II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE EXTENSION DE LA COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES JUSTIFIÉE PAR LA GRAVITÉ DES INFRACTIONS PRÉVUES PAR LE STATUT DE ROME

Constituée d'un article unique, la proposition de loi propose de supprimer les quatre « verrous » à la compétence des juridictions françaises pour connaître des infractions prévues par le Statut de Rome, posés par le législateur en 2010, à savoir :

- l'exigence de résidence habituelle sur le territoire français ;

- la double incrimination ;

- l'inversion du principe de complémentarité entre les juridictions nationales et la Cour pénale internationale ;

- le monopole des poursuites par le parquet.

Ces quatre conditions ont en effet suscité, à juste titre, de sérieuses critiques de la part des observateurs.

Comme le rappelait notre ancien collègue Robert Badinter, en juin 2008, lors des débats au Sénat sur la loi du 9 août 2010 : « pour certains crimes qualifiés d'« internationaux » dont la gravité est si évidente qu'elle alerte les consciences et mobilise la communauté internationale, la position du législateur français a toujours été constante (...) : si l'auteur présumé se trouve sur le territoire français, alors il y a compétence de la justice française.

« Ce n'est que l'expression d'un devoir majeur pour une société comme la nôtre qui rappelle toujours son attachement aux droits de l'Homme et sa volonté de ne pas laisser les pires crimes impunis, je veux dire : le devoir de juger [...] ».

La compétence des juridictions françaises pour connaître de ces crimes serait ainsi alignée sur les conditions dans lesquelles ces dernières sont compétentes pour la mise en oeuvre d'une convention internationale, en application des articles 689-1 et suivants du code de procédure pénale (voir supra ). Serait ainsi instaurée, sous réserve de la simple présence du suspect sur le territoire de la République, une compétence universelle des tribunaux français pour juger les crimes contre l'humanité, des crimes de génocide et des crimes de guerre commis à l'étranger.

Ces dispositions de procédure pénale seraient applicables dès la promulgation de la loi aux affaires en cours.

A. LA SUPPRESSION DE L'EXIGENCE DE RÉSIDENCE HABITUELLE SUR LE TERRITOIRE NATIONAL

En l'état du droit, l'article 689-11 du code de procédure pénale ne permet de poursuivre que les étrangers qui « résident habituellement sur le territoire français ».

Comme l'ont observé la plupart des personnes entendues par votre rapporteur, cette condition déroge au droit commun, est assez difficile à cerner et n'est pas cohérente avec les engagements de la France en matière de répression des crimes les plus graves.

En effet, les articles 689-1 et suivants du code de procédure pénale, relatifs à la mise en oeuvre de conventions internationales, exigent que l'intéressé « se trouve en France ». Tel est également le cas des personnes susceptibles d'être déférées devant les juridictions françaises pour les faits commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda (article 2 de la loi n°95-1 du 2 janvier 1995).

Cette notion de « résidence habituelle » est en outre, de l'avis des magistrats entendus par votre rapporteur, difficile à manier. En l'état du droit, elle est prévue par les dispositions autorisant la compétence des juridictions françaises pour juger des faits de « tourisme sexuel » et de terrorisme commis à l'étranger (articles 222-22, 225-11-2, 227-27-1 et 113-13 du code pénal). Doit-on penser par exemple, comme s'interrogeait notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat lors de l'examen de la loi du 9 août 2010, qu'elle ne viserait que les criminels auxquels la France aurait délivré un titre de séjour 22 ( * ) ?

A l'inverse, l'utilisation des termes « se trouve en France » fait l'objet d'une jurisprudence établie. La chambre criminelle n'exige pas que le suspect soit arrêté, mais que des indices de sa présence soient démontrés pour permettre le déclenchement de l'action publique. La charge de la preuve de cette condition pèse sur les demandeurs à l'instance 23 ( * ) . En cas de pluralité de suspects, la présence en France d'au moins l'un d'entre eux suffit. Enfin, cette notion doit être appréciée au moment de l'engagement des poursuites 24 ( * ) .

Comme l'ont observé les représentants de l'Union syndicale des magistrats, cette notion paraît peu susceptible de s'appliquer dans l'hypothèse d'une présence de quelques heures du suspect sur le territoire national. En effet, l'interpellation de ce dernier ne saurait intervenir qu'après la délivrance d'un titre émanant soit du procureur de la République, soit d'un juge d'instruction.

L'ensemble des personnes entendues ont salué l'alignement sur le droit commun proposé par la présente proposition de loi sur ce point. La différence de traitement entre, d'une part, les conditions de poursuite des crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide prévus par la convention de Rome, et, d'autre part, ces mêmes faits lorsqu'ils ont été commis en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, ou encore les faits de torture et d'actes de barbarie réprimés sur le fondement de la convention de New York de 1984, paraît difficilement justifiable.

Comme l'ont observé les représentants de la coalition française pour la Cour pénale internationale, alors qu'un individu suspecté du crime de torture peut être arrêté et poursuivi à l'occasion de son passage en France, le suspect de génocide ou de crime contre l'humanité pourrait, lui, circuler librement sur notre territoire tant qu'il ne s'y installe pas durablement. Appliquer la condition de « résidence habituelle » reviendrait à mieux traiter le responsable de la vague de tortures et d'assassinats constitutifs de crimes contre l'humanité, que l'exécutant.


* 22 Voir le compte-rendu intégral des débats au Sénat, séance du 10 juin 2008. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/cra/s20080610/s20080610.pdf

* 23 Cass. Crim., 26 mars 1996.

* 24 Cass. Crim., 10 janvier 2007.

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