B. LA DIFFICILE MAÎTRISE DES DÉPENSES D'AIDE MÉDICALE D'ETAT

L'aide médicale d'Etat (AME) recouvre les dispositifs suivants :

- l' AME de droit commun (560 millions d'euros en AE et en CP pour 2014) qui assure la couverture des soins des personnes étrangères en situation irrégulière résidant en France depuis plus de trois mois de façon ininterrompue et remplissant des conditions de ressources identiques à celles fixées pour l'attribution de la couverture maladie universelle complémentaire (CMU-c) ;

- les soins urgents (40 millions d'euros en AE et en CP) pour les personnes qui ne sont pas éligibles à l'AME ;

- les autres dispositifs (5 millions d'euros en AE et en CP), qui comprennent l'AME humanitaire, accordée au cas par cas pour les personnes ne résidant pas habituellement sur le territoire français (personnes étrangères en situation régulière ou françaises), les hospitalisations de patients évacués par l'hôpital de Mayotte vers des établissements de santé de la Réunion et de métropole et les frais pharmaceutiques et soins infirmiers des personnes gardées à vue.

1. Une progression continue des dépenses et du nombre de bénéficiaires

Les dépenses d'AME de droit commun ont connu une forte progression depuis la création du dispositif. Entre 2002 et 2012 , celles-ci sont passées de 377 à 581 millions d'euros , soit une progression de près de 55 % sur la période.

Le nombre de bénéficiaires a également fortement augmenté avec la montée en charge du dispositif. Au 31 mars 2013, le nombre de bénéficiaires s'établissait à près de 264 000 personnes , soit 110 000 de plus qu'en 2002 . Le profil des bénéficiaires de l'AME de droit commun reste relativement stable : il s'agit pour plus de 80 % de personnes seules, majoritairement des hommes, généralement jeunes (en 2012, 18 % d'entre eux étaient mineurs et 23 % avaient entre 18 et 30 ans). Plus de la moitié des bénéficiaires sont concentrés en Ile-de-France - principalement à Paris et en Seine-Saint-Denis.

Tableau n° 12 : Evolution des dépenses et du nombre de bénéficiaires de l'AME de droit commun

(en millions d'euros)

Dépenses

Bénéficiaires au 31 décembre

Montant

Evolution

Nombre

Evolution

2009

540

+ 13,3 %

215 763

+ 6,5 %

2010

580

+ 7,4 %

228 036

+ 5,7 %

2011

609

+ 4,9 %

208 974

- 8,4 %

2012

581

- 4,0 %

252 437

+ 20,7 %

2013 (p)

699

+ 20,3 %

263 962

+ 4,6 %

Source : commission des finances du Sénat (à partir des réponses au questionnaire budgétaire 2014 du rapporteur spécial et du projet de loi de finances rectificative pour 2013)

La loi de finances initiale pour 2013 prévoyait une stabilisation des dépenses d'AME autour de 588 millions d'euros, dont 543 millions d'euros au titre de l'AME de droit commun. Des économies conséquentes étaient en effet attendues à la suite de la réforme de la tarification des prestations hospitalières . Conformément à une recommandation de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l'Inspection générale des finances (IGF) 18 ( * ) , la première loi de finances rectificative pour 2011 19 ( * ) a prévu l'évolution progressive de la tarification des séjours à l'hôpital public des bénéficiaires d'AME d'une facturation en fonction du prix de journée, propre à chaque hôpital, à une facturation alignée sur celle des autres assurés sociaux 20 ( * ) .

Toutefois, la mise en place de cette réforme de la tarification hospitalière a entraîné des retards de facturation importants dans les hôpitaux. L'équivalent de deux mois de prise en charge des séjours hospitaliers effectués en 2012 ont ainsi été facturés au titre de l'année 2013 , ce qui entraîne un surcroît de dépenses au titre de cet exercice.

En outre, le nombre de bénéficiaires a connu un rebond important (+ 4,6 % au début de l'année 2013 par rapport à la fin de l'année 2012), liée à l'entrée différée de certains bénéficiaires à la suite de la suppression du droit de timbre en 2012. La mise en place d'un droit d'entrée de trente euros par le précédent gouvernement avait en effet eu pour conséquence une baisse du nombre de bénéficiaires (- 8,4 % en 2011) sans toutefois se traduire par une baisse des dépenses, celles-ci ayant au contraire progressé de 4,9 %.

Tenant compte de l'impact de ces deux facteurs - reports de facturation et surcroît de bénéficiaires - sur les dépenses d'AME, le projet de loi de finances rectificative pour 2013 , présenté en Conseil des ministres le 13 novembre 2013, prévoit l'ouverture de 156 millions d'euros supplémentaires , en AE et en CP , pour couvrir les besoins supplémentaires relatifs à l'AME .

Votre rapporteur spécial estime que cette ouverture de crédits supplémentaires constitue l'option la plus transparente vis-à-vis de la représentation nationale. Elle évite de faire peser de façon prolongée une charge importante sur la caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), qui coordonne la mise en oeuvre du dispositif et assure l'avance des dépenses de soins pour le compte de l'Etat.

2. La prévision de dépenses d'AME pour 2014

Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit la poursuite de la progression des dépenses d'AME : les crédits de l'action « Aide médicale d'Etat » s'élèveront à 605 millions d'euros, soit une hausse de 2,9 % par rapport à la dotation votée en loi de finances initiale pour 2013.

Cette augmentation des dépenses concerne uniquement l'AME de droit commun , dont la dotation budgétaire s'établirait à 560 millions d'euros . Cette prévision tient compte :

- d'une évolution tendancielle de la dépense estimée à + 2,5 % ; à titre de comparaison, votre rapporteur spécial rappelle que l'évolution tendancielle des dépenses de santé au plan national est estimée à + 3,8 % au plan national, celles-ci recouvrent toutefois un périmètre plus large que les soins dispensés aux bénéficiaires de l'AME ;

- des effets de la réforme de la tarification hospitalière. En 2014, le coefficient de majoration des tarifs nationaux sera réduit de 1,30 à 1,15, ce qui permettra d' infléchir l'évolution de la dépense tendancielle d'AME de 25 millions d'euros .

Votre rapporteur spécial souligne les difficultés de prévision récurrentes en matière de dépenses d'AME . La population concernée ne peut faire l'objet d'un suivi statistique satisfaisant, du fait de sa situation irrégulière sur le territoire français. De plus, l'évolution du nombre de bénéficiaires est fortement corrélée à l'évolution de la situation géopolitique internationale ainsi qu'au taux d'acceptation des demandes d'asile.

3. Préserver la double vocation humanitaire et sanitaire du dispositif

L'AME a été instaurée en 1999 pour répondre à un double objectif humanitaire et de santé publique. Le dispositif a vocation à fournir un accès aux soins 21 ( * ) à des personnes en situation précaire, mais il vise également à éviter la propagation de maladies contagieuses. Votre rapporteur spécial regrette que la dimension d'instrument de santé publique de l'AME soit trop souvent perdue de vue .

A cet égard, la mise en place d'un droit d'entrée ou la restriction importante du panier de soins ne peuvent constituer des solutions satisfaisantes d'un point de vue sanitaire. De plus, leurs effets sur l'évolution des dépenses sont minimes. A la suite de l'introduction du droit de timbre de trente euros par le précédent gouvernement, une baisse du nombre de bénéficiaires de l'AME a bel et bien été enregistrée. Toutefois, celle-ci s'est accompagnée d'une aggravation des pathologies , en raison du traitement plus tardif des personnes malades. Le traitement de pathologies plus sévères ayant pour conséquence une augmentation du nombre d'hospitalisations 22 ( * ) , les traitements dispensés se sont alors avérés plus coûteux. La préservation de l'efficience du système passe donc par un accès plus précoce aux soins des personnes en situation irrégulière.


* 18 IGAS et IGF, « Analyse de l'évolution des dépenses au titre de l'aide médicale d'Etat », novembre 2010.

* 19 Article 50 de la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011.

* 20 Cette facturation se fonde à 80 % sur les tarifs nationaux de tarification à l'activité (T2A) et à 20 % sur la base du tarif journalier de prestation. A cette tarification, s'ajoute une majoration tenant compte des spécificités des patients bénéficiaires de l'AME. A compte du 1 er janvier 2014 cette majoration sera progressivement réduite.

* 21 Le panier de soins de l'aide médicale d'Etat diffère de celui de la couverture maladie universelle (CMU). Selon l'article R. 251-1 du code de l'action sociale et des familles, sont exclus de la prise en charge par l'aide médicale d'Etat les frais relatifs aux cures thermales ainsi que les actes, médicaments et produits spécifiques à l'assistance médicale à la procréation.

* 22 En 2012, les dépenses hospitalières ont représenté 70 % des dépenses d'AME de droit commun et les dépenses de soins de ville 30 %.

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