C. LE PRINCIPE D'UNE RÉPARATION PRIORITAIREMENT EN NATURE DONT LA MISE EN oeUVRE MÉRITE D'ÊTRE PRÉCISÉE

1. La réparation en nature, un mode de réparation des dommages causés à l'environnement approprié

La proposition de loi insère un article 1386-20 dans le code civil qui prévoit que « la réparation du dommage à l'environnement s'effectue prioritairement en nature ».

La réparation en nature consiste pour le juge, à imposer au responsable un acte, un comportement, une prestation matérielle qui vise à supprimer ou atténuer le dommage 67 ( * ) . Les modalités de cette réparation sont multiples. Elles visent principalement à restaurer la situation antérieure au dommage, grâce à la remise en état du milieu endommagé ou à la réintroduction d'une espèce détruite, par exemple.

Une telle solution apparaît, dans son principe, relativement consensuelle au sein de la doctrine, car la réparation en nature permet la remise en état du milieu dégradé. Idéalement, elle conduit à effacer purement et simplement le dommage, remplissant ainsi parfaitement la fonction première dévolue à la responsabilité civile : la réparation .

Le choix d'une réparation en nature n'est pas tout à fait nouveau. En effet, la directive du 21 avril 2004, transposée par la loi du 1 er août 2008, même si elle ne met pas en oeuvre un mécanisme de responsabilité mais un dispositif de police administrative, prévoit exclusivement une réparation en nature des dommages causés à l'environnement. La loi de 2008 détaille trois types de réparation 68 ( * ) , dont le juge judiciaire pourrait s'inspirer, dans le cadre de la mise en oeuvre du présent texte :

- la réparation primaire (remise de l'environnement dans son état initial ou dans un état s'en approchant) ;

- la réparation complémentaire (fourniture d'un niveau de ressources naturelles ou de services comparable à celui qui aurait été fourni si le site avait été rétabli dans son état initial), lorsque la réparation primaire est impossible ;

- la réparation compensatoire (compensation des pertes intermédiaires de ressources naturelles ou de services entre le dommage et la date à laquelle la réparation primaire ou complémentaire a produit son effet ).

En matière de responsabilité civile, l'avant projet de réforme du droit des obligations 69 ( * ) , dans son article 1368, consacre également de manière générale, et non spécifiquement dans le champ de l'environnement, la réparation en nature : « la réparation peut, au choix du juge, prendre la forme d'une réparation en nature ou d'une condamnation aÌ des dommages-intérêts, ces deux types de mesures pouvant se cumuler afin d'assurer la réparation intégrale du préjudice. »

De même, l'article 51 des travaux menés, sous la direction du professeur François Terré, pour une réforme du droit de la responsabilité civile 70 ( * ) , prévoit la mise en oeuvre d'une réparation en nature « propre à supprimer, réduire ou compenser le dommage ».

La réparation en nature permet de faire face à l'inadaptation des principes traditionnels de la réparation civile en matière environnementale . En effet, si la Cour de cassation admet de manière constante la liberté du juge de choisir entre réparation en nature ou réparation pécuniaire 71 ( * ) , en pratique, dans la plupart des cas, le juge ordonne le versement de dommages et intérêts à la victime 72 ( * ) .

Cette forme de réparation n'est pas la plus appropriée en matière environnementale. De jurisprudence constante 73 ( * ) , lorsqu'il octroie des dommages et intérêts, le juge ne peut les affecter à un usage déterminé et priver la victime de la liberté d'utiliser les fonds alloués comme elle l'entend.

Selon le professeur Mireille Bacache 74 ( * ) , l'application des principes traditionnels de la réparation au préjudice écologique comporte un double risque.

D'une part, l'environnement n'étant pas un sujet de droit autonome, doté de personnalité juridique, l'action en responsabilité est forcément exercée par un tiers. Cette dissociation entre la « victime » et le titulaire de l'action comporte un risque de détournement de l'indemnité 75 ( * ) .

D'autre part, les atteintes à l'environnement donnant lieu, le plus souvent, à une pluralité d'actions, elles peuvent entraîner l'indemnisation d'un même dommage plusieurs fois , portant ainsi atteinte au principe de la réparation intégrale , en vertu duquel, si le juge doit réparer le préjudice dans son intégralité, il ne peut en revanche aller au delà.

Cette réparation en nature permet également d'éviter la difficulté, déjà rencontrée pour l'évaluation de préjudices moraux ou corporels, d'avoir à donner un prix à quelque chose qui n'en a pas, la nature . Pour reprendre les termes employés par Mme Muriel Fabre-Magnan, « en donnant un prix à quelque chose d'inestimable, on le rabaisse nécessairement » 76 ( * ) .

À l'heure actuelle, lorsque les juges du fond admettent la réparation du préjudice écologique, ils se heurtent à d'importantes difficultés d'évaluation. La réparation s'est parfois traduite par l'allocation de sommes symboliques 77 ( * ) ou, lorsque cette indemnisation se confondait avec celle du préjudice moral de l'association à l'origine de l'action, par des dommages et intérêts versés au prorata de l'implication du demandeur dans la prévention et le traitement du dommage écologique.

2. La nécessité de prévoir une réparation pécuniaire subsidiaire

La proposition de loi examinée précise que la réparation s'effectue « prioritairement » en nature. Elle prévoit donc implicitement l'hypothèse dans laquelle une telle réparation ne pourrait être mise en oeuvre, sans apporter d'autres précisions.

Deux possibilités sont alors envisageables :

- les dommages et intérêts sont attribués aux demandeurs. Dans ce cas, le principe de non-affectation devra être écarté, pour que les sommes soient effectivement consacrées à des projets en lien avec la préservation de l'environnement ;

- les dommages et intérêts sont affectés à un fonds public spécifique, chargé de mettre en oeuvre le même type d'actions. En droit brésilien, par exemple, la loi du 24 juillet 1985 prévoit que le montant de la condamnation au paiement d'une somme d'argent, servant à l'indemnisation du dommage, est reversé à un fonds dont les ressources servent à réparer les biens endommagés.

Votre commission vous propose de retenir cette seconde solution. Elle a adopté un amendement de son rapporteur tendant à compléter l'article 1386-20 du code civil, créé par l'article unique de la proposition de loi examinée, par un alinéa ainsi rédigé : « Lorsque la réparation en nature du dommage n'est pas possible, la réparation se traduit par une compensation financière versée à l'État ou à un organisme désigné par lui et affectée, dans les conditions prévues par un décret en Conseil d'État, à la protection de l'environnement. »

En tout état de cause, que la réparation s'effectue en nature ou par le versement de dommages et intérêts, elle suppose une identification préalable et précise des différents chefs de préjudices .

Comme l'a relevé le professeur Patrice Jourdain, lors de son audition par votre rapporteur, le juge civil ne dispose pas forcément de l'expertise nécessaire et des moyens matériels et humains pour mener à bien cette tache complexe.

Si la difficulté d'évaluer un préjudice ne fait pas obstacle à sa réparation 78 ( * ) , comme le droit de la responsabilité civile l'admet depuis longtemps, les juridictions du fond peuvent hésiter. Ces évaluations donnent lieu à une grande disparité des approches retenues. Elles s'appuient par exemple sur des indicateurs de biodiversité comme la baisse de la présence d'oiseaux, signe de la détérioration de la biodiversité, sur des barèmes établis par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage ou encore sur la théorie des unités de biodiversité de M. Bernard Chevassus-au-Louis 79 ( * ) , utilisée par exemple dans l'affaire de l'« Erika ».

L'évaluation des atteintes à l'environnement est empirique. Pour prévenir des disparités selon les juridictions, votre rapporteur estime particulièrement intéressante la proposition des professeurs Laurent Neyret et Gilles J. Martin tendant à s'appuyer sur une nomenclature des préjudices écologiques 80 ( * ) . Cet outil a été conçu, sur le modèle de la nomenclature « Dintilhac » 81 ( * ) élaborée pour les dommages corporels, pour permettre de définir et délimiter les différentes catégories de préjudices environnementaux, en prenant en compte leur diversité, leur complexité et leur durabilité. Elle permet ainsi à tous les intervenants du domaine environnemental de disposer d'un référentiel commun 82 ( * ) .


* 67 G. Viney et P. Jourdain « Les effets de la responsabilité », LGDJ, 2010.

* 68 Cf. encadré supra.

* 69 Précité.

* 70 Précité.

* 71 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 29 juin 1961.

* 72 Ponctuellement, les juges du fond ordonnent des mesures de réparation en nature. Par exemple, dans un arrêt du 5 juillet 1995 (n° 95/01694), relatif à l'abattage d'arbres et de haies en violation d'un arrêté préfectoral, la Cour d'appel de Rennes a affirmé que « la remise en état des lieux constitue le mode de réparation qui doit être privilégié, tout particulièrement en matière d'environnement ». En l'espèce, le juge avait imposé de reconstituer les boisements détruits illégalement, sous peine d'astreinte par jour de retard.

* 73 Par exemple, Cour de cassation, 2 è chambre civile, 7 juillet 2011 (n° 10-20.373).

* 74 Intervention de Mme Mireille Bacache, professeur à l'université Paris Descartes, lors du colloque « Le préjudice écologique après l'Erika », organisé par MM. Bruno Retailleau et Alain Anziani le 31 octobre 2012.

* 75 Cette difficulté ne se retrouve pas en présence d'un préjudice subjectif, pour lequel le titulaire de l'action est la victime elle-même.

* 76 Mme Muriel Fabre-Magnan, postface de la « nomenclature des préjudices environnementaux », précitée.

* 77 La Cour d'appel de Pau, le 17 mars 2005, a accordé un euro symbolique pour la mort d'un rapace et celle d'Aix-en-Provence, le 21 mars 2005, pour celle d'un loup. Dans un arrêt du 26 juin 1992, la Cour d'appel de Rennes avait fixé l'indemnisation d'un dommage causé par le dépassement des effectifs autorisés dans un élevage de visons d'Amérique, à « 0,50 franc par tête ».

* 78 Cour de cassation, chambres réunies, 15 juin 1833.

* 79 Rapport d'avril 2009, de MM. Bernard Chevasus-au-Louis, Jean-Michel Salles et Jean-Luc Pujol : « Approche économique de la biodiversité et des services liés aux écosystèmes - Contribution à la décision publique », Centre d'analyse stratégique.

* 80 Précitée.

* 81 Rapport de M. Jean-Pierre Dintilhac, proposant une nomenclature des préjudices corporels, remis au garde des sceaux le 28 octobre 2005.

* 82 Cf. Préface de la « nomenclature des préjudices environnementaux » précitée.

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