N° 760

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 juillet 2013


RAPPORT



FAIT


au nom de la commission des affaires sociales (1) sur le projet de loi
, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE après engagement de la procédure accélérée, relatif à l' arrêté d' admission en qualité de pupille de l' État ,



Par Mme Isabelle PASQUET,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Françoise Boog, Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mme Muguette Dini, M. Claude Domeizel, Mme Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

1219 , 1224 et T.A. 181

Sénat :

744 et 761 (2012-2013)

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour objet d'améliorer et sécuriser les modalités d'exercice des recours contre les arrêtés d'admission en qualité de pupille de l'Etat.

Les pupilles de l'Etat sont des enfants qui, parce que leur famille n'est pas ou plus en mesure d'assurer leur prise en charge, sont placés sous la tutelle du préfet, assisté d'un conseil de famille, et pris en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance.

L'admission d'un enfant en qualité de pupille de l'Etat doit faire l'objet d'un arrêté du président du conseil général. Cette décision a pour conséquence d'ouvrir le droit au placement en vue de l'adoption. L'arrêté peut être contesté devant le tribunal de grande instance par les personnes ayant qualité pour agir dans un délai de trente jours suivant son édiction.

Le 27 juillet 2012, le Conseil constitutionnel a censuré les dispositions du premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles qui organisent les modalités du recours contre l'arrêté d'admission, considérant qu'elles méconnaissaient les exigences posées par l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Afin d'éviter les conséquences manifestement excessives qu'aurait eu une abrogation immédiate et de laisser au législateur le temps de remédier à cette inconstitutionnalité, il a reporté l'effet de sa décision au 1 er janvier 2014.

La réponse qu'apporte le présent texte à la décision du Conseil constitutionnel comporte des avancées substantielles par rapport au droit existant. Les conditions d'édiction de l'arrêté d'admission sont clarifiées, ce qui permettra d'harmoniser les pratiques des départements en la matière. Le champ des personnes ayant qualité pour agir est précisé afin d'éviter toute ambiguïté. Parmi celles-ci, le projet de loi distingue les personnes qui, en raison du lien plus étroit qu'elles entretiennent avec l'enfant, se verront notifier individuellement l'arrêté par le conseil général. C'est à celles-ci que s'appliquera le délai de trente jours, dont le point de départ est désormais clairement fixé à la date de réception de la notification de l'arrêté. Les autres requérants ne pourront plus se le voir opposer. Ils auront la possibilité d'agir jusqu'à la date du placement de l'enfant en vue de l'adoption.

Certes, une réflexion d'ensemble sur les règles qui entourent le statut des pupilles de l'Etat devra nécessairement être engagée dans un avenir prochain. Réparties entre le code civil et code de l'action sociale et des familles, ces règles s'avèrent en effet particulièrement complexes et d'une application malaisée.

Mais en l'état, le présent projet de loi répond de façon satisfaisante à la mission qui lui a été confiée. Il garantit le droit à un recours effectif sans porter atteinte à l'intérêt de l'enfant qui doit bénéficier d'une stabilisation de sa situation dans les meilleurs délais. Le consensus général qui a entouré son examen à l'Assemblée nationale est la preuve de l'équilibre qui a su être trouvé et peut être interprété par notre Haute assemblée comme un encouragement à l'adopter dans la rédaction qui lui est proposée.

I. L'ADMISSION EN QUALITÉ DE PUPILLE DE L'ETAT : UN STATUT PROTECTEUR OUVRANT DROIT À L'ADOPTION

A. L'ACQUISITION DU STATUT DE PUPILLE DE L'ÉTAT

1. La procédure d'admission en qualité de pupille de l'Etat

L'admission en qualité de pupille permet d'offrir un statut protecteur à des enfants dont la famille n'est pas ou plus en mesure d'assurer leur prise en charge 1 ( * ) . Depuis la loi du 6 juin 1984 2 ( * ) , c'est le président du conseil général qui décide, par arrêté, d'admettre un enfant en qualité de pupille de l'Etat.

L'article L. 224-4 du code de l'action sociale et des familles dresse la liste des six catégories d'enfants qui peuvent devenir pupilles de l'Etat.

? Il s'agit en premier lieu des enfants dont la filiation n'est pas établie ou est inconnue , qui ont été recueillis par le service de l'aide sociale à l'enfance (ASE) depuis plus de deux mois.

Depuis le 1 er juillet 2006, l'article 311-25 du code civil dispose que « la filiation est établie, à l'égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l'acte de naissance de l'enfant » 3 ( * ) . Pour que la filiation ne soit pas établie, la mère doit donc s'opposer explicitement à l'inscription de son nom sur l'acte de naissance.

La filiation inconnue concerne pour l'essentiel les enfants nés sous « x » et de façon marginale les enfants trouvés. En 2011, 628 enfants sont nés sous le secret tandis que huit enfants ont été trouvés 4 ( * ) .

? Peuvent également devenir pupilles les enfants dont la filiation est établie et connue , qui ont été expressément remis au service de l'ASE par leurs parents . Le recueil par l'ASE doit lui aussi être intervenu depuis plus de deux mois.

? Une situation proche concerne les enfants expressément remis à l'ASE par un seul de leurs parents . Dans ce cas, l'admission n'est définitive que si l'autre parent n'a pas manifesté son désir de prendre en charge l'enfant dans un délai de six mois.

? Les enfants orphelins de père et de mère peuvent accéder au statut de pupille de l'Etat lorsqu'aucune tutelle n'a été organisée au sein de leur famille et une fois qu'ils ont été pris en charge par le service de l'ASE depuis au moins deux mois.

? Quand les parents ont fait l'objet d'une décision judiciaire leur retirant l'autorité parentale , les enfants sont déclarés pupilles de l'Etat.

Cette décision peut intervenir à l'occasion d'un jugement pénal condamnant les parents, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d'un crime ou délit commis sur la personne de leur enfant, soit comme coauteurs ou complices d'un crime ou délit commis par leur enfant, soit comme auteurs, coauteurs ou complices d'un crime sur la personne de l'autre parent 5 ( * ) .

Une décision de justice civile peut également conduire au retrait de l'autorité parentale lorsque les parents, par exemple en raison de mauvais traitements ou d'un défaut de soins ont manifestement mis en danger la sécurité, la santé ou la moralité de l'enfant. La décision doit prévoir la remise de l'enfant au service de l'ASE.

? Enfin, les enfants pour lesquels a été prononcée une décision judiciaire d'abandon deviennent également pupilles de l'Etat.

Prévue à l'article 350 du code civil, cette décision est prononcée par le tribunal de grande instance lorsqu'il est saisi d'une demande en déclaration d'abandon transmise par le particulier, l'établissement ou le service de l'ASE qui a recueilli l'enfant et constaté depuis plus d'un an le désintérêt manifeste de ses parents.

Cette classification recouvre deux grands types de situations .

L'admission en qualité de pupille de l'Etat est immédiate lorsqu'elle est prononcée à l'issue d'une décision judiciaire. La rupture avec la famille d'origine est alors pleinement constatée par le juge.

Dans les autres cas, un délai de deux ou six mois s'applique. L'objectif est de laisser aux parents le temps de faire reconnaître leur lien de filiation 6 ( * ) ou de reprendre l'enfant lorsque la filiation est établie. Pour les orphelins, il doit permettre à la famille d'organiser une tutelle de droit commun.

En d'autres termes, il s'agit d'offrir aux enfants la possibilité d'être réintégrés dans leur famille d'origine. L'acquisition du statut de pupille de l'Etat ne doit en effet intervenir qu'à partir du moment où celle-ci n'est plus en mesure d'assumer la prise en charge de l'enfant.

Dans ces situations, l'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles prévoit l'établissement d'un procès-verbal au moment du recueil par le service de l'ASE . L'enfant est alors déclaré pupille de l'Etat à titre provisoire . L'arrêté n'intervient que dans un second temps, une fois que le délai de deux ou six mois prévu à l'article L. 224-4 s'est écoulé.

Aux termes de l'article L. 224-5 du code de l'action sociale et des familles, le procès-verbal doit contenir un certain nombre d'informations destinées à permettre aux personnes qui remettent l'enfant de prendre leur décision en connaissance de cause. Il s'agit :

- des mesures instituées, notamment par l'Etat, les collectivités territoriales et les organismes de sécurité sociale pour aider les parents à élever eux-mêmes leurs enfants ;

- des dispositions du code de l'action sociale et des familles sur le régime de la tutelle des pupilles de l'Etat ;

- des délais et conditions suivant lesquels l'enfant pourra être repris par ses père ou mère ;

- de la possibilité de laisser tous renseignements concernant la santé des père ou mère, les origines de l'enfant ainsi que les raisons et les circonstances de sa remise au service de l'ASE.

Les voies de recours non contentieux réservées aux parents qui ont confié leur enfant au service de l'ASE sont explicitées aux deux derniers alinéas de l'article L. 224-6 du code de l'action sociale et des familles.

Tant que l'enfant n'est encore que pupille à titre provisoire, le père ou la mère qui l'a confié aux services de l'ASE peut le reprendre à tout moment et sans aucune formalité.

Une fois le délai expiré, les parents ont encore la possibilité de demander la restitution de l'enfant auprès du tuteur, c'est-à-dire du préfet, qui prend la décision en accord avec le conseil de famille. En cas de refus, il leur est alors possible de saisir le tribunal de grande instance. Cette demande a pour effet de suspendre toute possibilité de placement en vue de l'adoption, ainsi qu'en dispose le troisième alinéa de l'article 351 du code civil : « le placement ne peut avoir lieu lorsque les parents ont demandé la restitution de l'enfant tant qu'il n'a pas été statué sur le bien-fondé de cette demande à la requête de la partie la plus diligente » .

2. Des situations diversifiées selon les conditions d'admission et les départements

Le nombre de pupilles de l'Etat est en diminution constante depuis plusieurs décennies . Ils étaient en effet 63 000 en 1949 contre 46 000 en 1959, 24 000 en 1977 et 10 400 en 1985 7 ( * ) . Cette baisse peut certainement être attribuée à une meilleure maîtrise de la procréation ainsi qu'à une évolution de la politique de protection de l'enfance visant à favoriser le maintien des liens avec la famille d'origine et à davantage prévenir les situations d'abandon.

Au 31 décembre 2011, 2 345 enfants avaient le statut de pupille, soit un ratio d'un peu plus de seize enfants pour 100 000 mineurs. Au cours de cette même année, 1 007 enfants ont été admis en qualité de pupilles de l'Etat tandis que 1 065 ont quitté ce statut.

Chaque conseil général assure en moyenne la prise en charge de vingt-trois pupilles de l'Etat. Les disparités sont cependant prononcées entre les départements puisque la moitié d'entre eux comptent moins de quinze pupilles de l'Etat tandis que trois - le Nord, le Pas-de-Calais, la Seine-Saint-Denis - en accueillent plus de cent.

Près de sept pupilles sur dix le sont devenus en raison de l'absence de filiation (39 %) ou d'une déclaration judiciaire d'abandon (30 %). Les enfants remis au service de l'ASE par leurs parents ou par l'un d'entre eux représentent 14 % de l'ensemble des pupilles. 9 % sont orphelins, un pourcentage identique à celui des enfants dont les parents se sont vus retirer l'autorité parentale.

55 % des enfants admis comme pupilles de l'Etat ont déjà fait l'objet d'une prise en charge par le service de l'ASE . La durée de celle-ci est généralement plus longue pour les orphelins et les enfants admis à la suite d'une décision judiciaire. Pour deux enfants sur dix, elle a été de plus de cinq ans.

Situation des pupilles de l'Etat
au regard de leurs conditions d'admission au 31 décembre 2011

Conditions d'admission
(article L 224-4 du code
de l'action sociale
et des familles)

Nombre en 2011

Part
du total

Age moyen au moment de l'admission

Age moyen au 31 décembre 2011

Durée moyenne de présence à l'ASE avant admission

Absence de filiation
(224-4-1°)

908

39 %

1 mois

1,8 an

0,05 an

Remis par les deux parents
(224-4-2°)

200

9 %

3,9 ans

8,3 ans

1,2 an

Remis par un parent
(224-4-3°)

106

5 %

5,5 ans

8,4 ans

2,3 ans

Orphelin
(224-4-4°)

219

9 %

10,6 ans

13,1 ans

4,8 ans

Retrait total de l'autorité parentale
(224-4-5°)

206

9 %

8,7 ans

14,2 ans

4,7 ans

Déclaration judiciaire d'abandon
(224-4-6°)

706

30 %

7,7 ans

11 ans

6 ans

Ensemble des pupilles
au 31 décembre 2011

2 345

100 %

4,7 ans

7,6 ans

2,9 ans

Source : Observatoire national de l'enfance en danger,
« La situation des pupilles de l'Etat : enquête au 31 décembre 2011 »


* 1 Le statut de pupille de l'Etat diffère de celui de pupille de la Nation qui s'applique aux « enfant[s] victime[s] ou orphelin[s] de guerre auxquels un jugement, qualifié de jugement d'adoption par la Nation, donne le droit d'obtenir un soutien matériel et moral jusqu'à [leur] majorité » (Gérard Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 2011).

* 2 Loi n° 84-422 du 6 juin 1984 relative aux droits des familles dans leurs rapports avec les services chargés de la protection et de l'enfance et au statut des pupilles de l'Etat.

* 3 Ordonnance n° 2005-759 du 4 juillet 2005, prise en application de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit et entrée en vigueur le 1 er juillet 2006. Jusqu'à cette date, la filiation n'était automatiquement établie qu'à l'égard de la femme mariée.

* 4 L'ensemble des données chiffrées sont issues du rapport de l'Office national de l'enfance en danger (Oned) sur la situation des pupilles de l'Etat au 31 décembre 2011.

* 5 Articles 378 à 381 du code civil.

* 6 L'acquisition du statut de pupille de l'Etat ouvre la voie au placement en vue de l'adoption. Or l'alinéa 2 de l'article 351 du code civil dispose que « lorsque la filiation de l'enfant n'est pas établie, il ne peut y avoir de placement en vue de l'adoption pendant un délai de deux mois à compter du recueil de l'enfant ».

* 7 Chiffres cités par Hubert Bosse-Platière, « La nécessité de rendre plus clair le processus d'adoption des pupilles de l'Etat », CNAF Informations sociales, 2008/2 n° 146, p. 50-63.

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