EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à examiner la proposition de loi déposée par notre collègue M. Alain Bertrand et les membres du groupe Rassemblement Démocratique et Social européen, tendant à assurer une représentation juste et équilibrée des territoires au sein des conseils régionaux.

Le cadre dans lequel le scrutin régional doit être organisé suscite depuis plusieurs années de nombreuses interrogations. Le législateur a toujours cherché à concilier la reconnaissance du « fait régional », la nécessaire représentation de l'ensemble des départements d'une même région et la proximité des conseillers régionaux avec leurs électeurs. Cette difficile conciliation a inspiré trois modes de scrutin en moins de vingt ans, l'un d'entre eux ayant d'ailleurs été abandonné avant même son application.

Les récents débats sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral ont relancé la réflexion sur une éventuelle amélioration du mode de scrutin régional, qui date de la loi du 11 avril 2003 relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques. En effet, notre collègue M. Alain Bertrand, auteur de la présente proposition de loi, a déposé un amendement lors de la seconde lecture au Sénat, qui a reçu un avis défavorable de votre commission et du Gouvernement mais un avis favorable, à titre personnel, du rapporteur, M. Michel Delebarre. Cet amendement a cependant été adopté (article 20 decies dudit projet de loi). L'Assemblée nationale a supprimé cet article en deuxième lecture, estimant que la modification du mode de scrutin des élections régionales n'était pas à l'ordre du jour et qu'elle excédait, de son point de vue, l'objet du projet de loi.

La perspective des élections régionales de 2015, initialement prévues en 2014, relance le débat de la juste représentativité des départements, notamment les plus ruraux, au sein des conseils régionaux. Tel est l'objet de la présente proposition de loi soumise à votre commission.

I. LES NOMBREUSES RÉFORMES DU MODE DE SCRUTIN RÉGIONAL

Le rôle reconnu à la région, consacrée depuis 1982 comme collectivité territoriale, a imposé l'adoption d'un mode de scrutin qui permette à la fois l'émergence de majorités politiques de gestion et une juste représentation des citoyens et des territoires au sein des conseils régionaux.

A. LE MODE DE SCRUTIN DE 1985 : LA DIFFICULTÉ DE DISPOSER DE MAJORITÉS DE GESTION STABLES

1. L'instauration d'un mode de scrutin complexe...

La loi n° 85-692 du 10 juillet 1985 modifiant le code électoral et relative à l'élection des conseillers régionaux a posé les grands principes régissant l'élection des conseillers régionaux, aujourd'hui toujours applicables.

Cette loi a instauré l'élection des conseillers régionaux au suffrage universel direct, au scrutin de liste à un seul tour, à la représentation proportionnelle intégrale suivant la règle de la plus forte moyenne , sans panachage ni vote préférentiel, pour un mandat de six ans. L'élection avait lieu dans le cadre départemental , les sièges étant répartis en fonction du poids démographique des départements conformément au tableau annexé au code électoral.

Un correctif important avait cependant été introduit : le seuil de représentation en-deçà duquel les listes ne pouvaient prétendre à la répartition des sièges. En effet, seules les listes ayant obtenu un nombre de voix au moins égal à 5 % des suffrages exprimés pouvaient participer à la distribution des sièges qui s'opérait en deux temps :

- dans un premier temps, chaque liste se voyait attribuer un nombre de sièges correspondant au résultat de la division du nombre de voix obtenues par le quotient électoral 1 ( * ) ;

- dans un deuxième temps, les sièges non pourvus étaient ensuite répartis en fonction d'une « moyenne » établie pour chaque liste. Cette moyenne était égale au nombre de voix obtenues par chacune d'elle divisé par le nombre de sièges qu'elle aurait obtenu si on lui avait attribué un siège supplémentaire fictif. La liste ayant la plus forte moyenne se voyait alors attribuer le premier siège supplémentaire, les sièges restant à pourvoir après cette première attribution étant répartis un à un suivant le même procédé jusqu'à épuisement du nombre total de sièges.

Pour l'attribution du dernier siège, si plusieurs listes avaient la même moyenne, ce siège était attribué à la liste ayant obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d'égalité, le candidat le plus âgé était proclamé élu.

2. ... à l'origine de nombreuses difficultés

Si ce mode de scrutin permettait une large représentation des différents courants politiques au sein du conseil régional, il engendrait néanmoins, dans le même temps, plusieurs inconvénients qui ont conduit à la réforme de 1999, après son application aux trois premiers scrutins régionaux (1986, 1992 et 1998).

a) L'absence de majorité politique stable

Comme l'avait relevé votre commission des lois en 1996 2 ( * ) , le mode de scrutin en vigueur ne favorisait pas l'émergence de majorité politique de gestion, soudées et stables. En 1992, seules quatre régions bénéficiaient d'une majorité homogène. « Les autres conseils régionaux ont été contraints de rechercher des majorités à partir d'accords avec un ou plusieurs groupes charnières très minoritaires, ces derniers jouant ainsi un rôle d'arbitre et exerçant une fonction-clé sans rapport avec leur représentativité réelle. »

À l'issue des élections régionales de 1998, trois conseils régionaux disposaient d'une majorité absolue (Basse-Normandie, Limousin et Pays-de-la-Loire). Bien que l'absence de celle-ci n'ait pas toujours empêché les conseils régionaux de fonctionner 3 ( * ) , les difficultés rencontrées dès 1997 par plusieurs d'entre eux s'étant accentuées, un fort consensus s'était dégagé pour réformer le mode de scrutin des élections régionales et mettre en place un mécanisme permettant l'adoption du budget régional, malgré l'absence de majorités politiques stables. Ainsi fut mis en place le dispositif dit du « 49-3 » régional.

Le « 49-3 » régional

Instauré par l'article 3 de la loi n° 98-135 du 7 mars 1998 relative au fonctionnement des conseils régionaux 4 ( * ) , le mécanisme qualifié de « 49-3 » régional est une procédure ayant pour objet de doter l'exécutif régional des moyens de surmonter les blocages pouvant résulter de l'absence d'une majorité politique stable au sein du conseil régional, lors de l'adoption du budget.

Si le budget n'était pas adopté au 20 mars de l'exercice auquel il s'appliquait ou au 30 avril de l'année de renouvellement des conseils régionaux, le président du conseil régional présentait, dans un délai de dix jours à compter de cette date ou du vote de rejet du budget, si celui-ci était antérieur à cette date, un nouveau projet lequel devait être approuvé par le bureau.

Ce nouveau projet de budget était considéré comme adopté, sauf si une motion dite de « renvoi » était présentée et votée par la majorité absolue des membres du conseil régional, la liste des signataires devant figurer sur la motion. Cette motion de renvoi devait comporter un projet de budget alternatif présentée par la majorité absolue des membres du conseil dans un délai de cinq jours suivant la communication du nouveau projet par le président du conseil régional et devait être adoptée par la même majorité. Le vote sur la motion ne pouvait avoir lieu avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures à compter de l'avis du conseil économique et social régional, qui devait lui-même se prononcer dans un délai de sept jours à compter de sa saisine. Si la motion était adoptée, le projet de budget qui lui était annexé était alors considéré comme adopté.

L'institution de ce mécanisme d'adoption automatique du budget ne conduisait pas à la mise en jeu de la responsabilité du président du conseil régional. En d'autres termes, l'adoption d'une telle motion n'entraînait pas le remplacement du président du conseil régional.

Ce mécanisme ne s'appliquait pas dans l'hypothèse où le président du conseil régional n'avait pas présenté de projet de budget.

Ce mécanisme avait été validé par le Conseil constitutionnel qui, dans sa décision n° 98-397 DC du 6 mars 1998, avait considéré qu' « il était loisible au législateur, afin de prendre en compte les particularités de la composition des conseils régionaux résultant du mode de scrutin applicable à leur élection, de prévoir des modalités spécifiques d'adoption du budget régional lorsque ce dernier n'a pu être adopté au terme d'un vote ». Il avait en outre précisé que « la procédure [...], en prévoyant des modalités dérogatoires d'adoption du budget régional, lorsque celui-ci n'a pu être adopté dans les conditions de droit commun , a pour objet d'assurer le respect du principe de continuité des services publics, tout en évitant le dessaisissement des organes délibérants de la région au profit du représentant de l'État ».

b) Un mode de scrutin ne favorisant pas l'identité régionale

La complexité de ce mode de scrutin était perçue comme l'une des causes du taux d'abstention élevé lors des élections régionales. Ce dernier s'élevait en effet à 22,1 % en 1986, puis 31,3 % en 1992 avant d'atteindre 41,9 % en 1998.

Le mode de scrutin de 1985 était ainsi accusé de ne pas favoriser l'émergence de l'échelon régional, alors que la région, en tant que collectivité territoriale, était parvenue à s'inscrire dans le paysage institutionnel local. Comme l'avait regretté notre collègue M. Patrice Gélard 5 ( * ) , « Organisé dans le cadre départemental, le mode de scrutin retenu en 1985 se voyait parfois reprocher de témoigner d'une réticence à l'encontre de l'échelon régional ».


* 1 Le quotient électoral est égal au rapport du total des suffrages exprimés au nombre de sièges à pourvoir.

* 2 Rapport d'information n° 382 (1995-1996) de M. Paul Girod sur le mode de scrutin régional.

* 3 Avant 1998, deux régions s'étaient heurtées à une impossibilité de faire adopter leur budget : la Haute-Normandie en 1995 et 1996 et l'Île-de-France en 1997.

* 4 Codifié à l'article L. 4311-1-1 du code général des collectivités territoriale puis abrogé depuis le 1 er avril 2004.

* 5 Rapport n° 192 (2002-2003) de M. Patrice Gélard, fait au nom de la commission des lois sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.

Page mise à jour le

Partager cette page