N° 229

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 9 décembre 2015

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances rectificative , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , pour 2015 ,

Par M. Albéric de MONTGOLFIER,

Sénateur
Rapporteur général

Tome I : Rapport

(1) Cette commission est composée de : Mme Michèle André , présidente ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Vincent Delahaye, Mmes Fabienne Keller, Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. André Gattolin, Charles Guené, Francis Delattre, Georges Patient, Richard Yung , vice-présidents ; MM. Michel Berson, Philippe Dallier, Dominique de Legge, François Marc , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, François Baroin, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Jean-Claude Boulard, Michel Bouvard, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Carcenac, Jacques Chiron, Serge Dassault, Bernard Delcros, Éric Doligé, Philippe Dominati, Vincent Eblé, Thierry Foucaud, Jacques Genest, Didier Guillaume, Alain Houpert, Jean-François Husson, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Marc Laménie, Nuihau Laurey, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Hervé Marseille, François Patriat, Daniel Raoul, Claude Raynal, Jean-Claude Requier, Maurice Vincent, Jean Pierre Vogel .

Voir le(s) numéro(s) :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

3217 , 3247 , 3252 , 3282 et T.A. 623

Sénat :

227 et 230 (2015-2016)

EXPOSÉ GÉNÉRAL
PREMIÈRE PARTIE - L'EXERCICE 2015 DANS LA TRAJECTOIRE PLURIANNUELLE DES FINANCES PUBLIQUES

I. LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE DE L'EXERCICE 2015

Au cours de l'année 2015, l'activité économique a bénéficié de vents favorables, communs à l'ensemble des pays de la zone euro . En dépit de cette amélioration de l'environnement conjoncturel, la croissance du produit intérieur brut (PIB) est restée modeste en France, celui-ci ne devant progresser que de 1 %. Dans un tel contexte, le marché du travail continue de présenter une image dégradée . Le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) 1 ( * ) avait engagé une décrue à compter du dernier trimestre 2014 ; toutefois, celui-ci a rebondi au troisième trimestre 2015 et le nombre de chômeurs de catégorie A inscrits à Pôle emploi 2 ( * ) a marqué une nette progression depuis le début de l'année, affichant même un sursaut de 42 000 en octobre dernier. Aussi la courbe du chômage semble-t-elle peiner à s'inverser . En outre, l'inflation est restée atone tout au long de l'année.

A. UNE COURBE DU CHÔMAGE QUI PEINE À S'INVERSER

1. Un nouveau rebond du taux de chômage...

Alors qu'il s'élevait à 10,5 % de la population active au dernier trimestre de 2014, le taux de chômage au sens du BIT était de 10,4 % au deuxième trimestre de cette année . Selon le dernier Point de conjoncture de l'Insee, « au second semestre, la hausse attendue de l'emploi serait suffisante pour compenser celle de la population active, si bien que le taux de chômage serait stable à 10,3 % » 3 ( * ) . Néanmoins, selon une publication de l'Insee du 3 décembre 4 ( * ) , ce dernier a affiché un nouveau rebond au troisième trimestre, s'élevant à 10,6 % de la population active - soit le niveau le plus élevé atteint depuis 1997. Aussi ceci pourrait-il venir remettre en question les prévisions du Consensus Forecasts de novembre 2015, qui anticipait un taux de chômage de 10 % à la fin de l'exercice, à l'instar de l'OCDE 5 ( * ) , de même que celles de la Commission européenne 6 ( * ) et du Fonds monétaire international (FMI) 7 ( * ) qui prévoyaient respectivement un taux de chômage de 10,4 % et 10,2 %.

2. ... et une hausse significative du nombre de chômeurs inscrits

La perspective d'une stabilisation du taux de chômage en 2015 a également été assombrie par la progression significative du nombre de demandeurs d'emploi inscrits à Pôle emploi en catégorie A, soit ceux n'ayant pas travaillé au cours du mois considéré .

Ainsi, entre décembre 2014 et octobre de cette année, Pôle emploi a recensé 89 100 demandeurs d'emploi de catégorie A supplémentaires , soit une hausse de 2,5 % au cours de cette période 8 ( * ) ; après un recul de
23 800 constaté en septembre, le nombre de demandeurs d'emploi de catégorie A a marqué un rebond de 42 000 en octobre dernier , comme le fait apparaître le graphique ci-après.

L'inversion de la courbe du chômage tant espérée se fait donc encore attendre . Toutefois, dans un récent communiqué, la ministre chargé du travail, Myriam El Khomri, a estimé que l'augmentation du nombre de demandeurs d'emploi en catégorie A constatée en octobre provenait « en partie de personnes déjà inscrites à Pôle emploi et qui exerçaient le mois dernier une activité réduite (catégories B et C). Au total, le nombre d'inscrits en catégories A, B et C augmente de 13 100 sur un mois, soit + 0,2 % ».

Par suite, bien que la progression du nombre total de chômeurs tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi ait été plus modérée, il n'en demeure pas moins que le nombre de demandeurs d'emploi n'ayant exercé aucune activité au cours du mois d'octobre a significativement augmenté - ce qui constitue, en soi, une dégradation de la situation de l'emploi.

Graphique n° 1 : Évolution du nombre de demandeurs d'emplois inscrits à Pôle emploi en catégorie A

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données de Pôle emploi)

3. Une croissance insuffisante pour un rebond réel de l'emploi

La situation de l'emploi en 2015 apparaît comme d'autant plus fragile lorsque sont examinés les déterminants de la stabilisation du taux de chômage observée au cours des deux premiers trimestres de l'année, qui ne révèlent aucunement un « sursaut » du marché du travail. Cette stabilisation serait à attribuer, en premier lieu, à un ralentissement de la progression de la population active - en lien avec des facteurs démographiques, mais aussi, possiblement, avec la hausse du nombre des chômeurs dits « découragés » 9 ( * ) ; ainsi, l'accroissement de la population active est estimé à 107 000 personnes en 2015 par l'Insee 10 ( * ) , contre un accroissement de 180 000 personnes en 2014. Par suite, l'augmentation du rythme des créations d'emplois permettrait de compenser celle de la population active.

Il convient, néanmoins, de relever que les créations d'emplois, qui s'élèveraient à 114 000 en 2015 selon l'institut de statistiques, reposeraient en grande partie sur les créations de postes dans le secteur non marchand , soutenues par les contrats aidés. En effet, l'Insee anticipe, cette année, 41 000 créations de postes dans le secteur marchand, contre 53 000 dans le secteur non marchand, dont 24 000 contrats aidés. Quoi qu'il en soit, les données les plus récentes font apparaître qu'au deuxième trimestre 2015, sur un an, l'emploi a progressé de 27 500 unités dans le secteur non marchand, alors qu'il a reculé de 17 400 unités dans le secteur marchand 11 ( * ) .

Dans les mois à venir, la décélération de la population active , la réduction du coût du travail résultant du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité - à l'origine d'un enrichissement de la croissance en emplois -, ainsi que la montée en charge des contrats aidés contribueraient à une décrue du taux de chômage ; aussi l'OCDE 12 ( * ) anticipe-t-elle un taux de chômage de 10 % en 2016, le Fonds monétaire international (FMI) 13 ( * ) de 9,9 % et le Consensus Forecasts de 9,8 %.

Durant l'année à venir, l'amélioration du marché du travail continuerait donc essentiellement à être portée par les mesures tendant à réduire le coût du travail et par l'emploi subventionné ; en effet, la croissance du PIB demeurerait insuffisante pour permettre un rebond franc des créations d'emplois .

Afin d'étudier la relation existant entre croissance économique et le taux de chômage, il est possible de se référer à la « loi d'Okun » , formulée par l'économiste américain Arthur Okun durant les années 1960 14 ( * ) . Celle-ci identifie une relation empirique négative entre croissance et chômage à partir de données portant sur la période 1947-1960 aux États-Unis. Plus précisément, la « loi d'Okun » postule l'existence d'un lien entre, d'une part, l'écart entre le taux de chômage effectif et le taux de chômage d'« équilibre » 15 ( * ) et, d'autre part, la différence entre le taux de croissance du PIB et la croissance potentielle - soit l'écart de production. Ces deux variables sont reliées par le « coefficient d'Okun » 16 ( * ) , estimé à - 0,3 par Arthur Okun ; ceci signifie que lorsque la croissance effective du PIB est supérieure de 1 point à la croissance potentielle, le taux de chômage diminue de 0,3 point. Si la « loi d'Okun » est souvent contestée, une récente étude du Fonds monétaire international (FMI) a considéré que cette relation était « forte et stable dans la plupart des pays » 17 ( * ) et estimé le « coefficient d'Okun » à - 0,37 pour la France au cours de la période 1980-2011, soit un niveau proche de la moyenne des vingt principales économies avancées examinées (- 0,4).

Par suite, si l'on en croit la « loi d'Okun », le taux de chômage ne recule que dès lors que la croissance effective du PIB est supérieure à la croissance potentielle . Or, comme le fait apparaître le tableau ci-après, qui reprend les principaux éléments du scénario économique gouvernemental, la progression du PIB en 2015 (+ 1 %) a été, en France, en deçà de la croissance potentielle (+ 1,1 %), provoquant un nouveau creusement de l'écart de production ; en 2016, la croissance économique (+ 1,5 %) serait seulement égale à la croissance potentielle (+ 1,5 %), comme en 2017, ce qui devrait participer, au mieux, à stabiliser le taux de chômage.

Tableau n° 2 : Principales hypothèses du scénario macroéconomique 2014-2019

(évolution en %, sauf mention contraire)

2014

2015

2016

2017

2018

2019

PIB

0,2

1,0

1,5

1,5

1 ¾

1,9

Déflateur de PIB

0,6

1,0

1,0

1,3

1,7

1,7

Indice des prix à la consommation hors tabac

0,4

0,1

1,0

1,4

1 ¾

Masse salariale privée

1,4

1,7

2,8

3,1

3,7

3,8

Croissance potentielle

1,0

1,1

1,5

1,5

1,4

1,3

Écart de production (en % du PIB potentiel)

- 3,3

- 3,4

- 3,4

- 3,4

- 3,1

- 2,6

Source : rapport économique, social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2016

Il convient, malgré tout, de relever que l'hypothèse de croissance potentielle retenue par le Gouvernement pour les années 2016 et 2017 pourrait être surévaluée , ainsi que l'a souligné votre rapporteur général à plusieurs reprises, notamment lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016 18 ( * ) ; ceci pourrait conduire à porter un regard un peu plus optimiste sur les perspectives d'évolution de l'emploi au cours des années à venir.

De manière simplifiée, le niveau de croissance requis pour stabiliser le taux de chômage peut être obtenu en additionnant le taux d'évolution de la productivité du travail et celui la population active ; aussi, eu égard aux données collectées depuis 2000, une baisse du chômage nécessiterait une croissance économique comprise entre 1,5 % et 2 % chaque année 19 ( * ) .

4. Un recul du chômage freiné par le « cycle de productivité »

En dépit de ce que la croissance effective du PIB se rapprocherait, à compter de 2016, du niveau permettant une stabilisation, voire un recul, du taux de chômage, certains facteurs généralement observés lors des périodes de reprise de l'activité pourraient contribuer à retarder l'amélioration du marché du travail , connus sous le nom de « cycle de productivité ». Ainsi, « l'impact de la croissance sur l'emploi est amorti par un cycle de productivité : les entreprises n'ajustent pas immédiatement leurs effectifs aux besoins de la production mais préfèrent recourir à la flexibilité interne, en ajustant le temps de travail via les heures supplémentaires, les congés imposés ou le chômage partiel. Elles peuvent en outre réduire rapidement certains coûts salariaux comme les primes. Les entreprises ne vont ajuster leurs effectifs que si le rebond ou le creux conjoncturel s'avèrent durable . C'est pourquoi la productivité du travail s'accélère lors des phases de reprise et se réduit lors des ralentissements conjoncturels [...]. La modification du rythme de croissance a donc des effets retardés sur l'emploi, et la croissance de la productivité du travail fluctue à court terme » 20 ( * ) .

Selon les dernières estimations de l'OFCE 21 ( * ) , les sureffectifs présents dans les entreprises représentaient 100 000 emplois dans le secteur marchand au deuxième trimestre 2015. Dans ces conditions, toutes choses égales par ailleurs, la réduction du chômage ne serait qu'un phénomène très progressif au cours des prochains mois , et ce d'autant plus lorsque le déploiement des dispositifs tendant à réduire le coût du travail sera achevé.


* 1 Le chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) comptabilise les personnes en âge de travailler qui : 1°) n'ont pas travaillé, ne serait-ce qu'une heure, au cours de la semaine de référence ; 2°) sont disponibles pour travailler dans les deux semaines ; 3°) ont entrepris des démarches actives de recherche d'emploi dans le mois précédent, ou ont trouvé un emploi qui commence dans les trois mois.

* 2 La catégorie A regroupe les demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, sans emploi ; elle se distingue des catégories B et C, qui accueillent les demandeurs d'emploi tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi, mais ayant exercé une activité réduite, de même que des catégories D et E, qui concernent les demandeurs d'emploi non tenus de faire des actes positifs de recherche d'emploi - en raison d'un stage, d'une formation, d'une maladie, ou encore parce qu'ils sont bénéficiaires de contrats aidés.

* 3 Insee, « La demande reste bien orientée, l'activité progresse par à-coups », Point de conjoncture , octobre 2015.

* 4 Insee, « Hausse du taux de chômage au troisième trimestre 2015 », Informations Rapides , n° 298, 3 décembre 2015.

* 5 OCDE, OECD Economic Outlook , Éditions de l'OCDE, Paris, novembre 2015.

* 6 Commission européenne, « European Economic Forecast. Autumn 2015 », European Economy 11/2015 , novembre 2015.

* 7 Fonds monétaire international, World Economic Outlook. Adjusting to Lower Commodity Prices , octobre 2015.

* 8 Le nombre total de demandeurs d'emploi en catégories A, B et C s'élevait, quant à lui, à 5 435 800 en octobre 2015, en augmentation de 5,5 % sur un an.

* 9 Les chômeurs dits « découragés » correspondent aux personnes qui souhaitent travailler, sont disponibles pour le faire, mais déclarent ne plus rechercher d'emploi parce que la perspective d'y parvenir leur paraît trop faible.

* 10 Insee, Note de conjoncture , juin 2015.

* 11 Insee, « L'emploi augmente légèrement au deuxième trimestre 2015 », Informations Rapides , n° 217, 10 septembre 2015.

* 12 OCDE, op. cit. , novembre 2015.

* 13 Fonds monétaire international, op. cit. , octobre 2015.

* 14 A. Okun, « Potential GNP: Its Measurement and Significance », Proceedings of the Business and Economics Statistics Section of the American Statistical Association , 1962, p. 98-104.

* 15 Le taux de chômage d'équilibre, également appelé NAIRU - pour Non-Accelerating Inflation Rate of Unemployment , soit le taux de chômage n'accélérant pas l'inflation -, est défini par l'OCDE « comme le taux de chômage [...] vers lequel le chômage converge, en l'absence de chocs d'offre temporaires, une fois que le processus dynamique d'ajustement de l'inflation est achevé. Le taux de chômage d'équilibre de long terme correspond à un état stationnaire, une fois que le NAIRU s'est entièrement ajusté à tous les facteurs qui agissent sur l'offre et sur la politique économique » (cf. OCDE, Études économiques de l'OCDE : France, Paris, Éditions de l'OCDE, 2000, p. 82).

* 16 La « loi d'Okun » peut être formulée de la manière suivante :

Ä(taux de chômage effectif - NAIRU) = â(croissance effective du PIB - croissance potentielle)

où â est le « coefficient d'Okun ».

* 17 L. Ball, D. Leigh et P. Loungani, « Okun's Law: Fit at 50? », IMF Working Paper WP/13/10, janvier 2013, p. 2 [traduction de la commission des finances du Sénat].

* 18 Rapport général n° 164 (2015-2016), tome I, sur le projet de loi de finances pour 2016 fait par Albéric de Montgolfier au nom de la commission des finances du Sénat, novembre 2015, p. 49-54.

* 19 En moyenne, la somme des taux d'évolution de la productivité du travail et de la population active s'est élevée à 1,8 % entre 2001 et 2014 et de 1,3 % entre 2005 et 2014. Ceci met en évidence le recul progressif du niveau de croissance du PIB requis pour stabiliser le taux de chômage, en lien avec le ralentissement tendanciel de la hausse de la productivité du travail et de la population active.

* 20 M. Lemoine et M. Cochard, « Emploi et chômage » in OFCE (éd.), L'économie française 2011 , Paris, La Découverte, 2010, p. 48-49.

* 21 Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), « France : un retour sur désinvestissement. Perspectives 2015-2017 pour l'économie française », Résumé des prévisions, 15 octobre 2015.

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