B. DES DISPOSITIONS CENSUREES AU REGARD DU DROIT A L'EXERCICE D'UN RECOURS EFFECTIF

1. La décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 2012

A la suite du rejet en appel du recours formé contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat de son petit-enfant, une requérante a soulevé devant la Cour de cassation la question de la constitutionnalité de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles, estimant que cet article « en ce qu'il fait courir le délai de trente jours contre l'arrêté d'admission en qualité de pupille de l'Etat à compter de la date de l'arrêté du président du conseil général, sans prévoir la publicité de cet arrêté, est contraire au principe constitutionnel garantissant le droit d'exercer un recours effectif devant une juridiction et à l'article 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen 14 ( * ) ».

Le 6 juin 2012, la Cour de cassation a renvoyé la question au Conseil constitutionnel qui s'est prononcé le 27 juillet 2012 15 ( * ) .

Les faits et la procédure ayant conduit à la décision du Conseil constitutionnel
du 27 juillet 2012 puis à l'arrêt de la Cour de cassation du 9 avril 2013

Après avoir fait l'objet à sa naissance d'un placement provisoire auprès du service de l'ASE, un enfant sans filiation paternelle établie a été admis provisoirement en qualité de pupille de l'Etat le 30 novembre 2009 puis à titre définitif par un arrêté du 1 er décembre de la même année à la suite du décès de sa mère.

La grand-mère maternelle de l'enfant, qui n'avait pas eu connaissance de l'arrêté d'admission, a déposé un recours contre celui-ci le 18 février 2010, soit quatre-vingt jours après son édiction. Sa demande a été jugée recevable mais rejetée par le tribunal de grande instance. C'est en appel que le délai de forclusion lui a été opposé, conduisant à déclarer la demande irrecevable.

Ainsi que le souligne le commentaire de la décision aux cahiers du Conseil constitutionnel, « la question posée ne portait donc pas sur la durée du délai choisi par le législateur mais sur la détermination de son point de départ. L'inconstitutionnalité résiderait dans le fait de faire courir un délai pour exercer un recours contre une décision sans s'assurer que celle-ci a été portée à la connaissance des personnes susceptibles d'exercer le recours envisagé » .

Dans sa décision, le Conseil constitutionnel a restreint son contrôle, considérant qu'il n'avait pas à se substituer au législateur pour apprécier la conciliation qui doit être opérée « entre les droits des personnes qui entendent se prévaloir d'une relation antérieure avec [l'enfant] et l'objectif de favoriser son adoption » . De ce point de vue, le législateur était donc libre de ne prévoir aucune mesure de publicité générale de l'arrêté d'admission ni la notification individuelle de cet arrêté aux personnes susceptibles de le contester.

En revanche, le législateur « ne pouvait, sans priver de garanties légales le droit d'exercer un recours juridictionnel effectif, s'abstenir de définir les cas et conditions dans lesquels celles des personnes qui présentent un lien plus étroit avec l'enfant sont effectivement mises à même d'exercer ce recours » . Le Conseil constitutionnel a dès lors déclaré le premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles contraire à la Constitution car méconnaissant les exigences fixées à l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen .

Cette décision a été suivie, le 9 avril 2013, d'un arrêt de la Cour de cassation 16 ( * ) , statuant dans la même affaire, cette-fois ci sur la conformité de l'article L. 224-8 à l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales 17 ( * ) .

La Cour a cassé l'arrêt de la cour d'appel au motif que le fait d'avoir opposé un délai de trente jours pour contester une décision n'ayant fait l'objet d'aucune mesure de publicité était contraire au droit à un procès équitable.

Dans un attendu de principe, elle a souligné que « si le droit à un tribunal, dont le droit d'accès concret et effectif constitue un aspect, n'est pas absolu, les conditions de recevabilité d'un recours ne peuvent toutefois en restreindre l'exercice au point qu'il se trouve atteint dans sa substance même ; qu'une telle atteinte est caractérisée lorsque le délai de contestation d'une décision, tel que celui prévu par l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles, court du jour où la décision est prise non contradictoirement et que n'est pas assurée l'information des personnes admises à la contester » .

2. La réponse apportée par le projet de loi

En application du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution 18 ( * ) , le Conseil constitutionnel a prévu que l'abrogation du premier alinéa de l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles ne serait effective qu'à compter du 1 er janvier 2014 . Ce délai doit permettre au législateur d'avoir le temps nécessaire pour remédier à l'inconstitutionnalité de cette disposition.

C'est ce que prévoit le présent projet de loi qui réécrit l'article L. 224-8 du code de l'action sociale et des familles dans son ensemble.

Son article 1 er apporte quatre améliorations substantielles aux dispositions abrogées. Il clarifie les conditions d'édiction de l'arrêté d'admission, précise le champ des personnes ayant qualité pour agir et définit parmi celles-ci les personnes qui, en raison du lien plus étroit qu'elles entretiennent avec l'enfant, se verront notifier individuellement l'arrêté par le conseil général. Enfin, il fixe clairement à la date de réception de l'arrêté de notification le point de départ du délai de trente jours à l'issue duquel l'arrêté ne pourra plus être contesté.

Ces changements conduisent à définir deux catégories de requérants : ceux à qui l'arrêté sera notifié, qui disposeront de trente jours pour le contester ; ceux qui n'auront pas reçu de notification et ne pourront donc se voir opposer le délai de forclusion.

Cette solution est équilibrée dans la mesure où elle permet d'éviter les inconvénients que comporteraient une publication générale de l'arrêté d'admission ou un alignement du champ des requérants sur celui des personnes recevant la notification. La première solution risquerait d'ouvrir la voie à des recours non justifiés qui retarderaient le placement en vue de l'adoption. La seconde aurait pour conséquence, soit de limiter sensiblement le champ des requérants aux seules personnes s'étant fait connaître auprès du service de l'ASE, soit de faire peser sur ce dernier une charge démesurée en l'obligeant à rechercher toutes les personnes ayant potentiellement qualité pour agir.

L'Assemblée nationale a adopté un amendement portant article additionnel, devenu l'article 1 er bis , qui vise à renforcer l'information délivrée dans le procès-verbal déclarant l'enfant pupille à titre provisoire.

L'article 2 fixe les modalités d'application de la loi outre-mer.

Afin de laisser aux départements le temps d'adapter leurs pratiques, l'article 3 aligne la date d'entrée en vigueur du projet de loi sur celle à laquelle la censure du Conseil constitutionnel deviendra effective, c'est-à-dire au 1 er janvier 2014.

*

* *

Réunie le mardi 16 juillet, sous la présidence d'Annie David, présidente, la commission des affaires sociales a adopté le texte du projet de loi sans modification.


* 14 Article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a pas de constitution ».

* 15 Décision n° 2012-268 QPC du 27 juillet 2012, Mme Annie M.

* 16 Cour de cassation, Première chambre civile, 9 avril 2013, n° 11-27 071.

* 17 Article 6-1 de la Convention : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle.[...] ».

* 18 Alinéa 2 de l'article 62 de la Constitution : « [...] Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. [...] ».

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