B. LA MISE EN oeUVRE D'UNE EXPERTISE PUBLIQUE

Le système des agences sanitaires a été critiqué pour sa complexité. Celle-ci est cependant plus apparente que réelle. D'une part, le système français maintient un équilibre entre l'exclusion totale du pouvoir politique des décisions concernant les produits de santé, tel qu'il se pratique dans les systèmes anglo-saxon et scandinave d'agences indépendantes, et la gestion pleinement ministérielle et administrative qui est encore pratiquée dans de nombreux Etats européens. D'autre part, la distinction entre les fonctions des différents acteurs, alliée à la multiplicité des regards portés sur les produits de santé, apparaît comme la meilleure garantie d'une expertise publique de qualité.

1. Les acteurs de la politique du médicament

Concrètement, trois acteurs publics agissent pour déterminer l'usage des produits de santé : l'agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), la Haute Autorité de santé (HAS) et le Comité économique des produits de santé (Ceps).

L'Afssaps a été créée par la loi d'origine sénatoriale du 1 er juillet 1998 relative au renforcement de la veille sanitaire et du contrôle de la sécurité sanitaire des produits destinés à l'homme 12 ( * ) afin de rassembler, au sein d'une même agence, le contrôle de tous les produits de santé ou à finalité sanitaire ainsi que des produits cosmétiques. Elle s'était alors donc substituée à l'Agence du médicament créée en 1993 13 ( * ) . Etablissement public de l'Etat placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, l'Afssaps est un organisme administratif dépositaire d'un pouvoir autonome pour prendre des décisions individuelles en matière de sécurité sanitaire des produits de santé et des cosmétiques. Elle n'est donc pas qu'une instance d'expertise. C'est une instance décisionnaire dont le directeur général a pour mission de prendre les mesures nécessaires à la sécurité sanitaire. Le directeur général est libre de se déterminer par rapport aux avis des experts mais son pouvoir s'exerce dans le cadre légal exposé précédemment.

S'agissant tant de la mise sur le marché du médicament que de son retrait, les décisions du directeur général s'appuient sur les avis émis par les experts réunis au sein d'une commission dite commission d'AMM. Celle-ci se prononce en fonction du rapport bénéfices-risques du médicament et se doit d'autoriser la mise sur le marché si le bilan est favorable. Cette autorisation est pour le moment fondée sur la notion de non infériorité au sens où une firme, pour obtenir l'AMM d'un nouveau médicament, doit apporter la preuve qu'il est plus efficace qu'un placebo et, pour certains médicaments, au moins aussi efficace et aussi bien toléré que les médicaments déjà disponibles, grâce à des essais cliniques dits de non-infériorité.

Les signaux liés aux effets indésirables des médicaments sont pour leur part étudiés par une autre des commissions de l'Afssaps, la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV). Comme le notait la mission d'information sénatoriale sur le Mediator, la CNPV « se prononce sur le risque lié à un médicament, mais ne peut formuler d'avis relatif à l'AMM. Dans les faits, elle fonctionne donc actuellement comme une commission d'information de la commission d'AMM ».

Le directeur général de l'Afssaps a fait part à votre rapporteur de sa volonté de réunion au sein d'une « assemblée plénière » des experts en charge de l'AMM et de la pharmacovigilance, afin de déterminer à l'avenir les conditions d'octroi, de retrait et de suspension des AMM. Si les modalités concrètes de cette réorganisation sont encore à déterminer, l'évolution projetée semble pouvoir limiter le risque que les experts en charge de l'AMM ne négligent les signaux de pharmacovigilance et que les deux commissions ne s'engagent dans une opposition stérile. Votre rapporteur insiste cependant sur le fait que l'essentiel est que le directeur général de l'Afssaps assume pleinement les compétences qui sont les siennes et qu'il prenne les décisions qu'il juge nécessaires à la santé publique sans être lié par les contradictions entre experts ou les aléas d'un vote majoritaire.

Parallèlement au pouvoir de police dont dispose l'Afssaps, la Haute Autorité de santé , créée en 2004 14 ( * ) , porte un deuxième regard sur l'intérêt thérapeutique des médicaments au travers d'une de ses commissions spécialisée, la commission de la transparence . Celle-ci détermine le service médical rendu (SMR) d'un médicament et l'éventuelle amélioration du service médical rendu (ASMR) qu'il offre pour déterminer son efficacité thérapeutique absolue et, surtout, comparative, afin de juger si le médicament doit être pris en charge par la collectivité, c'est-à-dire remboursé par la Sécurité sociale. Pour établir l'intérêt relatif d'un médicament, la commission est cependant le plus souvent contrainte de recourir à des comparaisons indirectes à partir des études publiées sur le médicament soumis et de celles publiées sur les médicaments de référence. En effet, le dossier qui lui est présenté ne comporte que rarement des études nouvelles par rapport au dossier d'AMM. Il s'agit donc pour la commission d'examiner à nouveau le dossier en complétant son information par les autres publications scientifiques utiles à son évaluation. Le caractère nécessairement imparfait des comparaisons ainsi dressées est regretté tant par la commission que par l'industrie pharmaceutique, avec des objectifs souvent inverses. Votre rapporteur relève pour sa part le caractère rigoureux du travail de la commission de la transparence, qui utilise au mieux les moyens dont elle dispose. La diffusion d'un médicament étant essentiellement liée à son remboursement, les avis de cette commission ont une importance déterminante sur l'exposition de la population.

Comme l'avait indiqué la mission d'information sénatoriale sur le Mediator, votre rapporteur estime que le double regard, porté par la commission d'AMM puis par la commission de la transparence, sur l'évaluation du progrès thérapeutique d'un médicament pourrait devenir une garantie importante de sécurité si, à l'avenir, une place institutionnelle est faite à l'avis de la commission de la transparence sur ce sujet. L'absence de procédure lui permettant de faire valoir son analyse sur la nocivité d'un médicament limite, à l'heure actuelle, la possibilité de remettre en cause une AMM. Elle devrait pouvoir saisir le ministre de la santé de ses doutes concernant le rapport bénéfices-risques d'un médicament, à charge pour celui-ci de demander à l'Afssaps de répondre aux arguments présentés. Ce système aurait l'intérêt de préserver l'indépendance de la commission de la transparence, de permettre l'information du ministre sur les débats relatifs à l'efficacité d'un médicament et de l'amener à demander à l'Afssaps un approfondissement de la question.

Le troisième acteur à intervenir pour réglementer la diffusion des médicaments est le comité économique des produits de santé (Ceps) créé en 1996 15 ( * ) . Organisme interministériel placé sous l'autorité conjointe des ministres chargés de la santé, de la sécurité sociale et de l'économie, il a pour mission légale de fixer les prix des médicaments et les tarifs des dispositifs médicaux à usage individuel pris en charge par l'assurance maladie obligatoire, ainsi que de suivre les dépenses et la régulation financière du marché. Pour mener cette action, le comité a conclu avec les entreprises du médicament un accord cadre portant sur le prix des médicaments et son évolution, sur les remises, sur les engagements des entreprises concernant le bon usage des médicaments et les volumes de vente, sur les modalités de participation des entreprises à la mise en oeuvre des orientations ministérielles. C'est, dans le cadre du droit actuel, au Ceps qu'il convient d'appliquer les pénalités financières prononcées contre les laboratoires qui ne respectent pas leurs engagements au titre de la police sanitaire. Critiqué pour son approche « industrielle » des questions de santé, le Ceps semble, sous l'impulsion de son nouveau président, Gilles Johanet, déterminé à nouer des liens étroits avec la HAS et à mettre en place des procédures plus transparentes qui permettront notamment une meilleure compréhension du lien entre les avis émis par la commission de la transparence sur le service médical rendu et le prix fixé par le Ceps.

Le triple regard ainsi porté sur les médicaments remboursables, et l'autonomie des différents acteurs chargés d'examiner les dossiers, sont des garanties pour permettre une politique de sécurité sanitaire efficace, à une double condition : l'information réciproque et le fait pour les acteurs, tant administratifs que politiques, d'assumer leurs responsabilités. En effet, c'est au Gouvernement et en son sein plus précisément aux ministres en charge de la santé et de la sécurité sociale qu'il appartient de s'assurer de la cohérence du système de sécurité sanitaire et d'éviter les blocages porteurs de risques pour la santé publique.


* 12 Loi n° 98-535 du 1 er juillet 1998.

* 13 Loi n° 93-5 du 4 janvier 1993.

* 14 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l'assurance maladie.

* 15 Loi n° 96-452 du 28 mai 1996 portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire.

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