II. UNE « PAUPÉRISATION » DES FORCES DE SÉCURITÉ QUI APPELLE LA MISE EN PLACE D'UNE STRATÉGIE RENOUVELÉE FONDÉE SUR LA RATIONALISATION DES TÂCHES ET LA MUTUALISATION DES MOYENS

A. UNE « PAUPÉRISATION » DES FORCES DE SÉCURITÉ, QUI NE DISPOSENT PLUS DES MOYENS NÉCESSAIRES POUR ASSURER LEURS MISSIONS

1. Un choix idéologique de concentrer l'effort budgétaire sur les créations d'emplois

Depuis 2012, le Gouvernement a fait le choix de concentrer l'effort budgétaire sur les créations d'emplois .

Créations d'emplois prévues et réalisées depuis 2013

(en ETP)

2013

2014

2015

2016

Variation 2013-2016

Police nationale

Prévision

288

243

643

1 078

2 252

Exécution

- 197

822

Gendarmerie nationale

Prévision

192

162

262

554

1 170

Exécution

192

173

Total

Prévision

480

405

905

1 632

3 422

Exécution

- 5

995

Note de lecture : les données des schémas d'emplois ont été retraitées pour 2015 et 2016 afin d'inclure les effectifs supplémentaires prévus au titre du PLAT et du plan « migrants »

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Entre 2013 et 2014, 990 emplois ont ainsi été créés au sein des deux programmes, auxquels devraient s'ajouter 905 emplois supplémentaires en 2015 et 1 632 en 2016.

Toutefois, les comparaisons internationales fournies par le ministère de l'intérieur ne témoignent pas d'une sous-dotation des forces de sécurité intérieure de notre pays, bien au contraire.

Comparaison des effectifs des forces de sécurité intérieure en Europe

Pays

Effectifs

Ratio effectifs / population

Allemagne

250 000

1 / 320

Espagne

179 082

1 / 261

France

257 000

1 / 248

Italie

262 400

1 / 227

Royaume-Uni

207 140

1 / 270

Source : ministère de l'intérieur

Parmi nos principaux voisins européens, un seul (l'Italie) a des effectifs supérieurs aux nôtres, alors même que les effectifs français ne tiennent pas compte des 7 000 militaires mobilisés dans le cadre de l'opération « Sentinelle » depuis les attentats de janvier 2015 pour assurer des missions de sécurité intérieure.

Si la menace terroriste, qui pèse de manière asymétrique sur notre pays, peut justifier un renforcement des effectifs, ces créations de postes masquent une « paupérisation » des deux forces, qui ne disposent plus des moyens en fonctionnement et en investissement pour assurer leurs missions.

2. En conséquence, une « paupérisation » des forces de l'ordre

En première analyse, ce constat peut sembler surprenant, compte tenu de la succession récente d'annonces en matière d'investissement et de fonctionnement :

- plan de lutte anti-terroriste (Premier ministre, 21 janvier 2015) ;

- plan « migrants » (Premier ministre, 16 septembre 2015) ;

- levée anticipée de la mise en réserve dès le début de l'année 2016 « afin que les véhicules, armements modernisés et équipements de protection efficaces soient commandés sans délai, livrés dans les services et unités avant l'été prochain » (Président de la République, 22 octobre 2015) 10 ( * ) ;

- généralisation des caméras-piétons (Premier ministre, 26 octobre 2015) ;

- plan de renforcement des équipements des brigades anti-criminalité (BAC) de la police et des pelotons de surveillance et d'intervention (PSIG) de la gendarmerie (ministre de l'intérieur, 30 octobre 2015).

En dépit de ces annonces foisonnantes, une comparaison entre l'exécution budgétaire 2009 et les crédits demandés pour 2016 met en évidence une véritable « paupérisation » des forces de l'ordre : pour des effectifs comparables, les moyens de fonctionnement et d'investissement sont inférieurs de 336 millions d'euros en 2016 par rapport à 2009.

Comparaison des équivalents temps plein annuel travaillé (ETPT) et des crédits hors titre 2 en 2009 et 2016

(en ETPT, en millions d'euros)

2009

2016

Écart

ETPT

244 304

244 420

116

Moyens de fonctionnement, d'investissement et d'intervention

2 562

2 226

- 336

Dépenses de personnel / Total des dépenses

84,4 %

87,6 %

3,2 pts

Note de lecture : les effectifs pour 2016 correspondent au plafond d'emplois prévu dans le bleu budgétaire, augmenté des 900 créations de postes financées par l'amendement gouvernemental déposé à l'Assemblée nationale

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

La part des dépenses de personnel au sein des deux programmes atteint ainsi un niveau critique (87,6 %) qui ne permet pas de garantir la capacité opérationnelle des policiers et gendarmes.

Pour illustrer ce point, l'exemple du vieillissement du parc automobile est particulièrement éclairant.

En dépit des annonces des derniers mois, les crédits prévus ne permettent pas un renouvellement du parc conforme aux besoins.

D'après les informations transmises par la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN), le respect des critères de réforme nécessiterait « l'acquisition de 3 000 véhicules par an (hors véhicules spécifiques tels que les poids lourds), soit un besoin annuel d'environ 60 millions d'euros » pour le programme « Gendarmerie nationale ». S'agissant de la police, la direction générale de la police nationale (DGPN) indique que « sur la période 2015-2017, 10 896 véhicules ayant atteint les critères de réforme devraient être renouvelés », soit 3 632 par an.

Au total, le maintien du parc automobile en l'état nécessiterait donc l'achat de plus de 6 600 véhicules par an sur la période 2015-2017. Pourtant, le montant alloué à l'achat de véhicules dans chacun des deux programmes est de seulement 40 millions d'euros, ce qui ne permettra d'acquérir que 4 000 véhicules en 2016.

Aussi, le vieillissement du parc devrait se poursuivre, au détriment de la capacité opérationnelle des forces et du coût de maintenance des véhicules. À titre d'illustration, les 1 300 véhicules les plus anciens du parc de la police affichent déjà une moyenne d'âge de 16,9 ans, alors même que le critère de réforme est de 10 ans.

Face à ce risque, aucune mesure d'exception comparable à ce qui avait été réalisé en 2009 dans le cadre du plan de relance n'a été décidée par le Gouvernement, en dépit des nombreuses annonces. En 2009, ce sont ainsi près de 9 000 véhicules qui avaient été achetés.

Nombre de véhicules achetés

(en nombre)

2007

2008

2009

2010

2011

2012

2013

2014

Police

3 025

2 809

4757

1320

1303

2165

2181

2266

Gendarmerie

1587

1 282

4092

2264

1273

916

1357

1444

Total

4 612

4 091

8 849

3 584

2 576

3 081

3 538

3 710

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses du ministère de l'intérieur au questionnaire)

En la matière, il est regrettable que le Gouvernement actuel ne fasse pas preuve de la même réactivité en 2015, face à la crise sécuritaire, que son prédécesseur en 2009, face à la crise financière.

Compte tenu de l'impasse dans laquelle nous mène la politique actuelle, une autre stratégie fondée sur la rationalisation des tâches et la mutualisation des moyens doit être poursuivie.


* 10 AEF, dépêche n° 509273, 22 octobre 2015.

Page mise à jour le

Partager cette page