D. DES QUESTIONS DE PROCÉDURE LAISSÉES EN SUSPENS

1. La détermination des personnes ayant intérêt à agir

L'article 31 du code de procédure civile prévoit que « l'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention ». L'intérêt à agir est donc classiquement un intérêt personnel.

Pourtant, en matière de responsabilité des dommages causés à l'environnement, il y a nécessairement une dissociation entre la qualité de « victime » (l'environnement) et celle de demandeur en justice .

Les termes de l'article 1 er de la Charte de l'environnement, qui dispose que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé », pourraient justifier d'ouvrir l'action à toute personne, puisque l'environnement est un bien commun.

Cependant, s'agissant de la défense d'un intérêt collectif, et dans la mesure où les affaires de pollution les plus importantes mettent en cause des entreprises parfois puissantes, les collectivités territoriales, les organismes publics qui reçoivent de la loi une compétence spéciale en matière d'environnement et les associations de défense de l'environnement peuvent sembler mieux armés pour agir que les particuliers.

En matière pénale, le code de l'environnement dispose déjà que certains organismes publics (article L. 132-1), les associations agrées de protection de la nature et de l'environnement (article L. 142-2) et les collectivités territoriales ainsi que leurs groupements (article L. 142-4), peuvent se constituer partie civile 83 ( * ) .

La jurisprudence a admis que ces organes pouvaient également agir devant la juridiction civile 84 ( * ) , et que l'action des associations non agrées était recevable, dès lors qu'il existe une atteinte à un intérêt collectif, en rapport avec son objet statutaire 85 ( * ) .

Selon votre rapporteur, ces solutions jurisprudentielles auraient vocation à être introduites dans le code de procédure civile. Elles devraient également être complétées par le droit au remboursement des frais que ces entités ont engagé au titre de la procédure. Le code de procédure civile ne relevant pas du domaine législatif mais du domaine réglementaire, il invite donc le gouvernement à prendre les mesures nécessaires.

Bien entendu, cette action en réparation d'un préjudice écologique « pur » ne priverait pas le demandeur de son droit à obtenir la réparation des préjudices qu'il subit personnellement en raison des mêmes faits.

2. Une clarification nécessaire des délais de prescription

Une pollution peut ne pas provoquer de conséquences immédiates. Ses effets peuvent n'apparaître que plusieurs années après sa manifestation (maladies à la suite d'une pollution de l'air, du sol, de l'eau ou disparition d'une espèce).

Dès lors se pose la question des délais de prescription applicables aux actions dirigées contre les auteurs de dommages causés à l'environnement.

Le droit commun de la prescription des actions personnelles ou mobilières prévoit un délai de cinq ans , qui court « à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer » (article 2224 du code civil).

L'article L. 152-1 du code de l'environnement prévoit un régime dérogatoire de prescription pour certains dommages causés par les activités régies par ce même code. Le délai de prescription de l'action est alors de 30 ans , et il commence à courir à compter de la date du fait générateur du dommage.

Un tel point de départ peut raccourcir de beaucoup le délai réel de prescription, dans la mesure où, en matière environnementale, un décalage important peut exister entre le fait générateur et le moment de la découverte du dommage. Ce régime peut donc, paradoxalement, se révéler moins favorable pour la victime que le délai de prescription de droit commun de cinq ans, qui court à compter du jour où le titulaire est en mesure d'agir, ce qui n'était pas l'esprit de la loi du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile 86 ( * ) qui a créé cet article. Par ce régime dérogatoire, le législateur entendait prendre en considération la spécificité environnementale.

De plus, pour être applicable au présent texte, ce régime dérogatoire devrait faire l'objet de diverses modifications. En effet, l'article L. 152-1 concerne seulement les dommages causés par les « installation, travaux, ouvrage et activités régis par le code de l'environnement » et ne vise que les « obligations financières liées à la réparation », ce qui semble exclure son application aux actions en demande de réparation en nature.

Dès lors, votre commission, par la voie d'un amendement d'appel de son rapporteur, a engagé une réflexion sur cette question.

Dans la mesure où la proposition de loi crée un régime de responsabilité civile, au sein du code civil, le délai de prescription applicable pourrait être celui du droit commun (article 2224 du code civil), c'est-à-dire 5 ans, mais dont le point de départ est souple, puisqu'il court à compter du jour où le titulaire du droit « a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant » d'exercer l'action.

Il pourrait donc courir au-delà de 30 ans, sous réserve d'une modification ou d'une interprétation assez souple de l'article 2232 du code civil, car celui-ci prévoit que, sauf exception, « le report du point de départ, [...] ne peut avoir pour effet de porter le délai de la prescription extinctive au-delà de vingt ans à compter du jour de la naissance du droit ». Il ne faudrait donc pas être limité par ce butoir de vingt ans.

La preuve étant complexe à apporter en matière environnementale, si le délai de cinq ans pour agir, à compter de la découverte du dommage, était jugé trop bref, il pourrait alors être envisagé de le porter à dix ans, comme le prévoit l'article 2226 du code civil pour les dommages corporels.

Cependant, un paramètre supplémentaire doit être pris en considération dans la détermination du régime de prescription applicable. La directive du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale 87 ( * ) impose un délai de prescription de trente ans « depuis l'émission, événement ou incident ayant donné lieu » au dommage environnemental.

Dès lors, le législateur devra choisir entre un délai long mais avec un point de départ fixe (le fait générateur) ou un délai plus court avec un point de départ plus souple. Votre rapporteur, dans l'amendement qu'il avait déposé, avait proposé de conserver le délai de 30 ans prévu par l'article L. 152-1, avec un point de départ souple, ce régime pouvant se justifier eu égard à la spécificité des dommages causés à l'environnement, qui peuvent se révéler des années après leur survenance.

Votre rapporteur a estimé que la réflexion sur cette question n'était pas suffisamment aboutie et devrait se poursuivre pour parvenir à une solution satisfaisante. Il a donc retiré cet amendement.

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Par conséquent, votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .


* 83 L'article L. 132-1 prévoit également le remboursement des frais engagés par les organismes publics.

* 84 Cour de cassation, 2 è chambre civile, 7 décembre 2006 (n° 05-20.297) : précité.

* 85 Cour de cassation, chambre criminelle, 12 septembre 2006 (n° 05-86958) : les associations non agrées peuvent agir devant le juge civil « au nom d'intérêts collectifs, dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social »

* 86 Loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.

* 87 Précitée.

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