B. LA RÉGLEMENTATION DES AIDES D'ÉTAT DANS CE SECTEUR EST AUJOURD'HUI DÉPASSÉE ET SURTOUT LARGEMENT INAPPLIQUÉE

1. Le cadre juridique actuel repose sur une classification et un système d'exemption pour les aéroports régionaux exerçant un service d'intérêt économique général

Le financement d'aéroports et de compagnies aériennes par les États membres est aujourd'hui apprécié à l'aune des lignes directrices de 1994 et de 2005.

a) Les lignes directrices de 1994 sur les aides d'État relatives au secteur de l'aviation

Ces premières lignes directrices ont été publiées au moment où la Commission finalisait la libéralisation complète du transport aérien intra-communautaire. À cette époque, la principale difficulté portait sur les restructurations des grandes compagnies aériennes traditionnelles et sur les aides et moyens de recapitalisation qui pouvaient alors leur être apportées. Les infrastructures aéroportuaires étaient explicitement exclues du périmètre de ces lignes directrices comme relevant de mesures « de politique économique générale que la Commission ne peut pas contrôler au titre des règles du traité relatives aux aides d'État » 3 ( * ) .

b) Les lignes directrices de 2005 sur le financement des aéroports et les aides d'État au démarrage des compagnies aériennes au départ d'aéroports régionaux

Les lignes directrices de 2005 ont complété, sans les abroger, les lignes directrices de 1994 à la suite d'une décision de la Commission concernant un ensemble d'aides accordées à Ryanair sur l'aéroport de Charleroi. Ces lignes directrices ont élargi le champ d'application des investigations de la Commission et prévu essentiellement trois séries de mesures pour les aéroports régionaux :

- la possibilité de recevoir des aides à l'investissement pour les infrastructures, sous réserve du respect de plusieurs critères (intérêt général communautaire, nécessité et proportionnalité des aides) ;

- l' exclusion a priori des aides à l'exploitation aéroportuaire, sauf cas particulier pour les services d'intérêt économique général (SIEG), sans toutefois poser d'interdiction formelle ni définir des modalités précises d'appréciation des charges d'exploitation ;

- la possibilité d'accorder des « aides aux démarrage » aux compagnies aériennes, de façon dégressive, limitées à 30 % des coûts éligibles et pour une durée maximale de trois ans.

En pratique, le principal apport des lignes directrices de 2005 est d'indiquer les conditions dans lesquelles certaines aides d'État en faveur d'aéroports ou de compagnies aériennes peuvent être compatibles avec le droit de la concurrence. Les aéroports régionaux sont définis de façon précise selon une classification catégorielle reprenant les notions de « grands aéroports communautaires », « aéroports nationaux », « grands aéroports régionaux » et « aéroports régionaux ». Selon cette classification, les aéroports régionaux comprennent les aéroports dont le volume annuel de passagers est inférieur à un million . Il est précisé que les financements octroyés aux aéroports régionaux sont « peu susceptibles de fausser la concurrence ou d'affecter les échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun ».

LE RÉGIME DES AIDES D'ÉTAT

Le fonctionnement de l'article 107 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) repose sur le principe selon lequel les aides d'État sont incompatibles avec le marché intérieur lorsqu'elles affectent les échanges entre États membres . En effet, celles-ci sont susceptibles de fausser le jeu de la concurrence en engendrant des distorsions de concurrence. Le principe d'incompatibilité implique une obligation de notification des aides publiques accordées aux entreprises et un principe d'autorisation mis en oeuvre par la Commission européenne.

Toutefois, le traité reconnait la possibilité de compensation de service public liée à des obligations relevant d'un service d'intérêt économique général (SIEG) à l'article 106 § 2 du TFUE . Ces compensations peuvent être déclarées compatibles avec le marché intérieur, sous condition de respecter certains critères, lorsque les entreprises accomplissent une mission de SIEG. Selon l'article 106 § 2 du TFUE, il est ainsi permis aux États membres de déroger aux règles de droit de l'Union européenne concernant les aides d'État si l'application de ces règles par une entreprise chargée d'un service d'intérêt économique général « fait échec à l'accomplissement en droit et en fait de la mission particulière qui leur été imparti et si le développement des échanges n'est pas affecté dans une mesure contraire à l'intérêt de la Communauté ».

La définition du SIEG relève de l'État membre et ne fait l'objet que d'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation par la Commission.

Les lignes directrices de 2005 reconnaissent la faculté pour les aéroports régionaux d'assurer des missions liées à un service d'intérêt économique général (SIEG). La décision de la Commission du 28 novembre 2005 concernant l'application des dispositions de l'article 86, paragraphe 2, du traité CE aux aides d'État sous forme de compensations de service public octroyées à certaines entreprises chargées de la gestion de services d'intérêt économique général, permet ensuite d' exonérer de l'obligation de notification les entités publiques intervenant en soutien des aéroports régionaux chargés d'une mission de SIEG sous la forme d'une aide à l'exploitation des aéroports.

Les aides publiques accordées sont considérées comme des aides d'État compatibles avec le marché intérieur. Cependant, l'exemption demeure conditionnée à un ensemble de règles relatives au calcul de la compensation, au mandat et au contrôle de surcompensation, qui sont difficiles à satisfaire. Surtout, cette exonération n'est possible que lorsque la mission de SIEG est elle-même préalablement reconnue.

Or les lignes directrices précisent que la « gestion d'un aéroport dans son ensemble (peut) être considérée comme un service d'intérêt économique général » seulement « dans des cas exceptionnels ». Dans les faits, la Commission européenne a une conception plutôt restrictive de la faculté des aéroports régionaux d'assumer une mission de SIEG couvrant l'ensemble de leurs activités . Par conséquent, la qualification de SIEG pour l'ensemble des activités d'un aéroport n'est accordée que de façon très restrictive pour quelques aéroports isolés : en général, elle ne vaut que pour une partie des activités d'un aéroport.

En dehors du régime d'exemption, les projets d'aides aux aéroports doivent suivre la procédure lourde et complexe de notification . Les aides sont alors contrôlées individuellement par la Commission européenne qui les autorise ou non.

2. L'application à géométrie variable des lignes directrices est source d'inefficience économique et d'insécurité juridique

La rigueur des lignes directrices de 2005 se révèle en pratique contreproductive. La qualification restrictive des SIEG, l'incertitude sur le régime des aides au fonctionnement, le manque de moyens administratifs de la Commission pour contrôler l'application effective des règles de concurrence dans un délai raisonnable ont contribué à laisser s'installer un climat d'impunité et de laissez-faire en matière d'aides aux aéroports régionaux, dont les collectivités ne sont pas toujours les principales bénéficiaires.

Plusieurs pratiques abusives ont ainsi été identifiées :

- non-respect du cadre juridique applicable aux aides d'État entraînant un déséquilibre concurrentiel sur le marché du transport aérien européen : les compagnies bénéficiaires de ces ressources peuvent mettre en oeuvre des stratégies de prédation pour faire disparaître la concurrence sur les petits aéroports en maintenant un niveau de prix artificiellement bas ;

- non-respect des règles des marchés publics (clauses abusives, contrats rédigés en anglais, instances arbitrales étrangères) et rapports de négociation déséquilibrés ;

- continuité des aides , même pour des liaisons ouvertes depuis plus de dix ans et drainant des centaines de milliers de passagers ;

- augmentation progressive du niveau des aides demandées avec un chantage à la suspension du service ;

- mise en concurrence des territoires , a fortiori dans les régions frontalières.

Il en résulte que la Commission est aujourd'hui saisie d'un nombre important de plaintes, surtout déposées par d'anciennes compagnies nationales contre les compagnies à bas coûts.

En France, une trentaine d'aéroports sont actuellement visés par des procédures communautaires , notamment à partir d'une plainte d'Air France contre Ryanair et 27 aéroports régionaux. S'y ajoutent : une plainte de contribuables locaux concernant l'aéroport de La Rochelle, le dossier de l'aéroport de Pau notifié volontairement par les autorités françaises en 2007, et l'ouverture récente d'une information sur l'aéroport de Dôle. Dans ces dossiers, souvent initiés à la suite de rapports d'observations des chambres régionales des comptes, sont en cause à la fois des aides aux aéroports et des aides aux compagnies aériennes.

Sept plaintes font actuellement l'objet d'investigations approfondies. Elles concernent les aéroports de Pau, Marseille, La Rochelle, Angoulême, Beauvais, Carcassonne et Nîmes. En 2011, des échanges de questionnaires ont eu lieu dans le cadre d'un examen préliminaire. Puis en 2012, des procédures formelles d'examen ont été ouvertes (à l'exception de celle de Pau qui était ouverte antérieurement et a simplement été prolongée), conduisant à une publication au journal officiel de l'Union européenne (JOUE) des argumentaires de la Commission européenne. Dans ces argumentaires, la Commission analyse tous les aspects du financement aéroportuaire et des avantages accordés aux compagnies aériennes. Les décisions concernant ces dossiers devraient intervenir au début de l'année 2014. Il ne s'agit toutefois que de décisions administratives , une phase contentieuse pouvant ensuite s'ouvrir si les décisions de la Commission sont contestées.

Au-delà de la France, plusieurs procédures formelles d'examen ont également été ouvertes contre une quarantaine d'aéroports européens , notamment des aéroports allemands (12), italiens (5), grecs (3), espagnols (2), finlandais (2), suédois (2), britanniques (2), polonais (2), autrichien (1), irlandais (1), roumain (1), slovaque (1), belge (1), danois (1), lituanien (1) et maltais (1).

Certes, le nombre de cas notifiés à la Commission reste plutôt faible par rapport à l'important développement des aéroports régionaux depuis 2005. Néanmoins, la situation actuelle appelle deux remarques :

- l'examen de la plupart des procédures formelles reste encore à venir et laisse planer une incertitude juridique préjudiciable ;

- le délai de traitement extrêmement long de ces procédures envoie un signal négatif, autant en matière d'efficacité économique que de crédibilité des contrôles de la Commission.


* 3 Voir point 12 des lignes directrices relatives à l'application des articles 92 et 93 du traité CE et de l'accord EEE aux aides d'État dans le secteur de l'aviation (JOUE C 350/5 du 10/12/1994).

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