C. L'ABSOLUE NÉCESSITÉ DE RÉFORMER L'AME POUR GARANTIR LA SOUTENABILITÉ DE LA DÉPENSE

1. Les tentatives de réforme de l'AME de droit commun

Face à la croissance des dépenses d'AME, la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finance pour 2011 avait introduit, à l'initiative des députés de la majorité de l'époque, une série de dispositions visant à réformer l'AME, dont deux mesures emblématiques : l'introduction d'un droit de timbre de trente euros pour accéder à l'AME de droit commun et la mise en place d' une procédure d'agrément des CPAM pour la réalisation de certains actes hospitaliers coûteux .

Ces deux mesures n'ont trouvé à s'appliquer que pendant une année et demie, celles-ci ayant été abrogées par le Gouvernement issu des urnes en juillet 2012 24 ( * ) .

Avec le recul, le bilan de la mise en oeuvre du droit de timbre et de la procédure d'agrément préalable semble mitigé . Le droit de timbre a procuré une recette relativement modeste (environ 5,5 millions d'euros) sans empêcher les dépenses de progresser de 4,9 % en 2011 alors même que les effectifs connaissaient une baisse sensible (- 8,4 %). La direction de la sécurité sociale explique ce phénomène par l'augmentation du coût moyen d'un bénéficiaire de l'AME lié à l'aggravation des pathologies et à un déport vers des soins hospitaliers en raison de prises en charge plus tardives. La procédure d'agrément pour la délivrance des soins hospitaliers coûteux a quant à elle été abrogée avant sa mise en oeuvre effective. Cette disposition s'est en effet avérée très complexe à appliquer, tant par les hôpitaux que par les CPAM, et induisait une charge de gestion importante.

En outre, les mesures introduites en loi de finances initiale pour 2011 avaient été complétées par la réforme des modalités de tarification des prestations hospitalières introduite par la loi n° 2011-900 du 29 juillet 2011 de finances rectificative pour 2011. Cette réforme, consistant en un alignement progressif des modalités de tarification spécifique à l'AME sur les tarifs nationaux appliqués pour les prestations en médecine, chirurgie et obstétrique (MCO), sera pleinement effective au 1 er janvier 2015 . En 2012, 129 millions d'euros d'économies étaient attendues sur les soins hospitaliers effectués dans le cadre de l'AME. Les réalisations n'ont toutefois pas été à la hauteur des attentes : la réforme de la tarification hospitalière a induit des effets de décalage de la facturation, entraînant une croissance des dépenses de 40 millions d'euros en 2013, et les économies seraient seulement de 55 millions d'euros sur l'AME de droit commun en 2015 , bien en-deçà des 129 millions d'euros annoncés initialement. Même si les dépenses hospitalières représentent 70 % des dépenses d'AME, il donc est clair aujourd'hui que la réforme de la tarification hospitalière ne sera pas suffisante pour maîtriser les futures dépenses d'AME.

2. Une prise de conscience tardive et largement insuffisante du Gouvernement face à la hausse des dépenses

Entendue par la commission des finances le 3 juin 2014, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, Marisol Touraine, a admis la nécessité de lutter contre les éventuels « abus » en matière d'AME et a annoncé le lancement de travaux afin d'améliorer les données statistiques et, éventuellement, de renforcer les dispositifs de contrôle, en particulier pour lutter contre les phénomènes de « filières » pouvant exister à Paris. Toutefois, en dépit des demandes de votre rapporteur spécial dans le cadre de son questionnaire budgétaire, aucune donnée précise n'a été transmise concernant ces phénomènes.

Le projet annuel de performances de la présente mission ne mentionne pas les travaux lancés par la ministre concernant l'AME pour soins urgents. Toutefois, l'article 49 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 introduit une réforme de la tarification hospitalière applicable pour l'AME soins urgents afin de faire converger celle-ci avec la tarification utilisée pour l'AME de droit commun. Selon l'évaluation préalable annexée au projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2015, cette mesure permettrait de réaliser 46 millions d'euros d'économies pour l'assurance maladie en 2015 et 50 millions d'euros en 2017.

S'agissant de la lutte contre la fraude en matière d'AME , le Gouvernement a diligenté de nouveaux travaux pour mieux comprendre le phénomène . Les premiers résultats indiquent que les fraudes à l'AME sont :

- dans 63 % des fraudes relatives aux conditions de ressources ;

- dans 25 % des cas des fraudes aux conditions de résidence ;

- dans 5 % des cas, une fraude à l'identité.

Il convient par ailleurs de préciser que 160 agents environ sont spécifiquement chargés de mener des contrôles a priori au moment du dépôt de la demande d'AME et des contrôles a posteriori pour plus de 280 000 bénéficiaires.

Force est de constater que la prise de conscience du Gouvernement intervient bien trop tard, alors même que les dépenses ont progressé de plus de 20 % depuis 2012, et que les réponses proposées jusqu'ici semblent insuffisantes.

Extrait du compte-rendu de l'audition de Marisol Touraine, ministre des affaires sociales, de la santé et des droits de femme,
devant la commission des finances du Sénat - 3 juin 2014

« Pour ce qui est du budget de l'État, vous soulignez, monsieur le sénateur, l'augmentation très forte des dépenses liées à l'aide médicale d'État. C'est incontestable, et nous avons constaté en 2013 un fort dépassement par rapport à l'objectif, puisque nous avions prévu une dépense de 588 millions d'euros et que les dépenses constatées seront à l'arrivée de 744 millions d'euros !

Oui, la hausse constatée est liée à la forte poussée du nombre de bénéficiaires de l'aide médicale d'État, et nous n'avions pas anticipé une augmentation aussi forte du nombre de bénéficiaires. Je veux dire les choses très simplement : je considère qu'il y a des débats autour de l'aide médicale d'État qui n'ont pas lieu d'être ! C'est un dispositif qui, en termes de santé publique, répond tout à fait à l'exigence que nous devons avoir , non seulement pour apporter des soins aux personnes concernées, mais également pour éviter la propagation de certaines maladies sur le territoire national.

C'est pourquoi, lorsque la majorité précédente a instauré un droit de timbre pour entrer dans ce dispositif, les professionnels de santé, les représentants des médecins, les ordres professionnels, ont marqué leur désapprobation et leur inquiétude, car nous savons qu'il est préférable que les personnes malades puissent accéder à des soins de façon rapide si nous voulons éviter la propagation des maladies.

Pour autant - et je le dis sans difficultés - nous devons évidemment, en matière d'aide médicale d'État, comme de tout dispositif social, lutter contre les abus qui pourraient être constatés ou qui pourraient exister. De ce point de vue, je souhaite que nous poursuivions les contrôles engagés, qui existent dans les différentes caisses primaires d'assurance maladie. À partir de 2015, nous allons disposer des premières statistiques qui vont permettre de comparer les taux d'acceptations ou de refus de l'aide médicale d'État caisse par caisse, ce qui permettra éventuellement d'identifier s'il existe ou non un recours excessif à ce dispositif sur certaines parties du territoire et d'homogénéiser les pratiques observées dans les différentes caisses .

Par ailleurs, je veux dire ma préoccupation face à l'existence de ce qui peut apparaître comme des filières de personnes étrangères venant se faire soigner dans certains hôpitaux français , en particulier à Paris. Ceci nécessite d'enclencher très rapidement un travail diplomatique de coopération internationale avec les pays d'origine. Nous pouvons par exemple aider ces pays à disposer des traitements nécessaires sur leur territoire, pour éviter que ne se mettent en place des filières de malades qui viennent se faire soigner chez nous.

De plus, j'ai commandé à l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) un rapport sur le dispositif de soins urgents, qui est aujourd'hui une porte d'entrée dans notre système de soins pour des personnes qui ne remplissent pas les conditions pour être prises en charge dans l'AME de droit commun. »

3. Agir sur les conditions d'accès : le levier le plus efficace pour infléchir la dépense tout en maintenant un accès minimal aux soins

Le bilan globalement négatif des différentes réformes de l'AME, la forte croissance du nombre de bénéficiaires observée ces deux dernières années et les comparaisons européennes semblent indiquer que seule une refonte d'ampleur de l'AME permettra de contenir, voire de réduire cette dépense .

Si la suppression de l'AME n'apparaît pas opportune, tant d'un point vue sanitaire, que d'un point de vue humanitaire , votre rapporteur spécial considère qu'une révision des conditions d'accès à l'AME de droit commun est nécessaire .

Observation n° 10 : la réforme de la tarification hospitalière et les rares initiatives prises jusqu'ici par le Gouvernement ne sont pas à la mesure du problème de maîtrise des dépenses d'AME. Seule une réforme d'ampleur , modifiant par exemple les conditions d'accès à l'AME de droit commun, permettra de sortir de la spirale haussière des dépenses d'AME .


* 24 Loi n° 2012-958 du 16 août 2012 de finances rectificative pour 2012.

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