TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION CONJOINTE SUR LE PRINCIPE ET LES MODALITÉS DE MISE EN oeUVRE DU PLAN D'INVESTISSEMENT POUR L'EUROPE (11 MARS 2015)

Réunie le 11 mars 2015, sous la présidence de Michèle André, présidente, la commission a procédé à l'audition conjointe sur le principe et les modalités de mise en oeuvre du plan d'investissement pour l'Europe de MM. Philippe de Fontaine Vive, vice-président honoraire de la Banque européenne d'investissement, Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne, et Antoine Quero-Mussot, expert confirmé en instruments financiers innovants auprès de la direction générale du budget de la Commission européenne.

Mme Michèle André , présidente . - Face à l'atonie de l'activité économique et au déficit d'investissement qui touchent actuellement l'Union européenne, dès le mois de juillet 2014, le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, avait annoncé sa volonté de « mobiliser jusqu'à 300 milliards d'euros supplémentaires d'investissements publics et privés dans l'économie réelle au cours des trois prochaines années ». Aussi, ce dernier a présenté un plan d'investissement au Parlement européen le 26 novembre 2014, avalisé par le Conseil européen du 18 décembre suivant. Le mois de janvier 2015 a marqué le début de la mise en place concrète du plan d'investissement pour l'Europe, souvent appelé « plan Juncker ». En effet, la Commission européenne a publié une proposition de règlement sur le nouveau Fonds européen pour les investissements stratégiques, en cours d'examen par le Parlement européen.

Dans ce cadre, nous recevons aujourd'hui Philippe de Fontaine Vive, vice-président honoraire de la Banque européenne d'investissement, ainsi que Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières, et Antoine Quero-Mussot, expert confirmé en instruments financiers innovants auprès de la direction générale du budget de la Commission européenne.

Notre commission examinera la semaine prochaine le rapport de notre rapporteur général Albéric de Montgolfier sur la proposition de résolution européenne sur le plan d'investissement pour l'Europe, adoptée par la commission des affaires européennes à l'initiative de nos collègues Jean-Paul Emorine et Didier Marie. Dans cette perspective, l'audition de ce jour nous permettra de mieux appréhender les modalités concrètes de mise en oeuvre de ce plan. Ainsi, MM. Angel et Quero-Mussot nous présenteront, au cours d'une intervention de cinq à dix minutes chacun, les trois « volets » constituant le plan d'investissement, l'effet multiplicateur attendu du Fonds européen pour les investissements stratégiques, de même que le « montage » budgétaire sous-jacent à la mise en place du Fonds. Philippe de Fontaine Vive, quant à lui, précisera les modalités de sélection des projets financés par le Fonds européen et reviendra sur les effets multiplicateurs constatés sur les programmes d'investissements passés de la Banque européenne d'investissement. À l'issue de ces interventions liminaires, chacun pourra adresser ses questions à nos invités.

M. Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne . - La raison pour laquelle ce plan d'investissement a été lancé est que nous avons assisté à un effondrement relativement significatif de l'investissement durant ces années de crise, qui est tombé de 22 % du produit intérieur brut (PIB) en moyenne en 2007 en Europe à environ 18 % l'année dernière. Cela est dû essentiellement à une baisse des investissements publics, mais pas uniquement. Nos prévisions montrant que l'investissement ne devait pas redémarrer par lui-même, nous en avons conclu qu'il fallait mettre en place un outil spécifique permettant de soutenir l'investissement.

Le « plan Juncker » a trois composantes : un instrument financier destiné à soutenir l'investissement, une assistance technique ou « pipeline de projets » visant à aider l'investissement à atteindre l'économie réelle et une composante de réformes structurelles. Ce dernier volet, le moins visible actuellement, est le plus important à long terme puisqu'il vise à faire en sorte de lever les obstacles à l'investissement. Les mesures structurelles concernées vont être définies au cours du travail de la Commission, et j'aimerais à ce stade me focaliser sur les deux autres volets.

S'agissant du volet « soutien financier », un fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) a été créé. Il est situé au sein de la Banque européenne d'investissement (BEI) et n'a pas de personnalité juridique propre. Il s'agit d'un vecteur qui accueille une garantie de 16 milliards d'euros venant du budget de l'Union européenne et 5 milliards d'euros venant de la BEI et de ses ressources propres. Avec ces 21 milliards de capacité, la BEI va lever des fonds pour un montant d'environ 60 milliards d'euros, qui devraient eux-mêmes générer 315 milliards d'euros d'investissements. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, ces estimations sont conservatrices : la dernière augmentation de capital de la BEI de 10 milliards en 2012 était censée générer 180 milliards d'investissements supplémentaires d'ici fin 2015, objectif qui sera atteint dès le milieu de cette année. Cela représente un effet de levier de dix-huit. Certains instruments communautaires, comme le programme pluriannuel européen pour la compétitivité des entreprises et des PME intitulé « COSME », ont des effets de levier de vingt-huit. Ici, nous avons ciblé un effet de levier de quinze, car la prise de risque attendue est importante. Le fonds d'investissement doit permettre à la BEI de faire plus mais aussi autrement, c'est-à-dire de se focaliser sur les investissements qu'elle ne pourrait normalement pas financer car ils ne remplissent pas ses critères, ou qui ne pourraient pas être financés par le secteur privé. La BEI va donc se concentrer essentiellement sur des projets plus risqués, par exemple en prenant une tranche subordonnée dans un projet, ou en restant plus longtemps dans un projet que ne le feraient d'autres investisseurs.

Au sein du FEIS, la garantie de 16 milliards d'euros venant du budget communautaire est préfinancée par un fonds de garantie de 50 %. Il aurait été possible de se passer de ce fonds puisque la signature européenne est assez bonne pour qu'on puisse accorder une garantie de 16 milliards d'euros sans avoir besoin de la préfinancer. La raison de ce préfinancement à hauteur de 50 % est de permettre à l'Union européenne d'honorer les appels à garantie sans avoir à faire face aux difficultés posées par les discussions budgétaires annuelles. Le montant de 50 %, soit 8 milliards d'euros, résulte des calculs de risque qui ont conclu que l'on risquait de perdre 6,5 milliards d'euros à horizon de dix ans, assortis d'une marge de sécurité pour éviter les mauvaises surprises.

Dans la proposition initiale de la Commission européenne, les États pouvaient contribuer à trois niveaux : au niveau du fonds lui-même, au niveau des plateformes d'investissement ou au niveau des projets. Les États ayant tous indiqué qu'ils ne souhaitaient pas faire de contribution au fonds lui-même, le texte adopté au Conseil ce mardi a fermé cette possibilité. Ce n'est pas une surprise, car un des éléments essentiels qui caractérise ce fonds est qu'il n'y a pas d'enveloppe géographique ou sectorielle, ce qui réduit l'intérêt des contributions nationales. Ce n'est pas non plus un problème, car il existe la possibilité de créer des plateformes d'investissements nationales, régionales ou internationales, au sein desquelles les États peuvent grouper les projets auxquels ils tiennent le plus et qu'ils souhaitent cofinancer. Ces plateformes sont ensuite soumises à la décision d'un comité d'investissement compétent pour décider de l'utilisation de la garantie de l'Union européenne. Ce comité, composé d'experts de marché, est indépendant à l'égard de la BEI, des États membres, mais aussi de la Commission européenne. Il vise à garantir que les projets respectent les critères prévus, sont compatibles avec les objectifs de l'Union, sont économiquement viables et apportent une additionnalité.

Cette condition de viabilité économique des projets a été beaucoup critiquée. Or il faut rappeler que le « plan Juncker » vise à diriger les liquidités du secteur privé vers le financement de l'investissement productif. 80 % de l'argent est censé venir du secteur privé. Le seul moyen de permettre cela est d'avoir une sélection rigoureuse des projets afin de garantir qu'ils sont économiquement viables.

Les États membres ont également la possibilité de contribuer via leurs banques publiques. Quatre États ont fait des annonces en ce sens : l'Allemagne pour un montant de 8 milliards d'euros, la France et l'Italie pour des montants similaires et l'Espagne pour 1,5 milliard d'euros. Les modalités concrètes de ces contributions sont encore en discussion, mais il faudra s'assurer que celles-ci s'ajoutent au plan et qu'elles ne se substituent pas aux contributions déjà prévues.

S'agissant du volet « assistance technique », je rappelle qu'il s'agit d'un point très important. Certains instruments financiers ne sont parfois pas utilisés car ceux en charge de les mettre en oeuvre ne les comprennent pas. Par exemple, dans le cadre des fonds structurels, il existe des instruments innovants de soutien aux PME qui ne sont utilisés qu'en Espagne et à Malte. Avoir une assistance technique est donc important pour garantir l'utilisation des fonds et pour aider au montage de projets en général. Dans le cadre du « plan Juncker », on met en place un centre européen de conseil en investissements, point unique d'accès, afin d'aider les investisseurs publics ou privés à monter leurs projets en bénéficiant d'une assistance juridique gratuite.

Enfin, un instrument qui vise à apporter de la visibilité aux investisseurs sur les opportunités d'investissement est créé : les promoteurs pourront faire figurer leurs projets sur un site web de manière à ce que les investisseurs potentiels puissent facilement voir les opportunités existantes.

M. Antoine Quero-Mussot, expert confirmé en instruments financiers innovants auprès de la direction générale du budget de la Commission européenne . - La logique de cette intervention budgétaire est financière de l'Union européenne est assez innovante. Trouver le moyen de mobiliser 315 milliards d'euros d'investissements a constitué un véritable défi, pour trois raisons fondamentales.

Le premier défi est la contrainte budgétaire. Le cadre financier de l'Union est fixé pour une période pluriannuelle de sept ans, ce qui permet d'avoir une certaine visibilité et d'éviter des affrontements annuels autour de la question budgétaire. La cadre actuel 2014-2020, qui a résulté d'un accord politique difficile adopté à l'unanimité des États membres, programme des crédits répartis par rubriques soumis à des plafonds, ce qui constitue une certaine rigidité. Le « plan Juncker » devant être adopté rapidement par le Conseil et le Parlement du fait de son caractère urgent pour l'Europe, la Commission a écarté l'idée de rouvrir le cadre financier pluriannuel 2014-2020 afin de l'y inclure. Il a donc fallu faire avec les crédits déjà programmés. Ainsi, deux possibilités ont été étudiées pour financer ce plan : soit se servir des marges existantes au sein du cadre, soit procéder à un redéploiement entre programmes. En réalité, le choix était contraint du fait que ce plan rentrait dans la rubrique « compétitivité », plafonnée à hauteur de 120 milliards d'euros sur sept ans, et au sein de laquelle il a donc fallu trouver des redéploiements. Sur les 960 milliards d'euros prévus par le cadre financier pluriannuel, seuls 2 milliards d'euros de marges disponibles ont été trouvés. Pour pouvoir provisionner les 8 milliards d'euros du fonds de garantie, il a donc fallu trouver 6 milliards d'euros par redéploiement en prenant dans les dotations de certains programmes. Le choix s'est porté sur les programmes qui intervenaient dans les mêmes domaines que le « plan Juncker ». Ainsi, des dotations prévues pour des subventions ayant un effet multiplicateur limité ont été redéployées dans le plan d'investissement dont l'effet multiplicateur sera efficace. Les deux grands programmes qui étaient suffisamment dotés pour procéder à ce redéploiement sans trop de difficulté étaient le programme pour les infrastructures, dans lequel 3,3 milliards d'euros ont été pris (soit 10 %), et le programme cadre de recherche, dans lequel 2,7 milliards d'euros ont été pris (soit 3,5 %). Ces 2,7 milliards d'euros sont pris sur l'ensemble du champ de la recherche, de la recherche fondamentale à la recherche appliquée, pour les mettre dans un plan d'investissement destiné à des interventions plus proches du marché. Il y a donc une redistribution au sein du programme de recherche, mais ce montage va permettre de faire davantage pour l'innovation et la recherche en Europe.

Le deuxième défi auquel nous sommes confrontés tient au fait que le budget communautaire est limité, par une règle quasi constitutionnelle, à 1,23 % du PIB de l'Union européenne. Il n'a, par conséquent, pas les moyens de jouer un rôle de stabilisateur macroéconomique ou de redistribution dans des proportions qui permettraient de répondre à un choc asymétrique au sein de l'Union. Son rôle consiste essentiellement à financer des interventions structurelles. Sur les 960 milliards d'euros dont seront dotés les fonds européens sur les sept prochaines années, 325 milliards d'euros seront ainsi consacrés, sous forme d'investissements, à la politique de cohésion. En prenant en compte les financements nationaux, ce sont 500 milliards d'euros qui seront investis en Europe. Pour prendre l'exemple du pays d'où je viens, l'Espagne, les fonds structurels européens ont représenté, pendant la crise, 10 % des investissements publics. Or, je le rappelle, l'Espagne est le cinquième client de la France, devant les États-Unis. L'ensemble des États membres bénéficient donc de cet effort, y compris indirectement. Sur un autre sujet, 77 milliards d'euros seront consacrés aux dépenses de recherche et le développement, ce qui représente le troisième poste budgétaire de l'Union européenne, après l'agriculture et la cohésion. Il s'agit, là encore, d'un effort important, structurel et de long terme.

Le plan d'investissement est destiné à mobiliser l'investissement, qui constitue l'un des éléments principaux de la demande agrégée, afin de permettre à l'Europe de sortir de la crise et de créer des emplois.

Le troisième défi réside dans le fait que, si les investissements sont insuffisants, cela n'est pas dû à un manque de liquidités. En effet, les banques centrales ont triplé leur bilan, les liquidités sur les marchés de capitaux sont donc très élevées. On constate cependant que les investisseurs préfèrent souvent des titres dont les rendements sont négatifs plutôt qu'investir dans des projets de l'économie réelle. Il nous a donc fallu réfléchir à un moyen d'orienter ces liquidités vers l'économie réelle, de jouer un rôle de « catalyseur », sans nécessairement mobiliser de grands volumes d'investissement public.

Le plan d'investissement proposé résulte de ces trois défis. Il s'agit d'une solution qui n'a peut-être pas été suffisamment exploitée par l'Europe. L'Union européenne est en effet dotée de deux principaux « bras » budgétaires et financiers : le budget de l'Union européenne et la BEI. Mais ces deux « bras » ne coopèrent que très rarement directement. Je citerais toutefois un précédent : lors de la chute du mur de Berlin, les États européens se sont retrouvés face à un défi géopolitique majeur tenant à la nécessité d'aider les pays de l'Est à moderniser leur économie. Cet accompagnement s'est traduit par une extension de la BEI qui, je le rappelle, constitue la plus grande banque d'investissement publique au monde, loin devant la banque mondiale, vers l'Europe de l'Est. Cet accompagnement a nécessité l'intervention du budget européen sous la forme d'une garantie. L'objectif du plan d'investissement est de transposer en interne ce qui est actuellement réalisé par la BEI dans le cadre de son mandat externe. Cette solution devrait permettre de mobiliser d'importants moyens budgétaires et financiers et de jouer ce rôle de catalyseur.

En conclusion, je dirais que le « plan Juncker » constitue un montage solide et prévisible, parce que programmé. En effet, dès son adoption par le Conseil et le Parlement, ce plan ne sera plus soumis à des aléas politico-budgétaires. Cette stabilité répond à une attente des contribuables et des investisseurs.

Mme Michèle André, présidente . - Je salue la présence parmi nous de notre collègue Jean-Paul Emorine, auteur avec Didier Marie, d'une proposition de résolution européenne sur le plan d'investissement pour l'Europe, déposée au nom de la commission des affaires européennes.

M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président honoraire de la Banque européenne d'investissement . - Je ne peux que m'associer aux propos qui ont été tenus par mes collègues de la Commission européenne. L'objectif principal de ce plan d'investissement est en effet de dynamiser la dépense publique. Quand Jean-Claude Juncker a été pressenti pour présider la Commission européenne, il a demandé à la BEI de lui proposer un mécanisme permettant, à moyens budgétaires constants, de répondre aux besoins urgents d'investissement de l'économie européenne et pouvant être mis en oeuvre dès le début de l'année 2015. Cette discussion avec la BEI a constitué la base de son discours devant le Parlement du mois de juillet 2014.

Nous avions déjà lancé des projets destinés à dynamiser la dépense publique réunissant la BEI et la Commission européenne qui ne reposaient pas sur une logique traditionnelle, budgétaire, visant à sélectionner des projets et à allouer des lignes de crédits en fonction de leur intérêt, mais sur une sélection effectuée par un tiers expert, en l'occurrence la BEI, chargé d'analyser ce projet. Ce mode de sélection ne s'appuie donc pas sur des critères politiques, nationaux, régionaux ou sectoriels mais il est fondé sur la rentabilité économique et sociale du projet concerné. La BEI est d'ailleurs l'une des rares institutions qui continue de mesurer ce type de rentabilité pour les projets qu'elle finance. Cette analyse des hypothèses retenues par les promoteurs du projet doit lui permettre d'établir si ce dernier est viable et est conformé à un « bon usage de l'argent public », indépendamment des questions de rentabilité financière.

Cette méthode est originale s'agissant de l'emploi de fonds budgétaires. Nous l'avons cependant déjà mise en oeuvre sur quelques programmes pilotes. Un fonds de garantie provisionne ainsi à hauteur de 9 % les projets financés par la BEI à l'extérieur de l'Union européenne. Ce niveau de garantie, qui est le même depuis la fin des années 1970, s'est avéré suffisant pour faire face à un risque de défaut. Pour être précis, nous n'avons été confrontés qu'à un seul cas de défaut, celui de la Syrie. Pour autant, si la BEI a pris part au financement de projets dont les impacts microéconomiques lui apparaissaient positifs, tels que la construction de ports ou encore l'amélioration de la production d'électricité, ou de gaz, les conséquences financières d'évènements politiques qu'elle ne maîtrise évidemment pas ont été supportées par le budget européen.

Ce type de financements n'existait cependant pas en tant que cadre à l'intérieur de l'Union européenne, même si un certain nombre de projets pilotes, associant la BEI et la commission européenne, ont pu être lancés, tels que le programme de soutien aux PME (COSME), que nous avons développé, en France, en partenariat avec la BPI et certaines banques commerciales. Je citerais également l'instrument de garantie dans le domaine des transports qui a notamment permis le financement de la ligne Sud-Europe-Atlantique (Tours-Bordeaux), qui n'a pu être financée que parce que la BEI, soutenue par le dispositif de la Commission européenne, a pu apporter une garantie au nom de l'Union européenne. Dans le domaine de la recherche, nous avons lancé en 2005 un programme de garantie effectif depuis 2008. Ces exemples ont montré que nous pouvions mobiliser des investisseurs sur des projets « certifiés » par l'analyse menée par la BEI. Le dernier projet en date concerne le développement des project bonds ou obligations de projet, destiné à orienter les liquidités des marchés obligataires vers le financement de projets d'infrastructures dans les domaines des transports, des télécoms ou de l'énergie. En France, un tel projet a vu le jour dans le domaine des télécoms, en partenariat avec Axione, filiale de Bouygues, qui visait à déployer la fibre optique dans douze départements français. Sur l'ensemble de ces projets, nous avons constaté un effet multiplicateur compris entre 18, 25 et 28 suivant les cas.

Pour répondre à votre question, Madame la Présidente, le mécanisme de sélection sera relativement simple et reposera sur une logique pragmatique. Il n'y aura pas d'allocation nationale ou sectorielle. Les promoteurs publics ou privés pourront présenter librement leurs projets à la BEI. Avec la Commission européenne, nous nous sommes engagés à ce que l'ensemble de la procédure de sélection soit transparente. La BEI analysera la viabilité de ces projets.

Les promoteurs seront appelés à faire des choix significatifs. Soit ils opteront pour une attitude classique visant à obtenir un prêt accordé par la BEI correspondant à environ un tiers du financement, la participation de la BEI n'excédant jamais 50 %. Cette solution classique n'a cependant aucun effet d'attraction pour le secteur privé.

Soit le promoteur estime qu'il est préférable, par exemple, de constituer une société de projet à laquelle participera la BEI via la prise en charge d'une tranche risquée. Cette solution permet d'accueillir, soit à un même niveau de risque, soit à un niveau inférieur, des co-financeurs, qui bénéficieront du travail de certification et de validation réalisé en amont par la BEI.

L'effet de levier retenu d'un commun accord avec la Commission européenne repose sur une hypothèse relativement conservatrice de 15, soit un niveau inférieur à tout ce que nous avons constaté jusqu'à présent, l'effet de levier étant plutôt compris entre 18 et 28 pour chacun des produits financiers que nous avons développés.

Si le dispositif est loin d'être arrêté, des discussions étant toujours en cours entre les États membres et au sein du Parlement européen, les promoteurs sont toutefois invités à présenter dès maintenant leurs projets à la BEI. Cette notion d'urgence est importante comme l'a rappelé Jean-Claude Juncker.

Le 16 janvier dernier, j'ai reçu les principales banques françaises pour leur présenter dispositif. Je leur ai toutefois indiqué qu'il leur revenait de développer des produits permettant de financer à la fois de très grands projets, comme la ligne Sud-Europe-Atlantique, mais aussi des projets plus limités, dont le montant n'excède pas quelques millions d'euros.

M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général . - Ce plan d'investissement devrait permettre d'apporter des moyens de financement supplémentaires à nos économies, dans un contexte de contraction des investissements. On ne peut que souscrire à un tel objectif. Je retiens des différentes interventions qu'il n'y aura aucun contingentement national dans la sélection des projets d'investissement et que les porteurs de projet auront la possibilité de s'adresser directement à la BEI. Alors que notre commission vient tout juste de procéder ce matin à l'audition de Bruno Bézard, directeur général du Trésor, j'ai différentes questions à vous poser.

Tout d'abord, je m'interroge sur le calendrier envisagé : nous savons qu'en matière de relance de l'investissement, les projets prennent souvent plusieurs années à se finaliser, surtout dans le secteur des transports. Il nous a été indiqué que différents projets avaient été identifiés par la France, à l'image du projet de métro Grand Paris Express, du prolongement du RER E dit « Eole », ou encore la rénovation de différentes lignes ferroviaires. Or les procédures pour ce type de travaux sont longues et complexes, des enquêtes publiques sont nécessaires etc. Pour une route, il faut compter au moins cinq ans, pour un canal, comme en témoigne de cas du canal Seine-Nord, il faut vingt ans et, enfin, pour une ligne ferroviaire à grande vitesse, il faut trente ans. J'émets donc des doutes quant à l'émergence rapide des projets. Je pense aussi aux projets d'autoroute entre Vienne et Bratislava ou, encore, dans le sud de la Sicile.

Ensuite, je souhaite vous interroger sur le choix de recourir à un mécanisme de garanties. J'ai noté que l'effet de levier de un à quinze était réaliste sachant que l'augmentation de capital de 10 milliards d'euros de la Banque européenne d'investissement (BEI) avait engendré un multiplicateur de dix-huit. Vous nous avez aussi expliqué qu'un tel mécanisme induisait une prise de risque. J'estime pour ma part qu'au-delà de garanties, certains investissements nécessiteront des subventions publiques élevées. Deux exemples peuvent être cités : la rénovation thermique des logements sociaux d'une part, les équipements des hôpitaux et des universités d'autre part. Dans un contexte où la France doit faire des économies supplémentaires, de tels investissements sont-ils réalistes ? Par ailleurs, une part des projets concernés par le Fonds européen pour les investissements stratégiques ne sera qu'un simple recyclage de projets déjà prévus : à la lumière de cet élément, pensez-vous réellement pouvoir attirer les investisseurs privés de la manière aussi ambitieuse que vous nous l'avez décrite ?

M. Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne . - Je voudrais répondre au rapporteur général en commençant par lever une source de confusion, les projets identifiés par la France et dont a fait état Bruno Bézard, directeur général du Trésor, n'ont rien à voir avec le plan européen de relance de l'investissement. Une liste d'environ 2 000 projets a été établie par la task force sur l'investissement dans l'UE, qui a réuni, à la fin de l'année 2014, la Commission européenne, la BEI et les vingt-huit États membres. Mais ce n'est pas une sélection de projets. Ces derniers seront adressés à la BEI et un comité composé d'experts indépendants sera chargé de sélectionner les projets pertinents.

S'agissant de la question du rapporteur général relative au calendrier, j'indique qu'il est question d'un plan consistant à engager 315 milliards d'euros sur la période 2015-2017, soit trois ans. C'est l'objectif, mais vous avez raison de souligner qu'il faudra au moins dix à quinze ans pour débourser les sommes en questions de manière effective. Au sein de ce plan d'investissement, un volet de 75 milliards d'euros est destiné aux petites et moyennes entreprises (PME), c'est ce volet qui pourra être mis en oeuvre le plus rapidement. Et nous utiliserons des instruments existants déjà au sein de l'offre de la BEI, comme le programme COSME.

Enfin, pour ce qui concerne les projets nécessitant des subventions publiques, je confirme tout d'abord que certains investissements devront s'accompagner d'un subventionnement direct. La rédaction actuelle du règlement relatif au FEIS prévoit de manière explicite la possibilité de versement de subventions des États membres aux projets. Cela étant, et c'est un point très important, il sera également possible de mettre en oeuvre des projets sans aucune subvention publique, en faisant intégralement financer l'investissement par le secteur privé. Le mécanisme n'est pas un multiplicateur d'investissements publics mais un catalyseur d'investissements privés.

M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président honoraire de la Banque européenne d'investissement . - Je précise que je suis totalement d'accord avec les propos qui viennent d'être énoncés par la Commission européenne. Je relève en particulier la confusion entre le plan européen de relance de l'investissement et la liste des projets identifiés par la France, à laquelle il ne faut pas donner trop d'importance. Nous avions d'ailleurs conscience de ce risque de confusion et c'est pourquoi nous avons ajouté dans le document issu de la task force sur l'investissement dans l'UE la mention « ce document n'engage ni la Commission européenne ni la BEI ». Les banques sont en contact étroit avec l'économie réelle et il sera donc préférable de reposer sur leur expertise.

S'agissant des cas pratique dont a fait état le rapporteur général, je souhaite formuler quelques remarques, tout particulièrement au sujet du projet de métro Grand Paris Express. Deux pistes sont possibles en la matière : faire porter le projet par une structure publique ou créer une société de projet qui attire les investissements privés. Le choix de la stratégie appartient à la société Grand Paris Express, mais le FEIS pourra aider au montage de la deuxième piste si elle est retenue. L'autre point évoqué concernait les investissements nécessitant des subventions publiques en plus de garanties. Je suis plus optimiste que le rapporteur général. L'exemple du bilan sur cinq ans des actions réalisées par l'intermédiaire de prêts dans le domaine de la rénovation thermique des logements sociaux le démontre, surtout que le plan était prévu sur vingt ans. Il incombe aux organismes confédéraux et locaux de l'habitat social de privilégier ces actions au lieu de thésauriser. Enfin, il est vrai que les universités étaient interdites de prêt jusqu'à la période récente, mais la France a créé un mécanisme original qui gagnerait à être généralisé dans l'action publique nationale : le plan Campus mobilisera ainsi 950 millions d'euros d'investissements - à moyens constants - en recourant à des prêts. En effet, des crédits budgétaires sont mis de côté par l'établissement pour constituer un capital, et celui-ci lui permet ensuite d'emprunter en fonction de sa capacité financière à rembourser ses propres emprunts.

Mme Michèle André, présidente . - Je m'interroge sur les relations entre, d'une part, le FEIS et, d'autre part, la CDC et la BPI. Comment va s'articuler cette structure jeune et originale avec des institutions plus anciennes et bien établies ?

M. Philippe de Fontaine Vive . - En la matière il y a un avant et un après « plan Juncker ». Il y avait, depuis deux ans, une recherche de complémentarité entre l'action de la BEI et celle de la CDC et de la BPI, l'idée générale étant de ne pas les mettre en concurrence. Avec le FEIS, la question du rôle des structures nationales de financement comme la CDC et la BPI est posée. Mais cette question n'est pas posée à la BEI, elle est posée aux institutions européennes, Commission européenne, Conseil et Parlement européen : les partenaires nationaux tels la CDC et la BPI seront-ils des acteurs intervenant en complément du FEIS ou en seront-ils de simples utilisateurs ? La réponse n'appartient pas à la BEI.

M. Jean-Paul Emorine . - Avec notre collègue Didier Marie, nous avons récemment déposé une proposition de résolution européenne et un avis politique au sujet du plan d'investissement pour l'Europe, qui ont été adoptés à l'unanimité par la commission des affaires européennes le 11 février 2015. J'indique que nous avons pu présenter nos travaux à Philippe de Fontaine Vive. Le sujet est complexe surtout quant à la mise en oeuvre du dispositif, même si les intervenants se montrent rassurants et prennent le temps d'expliquer le dispositif. Je souligne que le plan d'investissement pour l'Europe est un plan d'urgence sur trois ans, permettant notamment de financer de grands projets d'infrastructures en évitant le recyclage de crédits. Deux exemples permettent d'en faire ressortir les enjeux. Tout d'abord, les garanties apportées doivent permettre d'aider les entreprises à investir dans la recherche et dans l'innovation alors qu'elles sont timides à ce sujet et que le contexte économique y incite peu. Ensuite, il y a la question des infrastructures et des interconnexions et qui est plus compliquée pour les élus que nous sommes. Dans le cas du numérique, il s'agit en particulier du déploiement des réseaux haut débit, or ce sont les collectivités territoriales qui sont les maîtres d'oeuvre, même si l'État peut aussi y participer. Je m'interroge donc sur la place des collectivités territoriales dans le plan d'investissement pour l'Europe et sur la place des enjeux du monde rural en son sein ?

M. Claude Raynal . - J'ai eu l'occasion de rencontrer la BEI lorsque je faisais partie des responsables de la métropole de Toulouse : je sais toute l'importance de cette institution, qui fonctionne bien. Je souhaiterais disposer de renseignements complémentaires sur plusieurs points.

Je serais tout d'abord assez curieux que l'on m'explique ce qu'est un expert indépendant, et où un tel individu peut être recruté : les experts réellement qualifiés ne travaillent-ils pas déjà depuis longtemps en lien avec les services de la BEI ou de la Commission européenne ?

Par ailleurs, il faut noter que la BEI manie en général des sommes très importantes : son intervention se concentre d'ordinaire sur peu de projets, avec chacun un gros « ticket financier ». Autour de ce système s'articule le fonctionnement d'institutions comme la Caisse des dépôts et consignations, qui peut regrouper un ensemble de petits projets dans un programme commun, pouvant ainsi bénéficier des instruments financiers mis à disposition par le BEI. J'aimerais donc savoir, dans le cadre du plan d'investissement Juncker, quel sera le montant minimum des sommes engagées permettant l'intervention de la BEI ? L'ordre de grandeur sera-t-il, comme c'est habituellement le cas, d'environ 50 millions d'euros ? Comment le comité d'expert, quand il examinera une enveloppe de projets, pourra-t-il analyser l'ensemble des investissements proposés ?

Il serait également intéressant de savoir comment le réseau bancaire privé, avec lequel vous entretenez de bonnes relations mais pour lequel vous constituez néanmoins un concurrent, va se rémunérer. Maîtrisez-vous les paramètres de cette rémunération ? Limitez-vous, par exemple, le taux de prêt de la banque ? On peut en effet imaginer que lorsqu'une institution porte une part du risque, elle souhaite également augmenter son taux en conséquence. La rémunération des investissements privés dans le cadre du « plan Juncker » doit rester intéressante afin d'attirer durablement les investisseurs.

Je pense qu'il faudrait que nous soyons en mesure d'identifier un certain nombre de beaux petits projets, qui agglomérés, soient de nature à être financés par le « plan Juncker ». L'idée n'est pas de replacer les « rossignols », les projets récurrents et non menés à terme, de chaque gouvernement. Si je considère que c'est réellement dans les petits projets que peut résider l'apport du « plan Juncker », c'est que tout le reste, la BEI le fait déjà, et je ne sache pas que les fonds manquent en matière de transport, d'énergie, recherche, et télécoms. Ces secteurs ont déjà donné lieu à des accords, ciblés sur certains projets, avec la Commission européenne. Pouvez-vous nous éclairer à ce sujet ?

Enfin, vous nous dites, la main sur le coeur, qu'il n'y aura pas de répartition géographique : une analyse politique oblige à nuancer cette idée, puisque de tous petits pays comme Malte, par exemple, bénéficieront certainement du plan sur un ou deux projets. La distribution du financement ne sera certes peut-être pas exactement proportionnelle au poids de chaque État-membre dans le budget, mais il est permis de douter que même le plus petit des États européens ne recevra absolument aucun financement, alors même qu'un point de vue strictement économique aurait pu le justifier.

M. Éric Doligé . - Il ressort de nos échanges que, si trouver de l'argent et des projets à financer ne pose pas de problème, c'est le facteur temps qui peut susciter une certaine inquiétude. En effet, en matière de financement de projets, un horizon à trois ans est considéré comme un horizon de court terme.

Cela signifie-t-il que les projets sélectionnés seront, globalement, des projets déjà prêts à démarrer, et qui ne rencontraient plus que des problèmes de financement ? En d'autres termes, le « plan Juncker » va-t-il permettre la mise en place de projets nouveaux, ou accélérer celle de projets déjà bien avancés ? Il faut en effet rappeler que le but du plan était, dans un contexte où certaines institutions, dont les collectivités territoriales, tendent à ralentir leurs investissements, d'injecter dans l'économie un volume important d'investissements nouveaux.

L'assistance technique devrait jouer un rôle important pour que chacun comprenne le fonctionnement du plan et les modalités de sélection des projets.

Ce qui me préoccupe donc avant tout, c'est la rapidité avec laquelle nous sommes capables de déployer ces investissements. Vous avez parlé des universités, plus exactement de la façon dont elles pourraient mobiliser un milliard d'euros sans augmenter leurs budgets, mais en les utilisant mieux. Je pense également à un autre plan, sur les établissements d'hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD). Un plan de cette nature pourrait sans difficulté représenter 10 milliards d'euros sur trois à quatre ans pour remise aux normes au plan national. Il s'agirait d'un grand nombre de petits projets, probablement 2 000 à 3 000 projets, qui pourraient être mis en oeuvre.

Mme Michèle André, présidente . - Il est bien connu qu'en France, notre réglementation est tout particulièrement exigeante, et peut ralentir des procédures que l'on souhaiterait plus rapides. Sans préjuger de la situation dans d'autres pays, y aurait-il un volet réglementaire général dans le « plan Juncker » ? Cela vous semblerait-il utile ?

M. Michel Canevet . - Je voudrais savoir si vous disposez, à la suite de vos travaux préparatoires, d'une typologie des différents types de projets qu'il faudrait privilégier en France pour permettre un effet de levier important.

Vous avez évoqué une durée de financement pouvant aller jusqu'à vingt ans : cette durée sera-t-elle la durée moyenne d'accompagnement des projets, ou constitue-t-elle une durée maximale ? Si les financements sont de courte durée, cela amènerait à se poser la question d'un plan d'investissement ultérieur.

Enfin, nous avons parlé de l'assistance technique mise à la disposition des États-membres. Les structures existantes en France vous semblent-elle adaptées au « plan Juncker », ou faudrait-il en imaginer d'autres ?

M. Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne . - En ce qui concerne la possibilité d'accès direct des collectivités territoriales, je confirme qu'il n'y aura pas de médiation par les États pour la présentation de projets : tout promoteur peut soumettre son projet à la BEI, qui l'étudiera et, le cas échéant, le soumettra au comité d'experts responsable du choix final.

L'indépendance des experts est une question importante. Il est envisagé à l'heure actuelle - mais tout ceci est encore fluctuant - que le comité d'investissement comporte huit personnes, dont l'indépendance sera assurée par une procédure de sélection ouverte, à travers un appel à candidatures. La sélection sera faite vraisemblablement par la Commission européenne, et les conditions de leur nomination viseront à leur donner des garanties statutaires de complète indépendance. Ces experts ne pourront en aucun cas prendre d'instruction auprès d'acteurs publics ou privés, sous peine de leur renvoi.

Un point très important, pour tous les acteurs du « plan Juncker », est de s'assurer que ces huit personnes réunissent bien l'expertise nécessaire, c'est-à-dire une connaissance suffisante des différents secteurs, mais aussi des différents marchés géographiques : on n'investit pas en Estonie comme on investit à Chypre.

Le montant minimum du ticket est un des points en discussion par le co-législateur. Le Conseil n'a pas introduit d'éléments particuliers à ce sujet. Le projet de rapport issu du Parlement européen fait référence de façon très claire à la micro finance. Plusieurs éléments convergents laissent à penser que le Parlement européen ne souhaite pas instaurer un engagement financier minimum permettant l'accès à la BEI. Celle-ci a mené quelques expériences en matière de micro finance - pas beaucoup. En général, les tout petits projets sont plutôt traités par le fonds européen d'investissement, dont les activités sont intermédiées : ce sont les banques publiques qui distribuent les fonds mis à disposition. Pour le volet infrastructure et innovation, on ne souhaite pas, pour le moment, avoir de trop petits projets, car ils induiraient pour le comité d'investissement - qui devra les analyser - une charge de travail disproportionnée par rapport aux enjeux financiers. Il s'agira donc d'agréger ces projets de faible ampleur sur une plate-forme d'investissement, qui puisse être examinée en une seule fois.

Vous avez indiqué que la BEI finance déjà des projets économiquement intéressants. Cependant, le « plan Juncker » vise à assurer l'additionnalité des fonds levés : en d'autres termes, il s'agit de ne financer par ce biais que des projets qui ne pourraient l'être dans les conditions normales de fonctionnement de la BEI. On veut permettre, par la garantie européenne, que des projets soient menés qui n'auraient pas pu voir le jour sans elle. Cela suppose un examen projet par projet. Ce sera le rôle du comité d'investissement de s'assurer que ce critère est bien rempli - dans le cas contraire, il n'aurait été question que de transférer l'activité de la BEI vers des fonds sous garantie publique, ce qui présente, du point de vue du contribuable européen, un intérêt limité.

Concernant la répartition géographique des investissements, les États ont accepté qu'il n'y en ait aucune. Seul demeure un principe de bon sens, visant à éviter qu'un seul secteur ou qu'une seule zone géographique ne concentre une proportion excessive d'investissements. Pour donner un exemple, volontairement caricatural, il ne satisferait personne que l'Allemagne bénéficie de 90 % du plan...

Mme Michèle André, présidente . - Sauf les Allemands, peut-être !

M. Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne . - Peut-être, en effet.

Dans les débats sur l'opportunité d'un critère de répartition géographique, les petits pays avaient tendance à défendre cette option. Nous les avons convaincus d'y renoncer, car un tel critère aurait conduit à ce qu'un nuage de suspicion, de la part des investisseurs privés, pèse sur tous les projets menés. Chacun se serait demandé si le financement de l'investissement obéissait à une logique économique ou était le fruit d'interférences politiques excessives. Ce problème est évité en laissant la BEI et le comité d'experts seuls juges de la pertinence des projets.

Concernant le facteur temps, je pense utile de mentionner que le contrôle par la Commission européenne des investissements publics susceptibles de constituer des aides d'État sera allégé dans le cas où le projet reçoit un financement agréé par le comité d'investissement. En effet, la BEI et le comité d'experts auront déjà analysé le projet et ses risques en matière de distorsion de la concurrence : la Commission européenne n'effectuera donc qu'un examen accéléré du dossier, qui devrait prendre deux mois au lieu d'un an. Il s'agit d'un élément susceptible de renforcer la rapidité de mise en place des investissements.

Vous avez évoqué, Madame la Présidente, la réglementation : il y a effectivement, dans le « plan Juncker », un volet qui vise à lever les obstacles à l'investissement. Il y a certains domaines dans lesquels la Commission européenne a d'ailleurs déjà lancé des actions, comme la création d'une union de l'énergie, d'une union des marchés de capitaux : tout ceci va être décliné dans une succession de textes. Il faut avoir conscience que les différents États membres ont, en matière de réglementation, des performances spectaculairement variables. Un classement indépendant et au-dessus de tout soupçon, celui de la Banque mondiale, concernant la facilité à faire des affaires, montre que certains États européens sont parmi les meilleurs : il s'agit notamment du Royaume-Uni, du Danemark, de la Suède et de la Finlande. Il est d'ailleurs intéressant de noter que ces pays sont pour les uns de tradition libérale, pour les autres largement orientés vers la social-démocratie : la facilité à faire des affaires ne recouvre donc pas une fracture politique entre droite et gauche. D'autres États européens, d'après le classement de la Banque mondiale, sont moyens : la France en fait partie. D'autre encore sont très mauvais : Malte et Chypre notamment. Il y a donc une réelle réflexion à avoir, dans l'Union européenne, sur l'élaboration d'un cadre plus favorable à l'investissement.

Sur la durée des projets, il est difficile de répondre a priori : les prêts accordés dépendront des projets présentés. Il n'y a pas de durée moyenne établie à l'avance et nous ne pourrons l'évaluer qu' ex - post .

M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président honoraire de la Banque européenne d'investissement . - J'ai insisté en parlant des projets et des promoteurs sur le mot « pragmatisme ». Je confirme que les collectivités locales sont des promoteurs qui sont les bienvenus. Ensuite, il y a un problème qui est de faire en sorte que les élus ne se retrouvent pas dans une situation déséquilibrée dans leurs rapports avec les experts européens. Il y a donc besoin d'agglomérer les projets, par exemple par programmes. L'idée d'Éric Doligé, s'agissant des EHPAD, est typiquement le genre d'innovation intéressante : il s'agit de déceler un besoin économique qui connait une difficulté financière, de le transformer en programme de prêt et, s'il y a une réalité économique, des intermédiaires de prêts pourront se montrer intéressés. C'est comme cela que sont menés les projets de programme en matière d'efficacité énergétique ou les programmes « collèges » et « lycées » des départements et des régions, et c'est ce genre de projets que j'ai demandé aux banques françaises de nous proposer.

Pour continuer sur la volonté de pragmatisme, il n'y aura pas une typologie et une maturité moyenne qui seront fixées ex ante . Dans l'analyse des projets, l'originalité de la BEI est de fixer comme maturité de prêt la durée de vie économique du projet moins un à deux ans.

La relation avec le réseau bancaire est déterminante pour cette assurer une capacité de diffusion sur le territoire. Cela nécessite que la BEI soit en discussion avec les banques afin de les intéresser aux projets, tout en prenant garde à ce que ce soit bien le bénéficiaire final de l'investissement qui tire l'avantage financier et non l'intermédiaire financier, car sinon il n'y aurait aucune raison d'avoir un dispositif public de financement. Pour cela, la BEI mise beaucoup sur la transparence et sur la mise en concurrence des réseaux bancaires.

La BEI n'a pas raisonné sur un plafond de taux du fait de leur forte variation. En revanche, elle a indiqué, par exemple s'agissant des prêts aux PME, un minimum d'avantages financiers à transférer aux PME. Celles-ci doivent ainsi bénéficier d'au moins 25 points de base de moins que si elles avaient fait appel à la même banque mais sans un dispositif financier soutenu par l'Europe.

La BEI a beaucoup de doutes sur l'indépendance des experts. À la différence de la Banque mondiale et de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, la BEI estime que les experts les plus indépendants sont ses salariés. Elle a donc constitué en son sein un département d'ingénieurs, qui tirent leur expérience des projets qu'ils évaluent dans l'ensemble de l'Europe, ce qui permet une performance de la critique.

Une autre question que je considère comme majeure est de savoir si l'on arrivera à descendre la taille moyenne des projets financés. La BEI compte 2 200 salariés pour une activité de l'ordre 70 milliards d'euros, ce qui fait qu'elle n'arrive pas à appréhender les projets qui représentent moins de 50 millions d'euros de financement. Elle a pu s'adresser à des entreprises de taille intermédiaire sur des montants compris entre 7 et 50 millions d'euros mais uniquement s'agissant de projets pilotes, soit un nombre peu élevé de cas. Une des grandes décisions à prendre dans les moins à venir est le recrutement de centaines de personnes pour être capable de faire face à l'afflux de projets. La question se pose également de savoir si ces salariés nouveaux doivent être basés à Luxembourg ou s'il faut renforcer les bureaux présents dans les États membres.

Dans la mise en oeuvre pratique du plan, un point important est d'assurer de bonnes conditions d'échanges avec les banques, les élus locaux, les fédérations professionnelles, ou la Caisse des dépôts et consignations en France, afin notamment de leur apporter l'expertise technique dont ils ont besoin. D'où l'importance du volet « assistance technique » de ce plan d'investissement. Il convient d'avoir davantage de personnels proches des marchés pour être capable de répondre aux questions notamment juridiques que poseront les promoteurs et qui diffèrent selon les États membres.

M. Francis Delattre . - Actuellement, la Banque centrale européenne (BCE) rachète massivement des dettes d'État, ce qui a pour conséquence d'accroitre le flux de liquidités disponibles, qui ne viennent pas toujours alimenter l'économie réelle. Ainsi, le CAC 40 a pratiquement augmenté de 15 à 20 %, ce qui laisse croire que l'argent investi dans les entreprises est mieux rémunéré, ce qui ne serait pas un mauvais signe. Ma première question est donc de savoir quelles sont les relations qui existent entre la BCE et la BEI.

Par ailleurs, un intervenant a expliqué qu'un relais de croissance a été trouvé suite à l'ouverture de l'Europe aux pays de l'Est. Or ce que l'on constate sur le terrain, c'est que ce sont moins les États que les entreprises qui ont bénéficié des investissements européens, et en particulier beaucoup d'entreprises allemandes, par exemple dans le secteur automobile. Est-ce que la BEI prend en compte ce facteur ?

M. François Marc . - Ma question rejoint celle de Claude Raynal et porte sur l'expertise. Les éléments apportés par Philippe de Fontaine Vive y répondent cependant assez largement. Il me semble que, dans la mesure où de nombreux établissements font déjà ce travail d'analyse, le recours à des experts traduit la nécessité de pouvoir distinguer de projets présentant un très haut degré de risque. Or, dès lors que le risque est élevé, apparaît, en filigrane, la question de l'opportunité. J'ai donc du mal comprendre quel sera le degré d'indépendance des experts par rapport à la décision politique.

Par ailleurs, il me semble que l'on pourrait davantage s'appuyer sur les experts déjà en postes plutôt que de lancer un vaste programme de recrutements. Il me semblerait plus opportun, alors que les États doivent réaliser des économies sur de nombreux postes budgétaires, d'avoir recours aux experts nationaux, tels que les agents de la Caisse des dépôts ou de la BPI, pour ce qui concerne la France.

M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président honoraire de la Banque européenne d'investissement . - J'apporterai deux éléments de réponse aux questions qui viennent d'être posées. S'agissant des relations entre la BCE et la BEI, nous constatons une évolution positive. Lorsque j'ai été nommé, en 2003, j'ai souhaité rencontrer Jean-Claude Trichet, alors gouverneur de la BCE. Celui-ci s'est montré surpris de cette initiative. Pendant douze ans, les relations entre la BEI et la BCE ont été pratiquement inexistantes et personne ne jugeait opportun de modifier cette situation. Aujourd'hui, la BEI a accès à la liquidité de la BCE, ce qui rassure les investisseurs obligataires. Par ailleurs, dans le cadre du programme qui se met en oeuvre, les titres émis par la BEI seront éligibles au rachat par la BCE. En douze ans, des liens se sont donc créés au-delà des réticences administratives et culturelles.

S'agissant des besoins de recrutement, j'ai demandé à la direction générale du Trésor et à la Caisse des dépôts et consignations qu'elles puissent mettre certains de leurs agents à la disposition de la BEI. Cette demande n'a trouvé aucun écho. Les « machines nationales » semblent organisées pour empêcher le transfert d'agents vers les organismes communautaires, alors qu'il serait intéressant que des agents français puissent travailler sur des dossiers allemands, britanniques, etc. et réciproquement. Toutes les demandes qui ont été formulées, y compris sur une base temporaire de trois ans, n'ont pas été suivies d'effet. Pour autant, il existe un vrai besoin pour une force de travail capable de mener ce plan de manière efficace. À titre de comparaison, la Banque mondiale compte cinq fois plus de personnel pour un chiffre d'affaires équivalant aux deux tiers de celui de la BEI. Or, ces personnels sont, pour l'essentiel, également payés par les contribuables.

Mme Michèle André, présidente . - Tout à fait.

M. Philippe de Fontaine Vive, vice-président honoraire de la Banque européenne d'investissement . - Nous avons d'un côté 10 000 personnes pour un chiffre d'affaires de 45 milliards d'euros par an, alors qu'avec 2 200 personnes, la BEI réalise un chiffre d'affaires de 70 milliards d'euros.

Il y a donc un besoin réel de personnels, qu'ils soient issus du monde de l'entreprise ou des administrations publiques.

M. Antoine Quero-Mussot, expert confirmé en instruments financiers innovants auprès de la direction générale du budget de la Commission européenne . - On nous demande constamment le niveau de retour des investissements réalisés. Or, pardonnez-moi cette expression, mais le concept du juste retour nous « empoisonne » la vie, même s'il est légitime. En effet, il nous est difficile d'avoir une idée précise de l'ensemble des retours. À titre d'exemple, le contribuable allemand a l'impression de payer pour tout le monde.

Or, en Espagne, pendant vingt ans, 1 % du PIB provenait des aides destinées à la cohésion. Ces aides ont permis à l'Espagne d'acquérir des trains à grande vitesse Siemens, ce qui s'est traduit par le recrutement d'ouvriers allemands qui, pour certains d'entre eux, sont partis en vacances dans les Baléares et ont dépensé une partie de leurs revenus dans des restaurants de Palma de Majorque, dont les propriétaires ont ensuite acheté des Mercedes. À travers cet exemple, je veux montrer qu'il y a une circularité.

Le « plan Juncker » n'a pas de quota national, d'enveloppe géographique. L'Allemagne ne sera pas le premier bénéficiaire de ce programme. La balle sera donc dans le camp des États membres, des collectivités, des promoteurs de projets publics comme privés.

M. Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne . - Pour répondre à la question relative à la relation entre la BCE et la BEI, il me semble important de comprendre que ce n'est pas le fonds d'investissement européen qui ira sur les marchés directement, mais la BEI. Or, les titres émis par la BEI sont éligibles au rachat par la BCE dans le cadre de sa politique d'assouplissement quantitatif. Cela permettra de bénéficier de conditions de financement plus favorables. Je rappelle que la mécanique standard de l'assouplissement quantitatif passait par le canal du taux d'intérêt. Dans une situation où les taux sont historiquement bas, les canaux principaux de transmission seront plutôt, d'une part, un phénomène de substitution et, d'autre part, le canal du taux de change. En effet, l'assèchement des titres d'État disponibles sur les marchés devrait pousser les investisseurs à se tourner vers d'autres actifs, ce qui se traduira par une hausse des prix et une baisse des rendements de ces actifs de nature à faciliter les conditions d'accès au financement pour l'ensemble de l'économie. Le deuxième canal de transmission est celui du taux de change. Au regard de l'évolution récente du cours de l'euro, il semblerait que cela canal soit fortement à l'oeuvre. Cela constitue une bonne nouvelle pour les économies qui ont du mal à être compétitives au niveau international, dont la France.

Sur la question du contrôle des aides, je rappelle que les aides dépassant un certain montant ou qui peuvent avoir un impact sur le marché font l'objet d'un contrôle exercé par la direction générale de la concurrence de la commission, laquelle n'a pas fait preuve de timidité, loin s'en faut. Je citerais l'exemple de la SABENA, dont la faillite a notamment résulté du refus d'une aide d'État par la commission. Or, le premier client de cette compagnie était précisément la Commission elle-même...

S'agissant de la question de François Marc concernant les besoins en experts et la possibilité de laisser le politique décider en la matière...

M. François Marc . - J'ai dit le contraire. Je constate que les experts travaillent sur un champ de risque élevé et sont donc, d'une certaine manière, conduits à s'exprimer dans un domaine politique, ce qui m'intrigue.

M. Benjamin Angel, chef d'unité à la direction générale des affaires économiques et financières de la Commission européenne . - J'avais mal compris votre question. La tâche qui leur incombe est en effet difficile et susceptible d'avoir des implications politiques. Mais je suis heureux que nous partagions ce souhait de dépolitiser la prise de décision. Dans le cadre de ce plan, il nous faut en effet éviter, pour reprendre l'expression de Claude Raynal, non pas un rossignol, mais un concert de rossignols au niveau européen.

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