b) L'accès aux données de la base centrale en dehors des procédures prévues

Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale vise à mettre en place deux verrous : la limitation stricte des infractions susceptibles de fonder un recours au fichier ; l'interdiction d'utiliser ce fichier, même pour ces infractions, pour identifier une personne inconnue à partir des traces qu'elle aurait laissé. Il s'agit dans ce dernier cas d'interdire l'usage de la base centrale à des fins de recherche criminelle.

Pour autant, votre rapporteur s'interroge sur la portée exacte de cette dernière interdiction.

En effet, il note tout d'abord que la rédaction proposée par l'Assemblée nationale à l'article 5 crée un article 99-5 au code de procédure pénale qui vise justement à autoriser l'officier de police judiciaire agissant sous le contrôle du juge d'instruction à tenter d'identifier une personne sans son assentiment. Un tel assentiment n'est aucunement prévu pour la procédure normale d'identification proposée par l'Assemblée nationale, qui impose seulement l'information de l'intéressé sur l'utilisation de la base centrale : le mentionner expressément, dans la division du code de procédure pénale qui traite des pouvoirs d'enquête du juge d'instruction, vise à autoriser l'identification de l'intéressé sans qu'il en soit informé, c'est-à-dire sans qu'il ait été mis à même de prouver son identité et donc de lever le cas échéant, sans recours à la base centrale, les soupçons qui peuvent peser sur son identité. Ce dispositif fait basculer d'une logique de vérification d'une identité sur laquelle pèse des soupçons, à une logique d'identification dans le cadre d'une recherche criminelle.

Surtout, votre rapporteur jugerait nécessaire que soit clarifiée l'articulation entre les pouvoirs limités d'accès à la base centrale définis aux articles 5 du présent texte et à la nouvelle rédaction proposée pour l'article 55-1 du code de procédure pénale et les pouvoirs généraux que les magistrats chargés de l'enquête tiennent des articles 60-1, 60-2, 99-3 et 99-4 du même code pour obtenir des documents numériques ou accéder à des informations contenues dans des fichiers nominatifs. L'accès à la base centrale biométrique en vertu de ces dernières dispositions est-il bien interdit en vertu de la nouvelle rédaction proposée pour les premiers articles cités ?

c) La question non résolue de l'utilisation de la base par les services spécialisés, hors de tout contrôle judiciaire

Votre rapporteur constate qu'aucune réponse n'a été apportée par le Gouvernement ni par le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale à la question qu'il posait en deuxième lecture sur l'accès à la base centrale ouvert par l'article 7 bis A du présent texte aux services en charge de la lutte contre le terrorisme.

Dans le cadre du système à « lien faible » proposé par le Sénat, cet accès s'opérait à droit constant, puisqu'il conservait aux services en charge de la lutte contre le terrorisme l'accès aux actuels systèmes de gestion des cartes nationales d'identité et de passeports que leur ouvre actuellement l'article 9 de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers, sans leur donner les moyens d'identifier une personne à partir de ces traces biométriques.

En effet, actuellement, les services en charge de la lutte contre le terrorisme ne peuvent utiliser les données biométriques des détenteurs de titre contenues dans les fichiers pour identifier un individu à partir de ces seuls éléments. Le fichier de gestion des passeports « TES » 6 ( * ) l'exclut expressément. Quant au fichier de gestion des cartes nationales d'identité, les empreintes digitales des intéressés n'y sont simplement pas enregistrées 7 ( * ) .

Loin de maintenir le droit en vigueur, le système à « lien fort » prôné par les députés étend considérablement les pouvoirs des services chargés de la lutte contre le terrorisme, puisque, faute de l'exclure, il leur permet d'accéder à la base dans l'exercice de leur mission, hors de tout contrôle d'un juge, et les autorise donc à en faire usage pour identifier une personne à partir de ses seules empreintes digitales ou par reconnaissance faciale.

Il ne peut être argué, pour restreindre cet usage, des limitations prévues à l'article 5 du présent texte, puisque la disposition spéciale déroge à la disposition générale et que l'article 7 bis A ouvre aux agents de ces services spécialisés, un accès sans limitation particulière à la base centrale biométrique. Renvoyer à un décret ne sera pas forcément suffisant, dans la mesure où il appartient au législateur, lorsque des libertés publiques sont en jeu, épuiser sa compétence.

Ce problème posé par le système à « lien fort » ne se posait pas avec le système à « lien faible ». Faute d'adopter ce dernier, il aurait été nécessaire que les députés modifient en conséquence la proposition de loi pour encadrer l'accès au fichier central par les services spécialisés et éviter ainsi une lacune dans le système de garanties légales qu'ils entendaient mettre en place.

*

Qu'il s'agisse de l'accès au fichier dans les cas non prévus par le texte ou de celui de l'accès ouvert aux services chargés de la lutte contre le terrorisme, les garanties prévues par l'Assemblée nationale paraissent ainsi incomplètes ou insuffisamment précises. Une telle imprécision pose inévitablement la question de la constitutionnalité du dispositif, alors qu'il appartient au législateur de définir avec précision les garanties légales nécessaire à l'exercice ou la protection des libertés publiques.


* 6 Article 19 du décret n° 2005-12726 du 30 décembre 2005 relatif aux passeports.

* 7 Article 8 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 195 instituant la carte nationale d'identité.

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