B. LA PERSISTANCE D'UN TAUX ÉLEVÉ D'ACCIDENTS DE TRAJET

Le nombre d'accidents de trajet, c'est-à-dire ceux survenus sur le trajet séparant la résidence habituelle du salarié et son lieu de travail ou le lieu de travail et celui où le salarié prend habituellement ses repas, baisse en 2012 (7,8 %) pour s'établir à un niveau inférieur à celui de 2008. De manière plus significative, le nombre d'accidents de trajet avec arrêt baisse pour la première fois depuis 2006 (avec une baisse de près de 10 % par rapport à 2011) et s'établit pour 2012 à 4,8 %o. Néanmoins, sur la période 2006-2012, les accidents de trajet avec arrêt connaissent une augmentation de plus de 8,5 %. L'indice des accidents ayant entraîné une incapacité permanente baisse pour sa part faiblement. Il atteint 0,4 %o salariés, mais reste globalement stable en moyenne depuis 2004.

Les secteurs d'activité dans lesquels les accidents de trajet sont les plus nombreux en valeur absolue sont également ceux où l'indice de fréquence est le plus élevé. Il s'agit, cette année encore, des activités de services regroupées dans trois catégories :

- travail temporaire, action sociale, santé, nettoyage ;

- banques, assurances, administrations ;

- commerces, industries de l'alimentation.

Comme les années précédentes, votre commission souhaite que les causes des accidents de trajet puissent être approfondies. Il importe donc d'analyser les circonstances de ces accidents ainsi que les liens qu'ils sont susceptibles d'entretenir avec le travail.

Tableau n° 4 : Evolution du nombre et de la gravité des accidents de trajet
pour les années 2007 à 2012

(en italique, taux d'évolution annuelle)

2007

2008

2009

2010

2011

2012 (e)

Nombre d'accidents avec arrêt

85 442

87 855

93 840

98 429

100 018

90 100

2,9 %

2,8 %

6,8 %

4,9 %

1,6 %

- 10 %

Source : Cnam, direction des risques professionnels - statistiques technologiques

C. UNE SOUS-DÉCLARATION STRUCTURELLE DES MALADIES PROFESSIONNELLES

Le nombre de maladies professionnelles baisse en 2012 pour rejoindre le niveau de 2009 mais reste au-dessus du niveau de 2010. L'année 2011 avait marqué un accroissement particulièrement important avec une progression de 12,8 % (soit dix points de plus qu'entre 2009 et 2010). La baisse enregistrée en 2012 peut donc s'apparenter à un retour vers la tendance de moyen terme plus qu'à l'amorce d'une baisse durable d'autant que le nombre de maladies avec arrêt, s'il baisse effectivement par rapport à 2011 (2 %), est nettement supérieur à tous ceux connus depuis 2006. Sur la période 2006-2012, le nombre de maladies professionnelles a augmenté de 31 %, soit 4,6 % en moyenne annuelle.

Si l'on prend en compte non pas le nombre d'affections (ou syndromes) reconnus, comme le font les statistiques depuis 2007, mais le nombre de personnes atteintes par une maladie professionnelle, l'augmentation sur la période s'établit à 22 %, soit 5 % d'augmentation en moyenne annuelle.

Ainsi le nombre de malades du travail augmente et un nombre croissant d'entre eux souffre de polypathologies.

1. Des maladies professionnelles plus nombreuses et plus graves

L'indice de fréquence des incapacités permanentes liées aux maladies professionnelles augmente (0,1 point), ce qui montre une aggravation des pathologies subies, dans un contexte de réduction du nombre de personnes concernées (9 %). Le nombre de décès baisse pour sa part de manière sensible et s'établit à un niveau inférieur à 2009, année de rupture car le nombre de décès avait augmenté de près d'un tiers par rapport à 2008 pour s'établir à un nouveau plateau. Le nombre de décès constatés en 2012 reste cependant supérieur de près de 100 à celui enregistré en 2008, ce qui interdit d'espérer à ce stade l'amorce d'une nouvelle tendance à la baisse.

Même si l'évolution en pourcentage des statistiques portant sur des nombres heureusement réduits ne doit pas être sur-interprétée, il est difficile de séparer l'augmentation du nombre de décès et les effets des pathologies liées à l'amiante : celle-ci est en effet responsable de 90 % des cancers professionnels.

Tableau n° 5 : Evolution de la gravité de maladies professionnelles pour les années 2007 à 2012

(en italique, taux d'évolution annuelle)

2007

2008

2009

2010

2011

2012 (e)

Nombre de MP avec arrêt

43 832

45 411

49 341

50 688

55 057

54 000

3,6 %

3,6 %

8,7 %

2,7 %

8,6 %

- 2 %

Nombre de MP
avec incapacité permanente

22 625

23 134

24 734

24 961

27 132

29 267

- 0,6 %

2,2 %

6,9 %

0,9 %

8,7 %

7,8 %

Nombre de décès

420

425

564

533

570

523

- 10,1 %

1,2 %

32,7 %

- 5,5 %

6,9 %

-8,2 %

Source : Cnam, direction des risques professionnels - Statistiques technologiques

Les secteurs d'activité les plus pathogènes restent ceux des industries du bois, ameublement, papier-carton (6,6 maladies professionnelles ayant entraîné un arrêt pour 1 000 employés). Ils précèdent les industries de la chimie et le secteur des services, commerce, industries de l'alimentation qui connaissent tous deux un taux de fréquence d'environ 4,5 %o. Malgré de légères baisses à court terme, les indices de fréquence de ces secteurs sont en augmentation depuis 2000.

Sur la période les secteurs où l'évolution est la plus forte sont le commerce non alimentaire (pour lequel le taux de maladies professionnelles a quasiment triplé) et les activités de services et travail intérimaire (+ 272 %).

2. Les principales pathologies d'origine professionnelle

Trois grands types d'affections concentrent l'essentiel des cas de maladies professionnelles reconnues :


• les affections périarticulaires : causées par certains gestes ou postures de travail, elles représentent 78 % des maladies professionnelles entraînant un arrêt de travail reconnues en 2012, première année qui voit leur part décroître mais ce de manière très faible (un point) ;


• les affections dues à l'inhalation de poussières d'amiante constituent 8 % des maladies professionnelles avec arrêt reconnues en 2012 ;


• les affections chroniques du rachis lombaire, enfin, occupent toujours une part importante, et pour la première fois depuis 2006 croissante en 2012, des maladies professionnelles (7 % en 2012 soit un point de plus qu'en 2011).

Les autres pathologies les plus fréquentes sont les surdités, les allergies, les affections respiratoires, ces dernières faisant d'ailleurs sans doute l'objet d'une sous-estimation selon les résultats des études pilotes menées par l'InVS 2 ( * ) .

La répartition est un peu différente si l'on considère les maladies professionnelles qui occasionnent une incapacité permanente. En effet certaines pathologies, en raison de leur gravité, s'accompagnent plus fréquemment que d'autres d'une incapacité permanente. C'est notamment le cas des maladies de l'amiante : l'an passé, 90 % des maladies de l'amiante ayant donné lieu à un arrêt de travail se sont accompagnées de la reconnaissance d'une incapacité permanente, contre 50 % en moyenne pour l'ensemble des maladies professionnelles, de sorte que les seules maladies dues à l'amiante représentent 14 % des maladies avec incapacité permanente. A contrario , les maladies périarticulaires, généralement moins graves, représentent 69 % du total des maladies professionnelles avec incapacité permanente.

3. Une imputation toujours aussi difficile des pathologies du travail

Certains accidents et maladies professionnelles ne sont pas comptabilisés dans les statistiques de la Cnam parce qu'ils n'ont pas été déclarés ou reconnus comme tels. Les dépenses qu'ils occasionnent sont alors prises en charge par la branche maladie. Depuis 1997, la branche AT-MP effectue chaque année un reversement à la branche maladie pour compenser ces sommes indûment mises à sa charge. Une commission, présidée actuellement par Noël Diricq, conseiller maître à la Cour des comptes, se réunit régulièrement pour évaluer les montants financiers en jeu. Elle a remis son dernier rapport en juin 2011.

a) Le phénomène de sous-déclaration

Plusieurs facteurs concourent à une sous-déclaration des accidents du travail et des maladies professionnelles.

Les accidents du travail doivent être déclarés par l'employeur à la caisse de sécurité sociale compétente tandis que les maladies professionnelles doivent être déclarées par la victime.

La réticence de certains employeurs à déclarer les accidents du travail peut s'expliquer par leur souci d'éviter une hausse de leurs cotisations AT-MP. Le taux de cotisations est en effet plus élevé lorsque le nombre de sinistres constatés dans l'entreprise s'accroît. Plus généralement, la volonté de certaines entreprises d'apparaître exemplaires aux yeux de leurs salariés ou de leurs clients pourrait conduire à la dissimulation d'accidents mineurs.

Le rapport Diricq note des comportements de dissimulation qui s'expliquent par la réticence à afficher des taux de sinistralité élevés ou en hausse :

- non-déclaration d'accidents ;

- pressions sur les salariés ;

- accompagnement du salarié chez le médecin par une personne de l'entreprise et prise en charge des soins par cette dernière ;

- pressions sur les médecins de ville pour qu'ils n'accordent pas d'arrêt de travail au motif que le salarié va se voir proposer un poste aménagé.

Quant à la sous-déclaration des maladies professionnelles, elle résulte pour une large part du manque d'information des victimes, qui ne connaissent pas toujours la nocivité des produits qu'elles manipulent ni leurs droits au regard de la sécurité sociale. Un salarié peut également s'abstenir de déclarer une maladie professionnelle par crainte de perdre son emploi. La complexité des démarches de reconnaissance et le caractère forfaitaire de la réparation offerte par la branche AT-MP peuvent conduire certaines victimes à estimer qu'il est préférable, sur le plan financier, d'emprunter une autre voie d'indemnisation.

Par ailleurs, les médecins de ville comme les praticiens hospitaliers ont rarement le réflexe de s'interroger sur l'éventuelle origine professionnelle d'une pathologie, surtout si celle-ci est multifactorielle, c'est-à-dire susceptible de résulter à la fois de facteurs professionnels et personnels. Ce rapport insiste sur l'insuffisance de la formation et de l'information des médecins, le manque d'effectifs des médecins du travail. Il souligne également, comme la Cour des comptes, les difficultés liées à l'enregistrement des soins et prestations en AT-MP par les professionnels de santé et la non-imputation des dépenses AT-MP par les établissements de santé. Il convient par ailleurs de souligner que certaines entreprises, tout en déclarant ces accidents de travail et en reconnaissant les maladies professionnelles, font pression sur les salariés afin qu'ils anticipent leur retour au travail. Le nombre d'indemnités journalières se trouve donc réduit. Cette attitude qui s'exerce au détriment des droits des salariés et de leur santé conduit de plus en plus souvent à un retour sur un poste mal adapté à la situation physique de la victime.

b) La sous-reconnaissance des maladies professionnelles

Une maladie est reconnue d'origine professionnelle :

- si elle figure dans un des tableaux, fixés par décret en Conseil d'Etat, qui recensent les maladies présumées être d'origine professionnelle (63 703 maladies reconnues en 2012) ;

- ou si le salarié est reconnu atteint d'une maladie professionnelle par le comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), dont l'avis s'impose à la caisse de sécurité sociale en application de l'alinéa 3 ou de l'alinéa 4 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale.

Tableau n° 6 : Nombre de maladies professionnelles reconnues par dérogation aux critères des tableaux (alinéa 3) et en dehors des tableaux (alinéa 4)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Affections rhumatologiques

3 150

3 634

4 429

4 926

5 527

6501

Affections amiante

524

458

462

466

510

515

Surdité

245

272

248

233

230

249

Affections respiratoires

84

166

113

146

158

176

Affections de la peau

16

26

79

29

37

38

Autres pathologies

162

119

132

113

102

122

Nombre de pathologies reconnues au titre de l'alinéa 3

4 181

4 675

5 463

5 913

6 564

7 598

Nombre de pathologies reconnues au titre de l'alinéa 4

176

186

227

235

258

299

Source : Cnam

Cette procédure peut ne pas être exempte de défaillances. Des pathologies émergentes ou mal connues peuvent ne pas figurer sur les tableaux de maladies professionnelles.

Un autre problème, de nature scientifique cette fois, tient à la difficulté à déterminer la cause exacte d'une affection. La ligne de partage entre les maladies professionnelles et les autres peut être délicate à tracer, ce qui explique que les taux de reconnaissance puissent différer de façon significative d'une CPAM à une autre.

Le nombre de maladies reconnues par dérogation aux critères des tableaux ou en dehors de ceux-ci a quasiment doublé depuis 2005. Ce résultat est ambigu car, s'il établit d'une part la nécessité du système complémentaire de reconnaissance prévu aux alinéas 3 et 4 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, la part croissante de pathologies reconnues par ce moyen tend à indiquer une inadaptation grandissante des tableaux de pathologies prévues. Même si votre rapporteur connaît la grande difficulté à mener à bien l'actualisation de ces tableaux, ceci ne doit pas aboutir à les priver progressivement de toute utilité.

c) Evaluation du phénomène et de ses conséquences

Si la sous-déclaration des accidents du travail a été jugée relativement faible, la sous-déclaration et la sous-reconnaissance des maladies professionnelles seraient de plus grande ampleur. Il convient cependant d'être prudent en la matière, puisqu'elles sont appréciées à l'aide d'études épidémiologiques relatives au nombre de sinistres d'origine professionnelle, qui portent uniquement sur certaines pathologies et reposent sur des méthodologies et des hypothèses complexes.

Pour évaluer le coût de la sous-déclaration et de la sous-reconnaissance, la commission Diricq a d'abord estimé le nombre de sinistres non pris en compte dans les statistiques de la Cnam et l'a rapporté au coût moyen attaché à ces accidents et maladies. Compte tenu des incertitudes qui viennent d'être indiquées, elle a abouti à une fourchette assez large, comprise entre 587 millions et 1,1 milliard d'euros.

Le précédent exercice d'évaluation, réalisé en 2008, avait conclu à une fourchette comprise entre 564 millions et 1,01 milliard. L'estimation a crû à chaque rapport de la commission et s'établit en 2011 à 230 millions d'euros de plus qu'en 2005. Ainsi, même si l'essentiel des préconisations de la commission réunie en 2008 a connu des mesures d'application, l'ampleur du phénomène de sous-déclaration paraît s'être accentuée.

L'approfondissement des travaux de la commission Diricq s'est trouvé limité par le faible nombre d'études épidémiologiques nouvelles susceptibles de permettre l'évaluation de la sous-déclaration de pathologies non incluses précédemment ou de préciser les estimations sur des pathologies déjà étudiées. Le dynamisme de l'épidémiologie française est essentiel pour la prise de décision en matière de santé publique et pour clarifier l'imputabilité des pathologies. Il doit donc être soutenu par le Gouvernement.

A la suite du rapport de la commission Diricq, le Gouvernement a décidé de porter le montant du versement à la Cnam à 790 millions d'euros en 2012 contre 710 millions les trois années précédentes. Ce montant serait reconduit pour 2014 comme il l'a été en 2013.

Nouvelles suites données aux principales propositions et recommandations
émises en juin 2011 par la commission instituée par l'article L. 176-2
du code de la sécurité sociale, présidée par Noël Diricq

Recommandation :

Concernant les médecins : amélioration de leur formation et information, notamment à travers des enseignements obligatoires relatifs aux maladies professionnelles au cours de leur cursus universitaire, la sensibilisation des présidents d'université à cette thématique et l'élaboration d'outils d'information par les sociétés médicales savantes ;

Suite donnée en 2013 : Dans le cadre du deuxième cycle des études de médecine, un arrêté du 8 avril 2013 relatif au régime des études en vue du premier et deuxième cycles des études médicales prévoit une unité d'enseignement relative notamment à la santé au travail, dans le cadre du tronc commun des objectifs généraux de la formation. Elle porte sur l'environnement professionnel et la santé au travail, l'organisation de la médecine du travail et la prévention des risques professionnels, les accidents du travail et les maladies professionnelles.


* 2 Observatoire national des asthmes professionnels II (Onap II) Résultats 2008-2011, Iwatsubo Y, Bénézet L, Bonnet N, Ameille J, Dalphin JC et al., Institut de veille sanitaire, 11/10/2013.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page