EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le 28 octobre 2015, la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes adoptait, à l'unanimité, son rapport 1 ( * ) . Elle poursuivait la réflexion initiée par notre ancien collègue Patrice Gélard en 2006 et 2014 2 ( * ) , en le confortant au regard des éléments recueillis lors de ses auditions et de ses contrôles.

Le rythme de création des autorités administratives indépendantes s'est accru, avec en moyenne près d'une création par an, certaines étant reconnues a posteriori , d'autres créées ex nihilo tandis que les fusions ou les rapprochements, au contraire, demeuraient rares. Ce mouvement, dans lequel la commission d'enquête n'a pas minoré la part de responsabilité du législateur, a conduit à une mosaïque d'autorités indépendantes dont ni la qualification ni la liste ne sont certaines.

La commission d'enquête a ainsi constaté l'existence, dans tous les domaines, d'une quarantaine d'autorités administratives et publiques indépendantes - d'importance inégale -, faisant peser un risque d'éclatement de l'action de l'État et d'illisibilité des institutions. Elle a également plaidé pour un meilleur contrôle parlementaire de l'action de ces autorités afin d'éviter un transfert de responsabilité sans contrôle démocratique. Or, la « prolifération » de ces autorités, au mépris de la recherche d'une logique d'ensemble, nuit à un suivi parlementaire satisfaisant alors qu'elles peuvent conduire, en lieu et place du Gouvernement, des politiques publiques.

Deux traits notables de ce processus méritent attention : d'une part, plusieurs autorités administratives indépendantes tiennent leur qualité non de la loi mais d'une qualification reconnue par la jurisprudence ou la doctrine administrative 3 ( * ) au point que « Tel M. Jourdain, le Parlement découvre qu'il a créé, sans le savoir, des autorités administratives indépendantes » . D'autre part, le périmètre effectivement retenu pour ces autorités a considérablement varié selon les renvois opérés par le législateur à la catégorie des autorités administratives et publiques indépendantes. Ainsi, le champ d'application de dispositions transversales, telles les règles établies en 2013 sur l'obligation de dépôt d'une déclaration d'intérêts et d'une déclaration de situation patrimoniale par chaque membre d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante, reste incertain, au détriment de la sécurité juridique.

La commission d'enquête a constaté qu'à partir de dispositions législatives faisant référence à la même notion d'autorités administratives indépendantes et d'autorités publiques indépendantes surgissaient des interprétations différentes faisant varier la liste de ces autorités, en fonction de la volonté supposée du législateur. L'idée de dresser cette liste au niveau de la loi et de réserver au législateur la compétence pour créer et qualifier une telle autorité avait été avancée dès 2006 et renouvelée en 2014 par notre ancien collègue Patrice Gélard.

Dès lors que le législateur est compétent pour déterminer quel organisme relève de la catégorie des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes, il lui incombe de fixer le régime juridique qui s'applique à elles. Que ce soit sous la forme d'un « cadre législatif définissant les caractéristiques communes » de ces autorités comme l'avançait en 2006 notre ancien collègue Patrice Gélard ou d'un « socle de règles transversales, garantissant leur indépendance et leur impartialité » préconisé par M. Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'État, l'idée de réunir les règles communes de ces autorités au sein d'une même loi a été souhaitée par la commission d'enquête.

Tel est le double objet de la proposition de la loi et de la proposition de loi organique déposées le 7 décembre 2015 par Mme Marie-Hélène des Esgaulx, M. Jean-Léonce Dupont et M. Jacques Mézard et que le Sénat est appelé à examiner. S'inspirant du travail accompli par notre ancien collègue Patrice Gélard 4 ( * ) , resté malheureusement lettre morte, ces deux textes reprennent les recommandations formulées par la commission d'enquête au sein de laquelle les auteurs de ces textes exerçaient respectivement les fonctions de présidente, vice-président et rapporteur.

I. LA FIXATION D'UNE LISTE ET D'UN STATUT GÉNÉRAL DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ET DES AUTORITÉS PUBLIQUES INDÉPENDANTES

La proposition de loi a vocation à fixer le « statut général » des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes. Elle est accompagnée par une proposition de loi organique rendue nécessaire pour adopter les dispositions découlant du statut général et relevant du législateur organique (incompatibilités avec les mandats des collectivités d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie et de ses provinces, avec les fonctions au sein du Conseil supérieur de la magistrature, au sein du Conseil économique social et environnemental ou la fonction de magistrat, nominations du Président de la République soumises à l'absence d'opposition parlementaire, etc.)

La compétence exclusive du législateur serait affirmée pour la création d'une telle autorité, la fixation de sa composition et de ses attributions ainsi que de ses principes d'organisation et de fonctionnement (article 1 er de la proposition de loi organique).

Ces deux textes rationnalisent le paysage de ces autorités. Ainsi, la qualité d'autorité administrative indépendante ou d'autorité publique indépendante serait maintenue à vingt autorités (article 1 er et annexe de la proposition de loi). Les autorités qui n'ont pas été retenues mais qui auraient bénéficié d'une reconnaissance légale antérieure seraient ainsi déqualifiées (article 25 de la proposition de loi).

Conformément à la volonté affichée par leurs auteurs, ces textes ne modifient pas les attributions des autorités concernées dont il n'appartenait pas à la commission d'enquête, en raison de son objet, d'évaluer la pertinence. De même, ils se gardent de supprimer ou fusionner des autorités, s'en remettant à des initiatives législatives ultérieures. S'appuyant sur les difficultés rencontrées lors de la création du Défenseur des droits à partir de quatre autorités administratives indépendantes fusionnées 5 ( * ) , la commission d'enquête écartait « toute fusion dans la précipitation, ce qui peut au demeurant entraîner des surcoûts temporaires dans la gestion de ces autorités ».

Les deux textes soumis à votre commission des lois ont donc uniquement vocation à harmoniser le statut de ces autorités en consolidant, au besoin avec des adaptations, les règles communes qui leur sont applicables (articles 3 et 4 de la proposition de loi). La distinction entre autorité administrative indépendante et autorité publique indépendante est rappelée de manière formelle (article 2), les secondes disposant de la personnalité morale à la différence des premières. En revanche, parmi les vingt autorités retenues, les auteurs de la proposition de loi ne modifient pas la qualification d'autorité publique indépendante au profit de celle d'autorité administrative indépendante.

Le statut général des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes se composerait de quatre titres consacrés respectivement à :

- l'organisation de ces autorités (titre I er ) ;

- la déontologie des membres et du personnel (titre II) ;

- les règles de fonctionnement (titre III) ;

- les modalités du contrôle parlementaire (titre IV).

Ce statut général s'appliquerait « sauf disposition contraire » maintenue ou à venir, conservant ainsi au législateur la possibilité de déroger par une règle spéciale aux règles que ce statut contient.

En raison de la création de ce statut général, il est procédé aux coordinations nécessaires afin de supprimer, compléter ou modifier les dispositions particulières à chacune des vingt autorités énumérées dans l'annexe à l'article 1 er de la proposition de loi qui seraient contraires ou redondantes avec les règles du statut général (articles 25 à 45 de la proposition de loi et article 5 de la proposition de loi organique).

De même, ce statut général et les modifications consécutives s'appliqueraient sur l'ensemble du territoire national (article 50 de la proposition de loi et article 6 de la proposition de loi organique), les règles d'entrée en vigueur étant précisées afin de ne pas bouleverser le fonctionnement des autorités concernées (article 49 de la proposition de loi et article 5 de la proposition de loi organique).

A. L'ORGANISATION DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES INDÉPENDANTES ET DES AUTORITÉS PUBLIQUES INDÉPENDANTES

Le titre I er fixe les principes d'organisation applicables à toutes les autorités, ainsi que le statut des membres avec les garanties de nature à assurer leur indépendance pour l'exercice du mandat qui leur est confié.

Les membres exerceraient ainsi un mandat d'une durée de six ans, en principe non révocable mais non renouvelable (articles 5, 7 et 8 de la proposition de loi). Pour assurer la continuité, les membres seraient remplacés au gré de renouvellements partiels et échelonnés dans le temps.

Un membre ne pourrait exercer concomitamment qu'un seul mandat au sein d'une autorité administrative indépendante ou d'une autorité publique indépendante (article 9 de la proposition de loi). Cette incompatibilité s'étendrait aux fonctions administratives exercées au sein d'une de ces autorités (article 9 de la proposition de loi). Enfin, au sein de chacune de ces autorités, un membre ne pourrait exercer concomitamment un mandat de membre et un mandat au sein d'un organe chargé d'infliger une sanction, cette incompatibilité répondant ainsi à une exigence constitutionnelle de séparation des autorités de poursuite et de jugement (article 9 de la proposition de loi).

Les différentes procédures de désignation de parlementaires ès qualités au sein du collège de ces autorités (désignation par une commission permanente, proposition par une commission permanente avant approbation par l'assemblée, nomination par le président de l'assemblée) seraient unifiées au profit d'une élection par leur assemblée d'appartenance (article 6 de la proposition de loi).


* 1 Un État dans l'État : canaliser la prolifération des autorités administratives indépendantes pour mieux les contrôler , rapport n° 126 (2015-2016) de M. Jacques MÉZARD, fait au nom de la commission d'enquête sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes ( http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/r15-126-1-notice.html ).

* 2 Cf . Les autorités administratives indépendantes : évaluation d'un objet juridique non identifié , rapport n° 404 (2005-2006) de M. Patrice GÉLARD, fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation de la législation ( http://www.senat.fr/notice-rapport/2005/r05-404-1-notice.html ) et Autorités administratives indépendantes - 2006-2014 : un bilan, rapport d'information n° 616 (2013-2014) de M. Patrice GÉLARD, fait au nom de la commission des lois, ( http://www.senat.fr/notice-rapport/2013/r13-616-notice.html ).

* 3 Il s'agit particulièrement des considérations générales du rapport public du Conseil d'État pour 2001 consacrées aux autorités administratives indépendantes.

* 4 Proposition de loi portant statut des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendante (n° 812, 2013-2014) et proposition de loi organique relative aux autorités administratives indépendantes et aux autorités publiques indépendantes (n° 811, 2013-2014), déposées au Sénat le 25 septembre 2014 ( http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl13-811.html ).

* 5 En 2011, le Défenseur des droits a repris les compétences du Médiateur de la République, de la Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (HALDE), du Défenseur des enfants et de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) qui ont disparu.

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