C. LA VIDÉOSURVEILLANCE : UN INVESTISSEMENT À FONDS PERDUS

1. Un budget de 152,9 millions d'euros depuis 2007 (hors Paris)

Depuis quelques années, la vidéosurveillance est apparue comme un axe privilégié dans la politique de sécurité. Outre des réserves de fonds sur lesquelles reviendra infra votre rapporteur spécial, ce type de dispositif se révèle d'un coût particulièrement élevé .

Pour que les collectivités territoriales ainsi que les bailleurs sociaux ou les établissements scolaires puissent faire face à ce coût, une aide de l'Etat a été mise en oeuvre par le biais du fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) 25 ( * ) . Une partie de l'enveloppe de ce fonds a été dédiée spécifiquement au développement de la vidéosurveillance 26 ( * ) . Se sont, par ailleurs, ajoutés à cette enveloppe 4 millions d'euros de crédits en provenance du « Plan de relance » en 2009 27 ( * ) .

Les données dont dispose le ministère de l'intérieur aujourd'hui sur les aides et leurs bénéficiaires depuis la mise en place du FIPD en 2007 restent incomplètes pour les trois premières années de mise en oeuvre. Elles sont en revanche plus précises pour les années suivantes.

Le bilan de l'aide accordée par le FIPD au développement de la vidéosurveillance

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

(31/06/2013)

Nombre de communes aidées

246

293

377

616

485

524

239

Nombre d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) aidés

16

19

40

41

36

14

Nombre de caméras installées

Non recensé

2500
(source Acsé)

4961
(source Acsé)

7837

6270

6570

2385

Crédits du FIPD consacrés aux projets de vidéosurveillance
(déduction faite des frais de gestion de l'Acsé)

(en millions d'euros)

13,4

11,7

15,4

29,7

29,7

29,7

19,3

Plan de relance (en millions d'euros)

-

-

-

2

2

-

-

Crédits FIPD consacrés aux communes et EPCI

(en millions d'euros)

13,4

11,7

15,4

25,0

28,6

22,2

12,8

Source : ministère de l'intérieur

Entre 2007 et 2013, l'ensemble des crédits du FIPD consacrés à des projets de vidéosurveillance a donc représenté 152,9 millions d'euros .

Sur ce montant, 142,2 millions d'euros ont été consacrés à :

- 2 780 projets portés par des collectivités territoriales ou les groupements de communes, concernant l'implantation de 28 314 caméras ;

- 117 centres de supervision urbain (CSU) ou extension de CSU ;

- 175 déports d'images vers les services de police ou de gendarmerie.

Par ailleurs, 272 dispositifs de vidéosurveillance ont été installés chez des bailleurs sociaux, dans des établissements scolaires et des organismes de transports (pour des projets considérés comme innovants).

En 2014 , le FIPD sera doté de 54,6 millions d'euros. Sur ce montant, 19 millions d'euros seront consacrés au financement de la vidéosurveillance (soit 34,8 % des crédits du fonds, contre 57,4 % en 2012 et 34,1 % en 2013) 28 ( * ) .

2. Le cas particulier de Paris

A ces montants déjà conséquents s'ajoute le cas particulier de Paris . Le plan de déploiement le plus massif de caméras se trouve en effet dans la capitale , avec 1 106 caméras de voie publique ainsi que plus de 10 000 caméras de réseaux partenaires dépendants de la RATP, de la SNCF, de grands magasins ou de musées.

Compte tenu de la complexité du projet, il a été décidé de le conduire sous la forme d'un partenariat public-privé (PPP). Le coût total du contrat s'élève, sur quinze ans, à 251,9 millions d'euros , sous la forme du versement d'un loyer annuel 29 ( * ) .

En 2014 , le loyer du contrat représentera 12,4 millions d'euros . Le financement de ce projet est entièrement porté par l'action n° 6 « Commandement, ressources humaines et soutien » du programme « Police nationale ».

3. La demande d'un moratoire sur ce type d'investissement

Dans son rapport précité sur « L'organisation et la gestion des forces de sécurité publique », la Cour des comptes regrette qu'« aucune étude d'impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, [n'ait] encore été publiée. Contrairement au Royaume-Uni, la France n'a pas encore engagé un programme de recherche destiné à mesurer l'apport de la vidéosurveillance dans les politiques de sécurité publique ».

Pour votre rapporteur, la vidéosurveillance doit être rationnalisée. Dans certaines situations, dans des endroits isolés et risqués, où la présence humaine est impossible, ou dans les transports publics, notamment de nuit, l'installation massive et dogmatique de la vidéosurveillance n'est pas efficiente. Votre rapporteur spécial déplore cet investissement d'un coût élevé dans des systèmes de surveillance potentiellement attentatoires aux libertés publiques 30 ( * ) et dont aucune étude sérieuse (ni en France, ni à l'étranger) n'a prouvé l'efficacité en termes de sécurité publique . Aussi, la vidéosurveillance doit être restreinte et mise en place de façon intelligente, à titre exceptionnel.

A cet égard, il propose que les transports publics ferroviaires de voyageurs soient équipés de caméras dans le premier wagon uniquement, afin de renforcer le rassemblement des usagers et la vigilance, notamment le soir.

Dans l'attente d'une étude scientifique indépendante sur les apports véritables de la vidéosurveillance en termes de sécurité , votre rapporteur spécial réitère sa demande d'un moratoire sur ce type d'investissement

Votre rapporteur spécial rappelle également sa proposition concernant un indicateur de performance portant sur ce type de dispositif (Cf . Partie I.D.4).

En conclusion de ces développements sur la vidéosurveillance, il ajoute toutefois que les échanges sur cette question au sein de votre commission des finances font apparaître des points de vue contrastés 31 ( * ) .


* 25 Adossé à l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (Acsé), le FIPD relève, pour 2014, du programme 147 « Politique de la ville » de la mission « Egalité des territoires, logement et ville ». Il vise à financer la réalisation d'actions de prévention de la délinquance via , en particulier, le cofinancement de dispositifs de vidéosurveillance à la charge des collectivités territoriales.

* 26 Depuis sa création en 2007, et jusqu'en 2009, l'enveloppe du FIPD était attribuée aux préfectures, selon une répartition départementale proportionnée à la population et au niveau de délinquance observée. Les préfets décidaient ainsi des subventions à accorder aux dispositifs de vidéosurveillance ainsi qu'aux autres projets de prévention. En 2010, une décision visant à centraliser au niveau du ministère de l'intérieur les attributions des crédits a été prise, afin de cibler les dossiers de vidéosurveillance, de garantir leur financement dans le cadre d'une enveloppe réservée et de permettre un suivi précis du déploiement des caméras.

* 27 Ces crédits complémentaires ont été affectés à des projets en 2010 et 2011.

* 28 Source : document de politique transversale « Prévention de la délinquance » annexé au présent projet de loi de finances.

* 29 Ce loyer englobe l'amortissement de l'investissement initial, les frais financiers, la maintenance, le renouvellement des équipements et l'exploitation du dispositif.

* 30 La CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés), qui a procédé à 173 contrôles de dispositifs de vidéosurveillance en 2012, a révélé des lacunes et des manquements, notamment concernant la clarification du régime juridique et l'information des personnes ( cf . rapport d'activité 2012 de la CNIL).

* 31 Cf . Sénat, rapport spécial n° 107 (2011-2012), tome III - annexe 26 : « Sécurité », compte rendu de l'examen en commission.

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