II. LE POIDS DU FINANCEMENT DE L'ALLOCATION PERSONNALISÉE D'AUTONOMIE SUR LES DÉPARTEMENTS OBÈRE AUJOURD'HUI LARGEMENT LEUR CAPACITÉ À CONTINUER DE VERSER CETTE PRESTATION DANS DES CONDITIONS SATISFAISANTES

A. UNE MONTÉE EN CHARGE SOUTENUE, EN GRANDE PARTIE SUPPORTÉE PAR LES SEULS DÉPARTEMENTS

1. Une montée en charge insuffisamment anticipée au moment de la création de l'allocation personnalisée d'autonomie

Dès 2001, Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales sur le projet de loi créant l'Apa, pointait la fragilité des estimations de progression des dépenses et du dispositif de financement envisagé, estimant ce dernier « source de graves menaces pour les finances locales et les finances sociales » 9 ( * ) .

En 2005, la Cour des comptes a souligné que la montée en charge de l'Apa avait été à la fois plus rapide et plus forte que prévu initialement 10 ( * ) . Dès 2003, la prestation a atteint sa cible de bénéficiaires alors que l'étude d'impact annexée au projet de loi anticipait un déploiement progressif sur trois ou quatre années. Cette année-là, l'Apa a touché cinq fois plus de bénéficiaires que la PSD dans sa dernière année d'existence.

Cette situation a conduit à la mise en oeuvre de mesures d'urgence par la loi du 31 mars 2003 11 ( * ) . En premier lieu, le Ffapa a été autorisé à émettre un emprunt de 400 millions d'euros dont l'essentiel du montant est venu renforcer son concours aux départements. En second lieu, les conditions d'octroi de l'Apa ont été modifiées, notamment afin d'augmenter le seuil de ressources mensuelles à partir duquel le bénéficiaire de l'Apa à domicile est soumis à une participation financière. Le plafond de participation au plan d'aide a par ailleurs été porté de 80 % à 90 %. La date d'ouverture des droits à l'Apa à domicile a été reportée à la date de notification de la décision du président du conseil général et non plus à la date de dépôt du dossier de demande complet.

La loi du 30 juin 2004 est venue apporter de nouveaux changements en allouant une partie du produit de la CSA nouvellement créée au financement de l'Apa.

Malgré ces mesures, les dépenses brutes d'Apa ont augmenté de 5,9 % en moyenne annuelle sur la période 2003-2009 tandis que la participation du Ffapa puis de la CNSA à partir de 2004 ne progressait que de 0,9 % en moyenne par an. De ce fait, les dépenses restant à la charge des départements ont augmenté en moyenne de 8,8 % par an entre 2003 et 2009.


L'analyse de la Cour des comptes sur la création de l'Apa

« [...] Au printemps 2002, à l'occasion du débat sur le financement de l'autonomie des personnes âgées, les élus ont réitéré leur hostilité à l'égard de transferts non encadrés qui laissaient apparaître une progression des besoins de financement forte et rapide, tant dans la montée en charge initiale que dans l'évolution ultérieure.

« Ces éléments prospectifs n'ont pas été pris en compte par l'Etat qui a arrêté un plan de financement de la nouvelle prestation (Apa), immédiatement contesté par les collectivités départementales en raison de son niveau jugé insuffisant, de son caractère non évolutif et du risque financier qu'il laissait à leur charge. L'Etat, qui évaluait le coût du nouveau dispositif à 2,4 milliards d'euros en année pleine, a en effet arrêté un financement par tiers : redéploiement du coût de la précédente prestation (PSD), concours de l'Etat dit de solidarité nationale par prélèvement d'une fraction de la CSG à travers un fonds spécifique (fonds de financement de l'allocation personnalisée d'autonomie) pour un montant de 860 millions d'euros, concours équivalent des départements, doublant ainsi leur effort par rapport à la PSD.

« Or la dépense s'est élevée dès la première année et malgré les délais de lancement à 1,8 milliard d'euros, pour dépasser en 2003 la prévision initiale et s'établir à 3,2 milliards d'euros en raison d'une augmentation du nombre des bénéficiaires de 31 %. Le rythme de progression de ces derniers comme du coût des plans d'aide continue d'être rapide : 3,6 milliards d'euros de dépenses en 2004 pour 11 % d'allocataires supplémentaires, pour atteindre en 2007 une dépense globale de 4,5 milliards d'euros. Ces chiffres ne tiennent au demeurant pas compte des dépenses de personnel supplémentaires, estimées en moyenne, pour un département de 600 000 habitants, à une trentaine d'agents.

« Aussi, dès 2001-2002, les conseils généraux dénoncent-ils les conditions financières d'attribution de nouvelles compétences correspondant dans le cas d'espèce à la gestion d'un dispositif national, dont les principaux caractères, généreux et dynamiques, échappent à la décision locale. Ce conflit, fondé d'abord sur une divergence d'appréciation des prévisions de montée en charge et d'estimation du nombre de bénéficiaires potentiels, s'est enraciné dans la durée et est devenu toujours plus aigu à mesure du développement du dispositif et de l'importance des surcoûts budgétaires. »

Cour des comptes, Rapport thématique : « la conduite par l'Etat de la décentralisation », octobre 2009

En 2011, les dépenses d'Apa se sont établies à 5 264 millions d'euros . Elles étaient de 1 855 millions d'euros en 2002, soit un montant quasiment trois fois moindre. Pour les années 2012 et 2013, la direction générale de la cohésion sociale (DGCS) prévoit une augmentation annuelle des dépenses d'Apa de 2 %.

Alors qu'il était de 43 % en 2002 , le taux de couverture des dépenses d'Apa par le Ffapa puis la CNSA est descendu sous la barre des 30 % en 2010 . Remonté à 30,8 % en 2011, il devrait se stabiliser à ce niveau au cours des prochaines années, laissant aux départements une charge nette en augmentation continue. Celle-ci était de 3,6 milliards d'euros en 2011 .

Evolution des dépenses d'Apa depuis 2002

en millions d'euros

2002

2003

2004

2005

2006

2007

Dépenses d'Apa

1 855

3 205

3 591

3 930

4 244

4 555

Concours Ffapa/CNSA

798

1 323

1 339

1 331

1 412

1 513

Taux de couverture Ffapa/CNSA

43,0 %

41,3 %

37,3 %

33,9 %

33,3 %

33,2 %

Charge nette départements

1 058

1 882

2 253

2 599

2 833

3 042

2008

2009

2010

2011

2012 (p)

2013 (p)

Dépenses d'Apa

4 855

5 029

5 183

5 264

5 369

5 476

Concours Ffapa/CNSA

1 599

1 548

1 536

1 622

1 651

1 689

Taux de couverture Ffapa/CNSA

32,9 %

30,8 %

29,6 %

30,8 %

30,8 %

30,8 %

Charge nette départements

3 256

3 481

3 647

3 642

3 718

3 787

Source : Direction générale de la cohésion sociale, réponse au questionnaire
relatif au secteur médico-social en vue de l'examen du PLFSS 2013

Le schéma suivant illustre l'évolution du taux de couverture des dépenses d'Apa par l'Etat depuis 2002 :

Source : Direction générale de la cohésion sociale, réponse au questionnaire
relatif au secteur médico-social en vue de l'examen du PLFSS 2013

En 2009, la Cour des comptes soulignait que, la montée en charge de l'Apa étant loin d'être achevée, les dépenses des départements avaient vocation à rester relativement dynamiques. Elle faisait ainsi la prévision suivante : « la confrontation de telles perspectives avec un mode de financement jugé dès l'origine insatisfaisant, tant en raison de son étiage que de l'absence de ressources adaptées garanties, ne peut qu'être préoccupante. Si l'effort de solidarité nationale devait s'essouffler au moment où les collectivités départementales risquent de connaître une stagnation de leurs recettes, après avoir déjà procédé depuis 2001 à de fortes augmentations fiscales, l'économie d'ensemble de ce dispositif devrait être revue dans une approche plus partenariale qu'actuellement » 12 ( * ) .

Force est de constater que cette prévision s'est en grande partie réalisée. Pendant plusieurs années, les départements ont pu continuer à faire face à la hausse continue de leurs dépenses d'aide sociale grâce à une fiscalité locale relativement dynamique liée en particulier à la progression soutenue du produit des droits de mutation à titre onéreux (DMTO).

Or, ainsi que l'a clairement montré le rapport de Charles Guené sur les propositions de loi relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements 13 ( * ) , la baisse des recettes de DMTO sur la période 2007-2009 a contribué à accentuer l'effet de ciseaux subi par les départements entre l'évolution de leurs charges et celle de leurs ressources et ce, d'autant plus que les DMTO représentaient en 2008 19,9 % de leurs recettes fiscales.

2. La nécessité d'un partage équitable entre départements et solidarité nationale

En première lecture de la loi du 20 juillet 2001, les sénateurs, conscients des risques que pouvait entraîner une montée en charge soutenue de l'Apa, ont adopté un amendement du rapporteur pour avis de la commission des finances, Michel Mercier, prévoyant explicitement un financement à parité de la prestation entre l'Etat et les départements. Cette disposition a cependant été supprimée en cours de lecture à l'Assemblée nationale.

L'idée d'un financement à parité des surcoûts liés à l'introduction de l'Apa n'est donc restée qu'un engagement informel , sans être inscrite explicitement dans la loi. Au final, aucune règle claire ne permet aujourd'hui d'organiser de façon satisfaisante le financement de l'Apa et de répartir équitablement la charge entre l'Etat et les départements.

Ainsi que l'a souligné Pierre Jamet dans son rapport sur la situation financière des départements en 2010, non seulement la règle de parité du financement n'est plus respectée, « mais le taux de prise en charge par la CNSA varie de 7 % à 50 % selon les départements ; les modalités de calcul mélangent compensation et péréquation, la lisibilité et donc la compréhension s'estompent avec le temps » 14 ( * ) . Ce sont donc à la fois le niveau du concours de la CNSA et les modalités de péréquation de celui-ci entre les départements qui posent question. Or un dispositif de péréquation ne peut fonctionner de façon satisfaisante qu'à la condition que le niveau du concours soit suffisant.

3. La jurisprudence du Conseil constitutionnel

Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par les départements de Seine-Saint-Denis et de l'Hérault, le Conseil constitutionnel a jugé en juin 2011 que le mécanisme de compensation financière prévu pour le financement de l'Apa ne portait pas atteinte au principe de libre administration des collectivités territoriales 15 ( * ) .

Les requérants estimaient que les modalités du concours apporté par l'Etat au financement de l'Apa ne permettaient pas, en l'absence de ressources suffisantes, de répondre à l'importance et à l'augmentation des charges liées au versement de cette prestation, et méconnaissaient ainsi les articles 72 et 72-2 de la Constitution.

Les articles 72 et 72-2 de la Constitution

Article 72

[...]

Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus et disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences.

[...]

Article 72-2

Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi.

Elles peuvent recevoir tout ou partie du produit des impositions de toute nature. La loi peut les autoriser à en fixer l'assiette et le taux dans les limites qu'elle détermine.

Les recettes fiscales et les autres ressources propres des collectivités territoriales représentent, pour chaque catégorie de collectivités, une part déterminante de l'ensemble de leurs ressources. La loi organique fixe les conditions dans lesquelles cette règle est mise en oeuvre.

Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice. Toute création ou extension de compétences ayant pour conséquence d'augmenter les dépenses des collectivités territoriales est accompagnée de ressources déterminées par la loi.

La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales.

L'extension de compétences que constitue la création de l'Apa en 2001 étant antérieure à l'introduction de l'article 72-2 de la Constitution par la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, et les modifications introduites par la loi du 30 juin 2004 n'ayant pas constitué une création ou une extension de compétences, le Conseil constitutionnel a estimé que cet article n'était pas utilement invocable à l'appui de la question prioritaire de constitutionnalité.

Se fondant sur une jurisprudence antérieure à la révision de 2003, il a donc examiné la conformité des dispositions contestées à l'article 72 de la Constitution afin d'apprécier si la compensation financière n'était pas inconstitutionnelle du fait d'une évolution démesurée des charges non compensées.

Si le Conseil constitutionnel a jugé en l'espèce que le mécanisme de compensation financière de l'Apa était conforme au principe de libre administration des collectivités territoriales, il a cependant émis deux réserves d'interprétation :

- en premier lieu, « il appartient au pouvoir réglementaire de fixer ce pourcentage [le rapport entre les dépenses au titre de l'Apa et le potentiel fiscal du département] à un niveau qui permette, compte tenu de l'ensemble des ressources des départements, que la libre administration des collectivités territoriales ne soit pas entravée » ;

- en second lieu « si l'augmentation des charges nettes faisait obstacle à la réalisation de la garantie prévue à l'article L. 14-10-6 du code de l'action sociale et des familles, il appartiendrait aux pouvoirs publics de prendre les mesures correctrices appropriées ».

Aux yeux de votre rapporteur, ces réserves d'interprétation ouvrent la voie à une prise de responsabilité de la part des pouvoirs publics, en particulier du législateur, pour mettre en oeuvre les mesures nécessaires à un financement équitablement réparti de l'Apa.


* 9 Rapport n° 315 (2000-2001) fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie par M. Alain Vasselle, sénateur.

* 10 Cour des comptes, rapport thématique : « les personnes âgées dépendantes », novembre 2005.

* 11 Loi n° 2003-289 du 31 mars 2003 portant modification de la loi n° 2001-647 du 20 juillet 2001 relative à la prise en charge de la perte d'autonomie des personnes âgées et à l'allocation personnalisée d'autonomie.

* 12 Cour des comptes, rapport thématique : « La conduite par l'Etat de la décentralisation », octobre 2009.

* 13 Rapport n° 138 (2010-2011) fait au nom de la commission des finances sur trois propositions de loi relatives à la compensation des allocations individuelles de solidarité versées par les départements, par M. Charles Guené, sénateur.

* 14 Pierre Jamet, rapport à M. le Premier ministre sur les finances départementales, 20 avril 2010.

* 15 Décision n° 2011-143 QPC du 30 juin 2011.

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