II. UNE PROPOSITION DE LOI POUR RECENTRER LES STAGES AUTOUR DE LEUR CARACTÈRE PÉDAGOGIQUE ET AMÉLIORER LA PROTECTION DES STAGIAIRES

A. DES STAGES DEVENUS, DANS CERTAINS SECTEURS, UN SUBSTITUT AU SALARIAT

Tous les secteurs de l'économie française sont concernés par les stages, et des stagiaires sont accueillis quelle que soit la taille des entreprises. Dans leur grande majorité ce sont périodes enrichissantes, sur un plan pédagogique mais aussi relationnel et humain , pour les stagiaires comme pour les organismes d'accueil. Ils apportent une expérience professionnelle qui est un atout pour l'obtention d'un diplôme et l'entrée sur le marché du travail. Ils bénéficient également à la structure qui reçoit des stagiaires, la poussant parfois à se remettre en question pour assurer, dans les meilleures conditions, une transmission efficace des compétences .

Pourtant, les abus sont suffisamment loin d'être négligeables pour qu'ils aient, depuis maintenant près d'une décennie, un écho médiatique très fort. L'hétérogénéité de la qualité des stages s'explique par la diversité des situations professionnelles et personnelles rencontrées, ainsi que les niveaux variables de formation des stagiaires. Elle est également le symptôme d'un insuffisant suivi pédagogique par certains établissements d'enseignement, et des difficultés croissantes que rencontrent les jeunes diplômés pour trouver un premier emploi. Elle est aussi la conséquence de stratégies mises au point par les entreprises, sous diverses formes, pour « exploiter » les stagiaires.

Devenu un véritable mode de recrutement de jeunes travailleurs, le recours au stage tend à se substituer, dans certains secteurs, à l'emploi salarié . Les conséquences sont doubles : d'abord la précarisation des jeunes qui enchaînent des stages sans véritable perspective d'une stabilisation de leur situation professionnelle, puis l'exclusion progressive du marché du travail de salariés peu qualifiés dont les tâches sont confiées à des stagiaires. Les emplois destinés aux jeunes diplômés disparaissent alors que les entreprises, lorsqu'elles recrutent véritablement, exigent une expérience professionnelle qu'il est déraisonnable d'attendre d'une personne à peine sortie de formation.

Il n'existe pas de justification pédagogique au fait que certaines entreprises aient autant de stagiaires que de salariés ou que certaines entreprises du Cac 40 comptent près de 30 % de stagiaires. Dans des secteurs comme l'édition, la communication, la publicité, la culture ou encore l'humanitaire, les témoignages sur des structures ou des services fonctionnant principalement grâce à des stagiaires qui, souvent, ne bénéficient que du niveau minimal de gratification et qui occupent des postes permanents s'accumulent. Certains employeurs vont même jusqu'à refuser de conclure des conventions de stage d'une durée supérieure à deux mois pour éviter d'avoir à verser la gratification. Parfois même, le stagiaire doit former son successeur.

Alors qu'il a vocation à s'inscrire, en particulier à la fin d'un cursus, dans un processus de pré-recrutement , le stage est loin d'aboutir systématiquement, ou même régulièrement, à une embauche. Selon l'enquête Eurobaromètre précitée, seulement 27 % des stagiaires se sont vu proposer un contrat de travail à l'issue de leur stage.

De trop nombreux employeurs utilisent les stages pour disposer à moindre coût d'une main d'oeuvre qui, en fin de cursus de l'enseignement supérieur, est particulièrement qualifiée . D'autres négligent leur rôle d'encadrement du stagiaire, le laissant sans instructions particulières et limitant ainsi l'apport pédagogique du stage.

Ils prennent le risque d'une condamnation pour travail dissimulé , ainsi que l'a jugé la Cour de cassation 29 ( * ) dans une affaire où 86 stagiaires, recrutés pour des vendanges, ont « réalisé une prestation de travail non qualifié, sans bénéficier d'une formation, au profit de la société, sous le contrôle de ses salariés et moyennant une rémunération indirecte ». Il s'agit toutefois d'un cas extrême , où le recours à un contrat de travail aurait dû paraître évident et dans lequel l'absence de formation ainsi que le travail non qualifié demandé distinguent clairement cette situation d'un stage.

Un stagiaire peut également demander la requalification de sa convention de stage en contrat de travail devant le conseil de prud'hommes, en particulier s'il établit la démonstration que son stage correspond en réalité à l'un des cas de recours interdits par la réglementation (exécution d'une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, remplacement d'un salarié absent, etc.). La Cour de cassation a également confirmé 30 ( * ) l'analyse d'une cour d'appel ayant reconnu l'existence d'un contrat de travail lorsque les tâches effectuées « dépassaient largement » les travaux confiés à un stagiaire et que la rémunération versée était disproportionnée par rapport aux gratifications habituellement versées aux stagiaires.

En se basant sur un faisceau d'indices , en particulier sur la nature des tâches effectuées , la formation fournie ou l'encadrement pédagogique réalisé ainsi que l'existence d'un lien de subordination avec l'employeur, la juridiction prononce, le cas échéant, la requalification. Ce lien de subordination caractérise, aux yeux de la Cour de cassation, le salariat. Elle l'a défini par quatre critères cumulatifs 31 ( * ) : l'exécution d'un travail sous l'autorité de l'employeur et le pouvoir de celui-ci de donner des ordres, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner tout manquement.

Néanmoins, la réalité des stages, notamment leur faible durée et la nécessité, pour le stagiaire, de valider cette expérience professionnelle pour obtenir son diplôme, fait que le volume de contentieux en la matière est très faible et la jurisprudence limitée. La technicité de cette question et le coût que représente le recours à un avocat découragent la majorité de ceux qui subissent ce salariat déguisé. La vulnérabilité des stagiaires ne les incite pas à faire entendre leur voix, ni à faire valoir leurs droits.

A l'heure actuelle, les pouvoirs publics ne peuvent que constater cet état de fait, sans véritables outils à leur disposition pour y remédier. Une réponse législative globale est nécessaire, qui mette en place un cadre juridique stable pour encadrer les stages et permettre que leur développement se poursuive , au bénéfice des jeunes comme des entreprises et sans se faire au détriment de l'emploi salarié. Tel est l'esprit de la présente proposition de loi.


* 29 Cass. crim., 28 septembre 2010, n° 09-87.689.

* 30 Cass. soc., 18 juin 2003, n° 00-46.438.

* 31 Cass. soc., 13 novembre 1996, n° 94-13.187.

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