B. L'ABSENCE INJUSTIFIÉE DE DISPOSITIF SIMILAIRE POUR LES PERSONNES PRÉVENUES

En l'état du droit, aucun dispositif similaire à celui de l'article 720-1-1 du code de procédure pénale ne permet à une personne prévenue d'obtenir la suspension de sa mesure de détention provisoire lorsque son état de santé est incompatible avec une détention ou que son pronostic vital est engagé.

Cette lacune du droit ne paraît justifiée ni par la différence de statut entre prévenus et condamnés (les personnes prévenues, présumées innocentes, devraient en principe pouvoir bénéficier de dispositifs plus favorables), ni par de meilleures conditions de détention (les personnes prévenues, détenues en maisons d'arrêt, sont confrontées à des conditions de détention particulièrement dégradées).

1. Une population pénale confrontée à des problématiques sanitaires comparables et à des conditions de détention fortement dégradées

Si le code de procédure pénale impose de faire de la détention provisoire une mesure ordonnée « à titre exceptionnel » (article 137 du code de procédure pénale), celle-ci concerne chaque année plusieurs milliers de personnes. En 2012, 14 490 personnes ont été placées en détention provisoire dans le cadre d'une instruction (voir encadré).

Nombre de personnes placées chaque année en détention provisoire

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

23 741

23 196

20 205

19 087

18 709

17 058

16 625

15 871

14 490

Source : ministère de la justice (cadres du parquet)

La durée de la détention provisoire est très variable d'une personne à l'autre et dépend notamment de la nature de l'infraction commise et de la procédure retenue : de quelques jours à quelques mois en matière correctionnelle ( 12 jours en moyenne dans les procédures de comparution immédiate, sept mois dans les autres procédures correctionnelles), elle peut atteindre plusieurs années en matière criminelle (avec une moyenne de deux ans ) 9 ( * ) .

Au 1 er janvier 2014, 16 622 personnes prévenues étaient détenues , ce qui correspond à environ un quart de la population carcérale totale.

À la différence des personnes condamnées, les personnes prévenues sont exclusivement incarcérées en maisons d'arrêt , établissements pénitentiaires qui, contrairement aux établissements pour peine (centres de détention, maisons centrales, etc.), ne sont pas soumis à un numerus clausus 10 ( * ) . De ce fait, ces établissements sont pour la plupart aujourd'hui confrontés à une situation de surpopulation carcérale chronique qui nourrit de nombreuses tensions et aggrave les conditions de détention : au 1 er décembre 2013, 1 047 détenus dormaient sur un matelas posé à même le sol par exemple 11 ( * ) .

S'agissant de l'accès aux soins, cette situation de surpopulation carcérale complique très significativement l'organisation des extractions médicales , pourtant nécessaires pour permettre à une personne détenue de réaliser des examens médicaux ou de subir un traitement particulier dans un établissement de santé situé à l'extérieur de la maison d'arrêt.

Enfin, les personnes détenues en maisons d'arrêt sont en règle générale soumises à un régime de détention dit « portes fermées » . Comme l'ont souligné les professionnels de santé entendus par votre rapporteure, cette situation, alliée à la promiscuité et aux mauvaises conditions d'hygiène entretenues par l'état de surpopulation des maisons d'arrêt, expose particulièrement les détenus atteints de pathologies graves à des risques de détérioration rapide de leur état de santé.

Au total, les personnes prévenues malades se trouvent aujourd'hui exposées à des conditions de détention plus défavorables que les personnes condamnées à de longues peines, et ce alors même que leur état de santé présente des caractéristiques comparables : carences sanitaires diverses dues à la situation de précarité de nombreux détenus, prégnance de la question des addictions (traitement de la toxicomanie), accroissement des pathologies dues à l'âge, en lien avec le vieillissement de la population pénale 12 ( * ) , prévalence de la maladie mentale 13 ( * ) .

2. Un vide juridique imparfaitement comblé par la jurisprudence

L'absence de dispositif de suspension de détention pour raisons médicales applicable aux personnes prévenues malades ne signifie pas pour autant que ces dernières sont dépourvues de toute voie de droit.

L'article 148 du code de procédure pénale permet en effet à toute personne, ou son avocat, de demander à tout moment sa mise en liberté. Selon les cas, celle-ci peut être ordonnée par le juge d'instruction, le juge des libertés et de la détention, par la chambre de l'instruction, ou, après clôture de l'instruction, par la juridiction de jugement saisie 14 ( * ) .

Le juge statue en droit et en fait, par référence aux dispositions de l'article 144 du code de procédure pénale qui énonce de façon stricte les circonstances justifiant un placement en détention provisoire.

Toutefois, la Cour de cassation a, à plusieurs reprises, jugé que, dans le silence de la loi, un état de santé incompatible avec la détention pouvait également motiver une remise en liberté (arrêts de la chambre criminelle des 26 février 2003 et 2 septembre 2009).

Cet état du droit n'est toutefois pas entièrement satisfaisant, car, comme l'a indiqué à votre rapporteure Me Etienne Noël, cette possibilité est diversement appliquée par les magistrats sur l'ensemble du territoire national. En outre, les pratiques varient fortement d'une juridiction à une autre : en particulier, tous les juges d'instruction n'ordonnent pas systématiquement une expertise médicale, pourtant nécessaire pour corroborer la demande de remise en liberté de la personne prévenue.

Au total, une évolution de la loi paraît d'autant plus nécessaire que la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme n'établit pas de distinction entre personnes prévenues et personnes condamnées lorsqu'elle est invitée à se prononcer sur le sort réservé à une personne détenue au regard de l'article 3 de la convention européenne des droits de l'homme, qui prohibe les traitements inhumains et dégradants. À cet égard, si la Cour refuse de considérer que cet article impose de façon générale à un État partie de libérer un détenu pour des motifs de santé, elle estime néanmoins qu'il « impose en tout cas à l'État de s'assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui sont compatibles avec le respect de la dignité humaine , que les modalités d'exécution de la mesure ne soumettent pas l'intéressé à une détresse ou une épreuve d'une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l'emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate, notamment par l'administration des soins médicaux requis » (arrêt Gelfmann contre France du 14 décembre 2004).

À contrario , il est possible d'en déduire la nécessité de mettre un terme à la détention provisoire dès lors que l'état de santé de la personne prévenue n'est pas compatible avec les conditions de détention.


* 9 Source : ministère de la justice, à partir de données extraites du casier judiciaire national.

* 10 Les maisons d'arrêt peuvent également accueillir des détenus condamnés à de courtes peines (article 717 du code de procédure pénale).

* 11 43 quartiers ou établissements pénitentiaires présentaient ainsi une densité supérieure à 150 % au 1 er décembre 2013.

* 12 Une récente étude de l'administration pénitentiaire montre qu'en l'espace de trente ans, le nombre de personnes écrouées âgées de plus de 60 ans a été multiplié par 7,4. Dans le même temps, l'âge moyen de la population carcérale s'est élevé de 30,1 ans à 34,4 ans. Au 1 er janvier 2013, on comptait ainsi 2 252 détenus âgés de plus de 60 ans, contre 359 seulement au 1 er janvier 1980. Cette situation est liée pour partie à la proportion grandissante de personnes condamnées pour des infractions à caractère sexuel. Source : Cahiers d'études pénitentiaires et criminologiques n°38, octobre 2013.

* 13 Il y a quelques années, un rapport commun aux commissions des lois et des affaires sociales du Sénat avait évalué à 10% la part de détenus présentant des troubles mentaux particulièrement graves : « Prison et troubles mentaux : comment remédier aux dérives du système français », rapport d'information n° 434 au nom de la commission des affaires sociales et de la commission des lois par M. Gilbert Barbier, Mme Christiane Demontès, MM. Jean-René Lecerf et Jean-Pierre Michel, Sénat, 2009-2010. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/rap/r09-434/r09-434.html .

* 14 En matière criminelle, la cour d'assises n'est compétente que lorsque la demande est formée durant la session au cours de laquelle elle doit juger l'accusé. Dans les autres cas, la demande est examinée par la chambre de l'instruction.

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