II. L'INTRODUCTION DANS LE CODE CIVIL PAR LA PROPOSITION DE LOI, D'UN PRINCIPE GÉNÉRAL DE RESPONSABILITÉ CIVILE DU FAIT DES ATTEINTES À L'ENVIRONNEMENT

À l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité, dans une décision du 8 avril 2011 47 ( * ) , le Conseil constitutionnel a interprété les articles 1 er et 2 de la Charte de l'environnement de 2004, qui disposent que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et que « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », comme imposant à toute personne, « une obligation de vigilance à l'égard des atteintes à l'environnement qui pourraient résulter de son activité ».

Il en conclut « qu'il est loisible au législateur de définir les conditions dans les quelles une action en responsabilité peut être engagée sur le fondement de la violation de cette obligation ».

Articles 1 à 4 de la Chartes de l'environnement de 2004

Article 1 er : Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Article 2 : Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

Article 3 : Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4 : Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.

Cette décision a ouvert la voie à une nouvelle législation.

L' article unique de la proposition de loi est inspiré des travaux menés par la mission « Lepage » 48 ( * ) et, plus récemment, par le « club des juristes » 49 ( * ) , qui visaient à introduire dans le code civil un article 1382-1, dont la rédaction était calquée sur celle de l'article 1382 50 ( * ) .

Les auteurs de la proposition de loi avaient, dans un premier temps, repris la rédaction proposée par ces travaux. Ils ont finalement rectifié leur texte, choisissant d' insérer , dans le livre troisième du code civil, un titre IV ter autonome , intitulé : « de la responsabilité du fait des dommages à l'environnement », composé de deux articles.

Votre commission a adopté, sur proposition de son rapporteur, un amendement tendant à modifier l'intitulé de ce titre, en remplaçant le mot « dommages », par le mot : « atteintes ». En effet, le fait générateur qui engage la responsabilité de son auteur est l'atteinte. Le dommage, compris ici comme le préjudice 51 ( * ) , n'en est que la conséquence, dont la victime demande réparation. Dès lors, le titre IV ter serait ainsi rédigé : « De la responsabilité du fait des atteintes à l'environnement ».

Il s'intégrerait dans le code civil à la suite de l'actuel titre IV bis « De la responsabilité du fait des produits défectueux » qui fait lui même suite au titre IV qui traite des quasi-contrats (articles 1371 à 1381), des délits et quasi-délits (articles 1382 à 1386).

A. UN RÉGIME DE RESPONSABILITÉ CIVILE RESTREINT À LA FAUTE

Le nouvel article 1386-19 pose un principe général de responsabilité selon lequel : « toute personne qui cause par sa faute un dommage à l'environnement est tenue de le réparer ».

Par cette affirmation, le texte s'affranchit de la conception classique du droit de la responsabilité qui ne couvre que les dommages causés aux sujets de droit, et consacre un dommage autonome à l'environnement , distinct de ses conséquences pour les personnes 52 ( * ) .

En retenant un régime de responsabilité pour faute , le texte veut faire preuve d'un certain pragmatisme. Il tente de concilier des intérêts parfois antagonistes que sont les intérêts environnementaux et les intérêts socio-économiques, afin de recueillir l'adhésion la plus large possible.

Il tient compte également du fait que la notion de « faute objective », retenue par la jurisprudence 53 ( * ) , permet déjà de couvrir de nombreuses hypothèses, comme l'a souligné le professeur François-Guy Trébulle, membre du club des juristes, entendu par votre rapporteur. Par exemple, un simple manquement à une règlementation environnementale suffit à engager la responsabilité de son auteur.

Pour autant, selon votre rapporteur, la rédaction choisie ne permet pas d'atteindre l'objectif présenté dans l'exposé des motifs de la proposition de loi : « sécuriser ce qui a été progressivement construit ces dernières années ». Le choix d'un régime de responsabilité pour faute apparait en retrait par rapport à l'évolution jurisprudentielle récente, dans la mesure où il emporterait l'éviction des autres régimes de responsabilité actuellement applicables .

Dès lors qu'un grand nombre des dommages à l'environnement découle des risques inhérents aux activités humaines, génératrices de pollution et de nuisances, plutôt que d'intentions malveillantes, les régimes de responsabilité objective, retenus par la jurisprudence, sont plus favorables à la victime, qui n'a pas besoin de rapporter la preuve d'une faute 54 ( * ) .

L'orientation restrictive retenue par la proposition de loi s'inscrit en sens inverse des évolutions récentes du droit de la responsabilité civile, qui applique généralement aux activités à risques, des régimes de responsabilité objective, se fondant sur l'idée que la personne est responsable dans la mesure où elle crée un risque dont elle tire souvent profit.

Dans son article sur le concept de responsabilité 55 ( * ) , Paul Ricoeur constatait déjà que « toute l'histoire contemporaine de ce qu'on appelle le droit de la responsabilité, au sens technique du terme, tend à faire place à l'idée de responsabilité sans faute, sous la pression de concepts tels que ceux de solidarité, de sécurité et de risque, qui tendent à occuper la place de l'idée de faute ».

La récente loi du 1 er août 2008 sur la responsabilité environnementale, même si elle demeure inappliquée, en est d'ailleurs l'illustration. Elle prévoit que, pour les activités dangereuses, l'auteur de pollution doit réparer toutes les conséquences de l'atteinte qu'il cause à l'environnement, même s'il n'a pas commis de faute.

Plusieurs professeurs entendus par votre rapporteur, parmi lesquels Geneviève Viney et François Guy Trébulle, ont écarté cette interprétation, estimant que la référence à la faute dans la proposition de loi n'aurait pas pour effet d'exclure l'application aux atteintes à l'environnement des autres régimes de responsabilité, prévus aux articles 1383 et suivants du code civil, tout comme l'exigence de faute qui figure à l'article 1382, n'empêche pas de les invoquer pour fonder la réparation de dommages causés à autrui.

Cette position ne fait pas consensus. Les professeurs Patrice Jourdain et Laurent Neyret, également entendus par votre rapporteur, estiment, à l'inverse, que la référence à la faute entraînerait effectivement une éviction des régimes de responsabilité civile objective. C'est également l'avis de certains praticiens comme. Me Patricia Savin qui a souligné qu'il serait « contre-productif de rattacher ce régime de responsabilité à la faute ».

Enfin, si votre rapporteur approuve le choix finalement retenu par les auteurs de la proposition de loi de créer dans le code civil un titre spécialement dédié aux dommages causés à l'environnement 56 ( * ) , il souligne le fait que ce choix accentue encore davantage le caractère particulier de ces dispositions par rapport aux principes généraux de la responsabilité civile, fixés aux articles 1382 et suivants du code civil, et le risque de voir le régime pour faute écraser les autres.

Pour éviter toute querelle d'interprétation et quelques tâtonnements jurisprudentiels, sources d'insécurité juridique, votre commission a adopté, à l'initiative de son rapporteur, un amendement supprimant la référence à la faute.

Elle pose un principe général de responsabilité objective ainsi rédigé : « toute personne qui cause un dommage à l'environnement est tenue de le réparer ».

Cette rédaction est la traduction civiliste du principe « pollueur-payeur », consacré implicitement à l'article 4 de la Charte de l'environnement, selon lequel : « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ».


* 47 Décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011.

* 48 Rapport de la mission confiée à Mme Corinne Lepage sur la gouvernance écologique, remis en février 2008 au ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables.

* 49 Rapport du club des juristes de janvier 2012 : « Mieux réparer le dommage environnemental », http://www.leclubdesjuristes.com/notre-expertise/publications-et-travaux/inscrire-la-responsabilite-environnementale-dans-le-code-civil .

* 50 Cet article 1382-1 était ainsi rédigé : « tout fait quelconque de l'homme qui cause un dommage à l'environnement, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

* 51 En effet, suivant son rapporteur, votre commission n'a pas jugé opportun de reprendre à son compte la distinction parfois retenue en doctrine entre la notion de « dommage » (le fait, l'atteinte en tant que telle) et celle de « préjudice » (la conséquence qui découle du dommage et donne lieu à réparation). Les deux notions sont donc utilisées indifféremment dans le présent rapport, comme souvent dans la jurisprudence, pour désigner les conséquences réparables des atteintes à l'environnement.

* 52 Cf. supra.

* 53 Cf. supra.

* 54 Cf. supra .

* 55 « Le juste I », 1995, p. 58, précité.

* 56 Dans sa version initiale, le texte prévoyait d'insérer un article 1382-1 après l'article 1382 du code civil.

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