4. L'inclusion des quotas d'émission de gaz à effet de serre parmi les instruments financiers : une avancée notable de la Commission européenne
a) Une réponse adaptée à une préoccupation ancienne de votre commission des finances

La proposition de la Commission européenne de considérer que les quotas de CO 2 entrent dans la catégorie des instruments financiers devrait engendrer une régulation efficace du marché des quotas. Cette position est celle de votre commission des finances et de sa rapporteure.

A cet égard, il convient de rappeler :

- que, dès juillet 2009, le rapport 22 ( * ) du groupe de travail sur la fiscalité environnementale, présidé par notre collègue Fabienne Keller, avait déploré la « quasi absence de réglementation et d'encadrement des marchés d'échanges de quotas » dans la directive 2003/87/CE (dite « directive quotas ») modifiée par la directive 2009/29/CE. Le groupe de travail avait considéré que « ce qui pouvait être considéré comme acceptable sur un marché naissant ne l'est plus dès lors que ce marché devient mature et qu'il conditionne une partie de la compétitivité de l'industrie européenne ». Il avait donc souhaité que le Gouvernement défende fermement l'instauration de règles au niveau européen et qu'une (ou des) autorité(s) soi(en)t chargée(s) de les faire respecter ;

- qu'en octobre 2010, votre commission des finances avait été à l'origine (en partenariat avec le Gouvernement) de l'amendement à la loi de régulation bancaire et financière instaurant une réglementation nationale du marché au comptant des quotas 23 ( * ) .

La commission avait ensuite poursuivi ces travaux, en organisant notamment une table ronde sur le sujet le 9 mars 2011 24 ( * ) .

Principales dispositions de la loi de régulation bancaire et financière relatives à la régulation du marché carbone

« - [La loi française] autorise la négociation de quotas sur un marché réglementé. En pratique, la plateforme d'échange française Bluenext, jusqu'alors non régulée sur son compartiment au comptant, devient un marché réglementé supervisé par l'AMF. Ceci permet également de répondre aux exigences du règlement européen portant sur l'organisation des enchères de quotas de CO 2 en Europe, qui impose des standards de robustesse et de supervision aux plateformes qui seront amenées à réaliser des adjudications ;

« - Elle donne compétence à l'AMF sur le marché au comptant de CO 2 . L'AMF n'était auparavant compétente que sur les produits à terme, dès lors qu'ils répondaient aux exigences en termes de qualification juridique comme étant des instruments financiers ;

« - Elle étend la mission de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) à l'analyse de la cohérence entre les fondamentaux des marchés de l'énergie et les transactions réalisées sur le marché du CO 2 . Ainsi, l'article 28 de la loi du 10 février 2000, modifié par la loi de régulation bancaire et financière, prévoit désormais que la « Commission de régulation de l'énergie surveille les transactions effectuées par les fournisseurs, négociants et producteurs d'électricité et de gaz naturel sur les EUA 25 ( * ) , CER 26 ( * ) et ERU 27 ( * ) , afin d'analyser la cohérence de ces transactions avec les contraintes économiques, techniques et réglementaires de l'activité de ces fournisseurs, négociants et producteurs d'électricité et de gaz naturel » ;

« - Elle instaure le principe d'une coopération élargie entre l'AMF et la CRE, à travers l'échange de renseignements utiles à l'accomplissement de leurs missions respectives. La loi de régulation bancaire et financière lève l'obligation de secret professionnel s'agissant d'échange d'informations entre les deux autorités. Elle permet également la saisine réciproque des deux autorités en cas de manquements possibles des acteurs du marché, tels qu'opérations d'initiés, manipulations de cours, diffusion de fausses informations, ou tout autre manquement de nature à porter atteinte au bon fonctionnement du marché. »

Source : rapport d'activité 2010 de la CRE

Néanmoins, ces initiatives n'avaient jusqu'alors pas permis de faire avancer la réglementation au niveau le plus pertinent, à savoir l'échelon communautaire .

Le rapport 28 ( * ) remis par Michel Prada, ancien président de l'Autorité des marchés financiers (AMF), au Gouvernement, en avril 2010, avait pourtant formulé des propositions en ce sens. Il est d'ailleurs à noter que ce rapport plaidait en faveur d'une définition et d'une réglementation ad hoc pour les quotas, du fait de la spécificité de ces instruments d'un nouveau genre. Il soulignait ainsi que leurs caractéristiques pouvaient rendre complexe l'application des règles habituelles (par exemple, en matière d'information du marché ou de délit d'initiés, les grands projets industriels susceptibles d'influer sur le marché relevant par ailleurs du secret des affaires).

La Cour des comptes a récemment consacré un référé sur la sécurité et la régulation du marché des quotas de CO 2 .

b) Des exemptions qui semblent cohérentes avec le champ et l'objet du marché des quotas

Les exemptions prévues par le projet de directive (ainsi que le projet de directive MAD précité) paraissent adaptées et répondre aux préoccupations exprimées tant par le rapport Prada que par les industriels.

En effet, selon les éléments recueillis par votre rapporteure, les industriels, tout en soutenant un renforcement de la régulation communautaire du marché des quotas, ont fait valoir leurs inquiétudes relatives à leur assimilation à des instruments financiers. Ils estiment, en particulier, que certains pans de la réglementation ne sont pas adaptés à la spécificité des quotas, compte tenu de leur objet même (réduire les émissions de gaz à effet de serre), de leurs caractéristiques (mode d'allocation primaire par les Etats) et de leur nature (instruments réglementaires fondés sur l'obligation pour les industriels relevant du SCEQE de les restituer afin de couvrir leurs émissions).

De ce point de vue, le principe de non-application de la directive MiFID aux industriels agissant pour leur propre compte et dont les échanges de quotas ne constituent qu'une activité non essentielle apporte une réponse à ces craintes . De fait, il serait sans doute excessif d'imposer à des industriels actifs sur le marchés des quotas afin de remplir une obligation légale de devenir, à cette seule fin, des prestataires de services financiers.

De même, les orientations retenues pour l'instant au sein du projet de règlement MAD précité paraissent logiques . Ainsi (article 12 du projet), les obligations de publications privilégiées ne s'appliqueraient pas à un acteur du marché des quotas d'émission lorsque les installations qu'ils possèdent ou contrôlent ont présenté, au cours de l'année précédente, des émissions inférieures à un seuil minimal d'équivalent-CO 2 29 ( * ) , à définir par un acte délégué de la Commission européenne. L'objet de cette disposition est de ne faire entrer dans ce champ que les industriels qui, par leur taille, peuvent, à eux seuls, avoir une influence significative sur le marché des quotas. De fait, les industriels relevant du SCEQE se trouveront, par définition, en possession d'informations privilégiées (ne serait-ce que leur propre niveau d'émissions ou encore leurs projets d'ouvertures, d'extensions ou de fermetures de site).

Les principales remarques des industriels, qui figuraient également dans le rapport Prada précité, ont donc été prises en compte par la Commission européenne. Il importe néanmoins que la revue de la réglementation financière se poursuive afin de s'assurer qu'au terme de ce processus, il ne subsiste plus d'incompatibilité entre ce corpus de règles et la réalité du marché des quotas de CO 2 .

Des clarifications pourraient, en particulier, concerner les points suivants :

- la cohérence entre le statut des quotas lors de leur allocation primaire, régis par le règlement n° 1031/2010 du 12 novembre 2010 sur l'organisation des enchères de phase III (dit « règlement enchères »), non qualifiés formellement d'instruments financiers, et les quotas échangés sur le marché secondaire, relevant de la directive MIF, l'ensemble de ces quotas étant parfaitement fongibles ;

- les conséquences possibles de la nouvelle qualification des quotas sur le statut et le fonctionnement des teneurs de registres nationaux (la Caisse des dépôts et consignations en France) ;

- l'éventuelle application des normes prudentielles en matière de fonds propres aux différents acteurs du marché des quotas.

D'autre part, d'un point de vue comptable, il conviendrait de préciser si la qualification des quotas impliquerait une valorisation au cours du jour dans le bilan des industriels relevant du SCEQE.


* 22 « En attendant la taxe carbone... Enjeux et outils de la réduction des émissions de CO 2 », n° 543,( 2008-2009).

* 23 Article 9 de la loi n° 2010-1249 du 22 octobre 2010. Voir le rapport n° 703 (2009-2010) de M. Philippe Marini, commentaire de l'article 2 sexies .

* 24 Le compte-rendu de cette table ronde est disponible à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20110307/finc.html#toc4

* 25 Quota d'émission européen (European Union Allowance)

* 26 Unités de réduction des émissions certifiées (Certified Emission Reduction), dans le cadre du protocole de Kyoto, provenant des projets issus du mécanisme de développement propre (MDP).

* 27 Unité de réduction des émissions (Emission Réduction Units), dans le cadre du Protocole de Kyoto, provenant des projets issus du mécanisme de mise en oeuvre conjointe (MOC).

* 28 La régulation des marchés du CO 2 , avril 2010.

* 29 Si ledit industriel exerce des activités de combustion, le seuil minimal concernerait la puissance thermique nominale de l'installation.

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