B. DES DÉPENSES D'AME DE DROIT COMMUN EN HAUSSE DE 90 % DEPUIS 2002, CONCENTRÉES DANS QUELQUES DÉPARTEMENTS

1. Plus de 60 % des bénéficiaires situés en Île-de-France et en Guyane

Les étrangers en situation irrégulière pris en charge au titre de l'AME ne sont pas répartis de façon homogène sur le territoire français. Environ 55 % d'entre eux résident en Île-de-France, dont 20 % à Paris et 16 % en Seine-Saint-Denis .

Le nombre de bénéficiaires est également très important en Guyane , où résident environ 6 % des effectifs . Notre collègue député Claude Goasguen, rapporteur spécial de la mission « Santé » sur le projet de loi de finances pour 2014, avait appelé à juste titre l'attention des pouvoirs publics sur la situation en Guyane, où résident un nombre important de ressortissants du Suriname en situation irrégulière, ainsi que sur la hausse importante des effectifs que pourrait entraîner le déploiement de l'AME à Mayotte.

Les données relatives à la répartition géographique des dépenses confirment cette forte concentration : sur les 106 caisses primaires d'assurance maladie (CPAM) ou caisses générales de sécurité sociale - chargées de gérer le dispositif - dix caisses concentrent 69 % de la dépense d'AME de droit commun . La répartition de la dépense est ainsi proche de celle des effectifs avec 25 % de la dépense enregistrée à la CPAM de Paris, 56 % dans les CPAM d'Île-de-France et 6 % dans celle de Cayenne.

2. L'évolution de long terme des dépenses et du nombre de bénéficiaires

Depuis l'entrée en vigueur du dispositif en 2001, les dépenses d'AME ont crû chaque année à un rythme soutenu, en particulier pour l'AME de droit commun. Aussi, entre 2002 et 2013, les dépenses d'AME de droit commun sont passées de 377 millions d'euros à 715 millions d'euros, soit une progression de près de près de 90 % .

Le rythme de progression des dépenses d'AME de droit commun d'une année sur l'autre apparaît très irrégulier . Après un recul de 4 % en 2012, un rebond de 23 % a été observé en 2013.

Tableau n° 10 : Évolution des dépenses d'AME de droit commun

(montants en millions d'euros)

2009

2010

2011

2012

2013

2014 (p)

2015 (p)

Montant

546

580

609

582

715

605

678

Progression annuelle

+ 13,3 %

+ 7,4 %

+ 4,9 %

- 4,0 %

+ 22,9 %

- 15,4 %

+ 12 %

(p) : prévision correspondant au montant inscrit en loi de finances initiale de l'année.

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données des RAP et des PAP de la mission « Santé »)

S'agissant du nombre de bénéficiaires , celui-ci a quasiment été multiplié par trois entre 2001 et 2013 . De moins de 100 000 bénéficiaires lors de la création de l'AME, ils étaient au nombre de 282 425 au 31 décembre 2013 pour l'AME de droit commun. Les personnes prises en charge sont pour la plupart des personnes seules (82 %), majoritairement des hommes (57 %), plutôt jeunes (19 % sont des mineurs et 40 % ont entre 18 et 35 ans).

Le projet annuel de performances de la présente mission pour 2015 ne fournit aucune information sur l'évolution du nombre de bénéficiaires dans le courant de l'année 2014, alors même que les documents budgétaires des années précédentes fournissaient les effectifs à la date du 31 mars de l'année en cours. À la date du 17 octobre 2014, aucune réponse n'avait été fournie à votre rapporteur spécial à ses demandes concernant l'actualisation du nombre de bénéficiaires figurant dans le questionnaire relatif à la mission « Santé ».

Graphique n° 3 : Évolution comparée du coût et du nombre
de bénéficiaires de l'AME de droit commun

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données des RAP de la mission « Santé » de 2006 à 2013 et des PAP pour 2014 et 2015)

Au-delà de ces grandes tendances d'évolution, les déterminants précis de la dépense d'AME demeurent mal connus . En 2010, l'Inspection générale des finances et l'Inspection générale des affaires sociales constataient que la forte croissance des dépenses d'AME observée en 2009 et en 2010 ne s'expliquait pas par une évolution massive du nombre de bénéficiaires 22 ( * ) . Dans le droit fil de cette analyse, la direction de la sécurité sociale, responsable du pilotage du dispositif, considérait donc que l'évolution des dépenses observée entre 2011 et 2012 s'expliquait par l'augmentation de la durée ou de la gravité des séjours , sans corrélation avec l'évolution du nombre de bénéficiaires.

Or les données analysées par l'Agence technique de l'information et de l'hospitalisation montrent qu' en 2013 l'augmentation des dépenses a été étroitement corrélée à l'évolution du nombre de bénéficiaires , le coût par patient demeurant stable (aux alentours de 2 500 euros par personne par an).

Enfin, s'agissant de la structure des soins, la proportion des dépenses hospitalières dans la dépense totale d'AME demeure relativement stable, aux alentours de 70 % , en dépit de la réforme de la tarification hospitalière mise en place en 2012 et de la forte proportion de bénéficiaires recourant aux soins de ville. Parmi les dépenses de soins de ville (29 % des dépenses totales), les deux postes principaux sont les honoraires des médecins généralistes et spécialistes (29 %) et les médicaments et dispositifs médicaux (41 %).

3. En 2015, une hausse de 12 % des crédits destinés au financement de l'AME

Le présent projet de loi de finances propose de doter l'action n° 02 du programme 183 « Protection maladie » relative à l'AME de 678 millions d'euros en AE et en CP , soit une progression de 12 % par rapport aux crédits votés en loi de finances initiale pour 2014 . Ces crédits se décomposent en :

- une dotation budgétaire de 632,6 millions d'euros pour l'AME de droit commun ;

- une dotation forfaitaire de 40 millions d'euros à la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) afin de financer les soins urgents ;

- 4,9 millions d'euros destinés au financement des autres types d'AME. Les crédits relatifs à l'AME dite « humanitaire » sont délégués aux services déconcentrés concernés (directions chargées de la protection sociale), chargés du paiement direct et ponctuel pour les prises en charge exceptionnelles.

Le projet annuel de performances de la présente mission justifie la prévision de dépenses d'AME de droit commun par l'impact conjugué :

- de l' évolution tendancielle de la dépense , estimée à 717 millions d'euros pour 2015 , soit une progression de seulement 0,3 % par rapport à l'exécution 2013. Il est précisé que « cette estimation prend en compte la forte hausse de la dépense constatée en 2013 (715 millions d'euros soit + 23 % par rapport à 2012). Cette estimation retient également l'hypothèse d'une même évolution tendancielle des effectifs de bénéficiaires de l'AME que celle observée entre 2008 et 2013, soit + 3,9 % en moyenne chaque année, et d'une stabilité des coûts moyens des dépenses de santé prises en charge, liée aux mesures d'économie générale visant à contenir les dépenses dans le cadre de l'objectif national d'assurance maladie (ONDAM). Elle intègre en outre l'annulation, à compter du 1 er janvier 2015 du coefficient de majoration des tarifs hospitaliers sur le champ médecine chirurgie obstétrique qui avait été instauré en 2012 lors de la réforme de la tarification des séjours hospitaliers 23 ( * ) » ;

- des économies attendues au titre de la fin de la prise en charge des médicaments dont le service médical rendu est faible (à hauteur d'environ 5 millions d'euros) ;

- et de la réduction des effectifs résultant de la mise en oeuvre de la réforme du droit d'asile .

Plusieurs éléments peuvent mettre en doute la fiabilité de cette prévision . Tout d'abord, l'hypothèse d'évolution des effectifs de + 3,9 % apparaît faible au regard de l'évolution constatée entre 2013 et 2012 (+ 12 %) et ne tient pas compte des premières données pour l'année 2014. De plus, il semble très peu probable que le projet de loi relatif à la réforme du droit d'asile, dont l'examen commence seulement en octobre en commission à l'Assemblée nationale, puisse être adopté suffisamment tôt pour avoir un impact significatif en 2015. On pourrait même craindre que l'accélération du traitement des demandes en stock n'entraîne une hausse, à court terme, des bénéficiaires de l'AME dans la mesure où les personnes déboutées du droit d'asile pourraient se tourner vers l'AME si elles décidaient de rester en France en situation irrégulière. Par ailleurs, l'hypothèse d'une stabilité des coûts moyens des dépenses de santé est en décalage flagrant avec le taux d'évolution de l'ONDAM pour 2015 (+ 2,1 %).

Observation n° 9 : la justification des prévisions de dépenses d'AME, très succincte et peu crédible, fait craindre une nouvelle sous-budgétisation de l'AME en 2015, en dépit de la hausse proposée de 12 % par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2014 .


* 22 Inspection générale des finances et inspections générales des affaires sociales, Analyse de l'évolution des dépenses au titre de l'aide médicale d'État, novembre 2010.

* 23 Le passage d'un coefficient de 1,3 à 1,15 au 1 er janvier 2014 puis à 1,0 au 1 er janvier 2015 entraînerait une réduction de la dépense tendancielle de 26 millions d'euros en 2014 puis de 29 millions d'euros supplémentaires en 2015.

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