B. UN RÉGIME DE POLICE ADMINISTRATIVE INAPPLIQUÉ

Face aux limites du droit commun de la responsabilité civile en matière environnementale, la solution aurait pu venir de la loi du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale 40 ( * ) .

Cette loi est la transposition de la directive du 21 avril 2004 41 ( * ) . Elle crée un régime de police administrative, permettant la réparation des atteintes à l'environnement. Cet outil « novateur », pour reprendre le terme utilisé par notre collègue M. Jean Bizet, rapporteur de la loi de 2008 42 ( * ) pour la commission des affaires économiques, s'est toutefois révélé inadapté à son objet et est demeuré inappliqué.

La loi du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale

Transposition de la directive n° 2004/35/CE du 21 avril 2004 43 ( * ) , la loi de 2008 a introduit les articles L. 160-1 à L. 165-2 dans le code de l'environnement. Elle a été complétée par un décret du 23 avril 2009 44 ( * ) , créant les articles R. 161-1 à R. 163-1 du même code.

Si la directive et ses textes de transposition se réfèrent à une « responsabilité » environnementale, cette appellation est trompeuse, car le mécanisme mis en place s'apparente davantage à un régime de police administrative. Le régime ainsi créé est fondé sur la prise en compte de deux principes distincts : le principe « pollueur-payeur », explicitement mentionné à l'article L. 160-1 du code de l'environnement, et la nécessité d'un « coût raisonnable pour la société » 45 ( * ) .

Elle ne régit pas la relation victime-responsable comme le droit de la responsabilité civile, mais la relation exploitant de l'activité dommageable-autorité « compétente », c'est à dire le préfet du département. Il revient alors au préfet le soin de contrôler la prévention et la réparation et de les mettre en oeuvre, en déterminant les mesures qui s'imposent et en obligeant l'exploitant responsable à les prendre.

La qualité de « protecteur de l'environnement » et l'engagement de la responsabilité environnementale appartiennent à l'État. L'article L. 165-2 donne donc exclusivement compétence à « l'autorité administrative compétente » pour agir. Les recours sont intentés devant le juge administratif. La seule action ouverte aux associations de protection de l'environnement ou à « toute autre personne concernée » consiste dans la possibilité de saisir « l'autorité compétente » (le préfet) d'une demande tendant à la mise en oeuvre des mesures de prévention et de réparation prévues par la loi.

Un champ d'application limité

Seuls les dommages causés à l'environnement en tant que tel sont pris en charge par ce régime, puisque la réparation de ses conséquences sur les personnes en est explicitement exclue par l'article L. 162-2 du code de l'environnement, selon lequel : « une personne victime d'un préjudice résultant d'un dommage environnemental ou d'une menace imminente d'un tel dommage ne peut en demander réparation » sur ce fondement 46 ( * ) .

De plus, tous les dommages causés à l'environnement ne sont pas couverts. Seuls les dommages causés du fait d'une activité professionnelle, d'une certaine gravité, et à condition qu'ils figurent sur la liste des dommages réparables (causés aux sols, aux eaux, aux espèces protégées et aux services écologiques, c'est-à-dire aux fonctions assurées par les éléments énumérés), ouvrent droit à sa mise en oeuvre.

Enfin, les faits générateurs antérieurs au 30 avril 2007 ou ceux postérieurs à cette date, dès lors qu'ils résultent d'une activité ayant définitivement cessé au 30 avril 2007, ne sont pas couverts (article L. 161-5).

En revanche, une fois qu'il est établi que le dommage entre dans le champ du dispositif, le régime applicable semble assez adapté à la réparation des dommages environnementaux.

Un régime favorable à la réparation

Diversité des fondements invocables :

Le régime combine la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute. Le 1° de l'article L. 162-1 prévoit que pour les dommages causés par des activités considérées comme dangereuses, la responsabilité environnementale de l'exploitant pourra être retenue « y compris en l'absence de faute ou de négligence » de sa part. L'utilisation d'un régime de responsabilité objective pour les activités dangereuses s'inscrit dans une tendance constante du droit commun de la responsabilité civile. Le 2° du même article dispose que pour les dommages causés aux espèces et habitants par des activités professionnelles autres que celles considérées comme dangereuses, la responsabilité de l'exploitant ne pourra être engagée qu'« en cas de faute ou de négligence ».

L'article L. 162-23 prévoit que l'exploitant peut s'exonérer de responsabilité, « s'il apporte la preuve qu'il n'a pas commis de faute ou de négligence » dans le cas de la responsabilité pour faute, ou en matière de responsabilité sans faute, pour risque de développement, lorsque « le dommage à l'environnement résulte d'une émission, d'une activité ou, dans le cadre d'une activité, de tout mode d'utilisation d'un produit qui n'étaient pas considérés comme susceptibles de causer des dommages à l'environnement au regard de l'état des connaissances scientifiques et techniques au moment du fait générateur du dommage. »

Prévention et réparation

Alors que le champ de la responsabilité civile est théoriquement limité aux actions de réparation des préjudices, la loi de 2008 a pour double finalité de prévenir et de réparer les dommages causés à l'environnement. L'article L. 162-3 prévoit qu' « en cas de menace imminente de dommage, l'exploitant prend sans délai et à ses frais des mesures de prévention afin d'en empêcher la réalisation ou d'en limiter les effets. Si la menace persiste, il informe sans délai [le préfet] de sa nature, des mesures de prévention qu'il a prises et de leurs résultats . »

Si les mesures de prévention ne suffisent pas, l'article L. 162-4 dispose qu' « en cas de dommage, l'exploitant en informe sans délai [le préfet] . Il prend sans délai et à ses frais des mesures visant à mettre fin à ses causes, à prévenir ou à limiter son aggravation ainsi que son incidence sur la santé humaine et sur les services écologiques. »

Réparation en nature privilégiée

Le régime de responsabilité environnementale a pour but la remise en état de l'environnement. Dès lors, seule la réparation en nature peut être ordonnée.

Trois types de réparation sont prévus par le texte (article L. 162-9). La réparation primaire est privilégiée. Elle désigne « toute mesure par laquelle les ressources naturelles et leurs services [...] retournent à leur état initial ou s'en approchent ».

Lorsque la réparation primaire n'aboutit pas, des mesures de réparation complémentaire sont mises en oeuvre « afin de fournir un niveau de ressources naturelles ou de services comparable à celui qui aurait été fourni si le site avait été rétabli dans son état initial. Elles peuvent être mises en oeuvre sur un autre site, dont le choix doit tenir compte des intérêts des populations concernées par le dommage. »

Enfin, « des mesures de réparation compensatoire doivent compenser les pertes intermédiaires de ressources naturelles ou de services survenant entre le dommage et la date à laquelle la réparation primaire ou complémentaire a produit son effet. Elles peuvent être mises en oeuvre sur un autre site et ne peuvent se traduire par une compensation financière. »

Présomptions invocables

La preuve du lien de causalité entre le fait générateur et le préjudice est facilitée par le deuxième alinéa de l'article L. 162-1 qui prévoit que : « le lien de causalité entre l'activité et le dommage est établi par [le préfet] qui peut demander à l'exploitant les évaluations et informations nécessaires . »

A priori , la loi de 2008 pouvait sembler apporter un complément utile au régime de droit commun de la responsabilité civile. Dans la réalité, ces nouvelles dispositions se sont révélées difficilement applicables.

La principale raison tient au choix fait par le législateur d'énumérer les activités potentiellement polluantes ou les types de dommages réparables. Une telle liste s'expose toujours au risque d'oublis, mais aussi d'obsolescence, provoquée par le développement rapide des activités hypothétiquement dangereuses. De fait, la plupart des dommages n'entrent pas dans le champ de la loi de 2008.

Il est également significatif que les préfets, pourtant seuls compétents pour agir, ignorent le pouvoir que leur donne la loi et privent ainsi cette dernière de toute efficacité.

Quant à l'articulation du droit de la responsabilité civile applicable pour réparer un préjudice personnel avec le régime de police administrative, limité aux dommages environnementaux, elle apporte plus de complexité que de clarification.

La loi de 2008 ne créant pas un régime spécial de responsabilité, l'adage « specialia generalibus derogant », (les lois spéciales dérogent aux lois générales) ne s'applique pas et les deux régimes peuvent dès lors entrer en concurrence. Il y a donc un risque, pour le responsable, de se voir condamné à réparer deux fois le même dommage sur des fondements différents.

Par ailleurs, en l'absence de règles de conflits de compétences entre juridictions civiles et administratives, une association de défense de l'environnement, voire un particulier, qui prendraient à ses frais des mesures préventives tendant à éviter la réalisation d'un dommage ne saura pas quel juge saisir pour en obtenir le remboursement.

Enfin, la loi de 2008 qui a une finalité de prévention et de réparation, aurait dû compléter la responsabilité civile de droit commun, limitée aux dommages actuels et certains. La faiblesse de son champ d'application ne lui permettra pas d'assumer cette fonction.

Face à ces incertitudes, les auteurs de la proposition de loi ont entendu apporter une solution nouvelle, en introduisant, au coeur du code civil, des règles générales de réparation des dommages causés à l'environnement.


* 40 Loi n° 2008-757 du 1 er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de l'environnement.

* 41 Directive n° 2004/35/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, sur la responsabilité environnementale en ce qui concerne la prévention et la réparation des dommages environnementaux.

* 42 Rapport n° 348 (2007-2008) fait par M. Jean Bizet, au nom de la commission des affaires économiques sur le projet de loi relatif à la responsabilité environnementale.

* 43 Directive précitée.

* 44 Décret n° 2009-468 du 23 avril 2009 relatif à la prévention et à la réparation de certains dommages causés à l'environnement.

* 45 L'article L. 160-1 du code de l'environnement prévoit que « le présent titre définit les conditions dans lesquelles sont prévenus ou réparés, en application du principe pollueur-payeur et à un coût raisonnable pour la société, les dommages causés à l'environnement par l'activité d'un exploitant. »

* 46 Le paragraphe 14 de l'exposé des motifs de la directive de 2004 l'exclut explicitement : « la présente directive ne s'applique pas aux dommages corporels, aux dommages aux biens privés, ni aux pertes économiques et n'affecte pas les droits résultant de ces catégories de dommages . »

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