DEUXIÈME PARTIE : LE PROGRAMME 112 « IMPULSION ET COORDINATION DE LA POLITIQUE D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE » (PICPAT) (RAPPORTEUR SPÉCIAL : BERNARD DELCROS)

I. LES ENJEUX GÉNÉRAUX DU PROGRAMME 112 EN 2016

1. Un programme dédié aux moyens du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET)

Le programme 112 « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » (PICPAT), est placé sous la responsabilité politique du Premier ministre et de la ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité .

Conformément à son intitulé 5 ( * ) , ce programme ne représente qu' une part des crédits contribuant à la politique de l'aménagement du territoire , enjeu « transversal » pour 30 programmes relevant de 14 missions du budget général d'après le DPT annexé au présent projet de loi de finances ( cf . supra , I). Pour 2016, la contribution du PICPAT représente 4,7 % de l'effort global prévu en la matière (5,4 milliards d'euros), la mission « Politique des territoires » dans son ensemble en concentrant 12 %.

La responsabilité administrative du programme a cessé en 2014 d'être confiée au délégué interministériel à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale , suite à la création du Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET) . Ce dernier, placé sous l'autorité du Premier ministre, regroupe en effet depuis 2014 la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'attractivité régionale (DATAR), le Secrétariat général du comité interministériel des villes (SG-CIV), et l'Agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances (ACSé). Cette fusion entre trois structures doit permettre de dégager des gains d'efficience et de renforcer les synergies entre les différents acteurs du développement des territoires. C'est donc la commissaire générale à l'égalité des territoires, qui est devenue la responsable du programme 112 .

Le PICPAT s'inscrit au coeur de la politique d'aménagement du territoire, puisqu'il retrace les moyens mis à la disposition du CGET , après avoir retracé les moyens de la DATAR, qui avait pris temporairement le nom de Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) de 2006 à 2010.

D'une manière générale, le PICPAT vise au développement de la compétitivité, de l'attractivité et de la cohésion des territoires. Le présent projet de loi de finances reconduit pour 2016, sans la modifier, l'organisation actuelle du programme déclinée , depuis la loi de finances pour 2008, en trois actions . Les deux premières sont caractérisées par le foisonnement des dispositifs qu'elles retracent, la troisième constitue une action de soutien.

L'action 1, « Attractivité économique et compétitivité des territoires », regroupe les moyens mis en oeuvre par le CGET en faveur du développement économique et de la compétitivité internationale des territoires : prime d'aménagement du territoire (PAT), politique des pôles de compétitivité, accompagnement des mutations économiques et des territoires affectés par le redéploiement des armées, financement de Business France (ex-Agence française pour les investissements internationaux ou AFII), grandes opérations d'aménagement et d'urbanisme...

L'action 2, « Développement solidaire et équilibré des territoires », rend compte de politiques visant à assurer la cohésion sociale et territoriale et à favoriser un développement équilibré et durable des territoires. Les moyens du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT 6 ( * ) ) sont mobilisés par ces politiques, qui mettent en oeuvre les « contrats de plan » État-régions (CPER). Ceux-ci, également financés au sein de l'action 1, ont pris la suite, pour la période 2015-2020, des « contrats de projets » 2007-2014, qui avaient eux-mêmes remplacé les contrats de plan de la période 2000-2006. Votre rapporteur spécial précise que notre collègue rapporteur général Albéric de Montgolfier a rendu l'année dernière, en octobre 2014, un rapport sur le sujet, suite à la demande à la Cour des comptes par votre commission des finances d'une enquête sur l'exécution des CPER , en application de l'article 58-2° de la LOLF 7 ( * ) .

Par ailleurs, les crédits de l'action 2 sont affectés au financement de décisions arrêtées en comité interministériel, dont il sera question ci-après (ce comité porte le nom de « comité interministériel aux ruralités » depuis 2015).

Enfin, l'action 4 (ce numéro a été maintenu, malgré la suppression en 2008 de l'action 3 du programme), « Instruments de pilotage et d'étude », correspond à la totalité des moyens de fonctionnement du CGET, dont ses dépenses de personnel, ainsi qu'à des crédits d'études et d'évaluation.

2. Le mode de fonctionnement des comités interministériels illustre l'inachèvement du processus de rationalisation de la politique d'aménagement du territoire

Les crédits de l'action 2 sont affectés au financement de décisions arrêtées en comité interministériel . Celles-ci concernent surtout la valorisation des atouts des territoires ruraux en matière de patrimoine, de développement culturel, de tourisme et d'espaces naturels, notamment par les pôles d'excellence rurale (PER) et par le plan d'action en faveur des territoires ruraux . Ces décisions portent également sur l'amélioration de l' égalité d'accès aux services publics et aux technologies de l'information et de la communication (haut débit, téléphonie mobile), ainsi que sur la réalisation de projets territoriaux interministériels (Mont Saint-Michel, littoral aquitain, sillons fluviaux de la Garonne et du Rhône, politique des massifs de montagne). Votre rapporteur spécial considère que les soutiens spécifiques aux secteurs particulièrement fragiles , soumis à des handicaps naturels, tels que les zones de montagne par exemple, gagneraient en lisibilité si les concours financiers qui leur sont destinés faisaient l'objet d'une dotation au sein de cette action 2 . La disparition du fonds d'intervention pour l'auto-développement en montagne (FIAM), assimilé au FNADT en 1995 8 ( * ) , a de ce point de vue constitué un recul puisque les crédits budgétaires destinés à la montagne ne sont plus identifiés en tant que tels.

Votre rapporteur spécial relève également que la création du CGET n'a pas entièrement permis de rendre plus cohérente l'action de l'État et la maquette budgétaire en matière d'aménagement du territoire. Outre le maintien d'une mission consacrée à l'égalité des territoires (qui traite aussi de la politique du logement), la partition entre un « comité interministériel aux ruralités » et un « comité interministériel égalité et citoyenneté » peut être signalée . Ainsi le Comité interministériel de l'aménagement et de la compétitivité des territoires (CIACT) devenu ensuite Comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire (CIADT) a désormais pris en 2015 le nom de « Comité interministériel aux ruralités », et il se réunit de manière distincte du « Comité interministériel égalité et citoyenneté », plus directement consacré à la politique de la ville. La démarche de rationalisation de notre politique d'aménagement du territoire engagée depuis 2014 laisse aujourd'hui un goût d'inachevé et reste donc loin d'être aboutie , en dépit de la création du CGET et du rattachement de la politique de la ville à la mission « Politique des territoires ». Cette partition entre un comité interministériel dédié à la ville et un comité interministériel pour les campagnes représente une forme de paradoxe à l'heure où la politique d'aménagement du territoire devait connaître sa réunification .

3. La stabilisation du suivi de la performance

Le volet « performance » du PICPAT est stable en 2016. Cet exercice contraste avec l'année 2015, au cours de laquelle de nombreuses modifications, dans un objectif de simplification et de meilleure lisibilité , avaient été introduites, suite à la circulaire du secrétaire d'État chargé du budget du 1 er avril 2014 relative à la préparation des volets « performance » du projet de loi de finances. En effet, cette circulaire prévoyait « la réduction du nombre d'indicateurs de 10 % à 50 % par programme » pour arriver « en moyenne à une réduction de 25 % ».

La performance du programme « Impulsion et coordination de la politique d'aménagement du territoire » sera ainsi, en 2016, mesurée à nouveau par deux objectifs et quatre indicateurs au total, au lieu de trois objectifs et sept indicateurs auparavant . Il ne s'agissait pas en 2015 d'une simple réduction du nombre d'indicateurs, puisque la moitié des indicateurs étaient des nouveautés inédites .

Pour le suivi de l'objectif 1 « Soutenir la compétitivité et l'attractivité des territoires », avait été créé l'indicateur « Efficience des financements attribués aux entreprises bénéficiaires de la prime d'aménagement du territoire », dans le but de mesurer à la fois les effets de la PAT sur les créations et le maintien d'emploi et sur la réalisation d'investissements productifs par les entreprises. Cette modification a été introduite afin de recentrer l'analyse du dispositif sur la pertinence des financements au regard des résultats effectifs des programmes plutôt que sur la seule analyse des résultats sans appréciations des montants financiers octroyés. En effet, le précédent indicateur analysait uniquement l'effectivité des créations d'emplois. Au sein de cet objectif, l'indicateur « Nombre de projets d'investissements internationaux aboutis par une contribution significative de l'AFII rapporté aux ETP de l'AFII », a été supprimé parce qu'il constituait un indicateur d'activité et était donc jugé, à ce titre, non pertinent par la Cour des comptes.

S'agissant de l'objectif 2 « Accompagner les mutations économiques et renforcer la cohésion sociale et territoriale », il a été créé un indicateur « Réduction du temps d'accès des usagers à une maison de services au public (MSAP) », permettant de mesurer la performance, pour les usagers, du déploiement de la politique en faveur des services au public. Il s'agit ici de mesurer les effets d'une politique publique emblématique selon le Gouvernement, lancée sur la période 2014-2017.

4. Des dépenses fiscales dont la réforme se fait attendre

Votre rapporteur spécial relève le coût élevé des vingt-deux dépenses fiscales rattachées au programme, soit 442 millions d'euros. Plus globalement, il s'inquiète du résultat des évaluations disponibles 9 ( * ) . S'agissant du cas particulier des zones de revitalisation rurale (ZRR), le rapport interministériel sur l'évaluation des mesures en faveur des ZRR , avait mis en évidence, en novembre 2009, que le zonage résultant des critères en vigueur ne prenait pas en compte certains territoires en difficulté et qu'il retenait, à l'inverse, certains territoires qui ne rencontrent pas de réelles difficultés 10 ( * ) . La première des propositions de ce rapport interministériel consistait à recommander l' adaptation du système d'information fiscal afin de connaître et de suivre régulièrement le coût des différents dispositifs, le profil des établissements bénéficiaires et la territorialisation des aides.

La mise en place de telles données fait toujours défaut , alors qu'elles constituent un préalable nécessaire à une évaluation régulière, rendue d'autant plus nécessaire que ces mesures ont un coût considérable. Votre rapporteur spécial souhaite que ces mesures fassent l'objet d'une évaluation rigoureuse et systématique de leurs performances . Il ne met pas ici en cause le CGET qui, malheureusement, n'a pas la maîtrise de la plupart des dépenses fiscales rattachées au programme 112 , le lien avec l'aménagement du territoire n'étant de plus, pour certaines dépenses, pas immédiatement évident. Dans de telles conditions, le CGET, comme auparavant la DATAR, n'est pas en mesure de commenter leur évolution. L 'inscription au PAP de ces dépenses fiscales relève en effet du ministère du budget . Votre rapporteur spécial juge nécessaire d'associer plus directement le responsable du programme au choix de rattachement des dépenses fiscales et à leurs évaluations en termes de performance .

En effet, une évaluation rigoureuse de leurs performances et des analyses d'impact précises sont nécessaires si l'on espère pouvoir améliorer leur efficacité , par exemple en concentrant davantage ces dispositifs sur les zones et les bénéficiaires qui en ont le plus besoin . Votre rapporteur spécial en appelle donc à un meilleur ciblage de ces dépenses fiscales afin qu'elles puissent être fléchées vers les zones les plus fragiles . Il se félicite qu'une mission interministérielle sur le bilan des mesures prises en ZRR ait été mise en place en 2014 et que nos collègues députés Alain Calmette et Jean-Pierre Vigier aient rendu en octobre 2014 un rapport intitulé « Une nouvelle ambition pour les zones de revitalisation rurale » (n° 2251, XIV e législature), dans lequel ils proposaient de simplifier le zonage, de le réformer en 2015 et de mieux animer et évaluer les politiques en faveur des ZRR . À ce stade, le Gouvernement n'a toujours pas présenté son projet de réforme des ZRR alors qu'une refonte du zonage est urgente. Selon le CGET, à la mi-octobre 2015, le calendrier de mise en oeuvre de la réforme des ZRR n'est toujours pas arbitré .


* 5 Le programme 112, initialement dénommé « Aménagement du territoire », a vu son intitulé précisé dans la loi de finances pour 2008 à l'initiative de la commission des affaires économiques du Sénat.

* 6 Pour mémoire, le FNADT est composé de deux sections. La section générale comprend notamment le soutien apporté aux différentes structures de l'ancien réseau de la DATAR, repris par le CGET, l'assistance technique des programmes européens, et le financement d'engagements pris par le Gouvernement en comité interministériel. La section locale se trouve elle-même subdivisée en deux parties, l'une contractualisée, l'autre non. La partie contractualisée permet de soutenir, exclusivement, des opérations inscrites dans les contrats État-régions, au sein de contrats de pays, ou dans un cadre intercommunal reconnu par la loi. La partie non contractualisée permet d'attribuer des subventions à des projets qui participent, soit de l'accompagnement de restructurations industrielles ponctuelles et localisées, lorsque l'ampleur ou l'impact du sinistre ne justifie pas des décisions de niveau central (contrats de site, mesures territoriales arrêtées en comité interministériel), soit de la modernisation et de l'amélioration de services publics locaux.

* 7 « L'État et les régions : l'avenir des contrats de plan », rapport d'information fait au nom de la commission des finances (n° 36, 2014-2015).

* 8 L'article 33 de la loi d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire du 4 février 1995 a fusionné ces deux fonds.

* 9 À l'image des évaluations issues du rapport, rendu public en septembre 2011, du comité d'évaluation des dépenses fiscales et des niches sociales, présidé par Henri Guillaume : ce rapport s'est, en effet, montré critique sur ces dispositifs, qu'il juge trop peu efficaces. Il convient d'observer qu'en octobre 2010, le Conseil des prélèvements obligatoires avait, déjà, évoqué des dispositifs à « l'efficacité incertaine » (Rapport du Conseil des prélèvements obligatoires « Entreprises et "niches" fiscales et sociales. Des dispositifs dérogatoires nombreux »).

* 10 Cette évaluation du dispositif des ZRR était prévue par la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, mais n'a abouti qu'en novembre 2009. Le rapport qui en est issu affirmait aussi que « le zonage est un instrument utile dans les territoires les moins peuplés, souvent isolés et fragiles économiquement, et que sa définition actuelle est, dans l'ensemble, pertinente. En revanche, les dispositifs d'exonération prévus en faveur de ces zones sont décalés par rapport aux besoins du monde rural ».

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