EXAMEN EN COMMISSION

(Mardi 6 mars 2012)

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M. Gaëtan Gorce , rapporteur . - La commission des affaires européennes s'est penchée sur les marchés publics mais n'a pas souhaité se prononcer sur les conflits d'intérêts, sujet qui a beaucoup occupé notre commission ces dernières années. La résolution établie par M. Piras concerne trois propositions de directives, l'une sur les concessions de service, les deux autres sur les conditions de passation des marchés publics en général et dans les domaines de l'eau, des transports, de l'énergie, etc.

La proposition de directive sur les concessions de service a suscité une réprobation et un refus général, car son cadre juridique est contraignant au point d'affaiblir la capacité de négociation des autorités concédantes. La directive serait en outre source d'ambiguïté quant aux concessions d'EDF.

De leur côté, les propositions de directive sur les marchés publics comportent des points positifs. Ainsi, les petites entreprises pourraient bénéficier de formalités allégées, comme la faculté de fournir certains documents non plus avant, mais après la sélection des offres. Nous voyons en outre apparaître des dispositions favorisant l'environnement, comme la possibilité de prendre en compte le coût du cycle de vie des services, produits ou travaux à acheter. Il sera également possible d'exclure du marché les soumissionnaires qui ne respecteraient pas les normes environnementales ou sociales de l'Union européenne. Mais d'autres dispositions sont insatisfaisantes, comme les difficultés induites pour les collectivités territoriales par l'encadrement des partenariats public-public entre collectivités.

J'en viens au coeur du sujet : les conflits d'intérêts. La Commission européenne veut définir cette notion et faire de l'absence de tels conflits une condition de régularité des marchés. À cette fin, la proposition de directive sur les marchés publics comporte une obligation de déclaration à charge de toute personne ayant une influence sur l'adjudication. Cette déclaration énumérerait tous les intérêts privés directs ou indirects, personnels, familiaux, sentimentaux ou politiques des intéressés. Cette formulation pose des problèmes quant au respect de la vie privée : déclarer une liaison extraconjugale intéresserait sans doute nos ex-Renseignements généraux, mais faut-il en faire une nécessité pour les marchés publics ? Par liens « sentimentaux », faut-il entendre aussi la simple amitié ? Les liens d'intérêt politique interdiraient-ils à un élu de signer un marché avec une entreprise dont un dirigeant serait membre du même parti ?

Il reste toutefois que cette approche du sujet a le mérite d'aborder ce que j'appellerai « le conflit perçu ». La réflexion sur ce sujet mérite d'être engagée, mais pas au détour de cette directive aboutissant à ce que les conflits d'intérêts apparents soient susceptibles d'avoir des conséquences sur la validité du contrat mais, dans l'intention de la commission, pas sur le plan pénal. En droit français, le conflit d'intérêts n'est pas défini ; notre code pénal reconnaît cependant la prise illégale d'intérêts, le favoritisme, la corruption... La directive comporte dès lors un risque de débordement du contentieux pénal dans les juridictions administratives. En outre, nous ne pouvons nous satisfaire de notions comme l'intérêt familial ou sentimental, qui sont floues et imprécises.

La proposition de directive dispose que, si un conflit d'intérêts était déclaré ou découvert, il faudrait saisir une autorité de contrôle, dont le rôle n'est d'ailleurs pas clairement défini : conseil, information, sanction avec transmission éventuelle à la justice ?

Pour ces raisons, je vous propose un amendement tendant à obtenir que les conflits d'intérêts soient définis d'une façon objective, claire et proportionnée.

Nous devrons reprendre la réflexion sur ces sujets, en prenant en compte, dans un projet ou une proposition de loi, les conflits directs ou indirects, apparents ou cachés. Veillons à ne pas nourrir la suspicion de nos concitoyens.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Si je comprends bien, vous nous suggérez d'adopter la proposition de résolution, modifiée par votre amendement après l'alinéa 11.

M. Gaëtan Gorce , rapporteur . - Tout à fait !

M. Simon Sutour . - Comme président de la commission des affaires européennes, j'ai fait voter il y a une dizaine de mois une résolution sur la proposition de directive relative aux concessions de service, qui faisait suite au Livre vert de M. Barnier, publié il y a environ un an. La commission des affaires européennes tenait à ce que les collectivités territoriales ne soient pas prisonnières d'une réglementation trop contraignante.

S'agissant des conflits d'intérêts, j'approuve sans réserve l'amendement présenté par M. Gorce.

M. Jean-Jacques Hyest . - J'adhère aux propositions formulées par la commission des affaires européennes en matière de concessions, car notre droit en ce domaine est précis, ancien et stabilisé.

Nous avons beaucoup travaillé sur les conflits d'intérêts, dont nous avions proposé une définition alternative (et différente de celle retenue par la proposition de directive) qui figure dans le projet de loi relatif aux fonctionnaires et aux ministres.

Nous voterons l'amendement présenté par M. Gorce.

M. René Vandierendonck . - Moi aussi. De nombreuses collectivités territoriales tendent à favoriser l'émergence d'entreprises à capital purement public. Or, la directive assortit une telle création de conditions plus contraignantes que celles formulées par la Cour de justice de l'Union européenne. En outre, plusieurs cours administratives d'appel limitent l'introduction de clauses sociales dans les procédures d'appel d'offres. Il serait donc peut-être utile de ne pas trop s'enfermer dans les conditions directes du marché pour déterminer les critères d'attribution. Je pense par exemple au coût du recyclage global. Nous utilisons tous des clauses favorisant les entreprises d'insertion. Je ne souhaite pas compromettre cette exception française.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Avez-vous préparé un amendement ?

M. René Vandierendonck . - Je souhaite d'abord connaître l'opinion des commissaires.

M. Alain Richard . - Arc-boutée sur le refus de toute norme européenne encadrant les concessions de service, la position française me semble déraisonnable, car la nécessité d'une mise en concurrence suffit à justifier l'existence de règles communautaires. N'oublions pas que de grands concessionnaires français sont très compétitifs dans toute l'Europe. Ce combat d'arrière-garde est perdu d'avance.

D'autre part, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur supralégislative à l'égalité des soumissionnaires devant la concurrence et au bon emploi des deniers publics. Or, les clauses sociales et environnementales peuvent porter, non sur le coeur du marché, mais uniquement sur ses conditions d'exécution. Elles ne peuvent donc entrer en ligne de compte que dans un second temps, à prestations égales et à coût égal, même si nous pouvons regretter cette restriction.

M. Simon Sutour . - Je dois rappeler que nous sommes chargés non d'écrire la directive, mais seulement de voter une proposition de résolution incitant le gouvernement à défendre certaines positions dans la négociation.

Il reste que cette opinion officielle d'un Parlement national peut être prise en compte par tous les intervenants du processus aboutissant à la directive. J'insiste donc sur la lisibilité que notre position doit avoir à Bruxelles : il faut concentrer le tir comme le suggère M. Richard, malgré l'intérêt des observations formulées par M. Vandierendonck.

M. René Vandierendonck . - Je me rallie à ce point de vue, car l'argumentation de M. Richard est solide.

M. Gaëtan Gorce , rapporteur . - M. Richard a formulé des observations pleinement justifiées.

L'amendement n° 1 est adopté, de même que la proposition de résolution modifiée.

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