Rapport n° 353 (2012-2013) de M. Alain ANZIANI , fait au nom de la commission des lois, déposé le 13 février 2013

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N° 353

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 février 2013

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi de M. Jean-Pierre SUEUR et plusieurs de ses collègues tendant à modifier l'article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale ,

Par M. Alain ANZIANI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Sueur , président ; MM. Jean-Pierre Michel, Patrice Gélard, Mme Catherine Tasca, M. Bernard Saugey, Mme Esther Benbassa, MM. François Pillet, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Nicolas Alfonsi, Mlle Sophie Joissains , vice-présidents ; Mme Nicole Bonnefoy, MM. Christian Cointat, Christophe-André Frassa, Mme Virginie Klès , secrétaires ; MM. Alain Anziani, Philippe Bas, Christophe Béchu, François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Cécile Cukierman, MM. Michel Delebarre, Félix Desplan, Christian Favier, Louis-Constant Fleming, René Garrec, Gaëtan Gorce, Mme Jacqueline Gourault, MM. Jean-Jacques Hyest, Philippe Kaltenbach, Jean-René Lecerf, Jean-Yves Leconte, Antoine Lefèvre, Mme Hélène Lipietz, MM. Roger Madec, Jean Louis Masson, Michel Mercier, Jacques Mézard, Thani Mohamed Soilihi, Hugues Portelli, André Reichardt, Alain Richard, Simon Sutour, Mme Catherine Troendle, MM. René Vandierendonck, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir le(s) numéro(s) :

Sénat :

753 (2011-2012) et 354 (2012-2013)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

La commission des lois, réunie le mercredi 13 février 2013 sous la présidence de M. Jean-Pierre Sueur, président, a examiné le rapport de M. Alain Anziani et établi le texte présenté par la commission sur la proposition de loi n° 753 (2011-2012) de M. Jean-Pierre Sueur et plusieurs de ses collègues, tendant à modifier l'article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale.

Le droit actuel, issu de la loi du 9 août 2010, permet certes au juge français de connaître de crimes contre l'humanité, de crimes de génocide et de crimes de guerre commis à l'étranger, mais sous quatre conditions excessivement restrictives (résidence habituelle de l'auteur sur le territoire français, existence d'une double incrimination, déclinaison expresse de sa compétence par la Cour pénale internationale et monopole du parquet pour l'engagement des poursuites).

La proposition de loi vise à supprimer ces quatre conditions pour permettre plus largement aux tribunaux français de connaître des crimes internationaux les plus graves . Son objectif est de permettre à la justice française de travailler de façon complémentaire avec la Cour pénale internationale , comme le prévoit le traité de Rome de juillet 1998.

Souscrivant sans réserve à cet objectif, la commission des lois, sur proposition de son rapporteur, a apporté deux modifications au texte initial de la proposition de loi :

- d'une part, considérant que les exigences de l'impunité n'admettaient pas d'exceptions, elle en a étendu le champ à l'ensemble des auteurs de crimes contre l'humanité, crimes de génocide et crimes et délits de guerre, y compris lorsque les intéressés ne sont pas susceptibles de relever de la Cour pénale internationale au motif, par exemple, qu'ils ne seraient pas ressortissants d'un État signataire du traité de Rome ;

- d'autre part, à la lumière des expériences de plusieurs États européens et notamment de la Belgique, elle a encadré les conditions de saisine des juridictions françaises en prévoyant que, sauf lorsque la personne fait déjà l'objet de poursuites de la part de la Cour pénale internationale ou d'un autre État compétent, les poursuites ne pourront être engagées qu'à la demande du procureur de la République.

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi rédigée.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Face aux crimes odieux dont la communauté internationale a trop souvent été le témoin impuissant, la création d'une juridiction pénale internationale permanente constitue une victoire importante pour tous les défenseurs des droits de l'homme. Désormais, les auteurs de crimes portant atteinte à l'humanité ne peuvent échapper à leur responsabilité en trouvant refuge dans quelque territoire trop bienveillant.

Dès l'origine, la France a soutenu sans réserve la création d'une telle juridiction. Installée à La Haye, la Cour pénale internationale est compétente, depuis le 1 er juillet 2002, pour poursuivre et juger les auteurs de crimes contre l'humanité, de génocide et de crimes de guerre.

Notre pays s'est progressivement doté des instruments juridiques nécessaires pour appliquer la convention de Rome du 17 juillet 1998 et contribuer au bon fonctionnement de la Cour pénale internationale. En particulier, il a donné compétence au juge français pour intervenir de façon complémentaire à la Cour.

La proposition de loi de notre collègue Jean-Pierre Sueur et de plusieurs de nos collègues, déposée sur le Bureau du Sénat le 6 septembre 2012, a pour objet d'élargir cette compétence en modifiant l'article 689-11 du code de procédure pénale relatif à la compétence territoriale du juge français concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale, et ainsi de permettre plus facilement aux tribunaux français de poursuivre et de juger les auteurs de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de génocide commis à l'étranger.

*

La ratification du Statut de Rome nécessitait une révision constitutionnelle 1 ( * ) . La loi constitutionnelle n°99-569 du 8 juillet 1999 a ainsi inséré dans la Constitution un nouvel article 53-2 disposant que « la République peut reconnaître la juridiction de la Cour pénale internationale dans les conditions prévues par le traité signé le 18 juillet 1998 ». Puis, la loi n°2002-268 du 26 février 2002 a ajouté dans le code de procédure pénale les dispositions permettant aux autorités judiciaires françaises de coopérer pleinement avec la Cour pénale internationale (définition des modalités de l'entraide judiciaire, conditions d'exécution des demandes d'arrestation et de remise, modalités d'exécution des peines et des mesures de réparation, etc.). Enfin, la loi n°2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale a complété notre code pénal afin de rapprocher la définition de certains crimes prévus par le code pénal des termes retenus par la convention de Rome.

Cette dernière loi a par ailleurs, à l'initiative du Sénat, élargi la compétence des juridictions françaises pour connaître des faits prévus par le statut de Rome. Elle n'a toutefois pas institué, pour ces infractions, une véritable compétence universelle . Aux termes de l'article 689-11 du code de procédure pénale, introduit par cette loi, les juridictions françaises peuvent certes poursuivre et juger une personne suspectée d'avoir commis à l'étranger un crime relevant de la compétence de la Cour pénale internationale, mais sous la réserve de quatre conditions cumulatives :

- la personne suspectée doit « résider habituellement sur le territoire de la République » ;

- les faits doivent être punis par la législation de l'État où ils ont été commis (principe dit de la « double incrimination »), avoir été commis dans un État partie à la convention de Rome, ou avoir été commis par le ressortissant d'un État partie à la convention de Rome ;

- la poursuite de ces crimes ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public, ce qui exclut la mise en mouvement de l'action publique par le mécanisme de la plainte avec constitution de partie civile ;

- enfin, la Cour pénale internationale doit avoir expressément décliné sa compétence, aucune autre juridiction internationale compétente ne doit avoir demandé la remise de l'intéressé et aucun autre État ne doit avoir demandé son extradition.

Ce sont ces quatre conditions, jugées excessivement restrictives par de nombreux observateurs, que la proposition de loi propose de supprimer.

En élargissant les conditions dans lesquelles les juridictions françaises peuvent avoir à connaître des crimes prévus par la convention de Rome de 1998, ce texte est fidèle aux principes qui ont présidé à l'adoption de cette convention et à l'instauration d'une cour pénale internationale permanente. En vertu du principe de complémentarité, la mise en oeuvre du Statut de Rome repose en effet sur le principe de responsabilité première des nations pour punir les crimes internationaux - la Cour pénale internationale n'étant appelée qu'à intervenir de façon subsidiaire.

Il est également fidèle à l'engagement ancien de la France en faveur de la lutte contre l'impunité.

C'est pourquoi, tout en encadrant les conditions dans lesquelles les juridictions françaises pourraient être saisies, votre commission des lois a adopté cette proposition de loi après lui avoir apporté quelques modifications destinées notamment à en étendre le champ d'application.

* *

*

I. UNE ADAPTATION ENCORE IMPARFAITE DES RÈGLES DE COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES POUR LES CRIMES INTERNATIONAUX LES PLUS GRAVES

Par exception aux règles générales de compétence, le droit français permet aux juridictions françaises de poursuivre et de juger les auteurs étrangers de certains crimes et délits particulièrement graves commis en-dehors du territoire de la République. Toutefois, les conditions restrictives apportées à la compétence des tribunaux français pour connaître des crimes prévus par le Statut de Rome invitent à s'interroger sur la conformité de notre droit aux grands principes qui ont présidé à l'adoption de cette convention internationale.

A. LA COMPÉTENCE EXTRATERRITORIALE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES : L'ÉTAT DU DROIT

1. Une compétence déterminée par le principe de souveraineté nationale

Conformément au principe de la territorialité de la loi pénale , lié à la notion de souveraineté nationale et posé dès l'Empire par le code civil dont l'article 3 dispose que « les lois de police et de sûreté obligent tous ceux qui habitent sur le territoire », l'article 113-2 du code pénal prévoit que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises sur le territoire de la République ». La notion de « territoire de la République » inclut les espaces maritime et aérien qui lui sont liés 2 ( * ) .

En application de ce principe, toutes les infractions commises sur le territoire français relèvent de la loi pénale française, quelle que soit la nationalité des auteurs ou des victimes. Peu importe, en outre, que la personne ait été jugée à l'étranger pour de mêmes faits - la règle non bis in idem 3 ( * ) étant écartée dans l'hypothèse où l'infraction a été commise sur le territoire national 4 ( * ) .

Le législateur a entendu largement le principe de territorialité. D'une part, l'article 113-2 du code pénal prévoit que « l'infraction est réputée avoir été commise [sur le territoire de la République] dès lors qu'un de ses faits constitutifs a eu lieu sur ce territoire ». D'autre part, l'article 113-5 du même code dispose, quant à lui, que « la loi pénale française est applicable à quiconque s'est rendu coupable sur le territoire de la République, comme complice, d'un crime ou d'un délit commis à l'étranger si le crime ou le délit est puni à la fois par la loi française et par la loi étrangère et s'il a été constaté par une décision définitive de la juridiction étrangère ». Ces dispositions font, en outre, l'objet d'une interprétation extensive de la jurisprudence 5 ( * ) .

La nécessité de protéger les ressortissants français ou de lutter contre certaines infractions particulièrement graves portant atteinte aux intérêts de notre pays a par ailleurs conduit le législateur à reconnaître la compétence des juridictions françaises pour connaître d'infractions commises à l'étranger dans un nombre croissant d'hypothèses.

Il en est ainsi dans deux hypothèses :

- lorsque des crimes ou des délits sont commis à l'étranger par des Français , à condition, s'agissant des délits, que les faits soient également punis par la législation du pays où ils ont été commis (article 113-6 du code pénal). Ces dispositions trouvent leur justification essentielle dans le fait que, sauf exceptions, la France n'extrade pas ses nationaux 6 ( * ) ;

- lorsque la victime est de nationalité française au moment de l'infraction (article 113-7 du code pénal).

Dans ces deux hypothèses, la poursuite des délits ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public . Elle doit être précédée d'une plainte de la victime ou de ses ayants droit, ou d'une dénonciation officielle par l'autorité du pays où les faits ont été commis. En outre, conformément au principe non bis in idem , aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite.

Ces conditions ont toutefois été assouplies pour permettre de poursuivre et de punir plus facilement les faits de « tourisme sexuel » et d'autres infractions sexuelles commises sur des mineurs à l'étranger 7 ( * ) . En particulier, les juridictions françaises sont compétentes pour connaître de tels faits non seulement lorsqu'ils ont été commis par un Français, mais également lorsqu'ils ont été commis par un étranger résidant habituellement sur le territoire français. Récemment, la loi n°2012-1432 du 21 décembre 2012 relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme a prévu que la loi pénale s'appliquerait également, sans condition préalable, aux crimes et délits qualifiés d'actes de terrorisme commis à l'étranger par un Français ou par une personne résidant habituellement sur le territoire français.

Des assouplissements similaires ont été apportés au regard de la nécessité de protéger des fillettes menacées d'excision : aux termes de l'article 222-16-2 du code pénal, la loi pénale est applicable lorsque de tels faits ont été commis à l'étranger sur une victime mineure résidant habituellement sur le territoire français, sans qu'une plainte préalable de la victime ou une dénonciation de l'État étranger ne soit requise.

Enfin, afin de permettre la répression de certaines infractions commises à l'étranger portant gravement atteinte aux intérêts de la France , le législateur a prévu que la loi pénale française serait applicable, sans restrictions, quelle que soit la nationalité de l'auteur, aux crimes et délits qualifiés d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation et réprimés par le titre I er du livre IV du code pénal (trahison, espionnage, atteintes au secret de la défense nationale, etc.), à la falsification et à la contrefaçon du sceau de l'État, de pièces de monnaie, de billets de banque ou d'effets publics, ainsi qu'à tout crime ou délit commis contre les agents ou les locaux diplomatiques ou consulaires français, commis hors du territoire de la République (article 113-10 du code pénal).

On rappellera, enfin, qu'en vertu du principe de solidarité des compétences législative et juridictionnelle , qui découle d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation, la reconnaissance de la compétence des juridictions françaises emporte automatiquement application de la loi française à la poursuite et au jugement des affaires concernées.

2. Une compétence quasi-universelle reconnue dans certaines hypothèses liées à la coopération judiciaire internationale

Le dispositif précité, très complet, est toutefois apparu insuffisant, au-delà de la seule protection des intérêts de la France et de ses ressortissants, pour répondre aux enjeux posés par l'essor de la coopération judiciaire entre les nations et par l'émergence d'une justice pénale internationale. Peu à peu en effet, au cours du XX ème siècle, les États ont pris conscience qu'au-delà de leurs intérêts particuliers, certains crimes particulièrement choquants pour la conscience humaine ne pouvaient et ne devaient demeurer impunis.

Ces exigences se sont traduites, d'une part, par la reconnaissance par certains États d'une compétence dite « universelle » à leurs juridictions pour connaître de certaines infractions, d'autre part, par l'institution de juridictions pénales internationales dont le bon fonctionnement est directement subordonné à la coopération des États.

* L'extension progressive des cas de compétence universelle des juridictions françaises

La compétence universelle consiste à « permettre aux juridictions d'un État de se déclarer compétentes pour poursuivre et juger un étranger pour un crime grave commis à l'étranger contre un étranger, sans aucun critère de rattachement direct avec ce crime, à savoir le lieu de commission de l'infraction et la nationalité du suspect et de la victime. L'objectif de la compétence universelle consiste à assurer une répression efficace des infractions les plus graves au droit international et aux droits de l'homme » 8 ( * ) .

Dès lors que les faits n'entrent pas dans le champ des compétences reconnues des juridictions françaises (voir supra ), cette compétence ne peut résulter que d'une convention internationale . L'article 689 du code de procédure pénale prévoit que « les auteurs ou complices d'infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du livre 1 er du code pénal ou d'un autre texte législatif, la loi française est applicable, soit lorsqu'une convention internationale ou un acte pris en application du traité instituant les Communautés européennes donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l'infraction ». En d'autres termes, les juridictions françaises peuvent connaître d'une infraction commise par un étranger hors du territoire de la République à l'encontre d'une victime étrangère si, d'une part, une convention internationale engage la France et si, d'autre part, un texte national a prévu la mise en oeuvre de cette compétence universelle.

Le code de procédure pénale prévoit cette compétence universelle des juridictions françaises pour l'application de dix conventions internationales , dont la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants , adoptée à New York le 10 décembre 1984 (article 689-2 du code de procédure pénale).

Les hypothèses de compétence universelle des juridictions françaises

Le code de procédure pénale donne compétence aux juridictions françaises pour poursuivre et juger les faits commis à l'étranger par une personne étrangère sur des victimes étrangères lorsqu'ils sont prévus par :

- la convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, adoptée à New York le 10 décembre 1984 (article 689-2 du code de procédure pénale).

- la convention européenne pour la répression du terrorisme, signée à Strasbourg le 27 janvier 1977 et l'accord entre les États membres des Communautés européennes concernant l'application de la convention européenne pour la répression du terrorisme, fait à Dublin le 4 décembre 1979 (article 689-3 du code de procédure pénale) ;

- la convention sur la protection physique des matières nucléaires, ouverte à la signature à Vienne et New York le 3 mars 1980 (article 689-4 du code de procédure pénale) ;

- la convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et le protocole pour la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, faits à Rome le 10 mars 1988 (article 689-5 du code de procédure pénale) ;

- la convention sur la répression de la capture illicite d'aéronefs, signée à La Haye le 16 décembre 1970 et la convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, signée à Montréal le 23 septembre 1971 (article 689-6 du code de procédure pénale) ;

- le protocole pour la répression des actes illicites de violence dans les aéroports servant à l'aviation civile internationale, fait à Montréal le 24 février 1988, complémentaire à la convention pour la répression d'actes illicites dirigés contre la sécurité de l'aviation civile, faite à Montréal le 23 septembre 1971 (article 689-7 du code de procédure pénale) ;

- le protocole à la convention relative à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes fait à Dublin le 27 septembre 1996 et la convention relative à la lutte contre la corruption impliquant des fonctionnaires des Communautés européennes ou des fonctionnaires des États membres de l'Union européenne, faite à Bruxelles le 26 mai 1997 (article 689-8 du code de procédure pénale) ;

- la convention internationale pour la répression des attentats terroristes, ouverte à la signature à New York le 12 janvier 1998 (article 689-9 du code de procédure pénale) ;

- la convention internationale pour la répression du financement du terrorisme, ouverte à la signature à New York le 10 janvier 2000 (article 689-10 du code de procédure pénale) ;

- enfin, le règlement (CE) n°561 / 2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 relatif à l'harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route (article 689-12 du code de procédure pénale).

La mise en oeuvre de ces dispositions est subordonnée à une condition, posée par l'article 689-1 du code de procédure pénale : une personne suspectée d'avoir commis l'une des infractions visées par ces dispositions en dehors du territoire de la République ne peut être poursuivie et jugée par les juridictions françaises que si elle se trouve en France . Cette restriction exclut donc la procédure par défaut 9 ( * ) . Elle conduit également, en l'absence d'indice laissant penser que la ou les personnes soupçonnées se trouvent en France, à l'impossibilité des poursuites 10 ( * ) . On parle alors de compétence « quasi-universelle ».

En outre, conformément au principe non bis in idem , aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant qu'elle a été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite (article 692 du code de procédure pénale).

En revanche, aucune plainte ou dénonciation préalable n'est requise. Ces dispositions n'imposent pas non plus l'existence d'une double incrimination pour la poursuite et le jugement des faits visés.

Sauf règle particulière, la juridiction compétente pour connaître des faits est :

- soit celle du lieu où réside le prévenu, celle de sa dernière résidence connue, celle du lieu où il est trouvé, celle de la résidence de la victime, ou, si l'infraction a été commise à bord ou à l'encontre d'un aéronef, ou que les victimes de l'infraction ont été les personnes se trouvant à bord d'un aéronef, celle du lieu de décollage, de destination ou d'atterrissage de celui-ci ;

- soit la juridiction de Paris (article 693 du code de procédure pénale).

C'est sur le fondement de ces dispositions qu'une personne de nationalité mauritanienne, découverte en France, a pu être renvoyée devant une cour d'assises française pour être jugée pour actes de tortures et actes de barbarie commis en 1990 et 1991 sur des victimes mauritaniennes 11 ( * ) .

* Une compétence universelle qui découle également de l'exigence de coopération avec les tribunaux pénaux internationaux

Après l'expérience des tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, les tensions géopolitiques de l'après-guerre ont mis en sommeil pendant plusieurs décennies les espoirs de mise en place d'une justice pénale internationale destinée à punir les auteurs de crimes les plus odieux.

Le contexte né de l'effondrement du bloc soviétique a permis d'avancer à nouveau sur ce sujet. Par deux résolutions datées respectivement du 25 mai 1993 et du 8 novembre 1994, le conseil de sécurité de l'ONU a décidé la création de juridictions pénales ad hoc pour le jugement des crimes commis, d'une part, dans l'ex-Yougoslavie (tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie - TPIY) et, d'autre part, au Rwanda (tribunal pénal international pour le Rwanda - TPIR).

Les lois n°95-1 du 2 janvier 1995 et n°96-432 du 1996 ont défini les modalités de coopération entre les autorités judiciaires françaises et ces juridictions internationales, ainsi que l'articulation entre ces juridictions et les tribunaux français, pour le jugement des personnes présumées responsables d'infractions graves aux conventions de Genève de 1949, de violations des lois ou coutumes de la guerre, de génocide ou de crimes contre l'humanité commis dans ces deux pays.

Elles ont ainsi prévu que les auteurs ou complices de ces infractions pourraient être poursuivis et jugés par les juridictions françaises « s'ils sont trouvés en France » . Par ailleurs, elles précisent que « toute personne qui se prétend lésée par l'une de ces infractions peut, en portant plainte, se constituer partie civile dans les conditions prévues par les articles 85 et suivants du code de procédure pénale, dès lors que les juridictions françaises sont compétentes ».

Toutefois, elles prévoient que le tribunal international (TPIY ou TPIR), qui doit être informé de toute procédure en cours portant sur des faits qui pourraient relever de sa compétence, peut , le cas échéant, demander le dessaisissement des juridictions françaises d'instruction ou de jugement à son profit .

S'agissant des faits visés par les résolutions du conseil de sécurité de l'ONU n°827 et 955, les juridictions françaises disposent donc, sous réserve de l'exercice de sa compétence par la juridiction pénale internationale ad hoc , d'une compétence quasi-universelle, soumise à la seule condition de présence du suspect sur le territoire de la République.

La situation est différente s'agissant de la poursuite et du jugement des crimes prévus par la convention de Rome de 1998.

3. Un obstacle constant à la compétence des juridictions nationales : le régime des immunités diplomatiques

En toute hypothèse, l'immunité dont bénéficient les agents diplomatiques et leur famille fait obstacle au déclenchement des poursuites à l'encontre d'un étranger qui aurait commis une infraction en France ou à l'étranger. Les agents diplomatiques, le personnel administratif et technique d'une ambassade et leurs familles bénéficient d'une immunité complète. Ils ne peuvent donc être ni poursuivis, ni arrêtés, ni jugés, ni détenus 12 ( * ) . A fortiori , les chefs d'État étrangers en exercice en bénéficient.

Issues du droit coutumier international et réglementées par les conventions de Vienne sur les relations diplomatiques de 1961 et 1963, ces immunités s'imposent au législateur qui ne peut y déroger conformément à l'article 55 de la Constitution 13 ( * ) .

La question s'est notamment posée il y a une dizaine d'années, lorsqu'une plainte avec constitution de partie civile a été déposée à l'encontre du colonel Kadhafi pour sa responsabilité dans l'attentat commis contre un avion de ligne DC 10 de la compagnie UTA en septembre 1989. Dans un arrêt du 13 mars 2001, la chambre criminelle de la Cour de cassation a affirmé le principe de l'immunité de juridiction pénale des chefs d'État étrangers en exercice et précisé qu'il était opposable à l'ordre juridique national. La Cour de cassation a ainsi considéré que « la coutume internationale s'oppose à ce que les chefs d'État en exercice puissent, en l'absence de dispositions internationales contraires s'imposant aux parties concernées, faire l'objet de poursuites devant les juridictions pénales d'un État étranger ».

B. LES RESTRICTIONS APPORTÉES À LA COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES POUR CONNAÎTRE DES CRIMES PRÉVUS PAR LA CONVENTION DE ROME DE 1998

1. Une situation inédite : la création d'une cour pénale internationale permanente

La création d'une juridiction pénale internationale permanente a représenté une grande victoire pour les partisans d'une justice internationale. Notre pays peut s'enorgueillir d'avoir soutenu et porté ce projet dès ses prémices. Comme l'écrivait récemment notre ancien collègue Robert Badinter, dont votre commission tient à saluer l'attachement indéfectible et le soutien inestimable à l'émergence de cette justice pénale internationale, « [la Cour pénale internationale] s'est imposée - en seulement dix ans - comme un élément incontournable de la conduite des relations internationales, du drame de la guerre et de la paix : pas un conflit, pas un massacre sans que son nom soit évoqué, sans que l'on s'interroge - pour la réclamer ou la redouter - sur sa possible ou probable saisine et, de façon plus large, sur les mécanismes juridiques qui feraient échec à la scandaleuse immunité des auteurs présumés » 14 ( * ) .

La convention de Rome du 17 juillet 1998, que la France a ratifiée dès le 9 juin 2000 après avoir procédé à la modification constitutionnelle du 8 juillet 1999 (voir supra ), est entrée en vigueur le 1 er juillet 2002. Le siège de la Cour pénale internationale a été fixé à La Haye. Celle-ci est compétente en matière de crimes de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre, dès lors qu'ils ont été commis sur le territoire d'un État partie à la convention ou par un ressortissant d'un État partie - sauf si elle est saisie directement par le Conseil de sécurité de l'ONU (ce qui est le cas actuellement s'agissant du Darfour, d'une part, et de la Libye, d'autre part).

Toutefois, son fonctionnement est gouverné par le principe de subsidiarité : elle n'est que « complémentaire » des juridictions pénales nationales (article 1 er du statut) et, comme le rappelle le Préambule de la convention de Rome, « il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux ».

En revanche, à la différence des États (voir supra ), la Cour pénale internationale peut s'affranchir du régime des immunités diplomatiques défini par les conventions de Vienne de 1961 et de 1963. L'article 27 du Statut de Rome prévoit en effet que « le présent Statut s'applique à tous de manière égale, sans aucune distinction fondée sur la qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État, n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que telle un motif de réduction de la peine ». En outre, « les immunités ou règles de procédures spéciales qui peuvent s'attacher à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa compétence à l'égard de cette personne ».

La Cour pénale internationale (CPI)

Instaurée en application de la convention de Rome du 17 juillet 1998, la Cour pénale internationale est compétente, depuis le 1 er juillet 2002, pour juger les auteurs de génocide, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre commis depuis le 1 er juillet 2002. Elle le sera à l'avenir pour juger également de faits constitutifs du crime d'agression.

121 États sont aujourd'hui parties au Statut de Rome (voir liste en annexe).

Sa compétence n'est pas universelle. Sauf décision du Conseil de sécurité de l'ONU, elle ne peut être saisie que si l'accusé est un ressortissant d'un État partie ou d'un État qui a accepté la compétence de la Cour, ou si le crime a été commis sur le territoire d'un État partie ou d'un État qui a accepté la compétence de la Cour.

Par ailleurs, conformément au principe de complémentarité, elle ne peut être saisie qu'à la condition que l'affaire ne fasse pas déjà l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un État compétent - sauf si cet État n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener véritablement à bien cette enquête ou ces poursuites.

La Cour est composée de la façon suivante :

- la présidence est exercée par trois juges (un président, deux vice-présidents) élus par les autres juges pour un mandat de trois ans. La présidence est chargée de l'administration générale de la Cour, à l'exception du Bureau du procureur, et des fonctions spécifiques que lui confère le Statut de Rome ;

- les chambres sont composées des 18 juges qui sont affectés dans la Section préliminaire, dans la Section de première instance ou dans la Section des appels. Les juges sont élus pour neuf ans par l'Assemblée des États parties ;

- le Bureau du Procureur est chargé de recevoir les communications et renseignements concernant les crimes relevant de la compétence de la Cour, de les examiner et de conduire des enquêtes et des poursuites devant la Cour ;

- enfin, le greffe est responsable des aspects non judiciaires de l'administration et du service de la Cour. Le greffier, élu par les juges pour un mandat de cinq ans, exerce ses fonctions sous l'autorité du Président de la Cour.

La Cour peut être saisie soit par un État partie, soit par le Conseil de sécurité de l'ONU, soit encore à l'initiative de son Procureur.

Les enquêtes ouvertes par le Bureau du Procureur, qui est tenu d'instruire à charge et à décharge, font l'objet d'un contrôle par la Chambre préliminaire. Lorsqu'il existe des charges suffisantes contre une personne, celle-ci est jugée devant la Chambre de première instance (composée de trois juges), et, en cas d'appel, devant une Chambre d'appel (composée de cinq juges).

En 2012, la Cour a été dotée d'un budget de 108,8 millions d'euros.

A l'heure actuelle, elle est saisie de 18 affaires ouvertes dans le cadre de huit situations (Ouganda, République démocratique du Congo, Darfour, République centrafricaine, Kenya, Libye, Côte d'Ivoire et Mali).

Un premier jugement de condamnation est intervenu en juillet 2012, concernant un ressortissant congolais reconnu coupable de crimes de guerre.

2. La compétence encadrée des juridictions françaises pour connaître des infractions prévues par le Statut de Rome

La France a adopté dès le 26 février 2002 une loi définissant les modalités de coopération entre les autorités judiciaires françaises et la Cour pénale internationale. Elle s'est par ailleurs dotée, depuis le 1 er janvier 2012, d'un pôle judiciaire spécialisé en matière de crimes contre l'humanité (voir encadré).

Les personnes entendues par votre rapporteur ont souligné la qualité de cette coopération, signe de l'attachement des pouvoirs publics à la crédibilité et à l'effectivité de cette nouvelle juridiction. Ainsi, depuis sa création au 1 er janvier 2012, le pôle spécialisé dans les crimes contre l'humanité du TGI de Paris a donné une suite favorable à une quinzaine de demandes d'entraide émanant de la CPI. La France a par ailleurs procédé en janvier 2011 à l'arrestation et à la remise d'un ressortissant rwandais faisant l'objet d'un mandat d'arrêt international émis par la Cour.

Le pôle spécialisé en matière de crimes contre l'humanité

Mettant en oeuvre l'une des préconisations du rapport Guinchard 15 ( * ) , la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux a doté le tribunal de grande instance de Paris d'un pôle judiciaire spécialisé dans la poursuite, l'instruction et le jugement des crimes contre l'humanité, des crimes de génocide, des crimes et délits de guerre ainsi que des crimes de torture prévus par la convention de New York de 1984.

Mis en place le 1 er janvier 2012, ce pôle est composé :

- d'une part, de deux magistrats du parquet, qui bénéficient du concours de deux assistants spécialisés ;

- d'autre part, de trois juges d'instruction, bénéficiant eux-aussi de l'aide de deux assistants spécialisés.

Ces magistrats peuvent s'appuyer sur le concours d'une dizaine d'enquêteurs de la section de recherches de Paris.

Treize mois après l'instauration de ce pôle, une trentaine d'affaires - concernant principalement des faits commis au Rwanda en 1994 - font l'objet d'une instruction, tandis que le parquet a ouvert une dizaine d'enquêtes préliminaires, le plus souvent à partir de faits signalés par des ONG, des avocats ou des particuliers. Une demi-douzaine de plaintes ont été classées sans suite, soit parce qu'elles ne reposaient sur aucun fondement, soit parce que la France ne pouvait être compétente faute de présence du suspect sur le territoire national.

Enfin, il a répondu à plus d'une dizaine de demandes de coopération de la Cour pénale internationale.

Ce pôle dispose d'une compétence concurrente avec celle des juridictions normalement compétentes, même si, dans les faits, la plupart des affaires lui sont renvoyées. Le recours à des magistrats spécialisés, qui privilégient le travail en cosaisine, se justifie en effet pleinement par le caractère délicat des enquêtes relatives à ce type de faits, a fortiori lorsqu'ils ont été commis à l'étranger dans des zones difficiles d'accès ; en outre, ces investigations nécessitent le recours à des interprètes et à des spécialistes du pays concerné. A cet égard, la question des moyens mis à la disposition de ces magistrats se pose avec une acuité particulière.

Plus délicate, en revanche, a été la question de l'élargissement de la compétence des juridictions françaises pour connaître, de façon complémentaire à la Cour, de crimes contre l'humanité, de crimes de guerre et de génocide lorsque les faits ne relèvent pas d'une des hypothèses habituelles de compétences des tribunaux français.

Cette question a été largement débattue lors de l'examen de la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale.

Dans un premier temps, votre commission s'était montrée prudemment réservée.

Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce texte pour votre commission, soulignait les incertitudes qui accompagneraient une telle extension de compétence, au regard, notamment, de son champ (celle-ci pourrait-elle s'exercer à l'encontre de ressortissants de pays n'étant pas partie à la convention ?) et des difficultés pratiques à conduire des enquêtes dans des pays étrangers. Notre collègue avait également souligné que le texte même de la convention de Rome n'imposait pas expressément aux États parties l'instauration d'une compétence universelle pour les crimes qu'elle prévoit, et qu'il n'appartenait pas aux États parties de se substituer à la Cour pénale internationale pour juger l'auteur d'un crime international en cas de défaillance de l'État normalement compétent 16 ( * ) .

Puis, lors de l'examen du projet de loi en séance publique, votre commission a souhaité élargir, sous certaines conditions, la compétence des juridictions françaises pour les infractions prévues par le Statut de Rome. Sur sa proposition ainsi que sur celle de notre ancien collègue Pierre Fauchon et de notre collègue François Zocchetto, le Sénat a introduit dans le code de procédure pénale un nouvel article 689-11 reconnaissant la compétence des juridictions françaises pour connaître de crimes contre l'humanité, crimes de génocide ou crimes de guerre commis en dehors du territoire de la République par un étranger sur des victimes étrangères, sous réserve :

- que la personne suspectée « réside habituellement sur le territoire de la République » ;

- que les faits soient également punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou que l'État dont la personne suspectée a la nationalité soit partie à la convention de Rome ;

- que la Cour pénale internationale ait expressément décliné sa compétence, qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'ait demandé sa remise et qu'aucun autre État n'ait demandé son extradition ;

- enfin, que les poursuites ne puissent être engagées qu'à la requête du ministère public, si aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne.

Notre ancien collègue Robert Badinter, notamment, s'était opposé, en vain, à l'instauration de ces quatre « verrous ».

Le texte ayant été adopté sans modification par l'Assemblée nationale, en dépit de la position de la rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, Mme Nicole Ameline 17 ( * ) , c'est dans cette rédaction que l'article 689-11 du code de procédure pénale est entré en vigueur en août 2010.

Ces conditions ont considérablement restreint les possibilités de compétence des juridictions françaises pour connaître des faits prévus par la convention de Rome.

C. LA COMPÉTENCE UNIVERSELLE EN DROIT COMPARÉ

Stricto sensu , la convention de Rome n'impose pas aux États parties de reconnaître à leurs juridictions une compétence universelle pour connaître des crimes qu'elle prévoit.

S'agissant de crimes d'une gravité telle que les crimes contre l'humanité, crimes de génocide et crimes de guerre, un certain nombre d'États parties ont toutefois souhaité reconnaître à leurs juridictions nationales une large compétence pour en connaître, y compris en l'absence de tout élément de rattachement à leur territoire. C'est notamment le cas de l'Espagne, des Pays-Bas, de l'Italie ou de l'Allemagne.

Mis en oeuvre selon les traditions juridiques propres de chaque État, l'exercice de cette compétence est le plus souvent encadré par certaines conditions.

En particulier, les poursuites relèvent en général du pouvoir discrétionnaire du parquet. La loi allemande permet par exemple au ministère public de s'affranchir du principe de légalité des poursuites auquel il est en principe soumis 18 ( * ) dès lors que le suspect réside à l'étranger, qu'il est poursuivi à l'étranger, qu'aucun Allemand n'est suspecté des faits et que la victime n'est pas allemande 19 ( * ) .

Le principe d'un tel contrôle prévaut aussi :

- au Royaume-Uni, où la compétence du juge national pour connaître des crimes relevant du Statut de Rome, encadrée par une condition de résidence, est soumise à une autorisation préalable de l'Attorney General pour les poursuites ;

- en Finlande, où le Procureur général doit autoriser préalablement les poursuites. Il vérifie en particulier que l'affaire n'est pas pendante devant les juridictions d'un autre État et qu'il est opportun d'engager des poursuites en Finlande (existence d'un lien de rattachement, possibilité d'organiser le procès).

Le cas de la Belgique illustre les difficultés liées à la reconnaissance d'une compétence universelle sans conditions pour connaître des crimes contre l'humanité, de génocide et des crimes de guerre.

Par une loi du 16 juin 1993, ce pays a en effet ouvert très largement à ses juridictions la possibilité de poursuivre les auteurs étrangers de crimes les plus graves commis en dehors du territoire belge. Le champ de cette loi a été élargi par une loi datée du 10 février 1999. Aux termes des dispositions ainsi adoptées, les juridictions belges pouvaient être compétentes pour poursuivre et instruire de telles affaires, y compris en l'absence du suspect sur le territoire national . En outre, le régime des immunités ne pouvait être opposé aux autorités judiciaires - ce que la Cour internationale de justice a condamné en février 2002 20 ( * ) . Rappelons enfin que, comme la France, la Belgique admet la mise en mouvement de l'action publique par les parties civiles.

Cette législation a encouragé l'introduction d'un grand nombre de plaintes visant diverses personnalités, dont des responsables politiques et militaires américains, à la suite notamment de l'intervention des États-Unis en Irak. Les tensions diplomatiques entre l'État belge et les États-Unis qui en ont résulté ont conduit ces derniers à remettre en question la pertinence du choix de Bruxelles comme siège de l'OTAN. Par ailleurs, l'engagement de poursuites à l'encontre d'Ariel Sharon pour les massacres commis dans les camps de Sabra et Chatila en 1982 a conduit les autorités israéliennes à rappeler leur ambassadeur.

Ces difficultés diplomatiques ont conduit le Parlement belge à réexaminer les règles de compétences des juridictions pénales belges. Une loi du 5 août 2003 a ainsi instauré un certain nombre de filtres restreignant significativement la possibilité pour des victimes étrangères de crimes commis à l'étranger de saisir les tribunaux belges . Désormais, les juridictions belges ne sont compétences que lorsque :

- l'infraction est commise par un Belge ou par une personne ayant sa résidence sur le territoire du Royaume ;

- la victime est belge ou une personne qui, au moment des faits, séjourne effectivement, habituellement et légalement depuis trois ans en Belgique ;

- ou lorsqu'une règle de droit international, de source conventionnelle ou coutumière liant la Belgique lui impose de poursuivre l'auteur de certaines infractions.

Par ailleurs, sauf dans l'hypothèse où l'infraction est commise par un Belge ou une personne résidant en Belgique, le procureur fédéral peut classer l'affaire sans suite si :

- la plainte est manifestement non fondée ;

- les faits relevés dans la plainte ne correspondent pas à une qualification des infractions visées au livre II, titre I bis du code pénal ;

- l'irrecevabilité de l'action publique résulte de la plainte;

- enfin, la compétence d'une juridiction internationale ou d'une autre juridiction nationale présentant des garanties d'indépendance et d'impartialité se justifie davantage 21 ( * ) .

Suivant le même mouvement, l'Espagne, qui avait largement ouvert en 1985 la compétence de ses juridictions pour connaître des crimes internationaux les plus graves - la présence de l'intéressé sur le territoire n'était pas requise et la compétence des juridictions n'était pas limitée à l'application d'obligations prévues par les traités internationaux auxquels l'Espagne est partie - a également restreint, par une loi adoptée en 2009, les conditions d'exercice de la compétence universelle devant ses juridictions. Au terme de cette loi, peuvent désormais être poursuivis et jugés devant les juridictions espagnoles les auteurs de crimes graves à la condition que les responsables présumés se trouvent en Espagne, que certaines des victimes aient la nationalité espagnole ou que l'affaire comporte un lien important avec l'Espagne. En tout état de cause, les juridictions espagnoles ne sont pas compétentes si la Cour pénale internationale ou une autre juridiction nationale s'est préalablement déclarée compétente pour connaître de l'affaire.

II. LA PROPOSITION DE LOI : UNE EXTENSION DE LA COMPÉTENCE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES JUSTIFIÉE PAR LA GRAVITÉ DES INFRACTIONS PRÉVUES PAR LE STATUT DE ROME

Constituée d'un article unique, la proposition de loi propose de supprimer les quatre « verrous » à la compétence des juridictions françaises pour connaître des infractions prévues par le Statut de Rome, posés par le législateur en 2010, à savoir :

- l'exigence de résidence habituelle sur le territoire français ;

- la double incrimination ;

- l'inversion du principe de complémentarité entre les juridictions nationales et la Cour pénale internationale ;

- le monopole des poursuites par le parquet.

Ces quatre conditions ont en effet suscité, à juste titre, de sérieuses critiques de la part des observateurs.

Comme le rappelait notre ancien collègue Robert Badinter, en juin 2008, lors des débats au Sénat sur la loi du 9 août 2010 : « pour certains crimes qualifiés d'« internationaux » dont la gravité est si évidente qu'elle alerte les consciences et mobilise la communauté internationale, la position du législateur français a toujours été constante (...) : si l'auteur présumé se trouve sur le territoire français, alors il y a compétence de la justice française.

« Ce n'est que l'expression d'un devoir majeur pour une société comme la nôtre qui rappelle toujours son attachement aux droits de l'Homme et sa volonté de ne pas laisser les pires crimes impunis, je veux dire : le devoir de juger [...] ».

La compétence des juridictions françaises pour connaître de ces crimes serait ainsi alignée sur les conditions dans lesquelles ces dernières sont compétentes pour la mise en oeuvre d'une convention internationale, en application des articles 689-1 et suivants du code de procédure pénale (voir supra ). Serait ainsi instaurée, sous réserve de la simple présence du suspect sur le territoire de la République, une compétence universelle des tribunaux français pour juger les crimes contre l'humanité, des crimes de génocide et des crimes de guerre commis à l'étranger.

Ces dispositions de procédure pénale seraient applicables dès la promulgation de la loi aux affaires en cours.

A. LA SUPPRESSION DE L'EXIGENCE DE RÉSIDENCE HABITUELLE SUR LE TERRITOIRE NATIONAL

En l'état du droit, l'article 689-11 du code de procédure pénale ne permet de poursuivre que les étrangers qui « résident habituellement sur le territoire français ».

Comme l'ont observé la plupart des personnes entendues par votre rapporteur, cette condition déroge au droit commun, est assez difficile à cerner et n'est pas cohérente avec les engagements de la France en matière de répression des crimes les plus graves.

En effet, les articles 689-1 et suivants du code de procédure pénale, relatifs à la mise en oeuvre de conventions internationales, exigent que l'intéressé « se trouve en France ». Tel est également le cas des personnes susceptibles d'être déférées devant les juridictions françaises pour les faits commis en ex-Yougoslavie et au Rwanda (article 2 de la loi n°95-1 du 2 janvier 1995).

Cette notion de « résidence habituelle » est en outre, de l'avis des magistrats entendus par votre rapporteur, difficile à manier. En l'état du droit, elle est prévue par les dispositions autorisant la compétence des juridictions françaises pour juger des faits de « tourisme sexuel » et de terrorisme commis à l'étranger (articles 222-22, 225-11-2, 227-27-1 et 113-13 du code pénal). Doit-on penser par exemple, comme s'interrogeait notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat lors de l'examen de la loi du 9 août 2010, qu'elle ne viserait que les criminels auxquels la France aurait délivré un titre de séjour 22 ( * ) ?

A l'inverse, l'utilisation des termes « se trouve en France » fait l'objet d'une jurisprudence établie. La chambre criminelle n'exige pas que le suspect soit arrêté, mais que des indices de sa présence soient démontrés pour permettre le déclenchement de l'action publique. La charge de la preuve de cette condition pèse sur les demandeurs à l'instance 23 ( * ) . En cas de pluralité de suspects, la présence en France d'au moins l'un d'entre eux suffit. Enfin, cette notion doit être appréciée au moment de l'engagement des poursuites 24 ( * ) .

Comme l'ont observé les représentants de l'Union syndicale des magistrats, cette notion paraît peu susceptible de s'appliquer dans l'hypothèse d'une présence de quelques heures du suspect sur le territoire national. En effet, l'interpellation de ce dernier ne saurait intervenir qu'après la délivrance d'un titre émanant soit du procureur de la République, soit d'un juge d'instruction.

L'ensemble des personnes entendues ont salué l'alignement sur le droit commun proposé par la présente proposition de loi sur ce point. La différence de traitement entre, d'une part, les conditions de poursuite des crimes contre l'humanité, crimes de guerre et génocide prévus par la convention de Rome, et, d'autre part, ces mêmes faits lorsqu'ils ont été commis en ex-Yougoslavie ou au Rwanda, ou encore les faits de torture et d'actes de barbarie réprimés sur le fondement de la convention de New York de 1984, paraît difficilement justifiable.

Comme l'ont observé les représentants de la coalition française pour la Cour pénale internationale, alors qu'un individu suspecté du crime de torture peut être arrêté et poursuivi à l'occasion de son passage en France, le suspect de génocide ou de crime contre l'humanité pourrait, lui, circuler librement sur notre territoire tant qu'il ne s'y installe pas durablement. Appliquer la condition de « résidence habituelle » reviendrait à mieux traiter le responsable de la vague de tortures et d'assassinats constitutifs de crimes contre l'humanité, que l'exécutant.

B. LA SUPPRESSION DE L'EXIGENCE DE DOUBLE INCRIMINATION

L'actuel article 689-11 du code de procédure pénale prévoit que les juridictions françaises ne peuvent être compétentes pour poursuivre et juger une personne qui s'est rendue coupable à l'étranger de l'un des crimes relevant de la compétence de la CPI qu'à la condition que les faits soient punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si l'État dont elle à la nationalité est partie à la convention de Rome.

Cette exigence de double incrimination est déjà présente dans notre droit 25 ( * ) . Cependant, l'article 113-6 du code pénal ne la retient que pour les délits 26 ( * ) . Au surplus, cette exigence a été supprimée s'agissant des faits liés au « tourisme sexuel » 27 ( * ) .

En matière criminelle, aucune condition de double incrimination n'est en revanche requise pour permettre aux tribunaux français de juger de crimes commis par des Français à l'étranger.

Comme l'ont observé l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur, il est profondément choquant de subordonner la possibilité de poursuivre et de juger les auteurs de crimes les plus odieux à l'existence de dispositions pénales les réprimant dans la législation de l'État dont ils ont la nationalité ou du territoire où ils ont commis leurs crimes. La justice pénale internationale est en effet née du constat que certains crimes particulièrement graves constituent une violation de valeurs universelles, qui portent atteinte à l'humanité toute entière. Imposer la règle de la double incrimination revient à nier l'universalité qui sous-tend la mise en place de cette justice pénale internationale.

L'exigence de double incrimination ne s'impose d'ailleurs pas dans le cadre de l'application des autres dispositions relatives à la compétence extraterritoriale des juridictions françaises. La Cour de cassation l'a confirmé s'agissant de l'application, en France, de la convention de New York sur la torture, alors que les faits de l'espèce étaient couverts par une loi d'amnistie dans le pays d'origine du mis en cause 28 ( * ) .

La suppression de cette condition paraît ainsi s'imposer.

Mme Mireille Delmas-Marty a souligné toute la portée de cette suppression. En effet, notre pays, à la différence de nombreux États, admet depuis 1994 la responsabilité pénale des personnes morales , généralisée par la loi « Perben II » du 9 mars 2004. La suppression de l'exigence de double incrimination permettrait ainsi aux juridictions françaises de se prononcer sur l'éventuelle responsabilité de groupes multinationaux étrangers dans certaines zones de conflit.

C. LA SUPPRESSION DU PRINCIPE DE PRIMAUTÉ DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE

En l'état du droit, l'article 689-11 du code de procédure pénale prévoit que « la poursuite de ces crimes ne peut être exercée [que si] aucune juridiction internationale ou nationale ne demande la remise ou l'extradition de la personne. A cette fin, le ministère public s'assure auprès de la Cour pénale internationale qu'elle décline expressément sa compétence et vérifie qu'aucune autre juridiction internationale compétente pour juger la personne n'a demandé sa remise et qu'aucun autre État n'a demandé son extradition ».

Selon la totalité des personnes entendues par votre rapporteur, cette condition procède d'une interprétation manifestement erronée de la convention de Rome de 1998.

Le Statut de Rome a posé le principe de complémentarité des juridictions nationales et de la Cour pénale internationale, et non de primauté de cette dernière sur les juridictions des États parties. Il diffère sur ce point de la solution retenue lors de la création des tribunaux pénaux internationaux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda.

Les magistrats entendus par votre rapporteur ont souligné, en outre, que l'exigence de déclinaison de sa compétence par la CPI méconnaissait les conditions de saisine des services de cette dernière, et en particulier du Bureau du Procureur. En effet, comme l'ont observé les représentants du pôle « crimes contre l'humanité » du TGI de Paris, les articles 13 et suivants du Statut de Rome prévoient que la CPI exerce sa compétence à l'égard d'une « situation » dans laquelle un ou plusieurs crimes paraissent avoir été commis, et non directement à l'égard d'une personne nommément désignée.

Si nous en revenons à l'esprit de la convention, comme l'observait notre ancien collègue Robert Badinter, rapporteur de la loi constitutionnelle du 8 juillet 1999 pour le Sénat, « le statut de la Cour est ainsi marqué par la volonté de créer un système international efficace de répression des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre les plus graves. Il sauvegarde cependant la compétence juridictionnelle des États adhérents au statut. C'est aux États en effet qu'il revient au premier chef de poursuivre et de condamner les auteurs de ces crimes dans toute la mesure où ils relèvent de leur juridiction . C'est seulement faute pour ces États d'agir, soit par intérêt politique soit par défaut de moyens juridiques, que la Cour assurera la répression selon une procédure respectueuse des principes du procès équitable » 29 ( * ) .

Contraire à la lettre de la convention, la primauté de la Cour pénale internationale sur les juridictions nationales conduirait, enfin, à fragiliser considérablement une juridiction encore jeune - elle vient de fêter son dixième anniversaire -, confrontée par ailleurs à un déficit de coopération de certains États et à un manque de moyens pour accomplir ses missions dans les conditions de sérieux que la lutte contre l'impunité lui impose 30 ( * ) .

Il convient à cet égard de souligner la parfaite collaboration entre la Cour pénale internationale et les juridictions françaises. Les magistrats entendus par votre rapporteur ont mentionné que, sauf circonstances particulières, les autorités judiciaires françaises exécutaient avec diligence les demandes d'entraide judiciaire relatives à la mise en oeuvre de la convention de Rome.

D. LA SUPPRESSION DU MONOPOLE DES POURSUITES PAR LE PARQUET

Enfin, la proposition de loi propose de supprimer la condition, posée à l'article 689-11 du code de procédure pénale, de monopole de l'exercice des poursuites par le ministère public.

Rappelons que la France est l'un des rares pays, avec la Belgique, à admettre que l'action publique puisse être mise en mouvement, soit par le ministère public, soit par les victimes elles-mêmes.

Aux termes des articles 40 et 40-1 du code de procédure pénale, il appartient au procureur de la République de recevoir les plaintes et les dénonciations et d'apprécier la suite à leur donner. Conformément au principe d'opportunité des poursuites , il peut, dès lors que les faits constituent bien une infraction pénale, qu'ils ont été commis par une personne dont l'identité et le domicile sont connus et qu'aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l'action publique, décider s'il est opportun d'engager des poursuites, de mettre en oeuvre une procédure alternative aux poursuites, ou de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient.

De son côté, la victime peut, en se constituant partie civile par voie d'action, déclencher elle-même l'action publique. Elle peut le faire, soit en saisissant un tribunal correctionnel par une citation directe (s'agissant de délits uniquement), soit en saisissant un juge d'instruction. Toutefois, en matière délictuelle, la plainte avec constitution de partie civile n'est recevable que lorsque, saisi préalablement d'une plainte simple, le procureur de la République a décidé de classer celle-ci sans suite ou qu'il n'a pas donné suite dans un délai de trois mois (article 85 du code de procédure pénale).

Afin de prévenir d'éventuelles plaintes abusives ou infondées, le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile a par ailleurs été encadré par un certain nombre de conditions (exigence d'une consignation, etc.).

Les dispositions de la proposition de loi tendant à supprimer le monopole de l'engagement des poursuites par le parquet permettraient ainsi la mise en mouvement de l'action publique par les victimes elles-mêmes ou , comme le permet l'article 2-4 du code de procédure pénale, par les associations se proposant, par leurs statuts, de combattre les crimes contre l'humanité ou les crimes de guerre .

Les magistrats du pôle « crimes contre l'humanité » du TGI de Paris ont observé qu'en l'état du droit, certaines victimes portent plainte avec constitution de partie civile contre de tels crimes sur le fondement de la convention de New York sur la torture. Dans ces cas, il appartient au juge d'instruction saisi de se prononcer sur la qualification des faits afin de pouvoir déterminer si la plainte est recevable. Souvent, ces dossiers n'aboutissent pas, faute pour les magistrats saisis par cette voie de pouvoir qualifier les faits d'actes de torture ou de barbarie. De ce point de vue, la proposition de loi permettrait de mettre un terme à de telles pratiques qui ne vont pas dans le sens d'une bonne administration de la justice.

Enfin, les partisans de la suppression de ce monopole du parquet soulignent qu'une telle disposition permettrait aux victimes des crimes les plus graves de faire valoir leurs droits et d'obtenir réparation - les stipulations du Statut de Rome ne permettant pas aux victimes, en l'état, de saisir directement la Cour pénale internationale, même si elles peuvent fournir au Procureur les éléments de preuve dont elles disposent.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : ÉLARGIR LE CHAMP DE LA PROPOSITION DE LOI TOUT EN ENCADRANT LES CONDITIONS DE SAISINE DES JURIDICTIONS PÉNALES FRANÇAISES

Votre commission des lois souscrit sans réserve à l'objectif, poursuivi par la proposition de loi, tendant à intégrer dans le droit commun de la compétence extraterritoriale des juridictions françaises les dispositions leur permettant de connaître des crimes prévus par la convention de Rome de juillet 1998.

En particulier, aucun argument sérieux ne paraît pouvoir justifier le maintien des restrictions actuelles liées à l'exigence de double incrimination, de résidence habituelle du suspect sur le territoire français et à la vérification de la déclinaison de sa compétence par la CPI.

Deux points méritent toutefois une attention particulière : le champ de compétence du juge français, d'une part, les conditions de sa saisine, d'autre part.

A. L'ÉLARGISSEMENT DE LA COMPÉTENCE DU JUGE

Votre commission des lois soutient sans réserve les dispositions de la proposition de loi visant à permettre aux juridictions françaises de connaître des crimes prévus par le Statut de Rome, y compris lorsque ceux-ci ont été commis dans des circonstances ne présentant aucun lien avec la France et ses ressortissants. Cet élargissement lui paraît pleinement conforme aux grands principes de notre droit et à la nécessité de participer à la mise en place d'un ordre public international.

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a même souhaité aller plus loin que le texte initial de la proposition de loi.

Les termes « pour l'application du statut de la Cour pénale internationale », retenus par la proposition de loi, sont en effet ambigus et paraissent pouvoir donner lieu à plusieurs interprétations. En particulier, ils pourraient être interprétés comme ne donnant compétence aux juridictions françaises pour poursuivre et juger les seules personnes susceptibles d'être poursuivies devant la CPI - c'est-à-dire, sauf décision du Conseil de sécurité de l'ONU, les seuls ressortissants des États parties à la convention de Rome ou les personnes ayant commis des crimes graves sur le territoire d'un État partie à la convention de Rome. En revanche, les ressortissants des États non signataires de la convention bénéficieraient, à cet égard, d'une immunité.

En l'état actuel de sa rédaction, issue de la loi du 9 août 2010, l'article 689-11 du code de procédure pénale ne peut être mis en oeuvre que si les faits sont punis par la législation de l'État où ils ont été commis ou si cet État ou l'État dont l'intéressé a la nationalité est partie à la convention de Rome.

Une telle inégalité de traitement entre criminels n'est pas acceptable. Aussi votre commission a-t-elle adopté un amendement de son rapporteur tendant à autonomiser le mécanisme de compétence des juridictions françaises pour connaître des crimes contre l'humanité et autres crimes graves des conditions de mise en oeuvre du Statut de Rome .

Cet amendement vise à prévoir que, en dehors des cas d'exécution par la France de ses obligations de coopération judiciaire au titre de la convention de Rome, les juridictions françaises seront compétentes pour connaître des crimes contre l'humanité, crimes de génocide et crimes de guerre tels que définis par le code pénal français, quelle que soit la situation de la personne mise en cause au regard de l'application de la convention de Rome.

Un tel amendement rendrait par exemple possible, sans ambiguïté, d'éventuelles poursuites pour des situations constatées en Syrie ou dans d'autres pays non signataires de la convention de Rome.

L'amendement adopté par votre commission a également étendu le champ de la compétence des juridictions françaises aux délits de guerre , alors que la proposition de loi ne visait que les crimes de guerre. Il lui est en effet apparu que crimes et délits de guerre formaient bien souvent un tout indivisible, et qu'il était souhaitable que les tribunaux français puissent se prononcer sur l'ensemble des infractions commises dans une situation donnée.

B. L'ENCADREMENT DES CONDITIONS DE SAISINE DES JURIDICTIONS FRANÇAISES

La question des conditions de mise en mouvement de l'action publique - avec la suppression du monopole du parquet et l'ouverture aux victimes et aux associations de la possibilité de porter plainte avec constitution de partie civile - a suscité des appréciations plus nuancées de la part des personnes entendues par votre rapporteur.

Votre rapporteur a constaté à cet égard la confrontation de deux logiques.

La première demande que la spécificité française de la constitution de partie civile mettant en mouvement l'action publique soit appliquée aux faits graves commis à l'étranger par des personnes étrangères, sans aucun lien de rattachement avec la France, mais susceptibles de relever de la convention de Rome.

Votre rapporteur observe toutefois que cette tradition française connaît des exceptions, qui sont précisément liées à l'extraterritorialité. En particulier, l'article 113-8 du code pénal prévoit que, sauf exceptions (voir supra ), la poursuite des délits commis par un Français ou sur la personne d'un Français hors du territoire de la République ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public. Par ailleurs, l'article 113-8-1 du code pénal définit les règles applicables lorsque la France a refusé l'extradition d'un étranger ayant commis un crime ou un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement hors du territoire de la République 31 ( * ) : dans ce cas, cette personne peut être jugée en France, mais la poursuite ne peut être exercée qu'à la requête du ministère public, après dénonciation officielle de l'autorité du pays où le fait a été commis et qui avait requis l'extradition.

Les partisans de la suppression du monopole du ministère public font également valoir que les quelques procès pénaux d'importance engagés à l'encontre d'auteurs présumés de crimes internationaux l'ont été, en France, sur plainte avec constitution de partie civile initiale. Ils craignent également que le ministère public, sensible aux éventuelles conséquences de ces poursuites sur les relations diplomatiques de la France, ne donne pas suite à des faits portés à sa connaissance.

Si votre rapporteur a bien pris en compte cette méfiance envers le ministère public, il constate que le pôle « crimes contre l'humanité » du TGI de Paris est d'ores et déjà saisi de plusieurs affaires à la requête du ministère public. De façon plus globale, il convient de rappeler que la France a joué un rôle majeur dans la lutte contre l'impunité en appuyant sans réserve la création de la Cour pénale internationale.

Par ailleurs, votre rapporteur rappelle que la mise en mouvement de l'action publique par le mécanisme de la plainte avec constitution de partie civile est complexe et peut n'être effectif que plusieurs semaines après le dépôt de la plainte - délai à l'issue duquel la personne concernée risque de ne plus se trouver sur le territoire français.

Enfin, votre rapporteur considère que le projet tendant à donner une indépendance au parquet ainsi que la circulaire du 19 septembre dernier mettant fin aux instructions individuelles du garde des Sceaux sont des éléments qui devraient permettre d'appréhender de façon différente le rôle du ministère public. Les garanties d'indépendance apportées aux magistrats du parquet par la réforme annoncée du Conseil supérieur de la magistrature, qui devrait être prochainement examinée par le Parlement, permettraient incontestablement de lever le soupçon qui pèse souvent injustement sur l'action du ministère public.

La logique du maintien d'un monopole du ministère public pour l'exercice des poursuites procède, quant à elle, de la crainte qu'en l'absence de tout « filtre », la justice française soit exposée à des manipulations très éloignées du combat contre l'impunité.

Comme l'ont souligné les représentants du ministère des affaires étrangères, il s'agit de préserver la France des effets pervers de telles plaintes sur les relations internationales (organisation d'une conférence de la paix à Paris, ...).

Cette inquiétude est nourrie par l'expérience de certains de nos voisins européens, et notamment de la Belgique (voir supra ), qui, dix ans après avoir voté une loi ouvrant sans restriction la compétence des juridictions belges pour connaître des crimes les plus graves, a dû y renoncer en adoptant une législation plus restrictive que ne l'est l'actuel article 689-11 de notre code de procédure pénale.

Ce risque d'instrumentalisation de la justice est loin d'être illusoire. Les magistrats du pôle « crimes contre l'humanité » du TGI de Paris ont ainsi indiqué à votre rapporteur que, même en l'état actuel du droit, ces plaintes infondées représentaient environ la moitié de leur contentieux.

Dans ces conditions, votre commission ne peut ignorer le risque que la mise en mouvement de l'action publique par le mécanisme de la plainte avec constitution de partie civile ne favorise ces procédures abusives.

Certes, le juge d'instruction peut toujours refuser d'informer, mais une telle décision reste subordonnée à l'irrecevabilité manifeste de la plainte ou à l'absence de qualification pénale des faits. Quant à la décision de non-lieu, elle n'est le plus souvent rendue qu'après de longs mois d'une information qui n'est pas sans effet sur la personne concernée.

Ce risque est d'autant plus grand que les crimes visés font - et fort heureusement - l'objet de règles dérogatoires en matière de prescription (les crimes contre l'humanité et le génocide sont imprescriptibles, tandis que les crimes de guerre se prescrivent par trente ans), et que les plaintes pourraient de ce fait concerner des faits très anciens.

Telles sont les raisons pour lesquelles votre commission a souhaité encadrer les conditions dans lesquelles les juridictions françaises pourraient être saisies de faits constitutifs de crimes contre l'humanité, de génocide ou de crimes ou délits de guerre.

Sur proposition de son rapporteur, elle a adopté un amendement tendant à réserver au ministère public la possibilité de mettre en mouvement l'action publique dans de telles affaires, sauf si la personne fait déjà l'objet de poursuites devant la Cour pénale internationale ou devant la justice d'un autre État compétent.

Il convient en effet de réaffirmer, dans des affaires n'impliquant ni un auteur français, ni une victime française, et pour des faits commis en dehors du territoire de la République, la priorité des juridictions des États concernés et, à défaut, de la CPI , pour instruire et juger de telles affaires.

L'amendement proposé par votre rapporteur ouvrirait une alternative :

- soit aucun indice ne permet de penser que la personne est déjà recherchée par une juridiction nationale ou par la CPI, et dans ce cas, seul le parquet pourrait être à l'initiative des poursuites, le cas échéant après signalement de la présence de l'intéressé sur le territoire par une victime ou une association ;

- soit une victime ou une association a connaissance de poursuites engagées à l'encontre d'un individu devant la CPI ou une juridiction nationale, et dans ce cas, elle pourrait passer outre une éventuelle inertie du parquet en saisissant directement un juge d'instruction. Dans ce dernier cas, l'issue la plus probable sera la remise ou l'extradition de la personne concernée à la juridiction qui la recherche.

Comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de votre rapporteur, il est en effet essentiel que, dans des affaires d'une telle complexité, le ministère public puisse exercer un premier contrôle, tendant par exemple à vérifier que la personne mise en cause ne bénéficie pas d'une immunité en application des conventions de Vienne de 1961 et de 1963 et qu'aucun obstacle juridique ne s'oppose à l'exercice de poursuites pénales en France.

A cet égard, il appartiendrait au ministère de la Justice de définir précisément dans une circulaire de politique pénale les conditions dans lesquelles les enquêtes préliminaires relatives à de tels faits devraient être conduites.

Il convient de souligner que cette prérogative accordée au parquet ne s'exercerait pas de façon discrétionnaire. En effet, l'article 40-2 du code de procédure pénale impose au procureur de la République, lorsqu'il décide de classer sans suite une procédure, d'informer les victimes ou les personnes lui ayant signalé les faits de cette décision et de leur indiquer les raisons juridiques ou d'opportunité qui l'ont justifiée. Cette décision est susceptible de recours auprès du procureur général, comme le prévoit l'article 40-3 du code de procédure pénale.

En tout état de cause, les victimes continueront à disposer, d'une part, de la possibilité de signaler les faits au procureur de la République et de lui demander de mettre en mouvement l'action publique par une plainte simple, et, d'autre part, de la possibilité de se constituer partie civile une fois les poursuites engagées et de corroborer ainsi l'action publique.

C. DEUX MODIFICATIONS FORMELLES

Enfin, sur proposition de votre rapporteur, votre commission a apporté deux autres modifications à la proposition de loi :

- d'une part, elle a remplacé le terme « coupable » par un terme plus adapté. Sans doute ce terme est-il utilisé dans l'ensemble des dispositions du code pénal et du code de procédure pénale relatives à la compétence des juridictions françaises. Toutefois, il peut sembler préjuger de la culpabilité de la personne poursuivie, même si le Conseil constitutionnel a considéré que son utilisation ne soulevait pas de difficulté particulière 32 ( * ) . C'est pourquoi, dans un souci de clarté et de lisibilité de la loi pénale, votre commission a remplacé le terme « coupable » par la formulation, plus neutre, de personne « soupçonnée » ;

- d'autre part, elle a prévu l'application de la proposition de loi à Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie. Dans ces trois collectivités d'outre-mer soumises, en matière pénale, au principe de spécialité législative, une mention expresse est en effet nécessaire pour permettre l'application des dispositions créées par la proposition de loi. A défaut, les juridictions de ces trois collectivités demeureraient soumises au droit antérieur, issu de la loi du 9 août 2010.

En tout état de cause, votre commission souhaite insister sur le fait que cette proposition de loi, qui concerne des procédures complexes, difficiles à instruire et à juger, douloureuses pour les victimes, parfois délicates au regard des relations avec les États d'origine, ne pourront s'appliquer que si les juridictions, et en particulier le pôle spécialisé du TGI de Paris, reçoivent les moyens nécessaires pour accomplir leurs missions .

* *

*

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi rédigée.

EXAMEN EN COMMISSION

MERCREDI 13 FÉVRIER 2013

M. Alain Anziani , rapporteur . - Ce rapport difficile et passionnant pose une question simple : souhaite-t-on, peut-on, veut-on, doit-on élargir la compétence du juge français pour connaître des crimes contre l'humanité, des génocides, ainsi que des crimes et des délits de guerre qui ont été commis hors du territoire national, par des ressortissants non français, et qui n'ont pas fait de victimes françaises ?

La question est ancienne : dès la fin de la seconde guerre mondiale, elle avait porté sur l'opportunité d'une justice internationale, avec les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo. Puis, il a fallu attendre 1993 et 1994 pour que se mettent en place des tribunaux internationaux compétents pour les génocides de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda. En 1998, la convention de Rome a créé la Cour pénale internationale (CPI) - je salue ici tout particulièrement l'action obstinée de Robert Badinter pour soutenir la mise en place d'une justice internationale. La Cour a vu le jour en juillet 2002, tandis que la convention a connu un grand succès puisque plus de 120 Etats y sont parties.

La France a adopté la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à la CPI sur l'excellent rapport de notre collègue Patrice Gélard. Plusieurs amendements avaient alors été déposés, notamment par François Zocchetto, pour insérer un article 689-11 dans le code de procédure pénale. Celui-ci permet au juge français de poursuivre et de juger une personne qui aurait commis un crime contre l'humanité ou un crime de guerre, mais sous quatre conditions, quatre « verrous » : que la personne poursuivie réside habituellement sur le territoire français ; que le droit du pays d'origine prévoie la possibilité de poursuivre l'infraction (« double incrimination »), que la CPI ait expressément décliné sa compétence, et, enfin, que les poursuites ne puissent être engagées que par le ministère public, la constitution de partie civile n'étant pas ouverte. Le juge français dispose ainsi d'une compétence certes universelle mais bien relative.

L'objet de l'excellente proposition de loi de Jean-Pierre Sueur est simple : faire sauter ces quatre « verrous », en maintenant toutefois l'immunité traditionnellement accordée aux chefs d'État ou à d'autres représentants diplomatiques, qui découle de la coutume internationale et des conventions de Vienne.

Quels sont les termes du débat ? La suppression des trois premiers verrous fait l'objet d'un consensus. Tout le monde s'accorde pour remplacer la condition de résidence par le fait de « se trouver sur le territoire de la République », notion moins problématique et déjà définie par la Cour de Cassation. Idem pour la suppression de la condition de double incrimination : exiger que le pays où un génocide est commis prévoie une telle infraction n'a pas de sens. J'attire votre attention sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une modification anodine puisque, comme l'a fait observer Mme Mireille Delmas-Marty, la suppression de l'exigence de double incrimination aura pour effet d'étendre, conformément au droit pénal français, les possibilités de poursuites aux personnes morales. La troisième condition, relative à la déclinaison de sa compétence par la CPI, est inutile puisque, selon le statut de Rome, la compétence de la Cour est complémentaire ou subsidiaire par rapport à celle des juridictions nationales, ce qui donne lieu à la mise en place de nombreux mécanismes de coopération judiciaire entre la CPI et les juges des pays signataires.

Si la suppression de ces trois conditions ne pose pas de difficulté, la remise en cause de la quatrième fait débat. La question est de savoir qui peut engager des poursuites. Faut-il, suivant la proposition de loi, accorder aux victimes la possibilité de porter plainte en se constituant partie civile pour déclencher l'action publique ou doit-on maintenir le monopole du parquet ? Les deux points de vue diffèrent radicalement dans leur conception et dans leurs effets.

La première hypothèse se fonde sur la tradition française de la constitution de partie civile, même si celle-ci connaît des exceptions : lorsqu'un Français est l'auteur ou la victime d'un délit à l'étranger - non d'un crime, j'en conviens -, ainsi qu'en matière d'extradition, pour un certain nombre d'infractions, seul le parquet peut mettre en mouvement l'action publique. La proposition de loi ne s'applique que dans le cadre extrêmement particulier de l'extraterritorialité : lorsque ni la victime, ni l'auteur ne sont français et que les faits ne se sont pas déroulés dans notre pays. Dans de tels cas, l'application du droit commun n'est sans doute pas pertinente.

Il est ensuite un autre argument, beaucoup plus fort, en faveur de la constitution de partie civile : comment peut-on appliquer deux régimes juridiques différents, l'un pour les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et les crimes de génocide et l'autre pour les crimes de torture, visés par la convention de New York, pour lesquels la victime peut déclencher l'action publique ?

Cette thèse est fortement mâtinée de méfiance envers le ministère public, soupçonné de vouloir invoquer l'opportunité des poursuites pour ne pas poursuivre telle haute personnalité présente sur le territoire national. C'est bien là que le bât blesse et je souhaiterais donner des arguments en faveur du maintien du monopole du parquet.

Cette position est aussi celle des ministères des Affaires étrangères et de la Défense ainsi que de la Chancellerie. Ces trois ministères régaliens, qui ont - avancée considérable ! - accepté de supprimer les trois premiers verrous, s'inquiètent des conséquences de la fin du monopole du parquet car, en toutes choses, notre justice peut être instrumentalisée. Malgré les conditions actuellement en vigueur, 50 % des plaintes adressées au pôle français chargé des crimes contre l'humanité au TGI de Paris sont infondées. Ces crimes étant imprescriptibles, il serait, en outre, tout à fait possible de poursuivre un ancien chef d'Etat longtemps après sa cessation de fonctions.

La plupart des pays européens ignorent la mise en mouvement de l'action publique par la constitution de partie civile. En Allemagne, si le ministère public dispose d'un monopole, il est toutefois soumis au principe de légalité des poursuites, ce qui ne le laisse pas juge de l'opportunité de ces dernières. Mais des exceptions existent en matière d'extra-territorialité. En Angleterre, l'équivalent du ministère public dispose aussi d'un monopole, son refus de poursuivre pouvant donner lieu à une sorte d'appel prenant la forme d'un débat public. Le monopole du ministère public est aussi en vigueur en Finlande.

Reste le cas de la Belgique qui a, très généreusement, souhaité en 1993 se doter d'une compétence universelle en supprimant toutes les conditions, y compris celle de l'immunité diplomatique. Elle s'est rapidement heurtée à des difficultés : des plaintes contre Ariel Sharon ou George Bush ont été déposées... Le pays n'a pas pu résister à la tornade qu'il avait lui-même déclenchée : les Etats-Unis ont envisagé de déménager le siège de l'OTAN et Israël a rappelé son ambassadeur. La Belgique a dû revenir en arrière et sa législation actuelle est beaucoup plus restrictive que la nôtre. L'Espagne a, elle aussi, dû faire marche arrière.

Entre les deux positions en présence à propos du monopole du parquet, vous aurez bien compris laquelle je soutiens. Les tenants de l'autre option n'hésitent pas à rappeler que le juge d'instruction peut très bien refuser d'informer ou rendre une ordonnance de non-lieu. Toutefois, le refus d'informer est limité aux cas d'irrecevabilité manifeste et d'absence de qualification pénale, tandis que l'ordonnance de non-lieu n'intervient parfois qu'au bout de six mois ou un an, voire davantage, ce qui n'est pas sans conséquence pour la personne mise en cause.

Aussi, souhaitant conserver l'esprit de la proposition de loi de Jean-Pierre Sueur, nous avons, après un long travail, abouti à un amendement distinguant deux situations. Lorsqu'une personne est déjà recherchée par une juridiction étrangère ou par la CPI, la mise en mouvement de l'action publique par la partie civile pourrait être admise, car il a déjà été procédé à un minimum d'enquêtes et de vérifications. L'honnêteté m'oblige à préciser que ces cas devraient être extrêmement rares. Dans les autres hypothèses, je propose en revanche d'en rester au monopole du ministère public.

Le texte s'inscrit en outre dans la perspective de la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et donc d'un nouveau statut du parquet. Il conviendra que la garde des Sceaux publie une circulaire de politique pénale générale indiquant clairement dans quels cas le ministère public devra engager des poursuites.

Le monopole du parquet étant maintenu, nous pourrions élargir la compétence du juge français qui est actuellement limitée aux cas où les personnes peuvent être déférées devant la CPI. Elle ne s'applique qu'à des ressortissants d'un pays signataire de la convention de Rome ou si les faits se sont déroulés sur le sol d'un de ces Etats, sauf si le Conseil de sécurité de l'ONU a saisi la Cour. Nous pourrions aller plus loin en permettant aux juridictions françaises de poursuivre des ressortissants d'Etats non parties à la convention, tels que la Syrie, par exemple. Cette proposition, qui est dans l'esprit du texte de notre collègue Jean-Pierre Sueur, nous conduit à une nouvelle rédaction visant les cas situés hors de la compétence de la CPI.

Je suggère d'y ajouter deux autres modifications. Tout d'abord, les dispositions du texte actuel mentionnant les « personnes coupables de l'une des infractions » m'ont toujours choqué puisqu'il s'agit de personnes non encore jugées. Je propose donc de retenir plutôt l'expression « personnes soupçonnées de l'une des infractions ». Ensuite, il était évident d'étendre le dispositif à Wallis-et-Futuna, à la Nouvelle-Calédonie et à la Polynésie française.

Tout cela est bel et bon, encore faut-il donner aux magistrats du pôle chargé des crimes contre l'humanité les moyens de travailler. Il serait irresponsable d'ouvrir les possibilités de poursuites et de laisser les trois juges instructeurs, les deux membres du parquet et leurs assistants spécialisés sans les moyens correspondants. C'est l'un des problèmes que rencontre la CPI et nous devrons attirer l'attention de la garde des Sceaux sur cette condition indispensable à la réalisation de la grande ambition portée par cette proposition de loi.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je félicite Alain Anziani pour la contribution très forte qu'il apporte à cette proposition de loi, qui est elle-même l'aboutissement de nombreux travaux de Robert Badinter, de Mireille Delmas-Marty et de Simon Foreman, ainsi que du rapport de Patrice Gélard que vous avez cité tout à l'heure.

Lors de la rédaction de cette proposition de loi, j'avais moi aussi réagi à l'emploi du terme « coupable », puis je l'ai maintenu parce que la Chancellerie m'avait expliqué qu'il figurait déjà dans de nombreux textes. Cela dit, je soutiens la modification proposée par le rapporteur, de même que je suis favorable à l'extension de la compétence des juges nationaux.

La suppression des trois premières conditions est très positive ; reste à statuer sur la quatrième. Après en avoir beaucoup discuté, j'estime qu'un filtre est nécessaire comme l'illustre le cas de la Belgique même si ce pays était allé encore plus loin en supprimant toute règle d'immunité et de présence sur le territoire. Le rapporteur a déployé de nombreux efforts pour parvenir à une solution. Il en est peut-être d'autres mais, croyez-moi, ce n'est pas une tâche facile...

M. Jean-Yves Leconte . - Je salue le travail d'Alain Anziani qui a recherché un équilibre entre deux impératifs : faire vivre la justice internationale et aider la France à y participer afin qu'il n'y ait pas de territoire où les criminels soient impunis.

La justice internationale joue un rôle préventif, car la menace de poursuites empêche certains dirigeants de commettre des exactions, de même qu'elle aide les pays à faire la lumière sur les périodes les plus sombres de leur histoire, comme ce fut le cas en Amérique du Sud. Quant à la France, si elle veut rester au coeur de l'activité diplomatique, elle doit pouvoir recevoir, pour des conférences internationales, les protagonistes d'un conflit sans qu'ils risquent d'être poursuivis dès qu'ils posent le pied sur notre sol. Elle doit aussi pouvoir leur offrir une porte de sortie en les accueillant lorsque c'est utile.

La situation actuelle n'est pas satisfaisante. Les trois premiers verrous constituent des blocages d'autant moins justifiés qu'en matière de torture, où ils n'existent pas, il y a peu de poursuites. Il nous est proposé de ne pas autoriser la constitution de partie civile, alors qu'elle est possible pour des crimes regardés comme moins graves dans l'échelle des peines. Je voterai l'amendement présenté, mais le filtre proposé est-il le bon ? Comme l'a fait valoir l'Union syndicale des magistrats, en demandant au parquet de prendre en compte des exigences politiques, on fait peser un soupçon sur son indépendance, alors même que la procédure concerne le plus souvent des pays où la justice n'est précisément pas indépendante. N'est-on pas en train d'apporter une mauvaise réponse à une bonne question ?

M. Alain Richard . - Intellectuellement, je comprends que l'on supprime la condition - terme logique que je préfère à celui de « verrou », emprunté à la mécanique - d'absence de poursuites dans un pays étranger. Dans quel cas toutefois, sera-t-il vraiment utile à la manifestation de la vérité que deux procès portant sur les mêmes faits se déroulent en même temps ?

La question de l'immunité ne recouvre qu'une toute petite partie des enjeux, puisque nombre d'organisations non étatiques pourraient être poursuivies par des plaignants souhaitant conduire une démonstration. Nous venons d'assister à un drame, avec l'assassinat à Paris de trois militantes kurdes ; certains dirigeants d'organisations nationalistes turques résidant dans notre pays pourraient vouloir demain poursuivre le PKK pour crimes de guerre. Cela serait-il judicieux pour la France ? En outre, lorsqu'un pays vote une loi d'amnistie pour sortir d'une guerre civile, est-ce à la France d'organiser malgré tout des procès ? Les précautions prises par Alain Anziani me paraissent tout à fait justifiées.

Enfin, je souligne que, sur ce sujet comme sur d'autres, il y a les associations et il y a le législateur. Les premières militent pour une cause, et certaines ne sont jamais satisfaites. Il revient au législateur de prendre en compte toutes les composantes de l'intérêt général.

M. Patrice Gélard . - Ce débat me rappelle celui que nous avions eu dans cette commission des lois il y a quelques années...

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Absolument !

M. Patrice Gélard . - Nous étions allés très loin mais, à la demande du Gouvernement, nous n'avions pas été suivis. Je félicite Alain Anziani qui va dans le même sens, et nous voterons cette proposition de loi telle qu'il propose de la modifier.

Mme Esther Benbassa . - J'ai été assaillie par les associations et le Syndicat de la magistrature qui s'opposent au monopole du parquet - je ne m'y attendais pas. Bien qu'il soit contestable dans certains cas, nous voterons le texte tel qu'amendé. Je partage le point de vue d'Alain Richard sur les associations mais attention à ne pas généraliser !

M. Yves Détraigne . - Ce texte nous fait tomber dans un travers bien français, qui est de vouloir éclairer le monde et de rendre la justice à la place des autres. Cela peut être dangereux en termes de sécurité juridique. Hormis la Belgique, y a-t-il d'autres Etats qui ont pratiqué ce qui nous est proposé ? Tout cela est risqué et source de conflits potentiels. Notre pays pourrait se trouver en porte à faux, en donnant des leçons de justice aux autres tout en accueillant, sans rien dire, des dirigeants de nos anciennes colonies sur lesquels il y aurait beaucoup à dire.

Mme Cécile Cukierman . - Ce rapport fait bien la part du pour et du contre. Notre groupe se félicitait de cette proposition de loi et de la suppression des verrous, mais nous sommes interrogatifs sur l'amendement du rapporteur qui conserve un monopole au parquet. J'entends vos arguments, mais cet amendement remet en cause le droit pour toute victime de saisir le juge si le parquet classe l'affaire ou s'il n'est pas en mesure de poursuivre. La Cour européenne des droits de l'homme a précisé à maintes reprises que le parquet n'était pas une autorité judiciaire indépendante. J'entends aussi votre volonté de rassurer en évoquant la réforme du Conseil supérieur de la magistrature, mais tant que le texte n'est pas là, ce ne sont que des paroles. Même chose concernant une éventuelle circulaire de la garde des Sceaux, nous resterons sur nos gardes. L'immunité limite déjà fortement les risques de plaintes abusives et le filtre du parquet n'empêchera pas le dépôt de certains recours susceptibles de poser problème.

L'exemple des Kurdes, avancé par M. Richard, est séduisant. Mais faisons confiance à la justice. N'importe qui, en effet, peut saisir la justice avec parfois pour seule motivation la volonté de régler ses comptes personnels avec autrui. Or dans ces dossiers, le parquet n'a pas le monopole des poursuites et celui qui dépose des plaintes abusives est passible de sanctions. Soyons attentifs à ne pas créer une justice d'exception, qui aboutirait à modifier, insidieusement, le modèle de la justice quotidienne.

Nous voterons cet amendement unique, même s'il est à prendre ou à laisser, car il supprime les trois premiers verrous. Nous nous réservons la possibilité de présenter des amendements en séance. Il est important de faire évoluer la loi de 2010, elle n'était pas acceptable.

M. Jean-Pierre Michel . - Je voterai la proposition de loi, que j'ai cosignée, mais je partage la position de M. Détraigne. Pourquoi juger en effet, sur la base du droit pénal français, des infractions commises à l'étranger par des étrangers ? Parce qu'il s'agit de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité ? Sans doute. Je voterai néanmoins ce texte surtout parce que, il est sans soute préférable qu'une personne soit jugée par un tribunal français que par la CPI.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Le risque de double poursuite me paraît limité. L'article 692 du code de procédure pénale interdit par ailleurs de juger une personne qui justifie avoir été jugée définitivement à l'étranger pour les mêmes faits.

Autre difficulté, les lois d'amnistie votées à l'étranger. Autoriser la constitution de partie civile pourrait avoir des effets délétères, car les lois d'amnistie étrangères ne sont pas opposables en France. Or, certaines d'entre elles peuvent être nécessaires à la réconciliation nationale.

Je remercie M. Gélard, ainsi que Mme Benbassa pour leurs propos.

La France a-t-elle vocation à donner des leçons en matière de justice internationale au monde entier ? S'il y a des valeurs universelles, il importe de les faire respecter universellement, même si les infractions ne sont pas poursuivies dans le pays d'origine. De plus, faute de ressources, les juridictions de ces pays, ou la CPI, ne sont pas toujours en mesure d'agir quand elles le souhaiteraient.

Le champ des immunités diplomatiques est limité ; d'anciens chefs d'Etat ou diplomates pourraient être poursuivis. Il y a des exemples précis. Surtout, doit-on créer une justice d'exception ? Par définition, dès lors que cette proposition de loi crée une compétence extra-territoriale, elle crée une justice d'exception. C'est pourquoi il est nécessaire d'appliquer des règles, notamment un filtre, pour éviter que notre pays soit instrumentalisé.

Examen des amendements

Article unique

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Notre rapporteur a déjà défendu l'amendement n° 2.

M. André Reichardt . - La rédaction du dernier alinéa n'est-elle pas redondante : dans la mesure où le ministère public s'assure de l'absence de poursuite, il paraît inutile de prévoir qu'il n'engagera de procédure que si aucune juridiction internationale ou nationale n'a demandé de remise ou d'extradition ?

M. Alain Anziani , rapporteur . - Il convient de distinguer deux cas. Si une juridiction internationale est saisie, l'affaire échappe à la règle du monopole du ministère public. Si aucune juridiction n'est saisie, alors le ministère public dispose du monopole des poursuites. Ainsi le procureur doit s'assurer que des poursuites n'ont pas déjà été engagées. Il ne s'agit que d'une mesure de vérification.

M. Gaëtan Gorce . - L'équilibre est difficile à trouver. Les solutions juridiques apportées, que j'approuve, ne régleront pas tous les cas pratiques.

L'opposant tchadien, Ibni Oumar Mahamat Saleh, est disparu le 3 février 2008. Une commission internationale a montré l'implication des forces de la garde présidentielle tchadienne. Une enquête a été acceptée par l'État tchadien, elle n'a évidemment pas abouti. La France est indirectement concernée, car des conseillers militaires étaient présents à N'Djamena. Les partisans de la vérité sont démunis, et on imagine mal le procureur de la République saisir la CPI, sur ces faits qui se sont accompagnés d'une répression féroce. Tout cela figure dans le rapport de la commission d'enquête. La possibilité de se constituer partie civile favoriserait des évolutions. La loi, dans son souci de fixer un cadre juridique stable, est source de blocages, à moins de démontrer l'utilisation de la torture, ce qui n'est jamais simple. Il est difficile de construire un droit international de protection des personnes dès lors que des Etats sont impliqués. Je critiquais l'ancien gouvernement pour son inertie, force m'est de formuler les mêmes critiques à l'égard du nouveau.

M. Christian Cointat . - Je propose, afin d'éviter toute redondance, de modifier la rédaction de cet amendement afin de prévoir que le ministère public s'assure « au préalable » de l'absence de poursuite.

M. Alain Anziani , rapporteur . - Cette rectification est utile.

L'amendement n° 2, ainsi rectifié, est adopté.

L'article 1 er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Article additionnel

M. Alain Anziani , rapporteur . - L'amendement n° 1 rend cette proposition de loi applicable à Wallis-et-Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie.

L'amendement n° 1 est adopté ; l'article additionnel est inséré.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Article unique

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

M. ANZIANI, rapporteur

2

Elargissement du champ de la proposition de loi
et encadrement des conditions de saisine
des juridictions françaises

Adopté avec modification

Article(s) additionnel(s) après Article unique

M. ANZIANI, rapporteur

1

Application outre-mer

Adopté

ANNEXE 1 - LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Personnalités qualifiées

- M. Robert Badinter , ancien président du Conseil constitutionnel, ancien garde des Sceaux, ancien sénateur

- M. Patrice Gélard , rapporteur pour le Sénat de la loi du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale

Professeurs de droit

- Mme Mireille Delmas-Marty

- M. Hervé Ascensio

Ministère de la justice

- M. Michel Debacq , conseiller diplomatique

- Mme Martine Timsit , conseillère parlementaire

Ministère des affaires étrangères

- M. François Zimeray , ambassadeur chargé des droits de l'homme

- Mme Nathalie Ancel , conseillère pour les affaires juridiques et consulaires au cabinet du ministre

- M. Pierre Boussaroque , directeur adjoint des affaires juridiques

- M. Gabriel Kunde , conseiller parlementaire

Tribunal de Grande Instance de Paris (pôle « crimes contre l'humanité »)

- Mme Emmanuelle Ducos , vice-présidente

- Mme Aurélia Devos , vice-procureur

- Mme Leïla Bourguiba , assistante spécialisée

Union syndicale des magistrats

- Mme Véronique Léger , secrétaire nationale

- M. François Thevenot , secrétaire général adjoint

Syndicat de la magistrature

- M. Xavier Gadrat , secrétaire national

- Mme Odette-Luce Bouvier , magistrate

Conseil National des Barreaux

- M. Vincent Nioré , ancien membre des commissions textes et libertés et droits de l'homme

Coalition française pour la Cour pénale internationale

- M. Simon Foreman , président, représentant Amnesty International

- Mme Clémence Bectarte, représentant la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme

- Mme Anne Souléliac, représentant le Barreau de Paris

- M. Guillaume Traynard, représentant le Syndicat des Avocats de France

Comité international de la Croix-Rouge

- Mme Ghislaine Doucet

ANNEXE 2 - LISTE DES ETATS PARTIES AU STATUT DE ROME

Participants

Signature

Approbation (AA)
Acceptation (A)
Adhésion (a)
Succession (d)
Ratification

Afghanistan

10 février 2003 (a)

Afrique du Sud

17 juillet 1998

27 novembre 2000

Albanie

18 juillet 1998

31 janvier 2003

Algérie

28 décembre 2000

Allemagne

11 décembre 2000

Andorre

18 juillet 1998

30 avril 2001

Angola

7 octobre 1998

Antigua-et-Barbuda

23 octobre 1998

18 juin 2001

Argentine

8 janvier 1999

8 février 2001

Arménie

1 er octobre 1999

Australie

9 décembre 1998

1 er juillet 2002

Autriche

7 octobre 1998

28 décembre 2000

Bahamas

29 décembre 2000

Bahreïn

11 décembre 2000

Bangladesh

16 septembre 1999

23 mars 2010

Barbade

8 septembre 2000

10 décembre 2002

Belgique

10 septembre 1998

28 juin 2000

Belize

5 avril 2000

5 avril 2000

Bénin

24 septembre 1999

22 janvier 2002

Bolivie (État plurinational de)

17 juillet 1998

27 juin 2002

Bosnie-Herzégovine

17 juillet 2000

11 avril 2002

Botswana

8 septembre 2000

8 septembre 2000

Brésil

7 février 2000

20 juin 2002

Bulgarie

11 février 1999

11 avril 2002

Burkina Faso

30 novembre 1998

16 avril 2004

Burundi

13 janvier 1999

21 septembre 2004

Cambodge

23 octobre 2000

11 avril 2002

Cameroun

17 juillet 1998

Canada

18 décembre 1998

7 juillet 2000

Cap-Vert

28 décembre 2000

10 octobre 2011

Chili

11 septembre 1998

29 juin 2009

Chypre

15 octobre 1998

7 mars 2002

Colombie

10 décembre 1998

5 août 2002

Comores

22 septembre 2000

18 août 2006

Congo

17 juillet 1998

3 mai 2004

Costa Rica

7 octobre 1998

7 juin 2001

Côte d'Ivoire

30 novembre 1998

Croatie

12 octobre 1998

21 mai 2001

Danemark

25 septembre 1998

21 juin 2001

Djibouti

7 octobre 1998

5 novembre 2002

Dominique

12 février 2001 (a)

Égypte

26 décembre 2000

Émirats arabes unis

27 novembre 2000

Équateur

7 octobre 1998

5 février 2002

Érythrée

7 octobre 1998

Espagne

18 juillet 1998

24 octobre 2000

Estonie

27 décembre 1999

30 janvier 2002

États-Unis d'Amérique

31 décembre 2000

Ex-République yougoslave de Macédoine

7 octobre 1998

6 mars 2002

Fédération de Russie

13 septembre 2000

Fidji

29 novembre 1999

29 novembre 1999

Finlande

7 octobre 1998

29 décembre 2000

France

18 juillet 1998

9 juin 2000

Gabon

22 décembre 1998

20 septembre 2000

Gambie

4 décembre 1998

28 juin 2002

Géorgie

18 juillet 1998

5 septembre 2003

Ghana

18 juillet 1998

20 décembre 1999

Grèce

18 juillet 1998

15 mai 2002

Grenade

19 mai 2001 (a)

Guatemala

2 avril 2012 (a)

Guinée

7 septembre 2000

14 juillet 2003

Guinée-Bissau

12 septembre 2000

Guyana

28 décembre 2000

24 septembre 2004

Haïti

26 février 1999

Honduras

7 octobre 1998

1 juillet 2002

Hongrie

15 janvier 1999

30 novembre 2001

Iles Cook

18 juillet 2008 (a)

Iles Marshall

6 septembre 2000

7 décembre 2000

Iles Salomon

3 décembre 1998

Iran (République islamique d')

31 décembre 2000

Irlande

7 octobre 1998

11 avril 2002

Islande

26 août 1998

25 mai 2000

Israël

31 décembre 2000

Italie

18 juillet 1998

26 juillet 1999

Jamaïque

8 septembre 2000

Japon

17 juillet 2007 (a)

Jordanie

7 octobre 1998

11 avril 2002

Kenya

11 août 1999

15 mars 2005

Kirghizistan

8 décembre 1998

Koweït

8 septembre 2000

Lesotho

30 novembre 1998

6 septembre 2000

Lettonie

22 avril 1999

28 juin 2002

Libéria

17 juillet 1998

22 septembre 2004

Liechtenstein

18 juillet 1998

2 octobre 2001

Lituanie

10 décembre 1998

12 mai 2003

Luxembourg

13 octobre 1998

8 septembre 2000

Madagascar

18 juillet 1998

14 mars 2008

Malawi

2 mars 1999

19 septembre 2002

Maldives

21 septembre 2011 (a)

Mali

17 juillet 1998

16 août 2000

Malte

17 juillet 1998

29 novembre 2002

Maroc

8 septembre 2000

Maurice

11 novembre 1998

5 mars 2002

Mexique

7 septembre 2000

28 octobre 2005

Monaco

18 juillet 1998

Mongolie

29 décembre 2000

11 avril 2002

Monténégro

23 octobre 2006 (d)

Mozambique

28 décembre 2000

Namibie

27 octobre 1998

25 juin 2002

Nauru

13 décembre 2000

12 novembre 2001

Niger

17 juillet 1998

11 avril 2002

Nigéria

1 er juin 2000

27 septembre 2001

Norvège

28 août 1998

16 février 2000

Nouvelle-Zélande

7 octobre 1998

7 septembre 2000

Oman

20 décembre 2000

Ouganda

17 mars 1999

14 juin 2002

Ouzbékistan

29 décembre 2000

Panama

18 juillet 1998

21 mars 2002

Paraguay

7 octobre 1998

14 mai 2001

Pays-Bas

18 juillet 1998

17 juillet 2001 (A)

Pérou

7 décembre 2000

10 novembre 2001

Philippines

28 décembre 2000

30 août 2011

Pologne

9 avril 1999

12 novembre 2001

Portugal

7 octobre 1998

5 février 2002

République arabe syrienne

29 novembre 2000

République centrafricaine

7 décembre 1999

3 octobre 2001

République de Corée

8 mars 2000

13 novembre 2002

République démocratique du Congo

8 septembre 2000

11 avril 2002

République de Moldova

8 septembre 2000

12 octobre 2010

République dominicaine

8 septembre 2000

12 mai 2005

République tchèque

13 avril 1999

21 juillet 2009

République-Unie de Tanzanie

29 décembre 2000

20 août 2002

Roumanie

7 juillet 1999

11 avril 2002

Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord

30 novembre 1998

4 octobre 2001

Sainte-Lucie

27 août 1999

18 août 2010

Saint-Kitts-et-Nevis

22 août 2006 (a)

Saint-Marin

18 juillet 1998

13 mai 1999

Saint-Vincent-et-les-Grenadines

3 décembre 2002 (a)

Samoa

17 juillet 1998

16 septembre 2002

Sao Tomé-et-Principe

28 décembre 2000

Sénégal

18 juillet 1998

2 février 1999

Serbie

19 décembre 2000

6 septembre 2001

Seychelles

28 décembre 2000

10 août 2010

Sierra Leone

17 octobre 1998

15 septembre 2000

Slovaquie

23 décembre 1998

11 avril 2002

Slovénie

7 octobre 1998

31 décembre 2001

Soudan

8 septembre 2000

Suède

7 octobre 1998

28 juin 2001

Suisse

18 juillet 1998

12 octobre 2001

Suriname

15 juillet 2008 (a)

Tadjikistan

30 novembre 1998

5 mai 2000

Tchad

20 octobre 1999

1 er novembre 2006

Thaïlande

2 octobre 2000

Timor-Leste

6 septembre 2002 (a)

Trinité-et-Tobago

23 mars 1999

6 avril 1999

Tunisie

24 juin 2011 (a)

Ukraine

20 janvier 2000

Uruguay

19 décembre 2000

28 juin 2002

Vanuatu

2 décembre 2011 (a)

Venezuela (République bolivarienne du)

14 octobre 1998

7 juin 2000

Yémen

28 décembre 2000

Zambie

17 juillet 1998

13 novembre 2002

Zimbabwe

17 juillet 1998

Source : site Internet de la Cour pénale internationale


* 1 En raison de la décision n°98-408 DC du 22 janvier 1999 rendue par le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 54 de la Constitution, par laquelle celui-ci avait conclu à l'incompatibilité de certaines dispositions de la convention de Rome avec la Constitution française.

* 2 En outre, les articles 113-3 et 113-4 du code pénal prévoient que « la loi pénale française est applicable aux infractions commises à bord des navires battant un pavillon français, ou à l'encontre de tels navires ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des navires de la marine nationale, ou à l'encontre de tels navires ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent » et qu'« [elle] est applicable aux infractions commises à bord des aéronefs immatriculés en France, ou à l'encontre de tels aéronefs ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent. Elle est seule applicable aux infractions commises à bord des aéronefs militaires français, ou à l'encontre de tels aéronefs ou des personnes se trouvant à bord, en quelque lieu qu'ils se trouvent ».

* 3 La règle « non bis in idem » (ou « ne bis in idem ») est un principe classique de la procédure pénale, déjà connu du droit romain, d'après lequel « nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement à raison des mêmes faits » (ancien code d'Instruction criminelle).

* 4 Cass. Crim., 11 septembre 1873. L'article 113-9 du code pénal dispose expressément qu'il n'est en effet pas applicable aux infractions commises sur le territoire de la République.

* 5 Voir notamment « Droit pénal général », Frédéric Desportes, Francis Le Gunehec, Economica, 15 ème édition, §389 et suivants.

* 6 Voir à ce sujet les articles 696 et suivants du code de procédure pénale. Il convient de relever, en outre, que, pour des raisons similaires, les tribunaux français sont compétents pour juger un étranger suspectés d'un crime ou d'un délit puni d'au moins cinq ans d'emprisonnement commis hors du territoire de la République lorsque son extradition est refusée à l'État requérant par les autorités françaises aux motifs, soit que le fait à raison duquel l'extradition avait été demandée est puni d'une peine ou d'une mesure de sûreté contraire à l'ordre public français, soit que la personne réclamée aurait été jugée dans ledit État par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, soit que le fait considéré revêt le caractère d'infraction politique. Dans ce cas, les poursuites ne peuvent être exercées qu'à la requête du ministère public. Elles doivent être précédées d'une dénonciation officielle, transmise par le ministre de la justice, de l'autorité du pays où le fait a été commis et qui avait requis l'extradition (article 113-8-1 du code pénal).

* 7 La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles a facilité l'application de la loi pénale française pour les crimes et délits de viols et d'agressions sexuelles, atteintes sexuelles sur mineurs, corruption de mineurs, pornographie infantile ainsi qu'au délit de proxénétisme commis sur un mineur.

* 8 Ph. Labrégère, X. Tracol, Jurisclasseur procédure pénale, art. 689 à 693, fascicule n°30 : « compétence des juridictions pénales françaises et de la loi pénale française - infractions commises à l'étranger ».

* 9 Cass. Crim, 10 janvier 2007.

* 10 C'est pour cette raison que des plaintes avec constitution de partie civile déposées par des réfugiés bosniaques du chef de tortures contre des dirigeants serbes ont été déclarées irrecevables (Cass. Crim., 26 mars 1996).

* 11 Cass. Crim., 23 octobre 2002.

* 12 Les fonctionnaires consulaires de carrière ne peuvent quant à eux être mis en état d'arrestation ou placés en détention provisoire qu'en cas de crime grave et seulement en application d'une décision de l'autorité judiciaire. Ils ne peuvent être incarcérés qu'en exécution d'une décision judiciaire définitive.

* 13 Qui dispose que « les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ».

* 14 La semaine juridique, édition générale, supplément au n°52, 24 décembre 2012, consacré au dixième anniversaire de la Cour pénale internationale.

* 15 « L'ambition raisonnée d'une justice apaisée », Commission sur la répartition des contentieux présidée par M. Serge Guinchard, La Documentation française, pages 273 et suivantes.

* 16 Rapport n°326 (2007-2008) fait au nom de la commission des lois du Sénat par M. Patrice Gélard, déposé le 14 mai 2008, pp. 21 à 25. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://senat.fr/rap/l07-326/l07-326.html

* 17 Assemblée nationale, avis n°1828 fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi, adopté par le Sénat, portant adaptation du droit pénal à l'institution de la Cour pénale internationale, 8 juillet 2009.

* 18 Le principe de légalité des poursuites s'oppose à celui d'opportunité des poursuites. Il signifie que le ministère public est tenu de poursuivre toute infraction parvenue à sa connaissance, quelles qu'en soient la gravité ou les circonstances.

* 19 Voir notamment l'étude de législation comparée établie par le ministère de la Justice et annexée au rapport précité de notre collègue Patrice Gélard, fait au nom de notre commission des lois, sur la loi du 9 août 2010.

* 20 Cour internationale de justice, 14 février 2002, « l'affaire du mandat d'arrêt du 11 avril 2000 - République démocratique du Congo c. Belgique ».

* 21 Source : centre de droit international de l'Université Libre de Bruxelles, dossier accessible sur Internet.

* 22 Voir le compte-rendu intégral des débats au Sénat, séance du 10 juin 2008. Ce document est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/cra/s20080610/s20080610.pdf

* 23 Cass. Crim., 26 mars 1996.

* 24 Cass. Crim., 10 janvier 2007.

* 25 Elle est notamment présente dans les dispositions relatives à l'extradition (articles 696 et suivants du code de procédure pénale), mais a été supprimée de celles relatives au mandat d'arrêt européen, s'agissant des infractions les plus graves (article 695-23 du code de procédure pénale).

* 26 Et sauf si la victime est française (article 113-7 du code pénal).

* 27 Articles 222-22, 225-11-2 et 227-27-1 du code pénal.

* 28 Cass. Crim., 23 octobre 2002, dans lequel la Cour affirme notamment que «  l'exercice par une juridiction française de la compétence universelle emporte la compétence de la loi française, même en présence d'une loi étrangère portant amnistie ».

* 29 Rapport n°318 (1998-1999) annexé au procès-verbal de la séance du 28 avril 1999 fait, au nom de la commission des lois du Sénat, par M. Robert Badinter. Ce texte est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l98-318/l98-318_mono.html .

* 30 Voir notamment les observations de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, formulées dans un avis adopté en assemblée plénière le 23 octobre 2012, et consultable à l'adresse suivante : http://www.cncdh.fr/sites/default/files/12.10.23_avis_cpi.pdf

* 31 Trois hypothèses sont visées pour justifier le refus d'extradition : soit la personne encourrait une peine ou une mesure de sûreté contraire à l'ordre public français, soit elle risquerait d'être jugée par un tribunal n'assurant pas les garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense, soit, enfin, parce que le fait considéré revêt le caractère d'infraction politique.

* 32 Dans sa décision n°2010-612 DC du 5 août 2010, le Conseil constitutionnel a jugé que la formulation « qui s'est rendue coupable » n'avait « ni pour objet ni pour effet d'exiger que la personne en cause ait, préalablement, été déclarée coupable par une juridiction française ou étrangère ; [qu'elle] ne présumait pas davantage de la culpabilité de cette personne qu'il appartiendra aux juridictions françaises d'apprécier ; que, par suite, elle ne méconnaît ni le principe de nécessité des peines qui résulte de l'article 8 de la Déclaration de 1789 ni la présomption d'innocence garantie par son article 9 ».

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