B. ...QUI PERMET CEPENDANT UN PROGRÈS VERS UNE CONCURRENCE PLUS ÉQUITABLE

1. La mise en place d'un régime d'ouverture conditionnelle

Comme on l'a indiqué plus haut, les marchés publics non couverts par des accords internationaux n'étaient jusqu'à présent pas visés de manière spécifique dans le droit européen, sinon à travers les dispositions parcellaires des articles 58 et 59 de la directive 2004/17/CE. La nouvelle proposition de règlement remédie à cette lacune en permettant de distinguer :

- d'un côté, les produits et services étrangers qui sont traités comme ceux des États membres (désignés par l'expression : « produits et services couverts »). Ce sont ceux qui proviennent de pays bénéficiant d'engagements de l'UE en matière d'accès au marché ou qui sont originaires des pays les moins développés ;

- de l'autre, les « produits et services non couverts », qui pourront faire l'objet de mesure permettant de rétablir la symétrie des engagements en utilisant trois procédures, présentées ci-dessous.

L'instrument ainsi créé est, il faut le souligner, un instrument global dans la mesure où il s'applique aux marchés publics de fournitures, de travaux et de services, quel que soit le secteur .

a) Un mécanisme d'exclusion ponctuelle à l'initiative des entités adjudicatrices

Les articles 5 et 6 de la proposition de règlement disposent que, à la demande des pouvoirs adjudicateurs, la Commission peut approuver l'exclusion des offres dans lesquelles la valeur des produits et services non couverts par des engagements internationaux représente plus de 50 % de la valeur totale des produits et services inclus dans l'offre .

La procédure prévue est très encadrée :

- le pouvoir adjudicateur doit avoir informé les soumissionnaires potentiels, via l'appel d'offre, de son intention d'exclure les offres comportant plus de 50% de produits ou services non couverts ;

- il doit ensuite notifier à la Commission sa volonté d'exclusion au moment de la réception des offres ;

- la Commission donne enfin son approbation dans un délai de deux mois si elle estime qu'en termes d'ouverture du marché, il existe un manque substantiel de réciprocité entre l'UE et le pays dont les produits et services sont originaires . Elle peut aussi approuver l'exclusion lorsque les produits et services concernés tombent sous le coup d'une réserve exprimée par l'UE dans le cadre d'un accord international concernant l'accès au marché.

UNE NOTION NOUVELLE : L'ABSENCE DE RÉCIPROCITÉ SUBSTANTIELLE

Aux termes de l'article 6, l'absence de réciprocité substantielle est présumée lorsque les mesures restrictives en matière de passation de marchés se traduisent par des discriminations graves et persistantes à l'égard des opérateurs économiques, des produits et des services de l'Union. Afin de déterminer s'il existe une absence de réciprocité substantielle, la Commission évalue :

(a) dans quelle mesure les lois en matière de marchés publics du pays concerné garantissent la transparence, conformément aux normes internationales relatives aux marchés publics, et préviennent toute discrimination à l'égard des opérateurs économiques, des produits et des services de l'Union;

(b) dans quelle mesure les pouvoirs publics et les entités adjudicatrices à titre individuel appliquent ou adoptent des pratiques discriminatoires à l'égard des opérateurs économiques, des produits et des services de l'Union.

On voit que le mécanisme d'exclusion ainsi proposé reprend la logique de l'actuel article 58 de la directive 2004/17/CE avec une double adaptation : d'un côté, le champ d'application du mécanisme est fortement étendu ; de l'autre, le rôle de la Commission est renforcé (notification à la Commission, qui décide).

b) Un mécanisme d'exclusion général

L'article 8 confère à la Commission un pouvoir d'enquête sur l'accès des entreprises de l'UE aux marchés publics de pays tiers 4 ( * ) . Par auto saisine, à la demande d'un État membre ou à la demande des parties dites intéressées 5 ( * ) , la Commission peut décider d'ouvrir une enquête dès lors du moins qu'elle estime qu'une telle action va dans le sens des intérêts de l'Union .

Aux termes de l'article 9, lorsqu'il est établi, à la suite de cette enquête, qu'un pays tiers applique des mesures restrictives en matière de passation de marchés, et si elle estime que l'intérêt de l'Union le justifie , la Commission invite ce pays à engager une concertation en vue de trouver une solution au problème .

Si l'État concerné refuse la concertation ou si, quinze mois après son début, la concertation ne donne pas de résultats satisfaisants, la Commission peut adopter des actes d'exécution pour limiter provisoirement l'accès de produits et de services non couverts provenant du pays tiers. Ces mesures de rétorsion peuvent consister en :

- l'exclusion des offres en provenance des entreprises de ce pays, autrement dit en une interdiction de soumissionner les appels d'offre ;

- une pénalité de prix obligatoire.

c) Un mécanisme pour encadrer les offres anormalement basses

Lorsqu'un pouvoir adjudicateur prévoit d'accepter, après avoir vérifié les explications du soumissionnaire, une offre anormalement basse comprenant des produits ou services ne provenant pas de l'Union, il en informe les autres soumissionnaires par écrit en expliquant pourquoi le prix ou les coûts proposés sont anormalement bas.

Cette disposition peut sembler peu contraignante, cependant elle soumet la personne accordant le marché public à une obligation de transparence et de motivation de sa décision, qui pourra être retenue contre elle en cas de contestation de la régularité du marché public par les entreprises évincées.

2. Un outil au service de la diplomatie économique de l'Union européenne

Cette proposition de règlement a été conçue non pas comme un outil administratif de contrôle et d'exclusion de l'accès des entreprises des pays tiers aux marchés publics de l'Union, mais comme un outil diplomatique destiné à faire pression sur les partenaires commerciaux pour les inciter à ouvrir leurs marchés publics . Sont ciblés tout particulièrement les pays très nombreux, notamment les grands émergents, qui n'ont pas signé d'accords en matière d'ouverture des marchés publics.

Conformément à sa compétence exclusive en matière de politique commerciale extérieure, la Commission disposera de l'entière maîtrise des procédures de rétorsion créées et sera seule juge de l'opportunité de les mettre en oeuvre. La répétition à plusieurs reprises de la formule « dès lors qu'elle estime qu'une telle action va dans le sens des intérêts de l'Union » indique clairement qu'il n'y a pas d'automaticité des sanctions. Celles-ci sont un levier pour peser dans le rapport de forces des négociations commerciales internationales.

Par la souplesse qu'elle autorise dans la mise en oeuvre des mesures de rétorsion à l'égard des partenaires commerciaux non coopératifs, cette proposition de règlement est de nature à rassurer les pays, comme l'Allemagne, qui craignent que l'exigence d'ouverture réciproque des marchés publics ne soit à l'origine d'une guerre commerciale pénalisant le commerce extérieur européen. En même temps, cette souplesse porte en elle un risque : celui que l'application des mécanismes instaurés se fasse de manière édulcorée, sinon pusillanime, par la Commission.

Finalement, en tant qu'outil de pression diplomatique, ce règlement aura une portée qui dépendra uniquement de la volonté politique de l'Union européenne de mettre effectivement en oeuvre ses potentialités.


* 4 Sont visés les pays tiers non signataires d'accords d'ouverture des marchés publics, mais aussi les pays signataires qui ne respecteraient pas leurs accords.

* 5 L'expression désigne les sociétés des États membres directement concernées par la production de produits ou la fourniture de services faisant l'objet de mesures de pays tiers restreignant l'accès aux marchés publics.

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