II. LES ORIENTATIONS DES FINANCES PUBLIQUES POUR LA PÉRIODE 2014-2019 : LES RENONCEMENTS DU GOUVERNEMENT

Les orientations figurant dans le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019 marquent plusieurs renoncements. Le Gouvernement renonce, en effet, à ramener le déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015 , ainsi qu'à la trajectoire de solde structurel et à son objectif à moyen terme (OMT), qui avaient été définis dans la loi de programmation des finances publiques 2012-2017 , en contradiction avec les engagements pris devant le Parlement et nos partenaires européens.

Certes, les conditions économiques des derniers mois se sont révélées particulièrement défavorables. Mais ceci éclaire le problème plus qu'il ne le justifie : espérant un retour rapide de la croissance économique, le Gouvernement semble avoir considéré qu'il pourrait faire l'économie des réformes structurelles nécessaires pour permettre un ralentissement tendanciel de la dépense publique .

Les développements qui suivent exposent et analysent la nouvelle trajectoire de solde structurel et de solde effectif proposée par le présent projet de loi, avant d'examiner les autres orientations des finances publiques, à savoir, l' évolution prévisionnelle des dépenses des administrations publiques - supposées porter un effort de 50 milliards d'euros d'économies entre 2015 et 2017 -, des prélèvements obligatoires , ainsi que de la dette publique .

A. LE REPORT DE L'ATTEINTE DES OBJECTIFS DE SOLDE PUBLIC

La trajectoire du solde des administrations publiques était, jusqu'à présent, structurée autour de deux objectifs principaux : le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015 , en application du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), et l'atteinte de l'équilibre structurel en 2016 , correspondant à l'objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel défini par la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017, conformément aux exigences du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Toutefois, ces objectifs sont « abandonnés » par le présent projet de loi, qui reporte la correction du déficit excessif à 2017 et redéfinit significativement l'objectif à moyen terme (OMT), et ce en raison d'une réduction de l'effort structurel devant être consenti au cours de la période de programmation.

1. Les engagements budgétaires actuels de la France

La révision des objectifs de solde public par le Gouvernement ne saurait surprendre, dès lors qu' aucun de ceux qu'il a arrêtés depuis 2012 n'a été respecté .

Le premier d'entre eux concerne, comme cela a été indiqué, le solde structurel. Pour les raisons qui ont été évoquées précédemment, le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) impose, en effet, aux États signataires de définir un objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel, qui ne peut être inférieur à - 0,5 % du PIB , et une trajectoire de solde structurel, appelée « trajectoire d'ajustement », permettant sa réalisation.

Aussi, conformément à cette prescription, transposée par la loi organique du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques, la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 a défini un objectif à moyen terme (OMT), correspondant à l'atteinte de l'équilibre structurel en 2016, et une trajectoire de solde structurel pour l'ensemble de la période couverte .

Toutefois, des écarts significatifs sont apparus entre la trajectoire de solde structurel définie par la loi de programmation 2012-2017 et la réalisation , au titre de l'exercice 2012 et plus encore de l'exercice 2013, au cours duquel l'écart était de - 1,5 point de PIB comme le montre le graphique ci-après. Ceci a d'ailleurs amené le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) à identifier, dans son avis du 23 mai 2014 64 ( * ) , l'existence d'un « écart important » 65 ( * ) entre le solde structurel constaté au titre de l'année 2013 et la trajectoire, conduisant au déclenchement du mécanisme de correction prévu par l'article 23 de la loi organique relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques 66 ( * ) .

Graphique n° 18 : Trajectoires de solde et d'ajustement structurels de la LPFP 2012-2017 et réalisation

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Les raisons avancées par le Gouvernement afin de justifier cet écart ont été explicitées lors de la présentation, au Parlement, du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2013 67 ( * ) . Comme le fait apparaître le tableau ci-après, selon le Gouvernement, l'« écart important » observé au titre de l'exercice 2013 trouvait son origine dans les révisions apportées aux exercices antérieurs (- 0,6 point de PIB), à une plus faible élasticité des prélèvements obligatoires à la croissance du PIB qu'anticipé (- 0,5 point de PIB), à un moindre rendement des mesures nouvelles en recettes (- 0,15 point de PIB) et à une atténuation de l'effort en dépenses (- 0,3 point de PIB), du fait d'une croissance de la dépense en volume supérieure à la prévision.

Tableau n° 19 : Explication de l'écart du solde structurel
à la trajectoire pluriannuelle

(en points de PIB)

Écart à la LPFP 2012-2017

- 1,5

Révisions apportées aux exercices antérieurs

- 0,6

Effet d'élasticité (moindre dynamisme des recettes)

- 0,5

Moindre rendement des mesures nouvelles en recettes

- 0,15

Atténuation de l'effort en dépenses, dont :

- 0,3

- croissance de la dépense en valeur plus faible qu'anticipé

+ 0,2

- croissance de la dépense en volume supérieure à la prévision (faible inflation)

- 0,5

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données transmises par le Gouvernement)

Pas plus que la trajectoire de solde structurel, celle de solde effectif n'a été respectée . La loi de programmation 2012-2017 prévoyait un retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2013 ; toutefois, cet objectif a été rendu caduc par le report du délai laissé à la France par le Conseil de l'Union européenne pour corriger son déficit excessif . La France fait l'objet, depuis le 27 avril 2009, d'une procédure de déficit excessif (PDE) au titre du volet correctif du Pacte de stabilité et de croissance (PSC) ; à ce titre, celle-ci devait ramener son déficit public effectif en-dessous de 3 % du PIB en 2012 au plus tard, délai qui avait été reporté à 2013 par le Conseil de l'Union européenne le 2 décembre 2009.

Toutefois, en raison de la « forte détérioration de la position budgétaire due à une position globale de l'économie moins favorable que celle sur laquelle se fonde la recommandation du Conseil de 2009 », la Commission européenne a proposé, le 29 mai 2013, d'accorder à la France une prolongation jusqu'à 2015 du délai pour corriger son déficit excessif - proposition validée par le Conseil de l'Union européenne le 21 juin 2013. Ce report s'est accompagné de recommandations du Conseil portant sur la trajectoire de solde public de la France jusqu'à 2015, comprenant des cibles de déficit effectif et des objectifs d'ajustement du solde structurel . Ces différents éléments sont repris dans le tableau ci-après.

Tableau n° 20 : Recommandations du Conseil concernant la trajectoire des finances publiques de la France dans le cadre de la procédure de déficit excessif

(en % du PIB)

2013

2014

2015

Cibles de déficit effectif

3,9

3,6

2,8

Objectifs d'ajustement structurel

1,3

0,8

0,8

Source : Conseil de l'Union européenne (2013)

Ainsi, il est requis de la France qu'elle ramène son déficit effectif en deçà de 3 % du PIB en 2015 et qu'elle améliore son solde structurel de 0,8 point de PIB en 2014 et 2015 . Ces recommandations ont été prises en compte dans le cadre du programme de stabilité 2014-2017 68 ( * ) (cf. tableau ci-après). Seulement, comme le montrent les développements qui suivent, la nouvelle trajectoire proposée par le Gouvernement, dans le présent projet de loi, fait clairement apparaître que ces prescriptions ne seraient pas respectées.

Tableau n° 21 : Trajectoires des soldes effectif et structurel
du programme de stabilité 2014-2017

(en points de PIB)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Solde effectif

- 4,9

- 4,3

- 3,8

- 3,0

- 2,2

- 1,3

Solde structurel

- 4,0

- 2,9

- 2,1

- 1,2

- 0,8

- ¼

Ajustement structurel

1,1

1,1

0,8

0,8

0,5

0,5

Source : commission des finances du Sénat (à partir du programme de stabilité 2014-2017)

2. Les nouvelles cibles de la trajectoire du solde public
a) La modification de l'objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel

En premier lieu, il est prévu une modification substantielle de l'objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel. L'article 2 du présent projet de loi propose, en effet, de fixer l'OMT à - 0,4 % du PIB en 2019 (cf. graphique ci-après). En cela, le Gouvernement fait usage de la « marge » laissée par le TSCG, en vertu duquel l'objectif à moyen terme ne peut être inférieur à - 0,5 % du PIB.

Ainsi, il apparaît que le Gouvernement a fait le choix de ne pas corriger l'« écart important » identifié par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) en mai 2014 , contrairement à ce qu'exigeait, pourtant, le mécanisme de correction prévu par la loi organique du 17 décembre 2012. Comme l'a très justement souligné le président du Haut Conseil, Didier Migaud, lors de son audition précitée par la commission des finances du 15 octobre 2014 : « La correction du Gouvernement consiste en une nouvelle loi de programmation ». En quelque sorte, le Gouvernement « efface l'ardoise », et donc les écarts passés, avec une nouvelle loi de programmation des finances publiques , qui abroge les orientations fixées par la loi de programmation 2012-2017.

Toutefois, l'objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel pouvait-il être modifié dans un délai aussi bref ? L'article 2 bis du règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 69 ( * ) dispose que : « L'objectif à moyen terme est revu tous les trois ans. L'objectif à moyen terme peut être revu à nouveau en cas de mise en oeuvre d'une réforme structurelle ayant une incidence majeure sur la soutenabilité des finances publiques ». Aussi, dans le rapport annexé au présent projet de loi (alinéa 27), il est indiqué que dans « un contexte de mise en oeuvre de réformes structurelles visant à améliorer durablement la compétitivité de l'économie française (en particulier, le pacte de responsabilité et de solidarité qui représente de l'ordre de 1,3 point de PIB à l'horizon 2017), le Gouvernement modifie la définition de l'OMT de la France » ; ce dernier justifie donc la modification anticipée de l'OMT par les réformes structurelles qu'il a engagées , ainsi que par la réévaluation de la trajectoire de PIB potentiel (cf. supra ).

Sans pour autant préjuger de la manière dont cette modification sera accueillie par la Commission européenne, il peut être noté que le « code de conduite » publié en septembre 2012, qui précise les modalités d'application du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), indique que l'« OMT peut, en outre, être révisé en cas de mise en oeuvre de réformes structurelles ayant un impact important sur la soutenabilité des finances publiques » 70 ( * ) , tout en précisant que « seules les réformes importantes qui ont des effets budgétaires positifs à long terme, y compris par l'accroissement de la croissance potentielle, et, par conséquent, une incidence positive vérifiable sur la soutenabilité à long terme des finances publiques seront prises en compte. Par exemple, des réformes portant sur le système de santé, les retraites ou le marché du travail pourraient être considérées » 71 ( * ) . Ainsi, en modifiant l'objectif à moyen terme (OMT) de solde structurel, le Gouvernement semble considérer que les réformes comprises dans le Pacte de responsabilité et de solidarité répondent aux critères qui viennent d'être énoncés et contribueraient, en particulier, à assurer la soutenabilité des finances publiques à long terme .

En tout état de cause, comme le montre le graphique ci-après, l'inflexion de la trajectoire de solde structurel proposée par le présent projet de loi résulterait, notamment, d'une minoration de l'ajustement structurel prévu pour les années 2014 à 2017 . Alors que la loi de programmation des finances publiques pour les années 2012 à 2017 prévoyait un ajustement structurel total de 1,8 point de PIB au cours de la période 2014-2017, celui prévu par le présent projet de loi s'élève à 1,1 point de PIB . À ce titre, il convient de relever que l'ajustement structurel permettant l'atteinte de l'OMT en 2019 est de 2,1 points de PIB. Par conséquent, près de la moitié du chemin à parcourir vers l'objectif à moyen terme devrait l'être après 2017... L'effort budgétaire à consentir est donc en grande partie reporté sur la prochaine législature .

Graphique n° 22 : Comparaison des trajectoires de solde et d'ajustement structurels de la LPFP 2012-2017 et du PLPFP 2014-2019

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Le Gouvernement explique cette réduction du rythme de l'ajustement structurel par la révision des hypothèses de croissance potentielle . Cette révision vient minorer l'effort structurel prévu pour l'ensemble de la période de programmation, dès lors qu'elle réduit l'effort en dépense mesuré. En effet, l'effort structurel en dépenses correspond à l'écart entre la progression de la dépense publique et la croissance potentielle (cf. encadré ci-après portant sur les notions d'ajustement et d'effort structurels) ; par suite, le ralentissement de la dépense effective se traduit par un moindre effort en dépenses si la croissance potentielle est plus faible.

Tableau n° 23 : Effort structurel des administrations publiques (2015-2017)

2014

2015

2016

2017

Total 2015-2017

Effort structurel en points de PIB

Effort structurel, dont :

0,4

0,5

0,2

0,4

1,1

mesures nouvelles en prélèvements obligatoires

0,1

0,0

- 0,2

- 0,2

- 0,4

effort en dépenses

0,2

0,5

0,4

0,6

1,5

Effort structurel en milliards d'euros

Effort structurel, dont :

15

19

11

11

41

mesures nouvelles en prélèvements obligatoires

0

- 2

- 4

- 3

- 9

effort en dépenses

15

21

15

14

50

Source : commission des finances (à partir du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019)

Le tableau ci-dessus retrace la trajectoire d'effort structurel pour la période 2014-2017 , figurant à l'article 4 du présent projet de loi. De même, il s'attache à établir une correspondance entre les efforts en dépenses et en recettes prévus et les mesures d'économies et en prélèvements obligatoires, en valeur, annoncées par le Gouvernement pour les années 2015 à 2017 72 ( * ) - dont les estimations sont reprises du rapport annexé au projet de loi de programmation.

Au total, au titre de la période 2015-2017, le Gouvernement projette un effort structurel de 1,1 point de PIB - qui reposerait essentiellement sur les collectivités territoriales (cf. tableau ci-après) -, comprenant un effort en dépenses pour 1,5 point de PIB et des mesures nouvelles en prélèvements obligatoires pour - 0,4 point de PIB. Dans le programme de stabilité 2014-2017, pour la même période, l'effort structurel était estimé à 1,6 point de PIB , dont - 0,6 points de PIB de mesures nouvelles en prélèvements obligatoires et 2,1 point de PIB d'effort en dépenses.

Tableau n° 24 : Détail de l'effort structurel par sous-secteur
des administrations publiques

(en points de PIB)

2013

2014

2015

2016

2017

Total 2015-2017

Effort structurel, dont :

1,2

0,4

0,5

0,2

0,4

1,1

Administrations publiques centrales (APUC)

0,9

0,2

0,2

0,1

0,2

0,5

Administrations publiques locales (APUL)

- 0,2

0,1

0,3

0,2

0,2

0,7

Administrations de sécurité sociale (ASSO)

0,5

0,1

0,0

- 0,1

0,0

- 0,1

Source : commission des finances (à partir du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019)

Le « passage » entre l'effort structurel et l'ajustement structurel implique également de tenir compte et de la composante non discrétionnaire 73 ( * ) de ce dernier et de la « clef en crédits d'impôts », comme le rappelle l'encadré ci-après.

Le rapport annexé au présent projet de loi (alinéa 57) indique que « si, en 2015, la montée en charge du CICE continuerait de peser sur l'ajustement structurel via la clé en crédits d'impôts [...], tout comme une élasticité légèrement inférieure à l'unité, ces facteurs disparaîtraient à partir de 2016, l'élasticité devenant proche de l'unité, permettant à l'ajustement structurel d'atteindre le rythme de 0,5 point de PIB en 2017 ». Ces différents effets sont retracés dans le tableau qui suit.

Tableau n° 25 : Variation du solde structurel des administrations publiques

(en points de PIB)

2013

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Ajustement structurel, dont :

1,1

0,1

0,25

0,25

0,5

0,5

0,5

Effort structurel

1,2

0,4

0,5

0,2

0,4

-

-

Composante non discrétionnaire

- 0,2

- 0,1

- 0,1

0,0

0,0

-

-

Clef en crédit d'impôt

0,0

- 0,1

- 0,1

0,0

0,1

-

-

Source : commission des finances (à partir du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019)

En dépit des incidences de la composante non discrétionnaire et de la nouvelle comptabilisation des crédits d'impôts, le ralentissement de l'ajustement structurel résulterait essentiellement de celui de l'effort structurel au cours de la période de programmation , qui résulterait de la révision à la baisse des hypothèses de croissance potentielle.

Toutefois, dans son avis relatif au présent projet de loi 74 ( * ) , le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) a estimé que cette réévaluation de la croissance potentielle n'expliquait qu'une partie de l'écart entre l'ajustement structurel annoncé dans le programme de stabilité 2014-2017 et celui prévu dans le présent projet de loi , à hauteur de « 0,2 point de PIB de la baisse de la variation de solde structurel chaque année ». Aussi juge-t-il que, « plus fondamentalement, l'ajustement structurel est limité par le fait que l'effort en dépense, relativement modéré au regard de celui qui a pu être réalisé par le passé par d'autres pays, sert en partie, à compter de 2016, à financer des baisses de prélèvements dans le cadre du Pacte de responsabilité et de solidarité », tout en notant que ce moindre ajustement structurel ne serait pas compensé par un effort supplémentaire ultérieur.

Dès lors, la modification de l'objectif à moyen terme (OMT) et de la trajectoire d'ajustement structurel ne saurait être vue comme une simple opération « technique », traduisant mécaniquement la révision des hypothèses de croissance potentielle : elle s'accompagne également, selon le Haut Conseil, d'un net recul de l'effort structurel projeté au titre de la période 2015-2017.

Pour conclure ce développement relatif à la trajectoire de solde structurel proposée par le présent projet de loi, il convient de revenir sur l'estimation de l'écart de production sur laquelle cette trajectoire se fonde .

Ainsi que cela était indiqué au début de cet exposé général, l'écart de production occupe une place centrale dans le calcul du solde structurel. Par conséquent, l'évaluation retenue de l'écart de production pour l'année 2013, soit - 2,7 % du PIB potentiel, présente une importance déterminante. En effet, c'est sur la base de celle-ci qu'est calculé le « point de départ » de la trajectoire de solde structurel , soit un solde structurel de - 2,5 %. Or, dans son avis précité, le Haut Conseil a estimé que l'écart de production pourrait être plus resserré, en 2013, que ce que prévoit le Gouvernement - qui reprend, par ailleurs, l'estimation de la Commission européenne (cf. supra ). Dans une telle hypothèse, le solde structurel serait plus dégradé sur l'ensemble de la période de programmation.

Graphique n° 26 : Effets de l'estimation de l'écart de production sur la trajectoire de solde structurel

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

Afin d'illustrer les effets d'un tel phénomène, il est proposé de reconstituer la trajectoire de solde structurel - à ajustement structurel inchangé - dans l'éventualité où l'écart de production serait plus resserré que ce que prévoit le Gouvernement. Les estimations de l'écart de production sont diverses, certains des instituts de conjoncture interrogés par la commission des finances évaluant l'écart de production à un niveau légèrement supérieur à - 2,0 point de PIB potentiel, d'autres retenant même une estimation proche de 0. Toutefois, l'essentiel des évaluations des instituts de conjoncture, des organisations internationales ou de l'Insee sont comprises entre - 2,0 et - 3,5 points de PIB potentiel. Aussi une estimation de l'écart de production de - 2,0 points de PIB potentiel est-elle retenue pour cette projection , dont les résultats apparaissent dans le graphique ci-avant.

Ainsi, si l'écart de production s'élevait à - 2,0 points de PIB potentiel et non à - 2,7 points de PIB potentiel en 2013, la trajectoire de solde structurel - recomposée sur la base de la « règle du pouce » - s'en trouverait abaissée de 0,6 point de PIB , le solde structurel s'élevant alors, en 2019, à - 1,0 % du PIB ; dans de telles conditions, l'objectif à moyen terme (OMT) ne répondrait pas aux exigences du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Toutefois, il s'agit là d'une projection tout à fait théorique, dans la mesure où, comme cela a été rappelé, le Haut Conseil des finances publiques (HCFP), en application de l'article 23 de la loi organique du 17 décembre 2012, doit retenir la trajectoire de PIB potentiel figurant dans le rapport annexé de la loi de programmation des finances publiques lorsqu'il contrôle le respect de la trajectoire de solde structurel fixée par cette dernière.

Ajustement structurel et effort structurel

L' ajustement structurel se définit comme la variation du solde structurel, qui correspond au solde public effectif corrigé du cycle économique, soit de la conjoncture, de même que des mesures exceptionnelles et temporaires. Dès lors, l'ajustement structurel renvoie à la variation du solde public dont ont été retranchés les effets de la conjoncture économique. Malgré cela, celui-ci ne constitue qu'une mesure imparfaite pour qualifier l'orientation discrétionnaire de la politique budgétaire . En effet, par construction, le solde structurel est conçu comme un résidu entre le solde effectif et sa part conjoncturelle, de sorte que tous les éléments qui ne figurent pas explicitement dans le solde conjoncturel sont considérés comme étant de nature structurelle ; en particulier, le solde structurel ne permet pas d'exclure les incidences de l'évolution de l'élasticité des prélèvements obligatoires , pourtant sensible aux évolutions conjoncturelles et qui échappe au contrôle du Gouvernement.

Aussi, afin de mieux approcher la composante discrétionnaire des finances publiques - et donc l'action budgétaire du Gouvernement -, a été développée la notion d'effort structurel , qui a été proposée pour la première fois dans le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2004 75 ( * ) .

L'effort structurel peut se décomposer en deux facteurs : l' effort structurel en dépenses , qui correspond à l'écart entre la progression de la dépense publique et la croissance potentielle, et l' effort structurel en recettes , soit les mesures nouvelles portant sur les prélèvements obligatoires perçus par l'ensemble des administrations publiques 76 ( * ) . Ainsi, le calcul de l'effort structurel permet un traitement amélioré du traitement des recettes dans la mesure de la composante discrétionnaire du solde public, dès lors qu'il permet d'exclure les incidences de l'évolution des élasticités. Toutefois, il ne permet pas d'isoler les évolutions des
dépenses publiques qui ne sont pas maîtrisées par le Gouvernement
, à l'instar des charges de la dette, pouvant momentanément venir accroître l'effort structurel en dépenses.

En outre, l'entrée en vigueur du nouveau système européen des comptes nationaux, dit « SEC 2010 » 77 ( * ) , a modifié le traitement des crédits d'impôts « restituables » 78 ( * ) , soit ceux correspondant à une créance et pouvant donner lieu à un versement de la part du Trésor public en cas de dépassement de l'impôt dû, qui sont désormais comptabilisés comme des dépenses publiques - alors qu'ils l'étaient auparavant en tant que moindres recettes. Par conséquent, afin de maintenir inchangé la notion d'effort structurel, l'effort en dépenses est calculé hors crédits d'impôts . Toutefois, parce que la montée en charge des crédits d'impôts « pèsent » sur l'ajustement structurel, un terme supplémentaire a été ajouté dans la décomposition de ce dernier : il s'agit de la « clef en crédits d'impôts ».

b) Une correction du déficit excessif de nouveau reportée

La trajectoire des finances publiques proposée dans le présent projet de loi repousse également le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB à 2017 alors que, conformément aux recommandations du Conseil de l'Union européenne du 21 juin 2013, le déficit excessif de la France devait être corrigé avant 2015.

Tableau n° 27 : Évolution du solde public effectif, du solde conjoncturel, des mesures ponctuelles et temporaires et du solde structurel

(en points de PIB)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Solde public effectif (1+2+3)

- 4,4

- 4,3

- 3,8

- 2,8

- 1,8

- 0,8

Solde conjoncture (1)

- 1,9

- 2,0

- 1,7

- 1,4

- 0,9

- 0,5

Mesures ponctuelles et temporaires (2)

0,0

- 0,1

- 0,1

0,0

0,0

0,0

Solde structurel (en points de PIB potentiel) (3)

- 2,4

- 2,2

- 1,9

- 1,4

- 0,9

- 0,4

Source : projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019

Ceci constitue une conséquence logique du ralentissement de l'amélioration du solde structurel , donc de l'effort structurel projeté par le Gouvernement. Mais il apparaît également que les mesures ponctuelles et temporaires 79 ( * ) affecteraient négativement le solde effectif au cours de la période de programmation en raison, notamment des contentieux sur les organismes de placement en valeur mobilière (OPCVM) et du contentieux dit « précompte », dont le coût pour les finances publiques est évalué à près de 6 milliards d'euros entre 2014 et 2017 (cf. tableau ci-après). Toutefois, les effets sur l'ajustement structurel de ces contentieux seraient concentrés sur les années 2015 et 2016 , à hauteur de - 0,1 point de PIB potentiel par an. Ainsi, la trajectoire de solde effectif pour ces exercices pâtirait des « retards » pris dans le traitement des contentieux OPCVM et « précompte » qui avaient, pour les années antérieures, conduit à ce que les contentieux fiscaux pèsent moins qu'anticipé sur les finances publiques.

Tableau n° 28 : Mesures ponctuelles et temporaires (2014-2019)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

Mesures ponctuelles et temporaires (% du PIB pot.)

0,0

- 0,1

- 0,1

0,0

0,0

0,0

Précompte (en milliards d'euros)

0,0

- 0,4

- 0,9

0,0

0,0

0,0

OPCVM (en milliards d'euros)

- 0,7

- 1,8

- 1,8

- 0,5

0,0

0,0

Source : commission des finances (à partir du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2014 à 2019)

Quoi qu'il en soit, il s'agit de la deuxième fois que le Gouvernement reporte le retour du déficit effectif en deçà de 3 % du PIB depuis 2012, comme l'illustre le graphique ci-après.

Graphique n° 29 : Comparaison des trajectoires de solde effectif de la LPFP 2012-2017, du Programme de stabilité 2014-2017 et du PLPFP 2014-2019

(en points de PIB)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des documents cités)

En l'état actuel des choses, ramener le déficit effectif sous le seuil de 3 % du PIB en 2015, conformément à nos engagements européens, impliquerait d' accroître l'effort budgétaire consenti en 2015 de près de 30 milliards d'euros .

Ceci met en lumière l'« impasse » qu'a représentée la politique budgétaire et fiscale menée par le Gouvernement depuis son entrée en fonction. Le redressement des comptes publics a reposé, dans les premiers temps, exclusivement sur les hausses d'impôt, les efforts en dépenses étant renvoyés en seconde partie de législature - sans doute dans l'espoir de bénéficier d'une reprise de l'activité économique. À cet égard, comme l'a rappelé le Premier président de la Cour des comptes, Didier Migaud, lors de son audition par la commission des finances de l'Assemblée nationale du 17 juin 2014 80 ( * ) , les augmentations d'impôts se sont élevées à 22 milliards d'euros en 2012 et à 29 milliards d'euros en 2013 .

Par conséquent, le Gouvernement est désormais contraint de chercher la quadrature du cercle , puisqu'il doit consolider les finances publiques tout en finançant des baisses de prélèvements obligatoires rendues indispensables par les hausses significatives qu'il a lui-même décidées il y a quelques mois. Ceci montre bien que le Gouvernement ne pouvait faire l'économie, et ce dès le début de la législature, des réformes structurelles nécessaires devant permettre un ralentissement tendanciel de la dépense publique .

Au regard des nouvelles règles de gouvernance financière, qui accorde une large place à la notion de solde structurel, en particulier depuis l'adoption du Six Pack 81 ( * ) , le non-respect du délai de correction du déficit excessif aurait pu se justifier si l'ajustement structurel était conforme aux recommandations du Conseil de l'Union européenne du 21 juin 2013 . Si le programme de stabilité 2014-2017, transmis en mai dernier aux institutions européennes, respectait ces prescriptions, tel n'est pas le cas de la trajectoire proposée par le présent projet de loi. Comme cela a été indiqué, l'ajustement structurel s'élèverait à 0,1 % du PIB en 2014 et à 0,25 % du PIB en 2015, alors que les recommandations du Conseil prévoyaient un ajustement de 0,8 % du PIB au cours de ces deux années - et qui ne pouvait être, conformément au Pacte de stabilité et de croissance, inférieur à 0,5 % du PIB par an.

Aussi, comme l'a relevé le Haut Conseil des finances publiques (HCFP) dans son avis relatif au présent projet de loi 82 ( * ) , « la trajectoire des finances publiques du projet de loi de programmation n'est pas cohérente avec les engagements pris par la France ». L'appréciation de la Commission européenne sur la nouvelle trajectoire devrait être connue prochainement, lors de la publication de son avis sur le projet de plan budgétaire de la France pour l'exercice 2015 , en application de la nouvelle procédure instituée par le Two Pack 83 ( * ) .


* 64 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-02 du 23 mai 2014, op. cit.

* 65 L'article 23 de la loi organique n° 2012-1403 du 17 décembre 2012 relative à la programmation et à la gouvernance des finances publiques dispose qu'« un écart est considéré comme important au regard des orientations pluriannuelles de solde structurel de l'ensemble des administrations publiques définies par la loi de programmation des finances publiques lorsqu'il représente au moins 0,5 % du produit intérieur brut sur une année donnée ou au moins 0,25 % du produit intérieur brut par an en moyenne sur deux années consécutives ».

* 66 Les modalités de mise en oeuvre du mécanisme de correction sont décrites dans le commentaire de l'article 6 du présent projet de loi et font l'objet d'un examen approfondi dans le rapport n° 716 (2013-2014) sur le projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2013 fait par François Marc au nom de la commission des finances du Sénat.

* 67 Rapport n° 716 (2013-2014) , op. cit.

* 68 Cf. rapport d'information n° 483 (2013-2014), op. cit.

* 69 Règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil du 7 juillet 1997 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la coordination des politiques économiques.

* 70 Commission européenne, Specifications on the implementation of the Stability and Growth Pact , septembre 2012, p. 5 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 71 Ibid. , p. 7 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 72 L'évolution des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires prévue au titre de la période de programmation est analysée plus en détail infra .

* 73 La composante non discrétionnaire de l'ajustement structurel, qui est hors de contrôle du Gouvernement, est définie comme l'effet du décalage entre les élasticités spontanées des recettes à la variation du PIB et les élasticités usuelles auxquelles s'ajoute l'évolution des recettes hors prélèvements obligatoires.

* 74 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-04 du 26 septembre 2014, op. cit.

* 75 Par ailleurs, il convient de rappeler que la loi de programmation des finances publiques (LPFP) pour les années 2011 à 2014 reposait sur un engagement exprimé en termes d'effort structurel et non plus de solde effectif.

* 76 S. Duchêne et D. Lévy, « Solde "structurel" et "effort structurel" : un essai d'évaluation de la composante "discrétionnaire" de la politique budgétaire », Diagnostic Prévisions et Analyses économiques , n° 18, 2003.

* 77 Les changements induits par le nouveau système européen des comptes nationaux (SEC 2010) sont décrits dans l'annexe 3 au rapport annexé au présent projet de loi.

* 78 Dans le cadre du système européen de comptabilité (SEC 2010), les crédits d'impôts « restituables » correspondent aux crédits d'impôts tels qu'ils sont conçus dans le droit français ; il s'agit des dispositifs qui « peuvent être "à payer", dans le sens où tout montant du crédit qui dépasse la créance fiscale est payé à son bénéficiaire ». À l'inverse, les crédits d'impôts qui ne sont pas exigibles, comme les abattements ou les déductions, sont décrits comme « non récupérables ».

* 79 La définition des mesures ponctuelles et temporaires retenue par le Gouvernement est explicitée supra dans le présent exposé général, dans les développements relatifs au calcul du solde structurel.

* 80 Audition de M. Didier Migaud, Premier président de la Cour des comptes, sur le rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques, le 17 juin 2014 par la commission des finances de l'Assemblée nationale.

* 81 La réforme du Pacte de stabilité et de croissance a été réalisée, dans le cadre du Six Pack , par trois règlements (UE) du Parlement européen et du Conseil du 16 novembre 2011 n° 1173/2011 sur la mise en oeuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro , n° 1175/2011 modifiant le règlement (CE) n° 1466/97 du Conseil relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que de la surveillance et de la coordination des politiques économiques et n° 1177/2011 modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 visant à accélérer et à clarifier la mise en oeuvre de la procédure concernant les déficits excessifs ainsi que par la directive 2011/85/UE du Conseil du 8 novembre 2011 sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres .

* 82 Cf. avis du Haut Conseil des finances publiques n° HCFP-2014-04 du 26 septembre 2014, op. cit.

* 83 En application du Two Pack , les États membres de la zone euro doivent, avant le 15 octobre de chaque année, publier leur projet de budget pour l'exercice suivant et soumettre à la Commission européenne et à l'Eurogroupe un projet de plan budgétaire. La Commission formule un avis sur chaque projet de plan budgétaire avant le 30 novembre. Si la Commission décèle un manquement particulièrement grave aux obligatoires découlant du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), elle adopte son avis dans les deux semaines suivant la transmission du projet de plan budgétaire et demande qu'un projet révisé lui soit soumis dès que possible.

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