B. AUCUNE RÉPONSE N'A ÉTÉ APPORTÉE JUSQU'À AUJOURD'HUI À LA PROBLÉMATIQUE DE LA VIE CHÈRE

1. De nombreux travaux ont analysé la situation et formulé des propositions

? Votre rapporteur rappelle que le Sénat a déjà travaillé sur la problématique de la vie chère dans les outre-mer et a formulé dès 2009 un certain nombre de propositions.

A la suite des évènements du début de l'année 2009, notre Haute assemblée a en effet mis en place, à l'initiative du président Gérard Larcher, une mission commune d'information sur la situation des départements d'outre-mer , dont votre rapporteur a eu l'honneur d'être le président et dont notre collègue Éric Doligé était le rapporteur.

Au terme de ses travaux, la mission a remis en juillet 2009 un rapport conséquent, intitulé « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France », analysant la quasi-totalité des problématiques propres aux départements d'outre-mer et formulant 100 propositions. Ce rapport, adopté à l'unanimité des suffrages exprimés par les membres de la mission, fait aujourd'hui référence.

La mission de 2009 n'a donc pas manqué de s'intéresser à la problématique de la vie chère et, plus précisément au niveau des prix dans les DOM.

Votre rapporteur rappelle ainsi que la mission a procédé elle-même à un relevé de prix alimentaires portant sur une cinquantaine de produits de consommation courante. Les résultats de ce relevé ont confirmé la réalité de l'écart de prix entre les DOM et l'Hexagone ainsi que la variabilité de cet écart en fonction des produits et du DOM.

Source : « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France », Ibid., p. 125.

La mission a par ailleurs relevé que la problématique de la vie chère ne concerne pas seulement les produits alimentaires , mais également les frais bancaires, les billets pratiqués par les compagnies aériennes ou encore le fret maritime.

Elle a souligné les problématiques existant en matière de concurrence , en constatant les positions dominantes acquises par une ou plusieurs entreprises dans différents secteurs, tels que la grande distribution, le fret maritime, le transport ou encore les carburants.

Au terme de ses travaux, la mission a formulé de nombreuses propositions en matière de prix , marquant sa préférence pour « une solution à double détente : concurrence et surtout transparence » 12 ( * ) . Elle a notamment recommandé la mise en place d'un « véritable service de la transparence des prix » dans les DOM, proposant ainsi la réalisation régulière d'études de l'INSEE comparant le niveau des prix entre l'Hexagone et les DOM, appelant à la coordination entre les services de l'État compétents et au le renforcement des observatoires des prix et des revenus (OPR).

PROPOSITIONS FORMULÉES PAR LA MISSION COMMUNE D'INFORMATION
SUR LA SITUATION DES DOM EN MATIÈRE DE PRIX

Proposition n° 22 : assurer un contrôle strict des services de la concurrence dans certains secteurs économiques afin de dynamiser la concurrence ;

Proposition n° 23 : inciter les acteurs locaux à promouvoir les productions locales ;

Proposition n° 24 : renforcer l'approvisionnement des DOM dans leur environnement régional ;

Proposition n° 25 : obtenir pour la Guyane une dérogation aux règles européennes afin qu'elle puisse s'approvisionner en pétrole chez ses voisins ;

Proposition n° 26 : mettre en place les outils statistiques permettant une réelle surveillance du niveau et de la formation des prix dans les DOM ;

Proposition n° 27 : remise au Parlement d'une étude sur l'impact de l'octroi de mer en matière de prix ;

Proposition n° 28 : instituer un véritable « service de la transparence des prix » dans les DOM.

La mission s'est par ailleurs intéressée au mécanisme de « sur-rémunération » des fonctionnaires , estimant que ce dernier avait « un effet néfaste sur les mécanismes de formation des prix » 13 ( * ) et que « la sur-rémunération des fonctionnaires ne doit répondre qu'à un objectif de « compensation » du différentiel de coût de la vie dans les DOM par rapport à la métropole » 14 ( * ) .

Les propositions n° 12 et 18 de la mission visent ainsi à ce que les majorations de traitement des fonctionnaires de l'État et territoriaux dans les DOM soient ajustés au différentiel réel du coût de la vie.

? Suite à la crise de 2009, l'Autorité de la concurrence s'est également beaucoup intéressée à la problématique de la vie chère dans les DOM.

Sollicitée en février 2009 par le secrétaire d'État à l'outre-mer, l'Autorité a ainsi rendu deux avis importants, le premier sur les marchés des carburants et le second sur les produits de grande consommation.

Dans son avis de juin 2009 portant sur les marchés des carburants 15 ( * ) , l'Autorité a relevé que l'approvisionnement en carburants se fait, dans les DOM, au travers de monopoles : au niveau de l'achat, du fret, du raffinage et du stockage aux Antilles et en Guyane, ou seulement du fret et du stockage à La Réunion. Cette situation de monopole explique que les prix des carburants sont réglementés dans ces départements.

Pour autant, aux yeux de l'Autorité, « la réglementation des prix des carburants s'est éloignée de ces objectifs initiaux ». En effet, « la régulation des prix des monopoles d'approvisionnement est insuffisante : elle ne garantit plus l'absence de rente et le dispositif d'encadrement des marges de distribution et des prix de détail a été transformé en système de prix unique aisément manipulable » 16 ( * ) . Les prix maximums sont ainsi devenus des prix minimums : chaque détaillant ne pouvant adapter ses prix à ses contraintes économiques, des revalorisations générales sont demandées périodiquement et profitent à tous.

Face à cette situation, l'Autorité de la concurrence formule plusieurs propositions visant à renforcer la régulation amont , avec l'objectif de mieux encadrer les monopoles et de garantir des approvisionnements au meilleur prix :

- en matière d'achat , elle propose de réguler le prix d'approvisionnement en prenant pour référence des prix de marché , indépendants des importateurs ;

- le prix plafond des importations devrait être égal à la somme du prix des produits raffinés et du coût du fret. Ce prix constituerait le seul prix de gros périodiquement réajusté par les préfets. Il serait rendu public afin de permettre une réelle information des usagers, des associations de consommateurs et de l'ensemble des parties prenantes ;

- en matière de stockage , l'Autorité recommande l'interdiction pour un gestionnaire de facilité essentielle d'exercer une activité de distributeur aval au sein de la même structure commerciale , ce qui implique soit la filialisation des activités de stockage soit une séparation fonctionnelle et comptable très stricte ;

- l'Autorité suggère de revoir le plafonnement des prix de détail , le préfet pouvant les contrôler en cas de fonctionnement anormal du marché.

Dans un second avis rendu en septembre 2009 17 ( * ) , l'Autorité s'est donc intéressée aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation .

L'Autorité a tout d'abord relevé des écarts de prix substantiels avec l'Hexagone ne pouvant s'expliquer par les seules spécificités notamment géographiques des DOM (éloignement, insularité, taille des marchés...). Selon les relevés effectués sur un échantillon d'environ 75 produits importés de l'Hexagone dans les quatre DOM, les écarts de prix en magasin dépassent 55 % pour plus de 50 % des produits échantillonnés . L'Autorité a souligné par ailleurs les particularités dans les circuits d'approvisionnement permettant aux opérateurs de s'abstraire partiellement du jeu concurrentiel.

Ensuite, l'Autorité de la concurrence a constaté que le secteur de la grande distribution à dominante alimentaire est trop peu concurrentiel . Ce secteur présente un niveau de concentration élevé, certains groupes détenant ainsi des parts de marchés en surfaces commerciales supérieures à 40 % sur la totalité du département concerné ou sur une ou plusieurs zones de chalandise.

Cette faible concurrence paraît à l'Autorité de la concurrence d'autant plus problématique pour le consommateur que les importateurs-grossistes, auxquels fabricants et distributeurs, font souvent appel sont relativement préservés de la concurrence : les pratiques d'exclusivité territoriales atténuent ainsi la capacité des distributeurs à arbitrer entre différents importateurs-grossistes ou entre ces derniers et les industriels métropolitains.

Au terme de ses travaux, l'Autorité a formulé plusieurs recommandations , et notamment :

- fluidifier le jeu concurrentiel en supprimant les barrières règlementaires à l'entrée et en améliorant l'information du consommateur, notamment par la diminution des seuils de notification pour les opérations de concentration impliquant des grandes surfaces implantées dans les DOM ;

- mutualiser les circuits logistiques : l'Autorité appelle ainsi à la mise en place dans chaque DOM d'une mission d'étude visant à définir les modalités de création et de fonctionnement de centrales d'approvisionnement et de stockage régionales, qui permettraient de réduire les coûts et de mieux faire jouer la concurrence entre fabricants et intermédiaires.

En tout état de cause, l'Autorité a estimé que la réglementation des prix devait demeurer une mesure d'exception portant sur des secteurs ou des étapes du circuit d'approvisionnement clairement identifiés sur lesquels le jeu de la concurrence est mis en échec. Elle ne constitue ainsi pas une solution à l'ensemble des problèmes de concurrence identifiés dans les DOM car elle comporte des risques et des difficultés de mise en oeuvre.

2. Depuis la crise de 2009, aucune réponse n'a été apportée à la problématique de la vie chère

Suite à la grave crise du début de l'année 2009, le Président de la République avait annoncé le 19 février 2009 un ensemble de mesures ainsi que l'organisation d'États généraux dans chaque collectivité ultramarine .

A l'occasion de ces États généraux, la population ultramarine a été consultée sur huit thématiques :

- comment faire baisser les prix ?

- comment limiter les importations et augmenter la production locale ?

- quels projets structurants pour l'avenir de chaque territoire ?

- comment favoriser le dialogue social et l'accès à la formation professionnelle ?

- comment mieux organiser la gestion des collectivités et de l'État ?

- quelle relation faut-il développer avec les voisins de chaque territoire d'outre-mer ?

- comment améliorer l'insertion des jeunes et garantir l'égalité des chances ?

- quel travail faut-il accomplir pour réconcilier la mémoire, la culture et l'identité ?

La problématique de la vie chère était donc au coeur des États généraux , dont la synthèse des travaux a été examinée par le premier Conseil interministériel de l'outre-mer (CIOM).

Organisé le 6 novembre 2009, le CIOM a annoncé 137 mesures pour les outre-mer, dont 71 mesures transversales à l'ensemble des collectivités. Votre rapporteur relève que bien peu des mesures annoncées concernaient la problématique des prix et de la cherté de la vie et que les mesures annoncées en la matière étaient loin d'être à la hauteur des enjeux et de l'attente de nos concitoyens ultramarins.

MESURES ANNONCÉES PAR LE CIOM EN MATIÈRE DE PRIX ET DE VIE CHÈRE

1. Renforcer le droit de la concurrence outre-mer pour lutter contre les phénomènes de monopole et d'oligopole : le CIOM a décidé l'abaissement du seuil de notification des opérations de concentration dans le secteur de la distribution de détail ;

2. Créer un « GIR-concurrence » pour lutter contre les pratiques abusives en matière de prix, regroupant les services de l'État ;

3. Contrôler le respect des accords volontaires de baisse de prix ;

4. Améliorer dès 2010 les données statistiques sur la formation des prix et des revenus et l'évolution du pouvoir d'achat afin d'assurer davantage de transparence en la matière ;

5. Engager une étude sur l'octroi de mer, afin de renforcer son rôle d'équilibre des budgets des collectivités territoriales d'outre-mer :

6. Construire un vaste marché commun du plateau des Guyanes ;

7. Renforcer et assurer l'indépendance des observatoires des prix : il s'agit de les rendre plus autonomes, de les doter de moyens financiers et de donner la capacité à leurs présidents de saisir directement l'Autorité de la concurrence ;

8. Mutualiser la logistique approvisionnement-stockage des marchandises : le CIOM a décidé que serait étudiée la création de centres uniques d'approvisionnement et de stockage pour mutualiser les coûts et permettre l'entrée éventuelle sur les marchés de nouveaux concurrents ;

9. Réformer l'administration des prix des carburants dans les DOM ;

10. Lutter contre la fracture numérique en favorisant le lancement d'offres attractives pour l'accès à l'internet haut débit des populations à faibles revenus.

Votre rapporteur relève qu'en matière de prix et de vie chère, le bilan du CIOM est, près de trois ans après, bien faible. La multiplication des conflits sociaux centrés sur cette problématique dans les outre-mer depuis 2009, semblables à des répliques à la grave crise qu'ont connue notamment les départements antillais, en est la meilleure preuve.


* 12 « Les DOM, défi pour la République, chance pour la France », Ibid. », p. 118.

* 13 Ibid., p. 74.

* 14 Ibid., p. 73.

* 15 Avis 09-A-21 relatif à la situation de la concurrence sur les marchés des carburants dans les départements d'outre-mer, 24 juin 2009.

* 16 « Outre-mer : dynamiser la concurrence, au service de tous », Autorité de la concurrence, janvier 2011, p. 29.

* 17 Avis 09-A-45 relatif aux mécanismes d'importation et de distribution des produits de grande consommation dans les départements d'outre-mer, 8 septembre 2009.

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