B. L'ULTIME RECOURS AU DROIT POUR SURMONTER UNE INCAPACITÉ À JUGULER L'EMBALLEMENT DE LA DETTE

La solution constitutionnelle que le groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus préconise d'adopter et que traduit le présent projet de loi de révision constitutionnelle, trouve son fondement dans le constat sans illusion que la France est confrontée au double handicap « d'une impuissance à s'arracher aux déficits publics et d'une dynamique perverse de l'endettement » et que, « s'ils n'étaient vigoureusement affrontés, ces deux phénomènes mineraient subrepticement notre capacité de riposte à une nouvelle crise de grande ampleur, toujours possible dans un univers globalisé » 16 ( * ) , obèreraient la solidarité intergénérationnelle et menaceraient tant notre souveraineté que notre système de protection sociale.

Le choix de la contrainte s'impose par nécessité, faute que, sans cette contrainte ou sous des contraintes trop faibles, les déficits et la dette aient été contenus.

1. Des déficits mal contenus, une dette qui s'accumule

Le groupe de travail présidé par MM. Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis, chargé par le Président de la République, d'établir un diagnostic objectif et partagé de la situation des finances publiques françaises, a dressé le constat 17 ( * ) , que nul ne conteste, d'une dégradation continue des comptes publics, depuis plus de trente ans, aggravée aujourd'hui par la crise financière mondiale.

Le dernier excédent budgétaire remonte à 1974 et l'accumulation des déficits a conduit au creusement de la dette, d'à peine 20 % du PIB en 1978, à un peu plus de 80 % en 2010. L'encours de la dette a été multiplié par 18 entre cette première date et 2008.

Graphique 1 : Solde des administrations publiques françaises en part de PIB

Source : Rapport sur la situation des finances publiques de MM. Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis

Graphique 2 : Dette des administrations publiques en part de PIB

Source : rapport Champsaur Cotis précité

Tout en constatant que les finances publiques ont connu à plusieurs reprises des phases de redressement (1976-1980 ; 1994-2000 ; 2004-2006), MM. Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis observent non seulement qu'elles ont été suivies de rechutes, mais que, si l'on isole la part attribuable à la conjoncture, il apparaît alors que « l'amélioration des soldes publics entre 1986 et 1990, à la fin des années quatre-vingt-dix, et, dans une moindre mesure, entre 2005 et 2007, est pour partie imputable à la conjoncture. De la même manière, la hausse des déficits entre 1991 et 1993 ou en 2002 et 2003 découle pour partie de la conjoncture ».

Les auteurs en déduisent que la gestion des finances publiques a été loin d'être optimale : « les phases d'ajustement budgétaire ont été concentrées sur des années de croissance moyenne ou molle (1987, 1994, 1996-1997, 2004-2006) et n'ont donc pas eu l'ampleur souhaitable [...]. Si, en revanche, l'effort avait été également accompli en haut de cycle, en maîtrisant les dépenses tout en veillant à éviter les baisses de prélèvements non soutenable, notre déficit public serait aujourd'hui plus faible ».

Ils en concluent que la dégradation des comptes publics est autant due à une maîtrise insuffisante de la dépense, les prestations délivrées par les administrations publiques et leurs dépenses de fonctionnement ayant cru plus vite que le PIB, qu'à des allègements de prélèvements obligatoires décidés à contretemps, ou insuffisamment gagés par des suppressions de dépenses équivalentes.

Les déséquilibres actuels, conséquences des défaillances de gestion passées, obèrent durablement les capacités de réaction de la France à de nouvelles crises ainsi que sa marge de manoeuvre économique. Ils justifient l'effort engagé de redressement des comptes publics, et appellent à renforcer les dispositifs susceptibles de garantir que les choix effectués seront conformes à l'objectif de réduction des déficits.

2. Le choix de la contrainte par nécessité

Comme on l'a vu précédemment, la France est d'ores et déjà dotée de règles budgétaires contraignantes, qui devraient, en principe, limiter les possibilités de s'écarter de la trajectoire d'équilibre des finances publiques. Les déséquilibres constatés marquent le manque d'effectivité de certaines d'entre elles, que n'ont pas manqué de relever la Cour des comptes, le groupe de travail présidé par Michel Camdessus ou la commission des finances du Sénat.

Ainsi notre collègue M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, a montré qu'aucune des programmations budgétaires récentes, qu'il s'agisse des programmations pluriannuelles annexées aux projets de loi de finances (article 50 de la loi organique relative aux lois de finances) ou des lois de programmation des finances publiques (article 34 de la Constitution) n'a été respectée, les écarts constatés entre les prévisions et l'exécution étant parfois supérieurs à 2 % dès la deuxième année de la programmation 18 ( * ) .

Notre collègue identifie deux causes à ce non-respect de la programmation budgétaire : d'une part l'hypothèse de croissance est systématiquement de 2,5 %, soit une surestimation 0,3 % en moyenne par rapport à la prévision faisant l'objet d'un consensus parmi les économistes, et, d'autre part, les dépenses publiques augmentent en volume de plus de 2 % par an, alors que la cible en loi de programmation est d'environ 1 %.

Les stratégies pluriannuelles de réduction des déficits que portent les lois de programmation se trouvent par conséquent remises en cause chaque année. Si la survenue de crises de l'ampleur de celle que la France a récemment connues rend nécessaire la définition d'une nouvelle trajectoire de retour à l'équilibre, des ajustements systématiques d'une année sur l'autre, les déficits dérivant posent problème.

Or, rien n'interdit au Gouvernement et au Parlement d'adopter en loi de finances des dispositions divergentes des orientations définies dans les lois de programmation. La Cour des comptes observe ainsi dans son rapport public pour 2011 qu'elle avait déjà eu l'occasion l'année précédente, de souligner que « les règles posées par la précédente loi de programmation n'avaient ainsi pas été respectées en 2009. La baisse de la TVA sur la restauration, votée peu après la promulgation de cette loi, a, en particulier, enfreint, dès 2009, la règle de gage des dépenses fiscales, qui n'a pas non plus été respectée [...] en 2010 » 19 ( * ) .

Rejoignant cette analyse, le groupe de travail présidé par M. Michel Camdessus, qui a cherché à relever, dans son diagnostic, les « chaînons manquants » du cadre financier français, a constaté le « manque d'une règle assurant la primauté de lois pluriannuelles organisant le cheminement vers un objectif d'équilibre sur les lois financières annuelles » ainsi que la « portée limitée du contrôle du Conseil constitutionnel sur les lois financières » 20 ( * ) .

L'ensemble de ces analyses convergent pour conclure que la programmation budgétaire est seulement indicative, trop souvent fondée sur des hypothèses incertaines et qu'elle s'avère finalement peu contraignante, rien n'interdisant au législateur financier d'y désobéir et aucun mécanisme de compensation des écarts constatés au cours d'un même cycle budgétaire n'étant prévu.

Votre rapporteur observe à cet égard que le renforcement de l'encadrement du pouvoir budgétaire qu'appellent ces insuffisances, vise moins le Parlement ou les collectivités territoriales que le Gouvernement. L'initiative budgétaire lui appartenant, il joue un rôle déterminant dans l'établissement des prévisions macroéconomiques sur lesquelles reposeront le budget et la programmation pluriannuelle, dans la définition des équilibres budgétaires et des principaux choix en matière de recettes et de dépenses, dans le contrôle de la recevabilité financière des propositions du Parlement, dans les corrections apportées en cours d'année par les collectifs budgétaires, ainsi que dans l'exécution des lois de finances. La responsabilité qui lui incombe dans les écarts constatés par rapport aux trajectoires prévues est à la mesure des pouvoirs qui sont les siens en matière budgétaire.

Les collectivités territoriales sont tenues, elles, par une règle d'équilibre de leur budget et les assemblées, qui n'ont de pouvoir d'initiative qu'en matière fiscale, sont soumises à l'irrecevabilité financière de l'article 40 sous le contrôle rigoureux du Conseil constitutionnel.

*

* *

La dégradation continue des finances publiques depuis plus de trente ans marque l'impuissance des pouvoirs publics à contenir les déficits, ainsi que l'insuffisance des normes édictées pour contraindre à un retour à l'équilibre du budget.

En choisissant d'inscrire dans notre Constitution une règle qui les oblige à respecter une trajectoire rétablissant l'équilibre des finances publiques, le Gouvernement et le Parlement font certes l'aveu de leurs difficultés à juguler la dette, mais ils manifestent aussi solennellement leur engagement à lutter contre la dégradation continue des comptes publics en abandonnant une part de leur liberté, sous la conduite de règles nécessaires.


* 16 Réaliser l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques , rapport du groupe de travail présidé par Michel Camdessus, 21 juin 2010.

* 17 Paul Champsaur, Jean-Philippe Cotis, Rapport sur la situation des finances publiques , La documentation française, avril 2010.

* 18 Rapport d'information n° 456 (2010-2011), fait par M. Philippe Marini au nom de la commission des finances, sur le projet de programme de stabilité, p. 14-26 ( http://www.senat.fr/notice-rapport/2010/r10-456-notice.html ).

* 19 Rapport public de la Cour des comptes pour 2011, février 2011, p. 18.

* 20 Réaliser l'objectif constitutionnel d'équilibre des finances publiques , rapport du groupe de travail présidé par Michel Camdessus, 21 juin 2010, p. 8 et 9.

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