B. UNE AUTRE STRATÉGIE FONDÉE SUR LA RATIONALISATION DES TÂCHES ET LA MUTUALISATION DES MOYENS EST POSSIBLE

1. Trois principaux leviers permettent d'augmenter la présence sur le terrain et la capacité opérationnelle des deux forces à effectifs et moyens constants

Il est possible d'augmenter la présence sur le terrain et la capacité opérationnelle des deux forces à effectifs et moyens constants en mobilisant principalement trois leviers :

- la diminution des « tâches indues » qui incombent aux policiers et aux gendarmes, afin de libérer du temps pour les missions de terrain ;

- l'augmentation du temps de travail des forces de police et de gendarmerie ;

- la recherche d'une meilleure complémentarité entre les forces de police et de gendarmerie.

S'agissant du premier levier, un chantier important avait été engagé en 2010 avec la décision de confier à l'administration pénitentiaire l'intégralité des missions de transfèrements, d'extractions judiciaires, d'escortes et de garde des détenus hospitalisés.

S'agissant du deuxième levier, le ministère de l'intérieur avait mis en place entre juillet 2011 et juin 2012, dans le cadre du « plan de mobilisation des forces », un système permettant la rémunération des gardiens de la paix et gradés de la police au titre des services supplémentaires non susceptibles de donner lieu à récupération , pour les inciter à réaliser des heures supplémentaires. Dans son rapport de 2013 sur les dépenses de rémunération et le temps de travail dans la police et la gendarmerie, la Cour des comptes recommandait d'ailleurs d'offrir aux gradés et gardiens « le choix entre la compensation des heures supplémentaires par l'octroi de temps de repos et le versement d'indemnités dont le taux (...) serait à la fois acceptable par les intéressés et compatible avec la maitrise des dépenses de rémunération » 11 ( * ) .

S'agissant du troisième levier, le précédent quinquennat avait permis d'engager une dynamique de mutualisation et de rationalisation très ambitieuse , avec notamment :

- le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur au 1 er janvier 2009 ;

- la rationalisation des zones de compétences des deux forces engagée en 2011 , marquée par l'extension de la zone de compétence de la police nationale aux plaques urbaines de Bordeaux, Lille, Lyon et Marseille ainsi que la suppression du régime de la police d'État dans les circonscriptions de police isolées ;

- la mutualisation de la maintenance automobile dans des ateliers communs ;

- la création d'un service commun aux deux forces dans le domaine des transmissions et des systèmes d'information, le service des technologies et des systèmes d'information de la sécurité intérieure.

En dépit des gisements de productivité qui demeurent, force est de constater que cette dynamique a été rompue à partir de 2012.

2. L'absence de recherche de nouveaux gisements de productivité depuis 2012

Aucun chantier majeur n'a été engagé depuis 2012 sur les deux premiers leviers, en dépit des constats sévères dressés tant par la Cour des comptes, concernant le temps de travail 12 ( * ) , que par les syndicats, concernant les tâches indues 13 ( * ) .

À titre d'illustration, le traitement des procurations par les forces de police et de gendarmerie a mobilisé 737 ETPT en 2012. La dématérialisation permettrait de soulager les forces de sécurité de cette tâche. Pourtant, l'inspection générale de l'administration (IGA) indique dans un rapport d'octobre 2014 que le projet de dématérialisation totale lancé en 2013 « paraît enlisé » et même « à l'arrêt » 14 ( * ) .

S'agissant du temps de travail, certaines décisions prises depuis 2012 ont même aggravé la situation. D'après les données transmises par le ministère de l'intérieur, une multiplication par 2,5 des congés maladie d'une journée a ainsi été observée entre 2013 et 2014, en raison de l'abandon du jour de carence au 1 er janvier 2014. Le coût annuel de l'absentéisme médical représente désormais près de 12 000 ETPT pour la police nationale.

En matière de mutualisation, les réformes mises en oeuvre sont de faible ampleur.

Bien souvent, elles ne constituent qu'un simple prolongement, au niveau du ministère, d'initiatives lancées au sein des deux forces dans le cadre de la révision générale des politiques publiques (RGPP). C'est notamment le cas de la mise en place des secrétariats généraux pour l'administration du ministère de l'intérieur (SGAMI) ou encore de la création du service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI).

Concernant la rationalisation des zones de compétences, aucun chantier significatif n'a été engagé depuis 2013.

De façon plus préoccupante, les domaines où des marges de progrès importantes ont été identifiées par la Cour des comptes - on peut notamment mentionner la complémentarité des laboratoires 15 ( * ) - n'ont pas connu d'évolution majeure .

L'exemple de la réorganisation du renseignement intérieur témoigne même d'un véritable « retour en arrière ». La sous-direction de l'information générale (SDIG), née de la réforme de 2008, devait bénéficier d'un monopole sur le renseignement de proximité et constituer à ce titre un laboratoire du rapprochement entre police et gendarmerie via le détachement par la gendarmerie d'un militaire au sein de chaque service départemental. En 2014, il a pourtant été décidé de créer un service dédié concurrent au sein de la gendarmerie, faisant ainsi passer le nombre de services de renseignement intérieur de 3 à 4.

Les décisions prises ces dernières semaines témoignent d'une prise de conscience très tardive de ces enjeux , avec l'annonce :

- de mesures de simplification de la procédure pénale 16 ( * ) ;

- d'un « plan interne de simplification » visant à réduire les tâches indues, à l'issue de la rencontre entre le Président de la République, les syndicats de police et le conseil de la fonction militaire de la gendarmerie 17 ( * ) ;

- de nouveaux redéploiements des zones de compétences entre les deux forces 18 ( * ) .

Il est particulièrement regrettable qu'une manifestation de plusieurs milliers de policiers sur la place Vendôme, à l'appel de l'ensemble des syndicats représentatifs, ait été nécessaire pour que le Gouvernement décide de s'engager dans cette voie.


* 11 Cour des comptes, « Police et gendarmerie nationales : dépenses de rémunération et temps de travail », 2013.

* 12 Cour des comptes, « Police et gendarmerie nationales : dépenses de rémunération et temps de travail », 2013.

* 13 Cf. « Un syndicat de police dénonce les tâches indues », Le Parisien, 30 octobre 2014.

* 14 IGA, « Moderniser l'organisation des élections », octobre 2014, p. 28

* 15 Cf. Cour des comptes, « La mutualisation entre la police et la gendarmerie nationales », 2011.

* 16 Cf. discours du Premier ministre, « Annonces gouvernementales sécurité-justice », 14 octobre 2015.

* 17 Cf. AEF, dépêche n° 509273, 22 octobre 2015.

* 18 Le ministre de l'intérieur a indiqué le 13 octobre avoir « demandé au directeur général de la police nationale et au directeur général de la gendarmerie nationale de [lui] faire des propositions » en matière de redéploiement des zones de compétences entre les deux forces. Ces évolutions visent à « poursuivre le travail de réforme et de mutualisation » au sein du ministère de l'intérieur et pourraient « s'étendre aussi aux sujets tels que la cybercriminalité ou la police technique et scientifique ». Cf. AEF, dépêche n° 508620, 13 octobre 2015.

Page mise à jour le

Partager cette page