant. Il n'empêche que la loi l'interdisant est moralement problématique. Prenons un exemple concret : un couple souhaite un enfant et a recours à une assistance médicale à la procréation. Malheureusement, le conjoint décède. Certes, il faut empêcher que la femme se précipite pour demander un transfert d'embryons, car il y a un temps de sidération affective qui ne permet pas de prendre une telle décision de façon réfléchie. Mais après une période de deuil d'une ou deux années, si cette femme persiste dans sa demande, la situation mérite qu'on y réfléchisse. Certes, l'embryon n'est pas un bien qu'elle a hérité de son mari. Il n'empêche que c'est elle qui a le plus de droits sur cet embryon qui ne lui appartient pas : il procède d'une partie d'elle-même et elle l'a voulu avec cet homme là. Comment justifier que l'Etat s'arroge un droit supplémentaire sur le devenir de cet embryon ? Je ne vois aucun argument d'ordre moral qui puisse justifier cette nationalisation.

J'en arrive à la déperdition de la légitimité des lois de bioéthique : j'ai été un peu déçu par les débats à l'Assemblée nationale. Pour moi, la loi idéale ne devrait pas être révisée tous les cinq ans. Soit on considère qu'elle doit tout prévoir, et elle sera toujours en retard d'une guerre ou d'un métro, soit les bases de la pensée morale doivent être révisées à l'aune des progrès scientifiques, mais j'estime que la morale n'est pas soluble dans la science. Les parlementaires doivent donc indiquer dans la loi quelles sont les valeurs qui sont essentielles, qui pourraient être menacées par l'évolution des techniques et qu'il s'agit de protéger. Cette loi-cadre devrait permettre de finaliser les valeurs essentielles fondant l'humanité de l'homme. Bien évidemment, il faut donner des exemples. Il importe en outre de mettre en place un dispositif de suivi complet et précis de la loi de telle sorte qu'en tant que de besoin on puisse légiférer : si un point mérite qu'on y revienne, pourquoi attendre cinq ans ? Une loi-cadre et un système de veille sont donc nécessaires. La règle, ce n'est pas de faire une loi à chaque fait divers. Jusqu'à ces dernières années, les lois fixaient les cadres généraux et les tribunaux essayaient d'appliquer l'esprit des lois à la particularité des situations. C'est ce qu'on appelait l'enrichissement jurisprudentiel. En termes de bioéthique, c'est ce qu'il faut faire : les diverses instances devront interpréter l'esprit de la loi afin de déterminer ce qu'il convient de faire ou pas.

Vous m'avez interrogé sur les mères porteuses : tout d'abord, il faut parler vrai et différencier deux niveaux : le projet d'avoir un bébé par un couple hétérosexuel ou homosexuel ne peut faire l'objet d'une approbation morale. Ceci étant, si la légitimité du couple à vouloir un enfant n'appelle de la société aucun commentaire, elle n'impose pas pour autant à la société de l'exaucer. Si les parlementaires veulent autoriser que l'amie d'un couple homosexuel ou qu'une femme, par pure générosité, qui souhaite porter un enfant pour une autre mère puisse le faire, je n'en serais pas choqué. En revanche, ce n'est pas ce qui se passe dans 98 % des cas : en Floride, en Californie, en Inde, en Ukraine, les mères porteuses, qui sont presque toujours dans le besoin, signent un contrat : il y a donc une pression de la nécessité. Dans ce contrat, ces femmes s'engagent à ne pas interrompre la grossesse, à subir un diagnostic prénatal, à avorter en cas de problème, à accepter que l'on pratique une césarienne en cas de besoin et à abandonner l'enfant à sa naissance. Elles s'engagent donc à n'être que des utérus vivants mais artificiels pendant neuf mois. Sommes-nous prêts à accepter une telle loi ? Le principe de considération de la personne est-il compatible avec une telle activité ? La loi française dit que la mère d'un enfant est la personne qui en accouche : il ne faut rien changer dans ce domaine. Que l'on tente de faciliter les conditions dans lesquelles une mère puisse abandonner son enfant de telle sorte que ce dernier puisse rapidement être adopté, pourquoi pas ? Mais il faut bien se garder d'infliger aux enfants la double peine : des couples fortunés peuvent dépenser 50 000 dollars pour avoir une mère porteuse à l'étranger. Il faut trouver une solution pour que le désir que l'on a de ne pas légaliser cette pratique ne nuise pas à l'enfant : il n'a pas à être l'otage de nos discussions ni de nos incertitudes. Pour autant, il ne faut pas ouvrir la porte à une pratique que l'on récuse. Pourquoi ne pas pénaliser cette pratique, même réalisée à l'étranger, comme cela se fait pour la pédophilie ?

J'en viens aux Cecos : dans le temps, les parents ne disaient pas à leur enfant quelle était son origine. Il fallait donc que les Cecos comparent l'apparence du donneur à celle de la famille ; il ne s'agissait nullement de sélection mais de crédibilité de l'enfant. Les parents doivent avoir la liberté de dire ou de ne pas dire.

La congélation lente d'ovocytes fonctionnait, mais assez mal. La fécondabilité de ces ovocytes était amoindrie et les nouvelles méthodes de vitrification donnent de meilleurs résultats, mais il ne s'agit que d'une amélioration technique qui ne soulève aucune question éthique.

Concernant l'anonymat, dans les pays où il a été levé comme en Suède, on constate une légère diminution du nombre des donneurs mais, surtout la réintroduction du secret dans les familles pour éviter tout risque d'interférence avec le géniteur. Autrement dit, la levée de l'anonymat a eu l'effet inverse à celui escompté : elle pousse les parents à ne rien dire aux enfants des conditions dans lesquelles ils ont été conçus.

J'en viens aux progrès de la thérapeutique pour l'embryon. Pour moi, la question est plutôt celle du progrès dans la compréhension de l'embryologie. Des travaux ont été effectués sur le développement embryonnaire des souris ; mais les différences sont considérables entre les espèces. En partant de ce qui est connu chez l'animal, des processus à l'origine des infécondités ou des malformations ont été repérés. La recherche sur l'embryon, si elle n'est pas considérable, a donc pu être menée dans les conditions actuelles.

Il est impossible de limiter l'accès aux tests génétiques. Je suis très opposé aux tests de filiation et ce, depuis 1989, date à laquelle j'ai été associé, en tant que commissaire du gouvernement, à la préparation de la loi de 1992. J'ai directement participé à l'écriture de l'article imposant la saisine judiciaire pour les tests de filiation. L'objectif était que la profondeur du lien social, qui unit le père à l'enfant, ne soit pas sujette aux conséquences d'une querelle entre l'homme et la femme, qui conduirait à l'homme à saisir un cheveu de l'enfant pour pratiquer un test de filiation. Cet article a été voté dans la nuit par les quelques députés présents ; depuis, il n'a pas été modifié. Dans la pratique, on fait aujourd'hui comme s'il n'existait pas. Pour autant, la loi a pour fonction de poser des limites ; elle a une fonction pédagogique ; elle doit dire les valeurs qui sont importantes pour notre société. Avec cet article, il s'agissait de dire que la filiation ne peut en aucun cas être réduite à sa dimension biologique. D'où mon opposition totale à l'amendement de M. Mariani sur les tests ADN.

Marie-Thérèse Hermange . - Merci de confirmer, au nom du principe de crédibilité, la mise en place d'une forme de sélection et de discrimination raciale dans les Cecos, qui n'existe pas pour l'adoption.

Je vous rejoins sur le post mortem : il n'y a pas de raison de nationaliser l'embryon. En revanche, la conservation de l'embryon dans un cadre institutionnel français aboutit, de fait, à une nationalisation ! A moins que le post mortem ne permette aux femmes, via la vitrification ovocytaire, de reculer l'âge d'avoir un enfant jusqu'à cinquante ans pour se consacrer entièrement à leur carrière professionnelle durant les vingt-cinq ou trente années précédentes. Veillons à ce que l'acceptation du post mortem ne nous conduise pas à accepter de telles pratiques.

Axel Kahn . - Je ne peux pas être d'accord avec vous sur la « nationalisation ». Quand on hospitalise un malade, la puissance publique règle l'accueil, les droits et les devoirs, elle encadre les soins, pour autant, elle ne nationalise pas !

Les Cecos s'efforcent de respecter la volonté des parents. Cette situation est d'ailleurs relativement similaire à celle de l'adoption : les parents peuvent décider de la couleur de peau de leur enfant.

La congélation de l'embryon et la vitrification sont des techniques tout à fait différentes. Et je suis prêt à dénoncer avec vous cette société absurde où le paradigme de la modernité serait de travailler d'arrache-pied pour gagner beaucoup d'argent tant qu'on est jeune et de congeler son embryon pour avoir un enfant à la ménopause !

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