CHAPITRE IV
DISPOSITIONS RELATIVES
AU DROIT DE LA PREUVE

Le chapitre IV, composé des articles 17 à 29, apporte des précisions et clarifications tendant à faciliter l'établissement de la preuve de la contrefaçon.

Il traduit les recommandations n°s 10 et 11 du rapport d'information, à savoir respectivement :

- prévoir que dans le cadre d'une saisie-contrefaçon, l'huissier peut procéder à une simple description détaillée des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer ces contrefaçons ;

- clarifier le fait que le juge peut ordonner la production d'éléments de preuve détenus par les parties, indépendamment de la saisie-contrefaçon .

La recommandation n° 10 se justifie par le fait que les dispositions du code de la propriété intellectuelle relatives à la saisie -contrefaçon autorisent uniquement « la saisie réelle » des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer les objets prétendus contrefaisants, alors que ces derniers peuvent, eux, faire l'objet, soit d'une description détaillée, soit d'une saisie réelle.

Autrement dit, dans le cadre d'une saisie-contrefaçon, l'huissier :

- peut procéder à une description détaillée des contrefaçons ;

- mais ne peut pas procéder à une description détaillée des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer ces contrefaçons. Il ne peut que les saisir.

Dans la mesure où la saisie de ces matériels et instruments n'a qu'une finalité probatoire, une simple description détaillée peut parfois suffire . C'est pourquoi le rapport d'information recommande de prévoir que, dans le cadre d'une saisie-contrefaçon, l'huissier peut procéder à une simple description détaillée des matériels et instruments utilisés pour produire ou distribuer ces contrefaçons.

La recommandation n° 11 du rapport d'information précise que le juge peut ordonner la production d'éléments de preuve détenus par les parties, indépendamment de la saisie-contrefaçon. Le rapport d'information explique que cette recommandation vise à neutraliser la jurisprudence ancienne et constante de la Cour de cassation selon laquelle les juridictions ne peuvent ordonner la production d'éléments de preuve détenus par la partie adverse que s'il y a eu préalablement saisie-contrefaçon . Or, cette jurisprudence se heurte à la directive (CE) 2004/48 qui prévoit deux mécanismes distincts susceptibles d'être mis en oeuvre indépendamment l'un de l'autre : l'article 7 vise la saisie-contrefaçon et l'article 6, plus généralement, la production forcée de preuves, ordonnée par le juge. Le rapport d'information juge donc nécessaire de préciser que le juge peut ordonner la production d'éléments de preuve détenus par la partie adverse, même si la partie demanderesse n'a pas fait procéder à une saisie-contrefaçon . A titre d'exemple, on peut imaginer que le titulaire de droits a suffisamment de preuves matérielles de la contrefaçon car il a pu acheter le produit dans le commerce ou sur internet mais qu'il n'a pas d'élément sur l'ampleur de la contrefaçon. Dans ce cas, il pourra demander au juge d'ordonner la production d'éléments de preuve détenus par la partie adverse sans solliciter préalablement une saisie-contrefaçon.

Les recommandations n°s 10 et 11 sont traduites dans les différents droits de propriété intellectuelle :

- en matière de propriété littéraire et artistique (articles 17 à 19) ;

- en matière de dessins et modèles (articles 20 et 21) ;

- en matière de brevets (articles 22 et 23) ;

- en matière d'obtentions végétales (articles 24 et 25) ;

- en matière de marques (articles 26 et 27) ;

- en matière d'indications géographiques (articles 28 et 29).

Article 17 A (nouveau)
(art. L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle)
Alignement de la saisie-contrefaçon applicable en droit d'auteur
sur celle en vigueur en propriété industrielle

A l'initiative de votre rapporteur, votre commission a inséré un article additionnel avant l'article 17 afin d'aligner la procédure de saisie-contrefaçon applicable en droit d'auteur sur celle en vigueur en propriété industrielle.

En effet, les saisies-contrefaçon en droit d'auteur sont soumises à un régime dérogatoire par rapport aux autres droits de propriété intellectuelle, dans la mesure où ces saisies font intervenir les commissaires de police.

Cette procédure spécifique est un legs de la Révolution française. Ainsi la loi des 19 et 24 juillet 1793 disposait-elle, en son article 3, que « les officiers de paix seront tenus de faire confisquer, à la réquisition et au profit des auteurs, compositeurs, peintres ou dessinateurs et autres, leurs héritiers ou cessionnaires, tous les exemplaires des éditions imprimées ou gravées sans la permission formelle et par écrit des auteurs. »

Cette procédure, dite de « saisie-commissaire », mérite aujourd'hui d'être supprimée au profit de la procédure de droit commun, et ce pour plusieurs raisons.

En premier lieu, cette saisie est aujourd'hui très rare : si le ministère de la culture a indiqué que cette procédure n'était pas utilisée, votre rapporteur a pu obtenir de certains titulaires de droits des informations plus précises . La SACEM a en effet indiqué n'avoir jamais recours à cette saisie ; en revanche, la fondation Giacometti a indiqué lors de son audition que « les commissaires de police de quartier refusent de procéder à des saisies-contrefaçon. A Paris, seuls deux services y procèdent. L'OCBC (Office central de lutte contre le trafic des biens culturels) et la Préfecture de Police de Paris (un agent de la Brigade de Répression de la Délinquance aux Personnes). En 2010, l'OCBC a procédé à des saisies-contrefaçons dans 4 affaires différentes, portant sur des estampes, des dessins, et des tableaux. En 2011 à ce jour, 2 saisies-contrefaçon, portant sur des meubles et des dessins. Pour 2009, la BRDP a procédé à 14 saisies ; en 2010 à 15 saisies. En 2011, 8 saisies à ce jour. ». Il semble donc que l'utilisation de cette procédure soit marginale ; votre rapporteur comprend d'ailleurs parfaitement les réticences des commissaires de police à intervenir en matière de droit d'auteur, en raison non seulement de la complexité de la matière, mais également de la nécessité de se consacrer à des missions de police traditionnelles . Comme l'a souligné le ministère de la justice lors de son audition, « on peut douter de la nécessité de mobiliser les forces de l'ordre pour procéder à la saisie des exemplaires constituant une reproduction illicite de l'oeuvre protégée ».

En deuxième lieu, la saisie-commissaire, telle qu'est actuellement prévue, doit être combinée avec l'intervention du juge, obligatoire lorsqu'il s'agit d'obtenir la suspension de toute fabrication en cours tendant à la reproduction illicite de l'oeuvre . Autrement dit, le commissaire de police est compétent pour saisir les oeuvres contrefaisantes, tandis que seul le juge peut suspendre la reproduction de ces oeuvres. L'articulation entre ces deux procédures apparaît malaisée.

En troisième lieu, comme indiqué précédemment, il convient d'éviter toute discrimination entre les droits de propriété intellectuelle , d'une part, dans un souci d'intelligibilité de notre droit de propriété intellectuelle, d'autre part, dans la mesure où certaines oeuvres de l'esprit (notamment les oeuvres d'arts appliqués) peuvent faire l'objet d'une protection non seulement au titre du droit d'auteur, mais également au titre de la propriété industrielle (dessin, modèle, voire marque tridimensionnelle). D'ailleurs, il est intéressant de relever qu'au niveau de la Cour de cassation les affaires de droit d'auteur relèvent tantôt de la 1 ère chambre civile, tantôt de la chambre commerciale, compétente en matière de brevets, marques, dessins et modèles, lorsque la juridiction suprême estime que le droit d'auteur en cause est, dans sa nature, très proche d'un droit de propriété industrielle : certains auteurs parlent ainsi de « droit d'auteur économique ». La proximité entre la propriété industrielle et la propriété littéraire et artistique ne peut qu'inviter le législateur à opérer un rapprochement entre l'une et l'autre. Or, l'intervention du commissaire de police n'existe que pour le droit d'auteur.

Enfin, la saisie-commissaire paraît très fragile sur les plans constitutionnel et conventionnel, précisément parce qu'elle ne nécessite pas l'intervention préalable d'un juge. Ce point mérite que l'on s'y arrête. Dans les autres branches du droit de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire en propriété industrielle et même en droit des producteurs des bases de données -droit qui relève, comme le droit d'auteur, de la propriété littéraire et artistique-, la saisie-contrefaçon ne peut être ordonnée que par un juge (relevant depuis 2009, d'un des dix TGI spécialisés en propriété intellectuelle). Il s'agit d'une garantie importante puisque le juge judiciaire est le gardien de la propriété. Or, une saisie-contrefaçon est une procédure intrusive susceptible de porter atteinte au droit de propriété , voire, selon les conditions dans lesquelles elle est pratiquée, au respect dû à la vie privée.

Interrogé par votre rapporteur sur la constitutionnalité du dispositif de saisie-commissaire et sur le risque d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le ministère de la culture a indiqué que la procédure n'étant pas utilisée , « une censure dans le cadre d'une QPC ne peut dès lors survenir ».

Pourtant, certains titulaires de droits ont parfois recours à cette procédure. Le ministère de la justice a, quant à lui, reconnu que « la conformité du dispositif aux textes constitutionnels pourrait être remise en cause dans le cadre d'une QPC » et souligné que « la saisie-contrefaçon constitue une mesure particulièrement intrusive, dont les effets rendent opportune l'intervention, en amont, d'un juge, compte tenu des atteintes portées à certains droits constitutionnellement garantis. ».

De la même façon, votre rapporteur a interrogé les deux ministères sur le risque d'incompatibilité de la saisie-commissaire de police avec l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, qui garantit le droit à un procès équitable.

Seul le ministère de la justice a répondu, soulignant que les dispositions de l'article 6 de cette Convention s'appliquaient à la procédure de saisie-contrefaçon. A cet égard, il a rappelé que la Cour de cassation a estimé, en matière de brevets d'invention, que le droit à un procès équitable exigeait que l'expert qui assiste l'huissier dans le cadre d'une saisie-contrefaçon soit indépendant des parties (Civ. 1 ère , 6 juillet 2000). De plus, l'article 1 er du premier protocole additionnel protège le droit de propriété.

En conséquence, le ministère de la justice s'interroge, comme votre rapporteur, sur la conventionnalité de la saisie-commissaire « dans la mesure où il impose au commissaire de police de procéder à la saisie sur demande du requérant, le cas échéant en pénétrant chez autrui, sans décision préalable d'un tribunal indépendant et impartial, et ce alors que la saisie a un caractère probatoire et permet ensuite l'exercice d'actions civiles voire de poursuites pénales. »

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission a aligné la saisie-contrefaçon applicable en droit d'auteur sur celle en vigueur en propriété industrielle.

Votre commission a inséré l'article 17 A ainsi rédigé.

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