C. VERS UNE ADOPTION CONFORME DU TEXTE

Votre rapporteur aurait pu, sans hésitation, recommander à votre Haute assemblée d'adopter sans modification le projet de loi soumis à l'approbation de votre Haute assemblée si celui-ci n'avait comporté que les dispositions strictement nécessaires à la prorogation de l'état d'urgence, à l'instar de la loi du 18 novembre 2005.

Toutefois, cette position de principe s'imposait avec moins de force dès lors que le gouvernement faisait le choix, compréhensible compte tenu des circonstances, de modifier en profondeur ce régime juridique puisque plusieurs de ses dispositifs sont susceptibles de poser des interrogations d'ordre constitutionnel. Au surplus, quel que soit la légitimité de légiférer avec diligence sur une telle matière, il n'apparaît pas souhaitable que le Sénat soit, par principe, dépourvu de son droit d'amendement, d'autant plus qu'un vote non conforme n'aurait pas remis en cause la possibilité pour le Président de la République de promulguer la loi de prorogation et de modernisation avant le 26 novembre, date à laquelle l'état d'urgence sera levé faute d'une loi entrée en vigueur.

Après une réflexion approfondie, nécessairement brève compte tenu des délais impartis, il est néanmoins apparu à votre rapporteur que votre commission des lois pourrait recommander au Sénat une adoption de ce texte dans les mêmes termes que ceux retenus par l'Assemblée nationale.


• À l'évidence, l'état de la menace terroriste impose une action législative rapide. La démonstration par le législateur de sa capacité à définir des solutions juridiques efficaces et respectueuses de notre ordre constitutionnel constitue, à l'évidence, un symbole supplémentaire de la détermination des pouvoirs publics à défendre sans faiblesse notre pays contre les menaces auxquelles il est exposé.


• Par ailleurs, les jours ayant précédé la réunion de votre commission ont été mis à profit pour qu'une réelle concertation s'engage entre le gouvernement et les rapporteurs pressentis de ce texte afin que les préoccupations des deux assemblées et les différentes sensibilités des forces politiques les composant puissent être pleinement prises en compte.


• Votre rapporteur tient à souligner que cette phase d'échanges tripartites a constitué l'occasion pour lui de faire part de ses inquiétudes quant à la constitutionnalité du dispositif le plus utilisé depuis la déclaration de l'état d'urgence, en l'occurrence le régime des perquisitions administratives. La notion de perquisition renvoie en effet, ainsi qu'il l'explicitera dans son commentaire du 4° de l'article 4 du projet de loi, à un régime juridique relevant de la police judiciaire et défini dans le code de procédure pénale. Tel était du reste l'interprétation qui avait prévalu lors des travaux préparatoires à l'élaboration de la loi du 18 novembre 2005, les analyses du rapporteur de l'époque 38 ( * ) et du gouvernement, convergentes, considérant que les perquisitions autorisées en application du 1° de l'article 11 de la loi du 3 avril 1955 n'étaient pas soustraites au contrôle de l'autorité judiciaire.

S'il n'est pas douteux que l'initiative de ces perquisitions appartient au pouvoir administratif, qualifiant ainsi ce dispositif de mesure de police administrative, il n'en reste pas moins que la constatation d'une infraction à l'occasion de ces perquisitions a nécessairement pour effet, conformément à la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction, de faire basculer cette opération dans le régime de la police judiciaire placée sous le contrôle du parquet. La rédaction de la loi de 1955 étant laconique sur ce régime, il n'apparaît en outre pas possible que puissent être procédées, dans un cadre de police administrative, à des saisies. Dès lors, toute saisie effectuée dans de telles opérations ne peut s'inscrire que dans le cadre d'une mission de police judiciaire ayant pour objet la réunion de preuves en vue de la répression, par l'autorité judiciaire, d'une ou de plusieurs infractions pénales. Cette conception caractérise au demeurant un grand nombre de perquisitions auxquelles il a été procédé depuis le 14 novembre dernier, qui se sont traduites par des saisies et des arrestations de personnes.

Si les modifications apportées à ce régime par le projet de loi étaient motivées, non seulement par le souci de ne pas encourir de critiques au titre de l'incompétence négative du législateur, mais aussi par celui de caractériser pleinement sa nature de mesure de police administrative, votre rapporteur a cependant eu à coeur, sans entraver l'exercice de cette mission par les autorités compétentes, de bien articuler son basculement vers une mesure relevant de la police judiciaire en cas de constatation d'une infraction, afin d'écarter tout risque de contrariété avec des règles constitutionnelles 39 ( * ) . Cette préoccupation a reçu un écho favorable et un amendement de clarification, suggéré par votre rapporteur et présenté par le Gouvernement, a ainsi été adopté au cours de la réunion de la commission des lois.


• Précieuse est enfin l'analyse effectuée par le Conseil d'État qui, dans son avis, considère que la déclaration de l'état d'urgence et sa prorogation pour trois mois sont justifiées au regard des attaques du 13 novembre et de la persistance de la menace et qui estime également que le ressort géographique déterminé par les décrets du 14 novembre 2015 et les mesures retenues par ces textes sont proportionnés aux circonstances.

Ces quatre types de considérations ont donc conduit à apaiser les craintes et à atténuer les hésitations de votre rapporteur qui, dès lors, a proposé à votre commission d'adopter sans modification le texte voté par l'Assemblée nationale.

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Votre commission a adopté le projet de loi sans modification .


* 38 Rapport n° 84 (2005-2006) précité.

* 39 Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2005-532 DC du 19 janvier 2006, en particulier son considérant n° 5.

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