II. AUDITION DE REPRÉSENTANTS DES ORGANISATIONS REPRÉSENTATIVES DES SALARIÉS

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M. Alain Milon , président . - Mes chers collègues, nous poursuivons ce matin nos travaux sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, en recevant les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel.

Je remercie de leur présence : pour la CGT, Mme Catherine Perret, membre de la direction confédérale ; pour la CFDT, Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe ; pour Force ouvrière, M. Didier Porte, secrétaire confédéral du secteur juridique, et Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale ; pour la CGC, M. Franck Mikula, secrétaire national au secteur emploi et formation ; pour la CFTC, M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral chargé du dialogue social.

Le projet de loi, qui compte désormais 102 articles après son passage à l'Assemblée nationale, comporte des dispositions d'importance très inégale en termes d'impact sur l'organisation du travail. Sur les principaux sujets en débat, je vous propose, dans un premier temps, d'exposer en une dizaine de minutes les positions de votre organisation, compte tenu des modifications ou des ajouts qui sont intervenus à l'Assemblée nationale. Les questions de nos trois rapporteurs et des autres membres de la commission permettront ensuite de revenir plus en détail sur les différents aspects du texte.

Catherine Perret, membre de la direction confédérale de la Confédération générale du travail . - En introduction, je voudrais rappeler quelques éléments de contexte.

Après trois mois de débats sur le projet de loi « Travail », nous constatons que le dialogue social « à la française » a été fortement mis à mal. En effet, il n'y a pas eu de concertation en amont. Nous avons beaucoup communiqué, les uns et les autres, sur l'absence de travail commun avec le Gouvernement. Une parodie de négociation a eu lieu sur le compte personnel d'activité, le CPA, qui a été bouclée en quelques semaines et n'a pas débouché sur une position commune. Même le patronat n'a pas signé le texte final sur ce sujet, alors que c'est lui qui l'avait écrit au départ.

S'ajoute à ces éléments une mobilisation sociale très forte : plus de deux mois et demi d'une contestation portant sur la majorité des articles ; 74 % de l'opinion publique opposée au projet de loi, même après l'évolution du texte. L'absence de majorité à l'Assemblée nationale pour voter le texte a conduit le Gouvernement à recourir à l'article 49-3 de la Constitution, ce qui est de sa part un aveu de faiblesse.

Au vu des informations qui émanent du Sénat, je ne suis guère rassurée. J'ai en effet cru comprendre que vous aviez l'intention, mesdames, messieurs les sénateurs, de revenir sur les quelques avancées acquises au sein de la commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale.

La CGT demande, pour sa part, le retrait du texte. Il ne s'agit pourtant pas d'une position d'immobilisme, car nous souhaitons l'ouverture de véritables négociations pour construire un code du travail du XXI e siècle.

Pourquoi le projet de loi ne nous convient-il pas ? Nous contestons, tout d'abord, sa philosophie générale. Elle donne en effet la primauté absolue à l'accord d'entreprise sur la loi et les accords de branche. C'est ce que nous appelons, les uns et les autres, l'inversion de la hiérarchie des normes. Cela aura pour effet de faire voler en éclats le socle commun, mis en place dans le code du travail, de protection et de garanties collectives dont bénéficient les salariés.

Il y aura demain autant de codes du travail que d'entreprises. Les salariés les plus fragiles, ceux qui sont isolés, ceux qui n'ont pas de représentants syndicaux, seront donc encore davantage défavorisés. Pourront en effet faire l'objet d'accords d'entreprise : le temps de travail, les rémunérations et les heures supplémentaires, dont le régime pourra être profondément modifié du jour au lendemain. C'est pour cette raison que les salariés du secteur du transport sont mobilisés depuis lundi soir. Comme ils sont largement rémunérés en heures supplémentaires, ils pourront perdre jusqu'à 3 000 euros par an !

Donner une primauté aux accords d'entreprise, c'est l'inverse de ce qu'il faudrait faire. Le code du travail a en effet été créé pour contrebalancer le lien de subordination qui existe entre l'employeur et le salarié, et le droit à la négociation a été construit pour améliorer la situation de ce dernier.

Le droit à la négociation est le droit du salarié ! La loi, la branche et l'accord d'entreprise sont organisés hiérarchiquement de façon à ce que l'accord puisse améliorer ce que prévoit la branche ou la loi. Avec ce projet de loi, on inverse le processus et on entame, de ce fait, une course au dumping social.

Cette régression avait commencé avec les accords de maintien de l'emploi prévus dans la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, aux termes de laquelle des accords « défensifs » - seuls 12 contrats de ce type ont été signés ! - peuvent être conclus en cas de difficultés économiques. Il s'agit d'imposer à des salariés, pour une durée définie par l'entreprise, des modifications en termes d'organisation, de durée du travail ou de rémunération. Ces accords régressifs sont possibles, alors même que les dividendes versés par les entreprises concernées -ces accords ont été faits pour les grands groupes- et leurs commandes sont en hausse. Si un salarié refuse une telle modification de son contrat de travail, il ne s'agira plus d'un licenciement économique mais d'un « licenciement individuel », invention juridique que nous aimerions comprendre.

Pour ce qui concerne l'assouplissement du licenciement pour motif économique, les syndicats livrent actuellement une bataille sur le périmètre retenu. Une avancée a été obtenue la semaine dernière à l'Assemblée nationale : une appréciation plus large de la situation de l'entreprise lorsqu'elle appartient à un groupe intercommunal. Nous craignons, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous n'en reveniez au périmètre national. En tout état de cause, les critères permettant de décider qu'une entreprise connaît des difficultés économiques et justifiant qu'il soit procédé au licenciement économique nous semblent beaucoup trop flous et faciles à invoquer.

J'en viens au référendum, que nous appelons le « référendum chantage ». Je rappelle que la CGT et la CFDT avaient pris en 2008 une position commune sur la représentativité - elle a donné lieu à une loi, qui n'est pas totalement mise en oeuvre, mais l'échéance prévue pour son application est 2019 -, en vue de sanctuariser la question des accords majoritaires. Pourquoi remettre en cause la signature ou la non-signature d'un syndicat élu, et donc représentatif ? C'est un détournement du résultat des élections des représentants des salariés et une remise en cause de la représentativité des syndicats ! Ce référendum n'a donc pas lieu d'être.

Mme la ministre du travail nous avait dit que cette disposition était importante, car il fallait prévoir une « soupape ». Mais par rapport à quoi ? Nous n'avons pas compris ce terme. S'il fallait une soupape, ce serait plutôt lors de la mise en place d'un accord régressif, du type des accords de maintien de l'emploi.

Nous contestons, je le redis, le principe du référendum, car c'est une atteinte au syndicalisme et à la représentativité syndicale. Si l'on veut que les salariés vérifient régulièrement s'ils sont en phase avec les syndicats, mieux vaudrait ramener la durée des mandats de quatre à deux ans. La CGT, première organisation syndicale de ce pays, n'a pas peur de se présenter aux suffrages des salariés !

La possibilité de moduler le temps de travail sur trois ans, au lieu d'un an, et de le faire sur neuf semaines, permettra à l'employeur de s'affranchir d'une partie de la majoration des heures supplémentaires. J'évoquais ce problème à propos des salariés du secteur du transport, qui seront les premiers pénalisés.

Pour ce qui concerne l'uberisation de la société - terme quelque peu exagéré selon moi - et les mutations liées au numérique, il est nécessaire de mener une véritable réflexion sur le statut de ces « nouveaux travailleurs ». On observe d'ailleurs que des personnes qui travaillent au sein de la société Uber, aux États-Unis et en France, demandent devant les prud'hommes la requalification de leur contrat de subordination économique en contrat de travail salarié. En ce domaine, le projet de loi introduit donc une régression.

Le projet de loi comprend des articles très dangereux, que je ne détaillerai pas. Je citerai seulement trois dispositions.

Premier élément : l'expérimentation du contrat de professionnalisation ne débouchera plus sur une qualification. Cela n'a l'air de rien, mais c'est une attaque très forte contre la reconnaissance des qualifications, lesquelles définissent les classifications et les salaires dans les conventions collectives. C'est la porte ouverte au « tout-compétences », puis à la fin du lien entre salaire et qualification...

Deuxième élément : des attaques et des mesures régressives sont prévues à l'encontre de la médecine du travail.

Le troisième élément concerne la « garantie jeunes ». Je tiens à dire que j'ai participé, au sein de la Confédération européenne des syndicats, la CES, à la négociation sur le cadre d'emploi des jeunes et sur la « garantie jeunes », que je soutiens ardemment. Nous avions oeuvré, dans une totale unité syndicale, pour que cet accord européen soit transposé en France et pris en compte par le ministre du travail de l'époque, M. Michel Sapin. Nous étions donc favorables à l'expérimentation, à l'évaluation et à l'élargissement de la « garantie jeunes ». Mais la généralisation du dispositif, prévue dans le projet de loi, est impossible à mettre en oeuvre. Je pense notamment à la tâche qui incomberait aux missions locales. Et comme il ne sera pas possible pour les missions locales d'absorber 400 000 jeunes, on aura recours à des opérateurs privés, sans aucune assurance que soit rendu un service public de qualité. C'est une attaque frontale contre les missions locales.

La CGT fait quatre séries de propositions, sur lesquelles nous souhaitons que s'ouvrent, après le retrait du projet de loi, des négociations.

Premièrement, nous proposons de mettre en place un code du travail du XXI e siècle, adapté aux mutations économiques, numériques et technologiques. Nous souhaitons, dans ce cadre, la constitutionnalisation du principe de faveur et le rétablissement de la hiérarchie des normes. Il faudrait sanctuariser dans la Constitution le principe selon lequel toute négociation doit déboucher sur un progrès social pour les salariés.

Deuxièmement, nous souhaitons que la durée légale du travail soit réduite à 32 heures, sans diminution de salaire, afin que nous puissions travailler tous et mieux.

Troisièmement, il faut élaborer un véritable statut du travail salarié autour de la sécurité sociale professionnelle. Le CPA ne va pas assez loin à cet égard. Nous souhaitons un changement des modes productifs et de la relation entre salariés, avec une progressivité et une portabilité des droits pour chaque individu -cela dépasse le salariat- en matière d'emploi, de carrière, de reconnaissance des qualifications, de formation professionnelle continue et de protection sociale. Il s'agit de maintenir le contrat de travail en cas de mobilité afin que les salariés, et notamment les plus jeunes, n'aient plus peur d'évoluer, de se reconvertir, de se former, et même de « respirer » avant un retour à l'emploi.

Quatrièmement, il faut promouvoir de nouveaux droits d'expression pour les salariés, leurs représentants, instaurer une véritable démocratie sociale, favoriser la citoyenneté d'entreprise. En effet, un salarié est aussi un citoyen qui a un avis sur la stratégie et la marche de son entreprise.

Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la Confédération française démocratique du travail . - Nous avions jugé, dans un premier temps, ce texte déséquilibré et d'essence très libérale. De notre point de vue, il ne sécurisait pas les parcours et fragilisait le dialogue social. Nous avons pesé de tout notre poids pour le faire évoluer. Aujourd'hui, il nous convient.

La CFDT considère que la situation économique et financière est difficile, pour des raisons conjoncturelles liées aux suites de la crise financière de 2008, et pour des raisons structurelles qui tiennent au défaut d'adaptation de notre modèle économique et social. En effet, du côté des entreprises, les investissements, l'innovation, ainsi que le souci de la montée en gamme et en qualité sont insuffisants. Du côté du modèle social, les travailleurs -et pas seulement les salariés- ne sont pas assez protégés ; je pense notamment aux formes nouvelles d'emploi. La précarité s'accroît, de même que le chômage et les contrats courts, y compris aux marges du salariat.

Nous voulons réformer afin de permettre à tous les acteurs de l'entreprise de trouver des solutions pour améliorer la compétitivité et apporter du progrès social. Selon nous, le dialogue social - premier pilier du texte - peut porter ces réformes profondes. À cet égard, la nouvelle articulation proposée entre la loi, la branche et l'entreprise est pertinente.

Il est donc faux de dire qu'il y aura un code du travail par entreprise. Les règles du droit du travail demeurent et continuent de s'appliquer à tous. Je pense aux 35 heures, par exemple.

Il y a aussi un droit supplétif : en l'absence d'accord dans les branches et dans les entreprises, c'est le code du travail qui s'applique. Il est donc faux de dire que les routiers verront la rémunération de leurs heures supplémentaires passer de 25 % à 10 % de leur salaire. Quelle organisation syndicale pourrait décider cela ?

La nouvelle articulation est, je le répète, pertinente : un code du travail qui protège, des branches dont le rôle est réaffirmé et des accords d'entreprise qui permettent une meilleure adaptation aux besoins des salariés et des entreprises.

Nous y mettons des conditions : le passage de la validation des accords à 50 % afin que, dans la négociation, le rapport de force penche du côté des salariés et de leurs représentants. Nous sommes attentifs à ce principe majoritaire : c'est pour nous la clef de voûte du dispositif.

La partie du projet de loi relative au temps de travail a été réécrite. Dans ce domaine, l'entreprise est le niveau le plus adapté pour faire le lien entre les besoins des entreprises et ceux des salariés. Selon nous, le texte n'induit pas d'inversion de la hiérarchie des normes. Aucune autorité supérieure ne vient en effet dire quelle est la norme la plus intéressante pour les salariés. Les salariés et leurs représentants sont les mieux placés pour dire quelle règle est facteur de progrès social et doit s'appliquer. Si un accord prévoit une moindre rémunération des heures supplémentaires, mais permet le financement des modes de garde, par exemple, qui décidera s'il est, ou non, facteur de progrès social ? Nous estimons qu'il revient aux salariés de juger ce qui est le plus favorable pour eux.

Je n'interviendrai pas sur la modulation du temps de travail. Le projet de loi n'innove pas en la matière. Depuis bien longtemps, les organisations syndicales se sont saisies de ce sujet pour la mettre en oeuvre.

Le deuxième pilier du texte est la sécurisation des parcours professionnels au travers du CPA. Le dispositif n'est pas complètement abouti, mais c'est un bon socle, qui permet de répondre aux enjeux de la précarisation croissante. Ce compte est en effet universel, et cela se vérifie en pratique. Il permet en effet de couvrir les salariés, les agents de la fonction publique, les travailleurs indépendants. Tous auront de nouveaux droits, par exemple en matière de représentation ou de couverture des risques en cas d'accident du travail. C'est le début d'une révolution sociale que d'attacher des droits aux individus plutôt qu'au statut !

Le CPA permet également une sécurisation des parcours professionnels. La forte orientation en termes de formation professionnelle donnée aux droits nouveaux répond aux enjeux de changement d'activité et de montée en compétence. Ce compte est donc adapté aux demandes de formation, en particulier de ceux qui en ont le plus besoin : jeunes sans qualification, salariés ou demandeurs d'emploi peu qualifiés...

Le CPA correspond donc parfaitement aux besoins des salariés aujourd'hui.

L'accompagnement universel, ou global, de l'ensemble du parcours professionnel et de vie, notamment par la levée des freins périphériques à l'emploi - problèmes de santé, d'intégration sociale... -, est une bonne chose, car il permet de protéger les plus fragiles.

Enfin, les mesures les plus dangereuses ont été écartées du texte. Elles traduisaient un fantasme de certaines organisations patronales, selon lesquelles faciliter le licenciement permettrait d'embaucher plus aisément. Je pense aux dispositions sur le barème des indemnités prud'homales, et au périmètre du licenciement économique, qui a été revu à l'article 30.

Le texte comprend, en outre, de multiples autres avancées : le renforcement de la lutte contre les discriminations et la protection des femmes à l'issue du congé maternité, le mandatement pour les salariés des TPE, la lutte contre le travail illégal...

Pour ce qui concerne la médecine du travail, grâce aux organisations syndicales et par l'intermédiaire du Conseil d'orientation des conditions de travail, le COCT, le texte est désormais de nature à mettre en oeuvre une protection plus effective des salariés, compte tenu de la pluridisciplinarité mise en oeuvre.

Nous proposons quelques modifications d'ordre technique. Je partage ainsi les inquiétudes de Catherine Perret sur le contrat de professionnalisation. Par ailleurs, s'agissant du compte personnel de formation (CPF), la possibilité d'y imputer des actions d'information est totalement contraire à l'esprit de ce compte. Enfin, nous sommes contre les dispositions transitoires proposées sur le forfait jours.

Au-delà de ces ajustements techniques, nous donnons un accord global sur ce texte, qui apporte beaucoup aux travailleurs de ce pays, qu'ils soient salariés ou non.

M. Didier Porte, secrétaire confédéral du secteur juridique de Force ouvrière . - Ce projet de loi ne va pas dans le sens du progrès social. Il met par ailleurs au jour l'autoritarisme du Gouvernement qui, malgré le rejet du texte par les syndicats, par de nombreux salariés et par 70 % des Français, n'a pas hésité à recourir à l'article 49, alinéa 3, ce qui est un déni de démocratie.

Selon nous, il n'y a pas de déconnexion entre le projet de loi « Travail » et les politiques économiques globales menées par ce gouvernement qui a déjà accordé aux entreprises 100 milliards d'euros d'exonération sur trois ans, pour de très faibles résultats. Le projet de loi s'inscrit donc dans une logique libérale, dans le droit fil de la loi relative à la sécurisation de l'emploi, qui remettait en cause le contrat de travail, de la loi relative au dialogue social et à l'emploi, qui visait la représentation des salariés dans l'entreprise, et de la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances, qui a instauré le travail dominical et réformé comme on le sait les prud'hommes.

Les questions sociales sont pour ce Gouvernement des variables d'ajustement, avec toujours plus de flexibilité pour les salariés. De ce point de vue, aucune étude ne dit que la déréglementation favorise la compétitivité et la création d'emplois. Même l'OCDE le dénie ! Par ailleurs, le code du travail n'a pas pour objectif de créer des emplois ou de sécuriser les employeurs.

Nous étions, à Force ouvrière, favorables à la réforme du code du travail -il ne convient aujourd'hui à personne !-, notamment dans une perspective d'adaptation face à la numérisation et à l'uberisation de la société. Selon nous, le droit du travail ne peut pas être simple. La nature ayant horreur du vide, si on allégeait le droit du travail, on mettrait de côté des dizaines d'années de jurisprudence et on irait droit vers une amplification du contentieux. Nous souhaitions, quant à nous, rendre le code du travail plus lisible et accessible, notamment pour les dirigeants de PME, mais à droit constant et dans le respect de la hiérarchie des normes. Cela n'a pas été accepté.

Pour ce qui concerne la méthode, nous constatons un problème de forme par rapport au respect de l'article L. 1 du code du travail. Mais le juge a tranché : il n'est pas de son office de s'immiscer dans le processus d'adoption d'un texte de loi. Pour autant, il n'a pas remis en cause le fond de notre contestation. Nous nous réservons donc le droit de poursuivre notre action.

La présentation du projet de loi a constitué une véritable rupture dans la façon de mener le dialogue social et par rapport aux principes républicains d'égalité des droits et d'égalité de traitement. Les salariés, qu'ils appartiennent à des TPE ou à de grands groupes, ont en effet aujourd'hui les mêmes droits, couverts par la convention collective ou l'accord de branche.

Ce projet de loi vise à instaurer la primauté de l'accord d'entreprise, ce qui entraînera l'inversion de la hiérarchie des normes, fera sauter le verrou de la branche et créera du dumping social ; on le voit d'ores et déjà à propos de la majoration des heures supplémentaires.

Cette nouvelle articulation est la remise en cause d'un principe républicain. Le code du travail sera allégé. De l'ordre public social et de l'ordre public absolu, on ne parlera plus. Tout cela est très flou et permettra de renvoyer une grande partie des droits vers l'accord d'entreprise.

Par ailleurs, le projet de loi n'aborde qu'un seul thème, sur les 61 principes essentiels énoncés dans le rapport Badinter. On imagine les dégâts que fera le groupe chargé de réécrire l'ensemble du code du travail !

On nous dit que le nouveau dispositif créera de la négociation collective. Or, si l'on se regarde ce qui s'est passé dans les pays qui ont procédé à la décentralisation de cette négociation, on constate que tel n'est pas le cas. En Espagne, entre 2008 et 2013, le nombre des accords d'entreprise est ainsi passé de 1 448 à 706, et celui des accords d'entreprise de 4 539 à 1 702. Quant au nombre de salariés couverts par une convention collective nationale, il a diminué, passant de 12 à 7 millions en Espagne et de 1,9 million à 328 000 au Portugal. Selon l'Organisation internationale du travail, la France se place au premier rang pour la couverture des salariés par une convention collective ou un statut : ce taux s'élève à près de 90 %. En Allemagne, seuls 60 % des salariés sont ainsi couverts. Par conséquent, la décentralisation affaiblit la négociation, du fait aussi des pressions et du chantage à l'emploi qui peuvent exister au sein de l'entreprise.

Nous réfutons également l'argument de la simplification de la législation. Prenons l'exemple du repos dominical, auquel le code consacre seulement trois articles : les dérogations à cette règle font l'objet de plus d'une cinquantaine de dispositions ! Cela montre bien qu'il n'y a pas sur ce point de volonté de simplifier.

Sur la dernière version du projet de loi, j'observe que, sur les 500 amendements retenus dans la version « 49-3 » du texte, la plupart sont purement rédactionnels et ne concernent pas le fond du texte. Nombre de dispositions n'ont même pas fait l'objet de discussions préalables.

Le Gouvernement aurait pu mettre en application l'une des recommandations de l'OIT, relative à la liberté de désignation des délégués syndicaux. Il n'en est rien !

L'amendement Sirugue prévoyant un droit de regard des branches sur les accords d'entreprise ne résout pas, selon nous, le problème de l'inversion de la hiérarchie des normes. Nous aurions préféré un véritable droit de veto des branches sur les accords d'entreprise signés qui ne correspondraient pas au principe de faveur ou à une amélioration des droits des salariés.

S'agissant des congés payés, le Gouvernement n'a pas profité de cette occasion pour mettre la législation française en conformité avec la directive européenne, notamment s'agissant de l'acquisition des droits en période de maladie ou le report des droits. Nous allons donc introduire un recours sur ce point.

Quant au motif spécifique de licenciement invoqué dans le cadre des accords de préservation de l'emploi, il s'agit toujours, selon nous, d'un licenciement sui generis, et non individuel pour motif économique au sens strict.

Enfin, il sera difficile de faire fonctionner le CPA tel qu'il existe aujourd'hui et le compte personnel de prévention de la pénibilité, le C3P. N'en rajoutons pas ! Loin de nous l'idée de construire une usine à gaz ; mieux vaut aller doucement pour que le CPA ne soit pas définitivement remis en cause.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu, secrétaire confédérale de Force ouvrière . - Nous considérons que le référendum prévu dans le projet de loi fragilise la démocratie sociale et nie la légitimité des organisations syndicales. Il permet en fait aux organisations syndicales minoritaires d'« utiliser » les salariés contre les organisations majoritaires non signataires, lesquelles peuvent représenter de 70 % à 90 % des salariés. Il accentuera aussi les oppositions entre les catégories de salariés qui n'ont pas forcément les mêmes intérêts. Nous en avons eu un exemple chez Smart, où le référendum a donné lieu à des divergences entre les cadres, qui avaient approuvé la mesure proposée à 74 %, et les ouvriers, dont seuls 39 % étaient pour.

On ne peut pas, à la fois, dans la loi du 20 août 2008 portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail, prétendre donner une légitimité aux organisations syndicales au travers des élections professionnelles, et les fragiliser via un référendum qui les délégitime aux yeux des salariés. C'est un contresens et un recul social !

En outre, compte tenu de sa lourdeur, le référendum ne permet pas d'apporter une réponse rapide. Or il doit être mis en oeuvre dans des situations sociales difficiles. Les accords dérogatoires en matière de négociation annuelle obligatoire (NAO) seront également soumis à cette procédure, ce qui risque d'entraîner des difficultés. Du coup, les organisations majoritaires verront leur droit d'opposition disparaître. Quelle est la légitimité de ce mode de validation des accords ?

Pour ce qui concerne les règles de révision des accords, le principe retenu par le Gouvernement permettra aux entreprises de revenir plus facilement sur les droits conventionnels des salariés, à tous les niveaux, ce qui fragilisera lesdits droits. Nous étions favorables à l'engagement de la révision, à condition que soit maintenue la règle de l'unanimité des organisations syndicales signataires de l'accord d'entreprise, et que soit prévu un assouplissement pour la conclusion d'un avenant de révision. En matière d'avantages individuels acquis, un certain nombre de droits vont disparaître : jours de congés supplémentaires, avantages conventionnels en argent, sursalaire familial...

Le texte fragilise également les NAO, alors que la loi Rebsamen avait permis que leur périodicité soit négociée au sein de l'entreprise. Le projet de loi ajoute la possibilité d'y procéder par accord de branche.

La structuration des branches représente également un sujet important. Malgré une lettre paritaire des organisations syndicales et patronales sur cette question, le Gouvernement souhaite aller vite et remet en cause un certain nombre de dispositions de la loi Rebsamen.

En conclusion, la place de la négociation collective et des organisations syndicales est très fortement remise en cause par ce projet de loi. Recours au référendum, négociation facilitée au travers du mandatement, assouplissement des règles de révision, réduction des avantages individuels acquis, mais aussi, sur la philosophie même du texte, inversion de la hiérarchie des normes et remise en cause du principe de faveur, la liste est longue des points qui nous poussent à demander le retrait de ce texte.

M. Franck Mikula, secrétaire national au secteur emploi et formation au sein de la Confédération française de l'encadrement . - L'examen de ce projet de loi a été précédé d'un certain nombre de concertations et nous avons tous été auditionnés dans le cadre de l'établissement de divers rapports. Comme tous les syndicats, nous avons apporté nos contributions écrites à ces travaux et avons indiqué, à cette occasion, les raisons de notre désaccord sur certaines idées avancées.

Nous sommes ainsi opposés au renvoi à la négociation d'entreprise, à l'affaiblissement de la branche et, par voie de conséquence, à ce qui est aujourd'hui qualifié d'inversion de la hiérarchie des normes. Cela revient à situer la négociation là où les syndicats sont les plus faibles et les salariés les moins bien représentés, avec, à la clé, de forts risques de dumping social. Les entreprises, elles-mêmes, sont très frileuses à l'idée de devoir porter certaines négociations, comme celle sur la rémunération des heures supplémentaires, percevant tout à fait les risques encourus. Les exemples à l'étranger, notamment le cas de l'Espagne, montrent les conséquences de telles évolutions : loin de développer l'emploi, elles engendrent une précarisation des salariés.

Pourquoi les partenaires sociaux ne déverrouillent-ils pas la négociation au niveau de la branche ?, s'interroge la ministre. Cette négociation apporte un élément de régulation que nous souhaitons voir maintenu afin de préserver les entreprises et l'emploi. Qu'un opérateur de taille importante vienne à réduire la rémunération des heures supplémentaires de ses salariés, et tous ses concurrents devront s'aligner, sous peine de disparaître. Ce ne serait avantageux ni pour les entreprises, ni pour les salariés, ni pour notre économie.

Ce projet de loi repose sur l'idée selon laquelle la réforme du code du travail permettrait de résorber le chômage et de développer l'économie. C'est un leurre ! Comme toutes les études le montrent, il n'existe aucun lien direct entre droit social et taux de chômage. Une réforme du code du travail peut être nécessaire, mais le prétexte avancé n'est pas le bon.

En revanche, nous sommes favorables aux accords majoritaires, dont la légitimité est renforcée. Mais nous jugeons incompréhensible le recours au référendum en cas de signature de l'accord par des organisations syndicales ayant recueilli entre 30 % et 50 % des suffrages exprimés. Le recours au référendum reviendra à percuter deux logiques, celle de la démocratie représentative et celle de la démocratie directe, ajoutant au contournement de la représentation des salariés un affaiblissement de la démocratie dans l'entreprise. Il obligera les salariés à répondre par oui ou par non à des questions parfois très complexes. Il présuppose que l'entreprise est un lieu de démocratie, où les salariés sont des citoyens libres et égaux, alors que ces derniers sont soumis à un lien de subordination. Nous défendons donc une évolution directe vers l'accord majoritaire, étant persuadés que les partenaires sociaux trouveront les moyens de construire les compromis nécessaires.

J'en viens à un sujet largement méconnu dans notre pays : le forfait jours.

Ce dispositif dérogatoire, qui n'est pas nouveau, consiste à mesurer le temps de travail, non pas en heures par semaine, mais en jours par an. Très mal connu et faiblement encadré sur le plan législatif, il engendre de très fortes contraintes sur les salariés. Bon nombre des conventions collectives ont été invalidées par la Cour de cassation au motif qu'elles ne respectaient pas le principe fondamental de garantie de la santé et de la sécurité des travailleurs. Ce dispositif doit être sécurisé par un meilleur encadrement législatif. Or, au-delà des quelques amendements retenus par l'Assemblée nationale, le dispositif demeure très insuffisant. Rien n'est prévu, par exemple, pour un salarié au forfait jours travaillant à temps partiel ; ce même salarié n'aura pas droit à une retraite progressive. Ces « petits détails » concernent tout de même près de 2 millions de personnes, qui, même si leurs heures ne sont pas formellement comptabilisées, travaillent plutôt autour de 45 heures par semaine. Ces salariés méritent un peu plus d'attention de la part du législateur !

Ce projet de loi offre aussi une bonne occasion de mettre le droit français en conformité avec le droit européen s'agissant des congés annuels, ce qui n'a pas été fait à cause du 49-3. Il faut aller plus loin que la prise en compte des arrêts de maladie pendant la période de référence : il faut reporter les congés annuels au-delà du congé de maladie. Cela n'a rien d'une révolution et je vous invite à considérer cette réforme avec bienveillance et attention.

Enfin, le CPA contient, en germe, une évolution forte pour le droit social dans notre pays. Cette évolution est en totale adéquation avec les aspirations des salariés, lesquels souhaitent gérer leur temps tout au long de la vie de manière plus autonome. Le projet de loi contient des mesures positives, comme le droit à l'accompagnement, mais il manque une strate pour donner au CPA tout son sens : il faudrait poser les fondations d'un véritable compte épargne temps, que les partenaires sociaux pourraient ensuite construire et affiner.

M. Pierre Jardon, secrétaire confédéral chargé du dialogue social au sein de la Confédération française des travailleurs chrétiens . - Lors de son congrès de novembre 2015, la CFTC affirmait : « Dans un monde en bouleversement, construisons un nouveau contrat social ». Désormais, les salariés ne peuvent plus envisager de mener toute leur carrière dans la même entreprise. Il faut leur apporter des réponses. Il est inconcevable qu'à chaque changement d'emploi, les acquis qu'ils ont obtenus par leur travail soient remis en question. C'est pourquoi, depuis plus de dix ans, la CFTC propose un statut du travailleur visant à attacher les droits, non plus au contrat de travail, mais à la personne. Il faut aussi accompagner les changements qui s'imposent à l'entreprise, par la formation professionnelle, la mobilité, etc.

Le monde de l'entreprise évolue avec la création de nouvelles formes d'activité et de métier ou le développement du numérique, qu'il convient de cadrer et d'accompagner. Dans ce monde en bouleversement, les entreprises doivent faire preuve d'adaptation, de réactivité et se mettre en capacité d'innover. Pour la CFTC, des entreprises en bonne santé sont des entreprises pouvant créer de l'emploi de qualité.

La réponse à tout cela se résume en un mot : la « flexisécurité », un concept visant à donner plus de flexibilité aux entreprises, tout en sécurisant le parcours des salariés. L'ANI du 11 janvier 2013 allait déjà dans ce sens ; le projet de loi tend à approfondir cette voie. La flexisécurité réside, non pas dans une opposition entre salariés et entreprise, mais dans un équilibre à trouver dans l'intérêt de tous et du bien commun. L'avant-projet de loi était très loin de répondre à cette exigence, comportant même des clauses totalement inacceptables à nos yeux. Pour toutes ces raisons, la CFTC a fait le choix de contribuer à l'évolution du texte. Nous avons été entendus sur certains points, et il convient de ne pas revenir sur ces avancées.

D'une manière générale, nous sommes favorables à la nouvelle architecture proposée pour le code du travail, le triptyque ordre public, champ de la négociation collective et dispositions supplétives offrant une meilleure visibilité, donc une meilleure appropriation par tous.

Nous sommes également favorables à la négociation dans l'entreprise. Toutefois deux règles essentielles sont à respecter : du fait de l'existence d'un lien de subordination, la négociation doit être menée par des salariés mandatés et formés par des organisations syndicales ; la branche doit en outre conserver un rôle de régulation. Cela implique qu'elle puisse décider des thèmes renvoyés à la négociation dans l'entreprise et le cadre dans lequel cette négociation peut avoir lieu.

La disposition prévue dans le texte issu de l'application de l'article 49-3 -la possibilité offerte aux branches d'établir un rapport sur l'état des accords d'entreprise et leurs effets sur les distorsions de concurrence- constitue certes un premier pas, mais insuffisant.

Le renvoi, dans certaines dispositions supplétives, au pouvoir unilatéral de l'employeur doit également attirer notre attention, car il remet en cause tout à la fois le rôle de régulation de la branche et la négociation d'entreprise que l'on cherche à développer.

Dans ce monde en bouleversement, il est essentiel d'attacher des droits à la personne, et non plus au contrat de travail. En cela, le compte personnel d'activité constitue une véritable révolution. Le projet de loi établit le socle de ce dispositif, que la négociation nous permettra de faire évoluer par la suite.

L'évolution de la validation des acquis de l'expérience, la VAE, est un autre élément positif à souligner, ainsi que la lutte contre le détachement illégal et le droit à la déconnexion.

Par ailleurs, il est un certain nombre de sujets sur lesquels nous avons obtenu gain de cause dans le cadre des consultations et nous ne voudrions pas d'un retour en arrière sur ces questions.

S'agissant du barème d'indemnisation des dommages en cas de licenciement abusif, nous peinons à comprendre les débats, démagogiques et malsains, que cette thématique a suscités. On peut entendre qu'il faille maîtriser le risque en cas de problèmes économiques, donc dans la perspective éventuelle de licenciements économiques. Mais la mesure envisagée se référait aux risques liés aux contentieux prud'homaux en cas de licenciement abusif, ce qui accrédite l'idée qu'il est tout à fait normal, pour une entreprise, de licencier un salarié sans cause réelle et sérieuse... De plus, dans le barème initial, il en coûtait moins de licencier un salarié en CDI qu'un salarié en CDD, ce qui se révélait totalement improductif. Il convient donc de ne surtout pas revenir à ce barème.

Sans m'appesantir sur l'évolution du texte en matière de temps de travail et de congés spécifiques, je saluerai certaines mesures très intéressantes, comme celles qui concernent le compte personnel de formation pour les jeunes décrocheurs ou, plus généralement, les dispositifs en faveur des jeunes et des personnes éloignées de l'emploi.

Il importe, comme je l'ai déjà souligné, de redonner à la branche son rôle de pivot - des amendements en ce sens seraient les bienvenus -, un rôle qui, d'ailleurs, pourrait être ajouté au nombre des grands principes posés dans le rapport Badinter pour la réforme du code du travail. Nous envisageons d'un oeil favorable la restructuration des branches, mais cette tâche revient aux partenaires sociaux, en toute connaissance de cause. On ne peut pas sans contradiction ôter aux branches les prérogatives qui leur permettent de jouer leur rôle de régulateur en renvoyant tout à la négociation d'entreprise.

Par ailleurs, il nous paraît dangereux de prévoir que les accords seront conclus pour une durée limitée à cinq ans. Nous pouvons partager l'objectif, s'il s'agit de redynamiser la négociation collective, mais la méthode n'est pas la bonne car, en cas d'absence de négociation ou de refus d'une des parties de renégocier le texte dans le délai de cinq ans, l'accord cesserait automatiquement de produire ses effets et les salariés ne seraient même plus en mesure de faire reconnaître des avantages individuels acquis. Le principe d'une clause de révision quinquennale des accords peut être inscrit dans le projet de loi, mais la limitation de leurs effets à cinq ans n'est pas souhaitable.

L'évolution du texte sur la question du licenciement économique mérite aussi d'être soulignée. Dès le départ, nous avons considéré que les difficultés économiques en cas de licenciement économique devaient s'apprécier au niveau du groupe, y compris si celui-ci a une dimension internationale.

Nous sommes favorables aux accords dits « offensifs », dont l'objectif est de mettre l'entreprise en condition d'innover et de répondre à de nouvelles perspectives qui s'offriraient à elle. Un salarié qui refuserait la modification de son contrat de travail serait désormais licencié pour motif économique. Il ne faut pas revenir en arrière sur ce point. Le projet de loi, dans sa version la plus récente, tend à prévoir la contribution des salariés, mais aussi des actionnaires de l'entreprise. Le texte mérite néanmoins d'être amendé afin d'y intégrer un principe de juste retour pour tous, dès lors que l'entreprise s'est développée.

Nous évoquons ici les accords de préservation ou de développement de l'emploi. Le recours au terme « préservation » engendre une confusion avec les accords de maintien de l'emploi, signés dans un tout autre contexte, quand l'entreprise rencontre des difficultés économiques.

Enfin, nous jugeons indispensable de revoir les mesures relatives à l'inaptitude. Il est effectivement prévu qu'un salarié inapte puisse être licencié pendant son arrêt de travail ou, s'il fait l'objet de mesures de reclassement, en cas de refus d'une seule proposition.

M. Alain Milon , président . - Je vais maintenant laisser la parole aux trois rapporteurs.

M. Jean-Baptiste Lemoyne , rapporteur . - Je vous remercie pour ces exposés très clairs et précis. Chacun des orateurs est entré dans le détail de mesures, certes techniques, mais essentielles pour la vie quotidienne des salariés et des entreprises. Des « perches » nous ont été tendues... Nous examinerons ces sujets avec attention, car certains articles peuvent probablement être affinés.

L'articulation nouvelle entre branche et entreprise est dite « révolutionnaire », mais n'a-t-on pas quinze ans de retard ? Une position commune, adoptée en 2001 par une grande partie des organisations représentées à la tribune, affirmait déjà le « rôle structurant de solidarité, d'encadrement et d'impulsion » de la branche, tout en soulignant que « la négociation d'entreprise permet de trouver et de mettre en oeuvre des solutions prenant directement en compte les caractéristiques et les besoins de chaque entreprise et de ses salariés ». En densifiant le contenu de la négociation, y compris à l'échelon décentralisé, nous nous inscrivons dans ce mouvement, engagé depuis une vingtaine d'années, sans chercher à remettre en cause aucun autre échelon.

Par ailleurs, le changement des règles de majorité pour la validation des accords ne risque-t-il pas de réduire les chances de voir des accords négociés ? Ne faudrait-il pas imaginer un cheminement progressif, en prévoyant une étape intermédiaire à 40 %, sans pour autant renvoyer l'objectif de 50 % aux calendes grecques ?

Question subsidiaire, en rapport avec l'attachement aux branches que nous percevons parfaitement : ne faudrait-il pas que le législateur prenne des mesures afin d'améliorer l'efficience du travail des commissions paritaires, par exemple en fixant une périodicité de leurs réunions ?

M. Jean-Marc Gabouty , rapporteur . - L'équilibre entre les trois niveaux -code du travail, accord de branche et accord d'entreprise- constitue un point sensible du projet de loi. Pour les TPE et les PME, la branche est effectivement le lieu principal de négociation, car ces entreprises ne disposent pas d'une représentation syndicale en leur sein. Partant de ce constat, plusieurs solutions sont envisageables : établissement, par le code, de la répartition entre ce qui relève de la branche et ce qui relève de l'expertise, système supplétif ou décentralisation en cascade, telle qu'évoquée précédemment. Il n'y a pas de modèle unique. Celui qui sera choisi par cette loi méritera peut-être d'être revu à l'avenir.

La situation des TPE et PME m'amène aussi à formuler deux questions s'agissant des accords d'entreprise.

Seriez-vous favorables, en l'absence de représentation syndicale, à la signature d'accords d'entreprise par les instances représentatives du personnel, notamment par les délégués du personnel ?

Ne pensez-vous pas que le recours obligatoire au mandatement peut conduire au maintien de situations présentant une insécurité juridique certaine dans des entreprises fonctionnant avec des accords de fait, non formalisés, et dont ni les dirigeants ni les salariés ne souhaiteront passer par cette procédure du mandatement ?

Enfin, que pensez-vous du nouveau dispositif de santé au travail, prévoyant l'abandon du certificat d'aptitude, et les responsabilités qui pourraient en découler en cas d'inadaptation du poste de travail à certaines problématiques de santé d'un salarié ? Quelles sont vos positions sur les catégories et les « modes de sélection » des salariés méritant ce suivi renforcé ?

M. Michel Forissier , rapporteur . - Mes questions portent sur le CPA et la formation professionnelle, particulièrement l'apprentissage.

À mes yeux, le CPA est, non pas un compte, mais un regroupement de trois comptes, chacun évoluant à son gré. Le CPF en est à ses balbutiements ; le C3P, compte tenu des incertitudes qui demeurent à son sujet, exige un travail approfondi ; quant au compte engagement citoyen, je peine à en définir le contour exact.

Le compte étant ouvert dès le début de la carrière, y compris à la signature d'un contrat d'apprentissage, et clos au décès de la personne, il me semble nécessaire de ne pas faire l'impasse sur le passage à la retraite, une étape qui n'est pas anodine, des droits étant liquidés et de nouveaux droits ouverts.

Dans le cadre du CPA, il faudrait surtout travailler sur un statut de l'actif, qui ouvrirait des droits et des devoirs pour le salarié et pour l'employeur. Le projet de loi nous permet de créer l'outil ; la négociation devra nous permettre d'en faire une véritable avancée.

Le Gouvernement avait annoncé un volet concernant la formation professionnelle et l'apprentissage, qui n'apparaît pas dans le projet de loi. Des amendements seront présentés sur le sujet dans le cadre de nos travaux et je souhaiterais votre implication sur cette question.

Mme Catherine Perret . - Vos questions le démontrent, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi soulève plus d'interrogations qu'il n'apporte de réponses ! Plus de 5 000 amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale et, à votre tour, vous allez profondément modifier le texte. Cela prouve son caractère inabouti et plaide en faveur de notre proposition : prenons le temps, dans le cadre d'un véritable dialogue social, de revenir sur chacune des questions que vous posez.

Vous posez la question, monsieur Lemoyne, de l'inversion de la hiérarchie des normes. Nous sommes d'accord sur un point : nous n'avions effectivement pas signé l'accord de 2001, car nous étions déjà en désaccord profond avec la vision du dialogue social et de la hiérarchie entre loi, accord de branche et accord d'entreprise qu'il exprimait et qui se retrouve dans le présent projet de loi.

Cette inversion répond à la politique européenne sur ce sujet. Des syndicalistes d'autres pays européens nous ont d'ailleurs fait parvenir leur soutien ; selon eux, la France est l'un des derniers remparts contre la modification en cours du dialogue social et du rapport entre employeurs et salariés. Ils nous envient la possibilité, absente chez eux, de protéger le salariat par la voie législative.

Quant aux nouvelles règles de validité des accords d'entreprise, après la position commune que nous avions élaborée dans la concertation, en 2001, il aurait été possible d'instituer très rapidement le principe de la signature par les syndicats représentant plus de 50 % des salariés. Or, depuis lors, s'est produit un changement majeur, avec une campagne incessante du Medef en faveur de la baisse du coût du travail, liée au souci affiché de compétitivité et à la financiarisation de l'économie.

Si ce dogme devait être retenu, plus aucune négociation, qu'elle soit menée au niveau de la branche ou de l'entreprise, ne pourrait améliorer la condition du salarié : l'objectif du grand patronat est en effet de pratiquer le dumping social en faisant baisser à tout prix le coût du travail jusqu'à ce qu'un salarié français ne soit pas plus payé, peut-être, qu'un salarié sri-lankais, alors même que notre économie reste essentiellement contenue dans les frontières de l'Union européenne.

Il n'est donc pas impossible, à nos yeux, de mettre en oeuvre dès maintenant le principe de l'accord d'entreprise majoritaire, à la condition toutefois de fixer à la négociation d'autres objectifs : non pas l'argent, mais le progrès humain.

J'en viens à la démocratie sociale et à la citoyenneté d'entreprise. S'il existe aujourd'hui des problèmes autour de la représentation des salariés dans l'entreprise, c'est bien parce que les représentants du personnel et, plus largement, les syndiqués ne sont pas assez protégés. On assiste à une montée de la criminalisation de l'activité syndicale. Les salariés ont donc peur de se syndiquer, d'autant que le salariat est toujours plus précaire. Assurons une meilleure reconnaissance du syndicalisme dans l'entreprise, faisons en sorte que les élections se passent bien et que les employeurs jouent le jeu, les dysfonctionnements étant pour l'heure trop nombreux : les organisations syndicales pourront alors jouer leur rôle et le taux de syndicalisation ainsi que la représentativité des syndicats augmenteront considérablement.

Cela m'amène à la question du mandatement dans les PME. Nous n'y sommes pas favorables. Le mandatement est inefficace et complexifiera les relations dans l'entreprise. En revanche, lors de la négociation qui avait précédé, l'an dernier, la loi Rebsamen, nous avions fait des propositions sur la base d'accords signés tant par les organisations syndicales, y compris la CGT, que par l'Union professionnelle artisanale. Il s'agissait notamment de créer des commissions locales pour assurer au mieux la gestion prévisionnelle territoriale des emplois et des compétences, à laquelle nous sommes favorables. Nous privilégions la formation de réseaux de bassin ou de branche qui puissent assurer une réelle représentation des salariés. De telles propositions sont, selon nous, de nature à améliorer le dialogue social dans ces entreprises, mais le patronat n'en a pas voulu lors de ces négociations et la loi Rebsamen ne les a pas reprises.

J'en viens à la médecine du travail. Nous ne sommes pas favorables aux dispositions du projet de loi dans ce domaine. Nous rejetons en particulier les certificats d'aptitude et la sélection de prétendus salariés à risque. Nos propositions autour du plan santé-travail, issues d'un long processus de concertation, d'un avis du Conseil économique, social et environnemental et de réflexions du Conseil d'orientation des conditions de travail, avaient reçu le soutien unanime des syndicats. Mme la ministre nous avait assuré qu'elles seraient reprises dans le projet de loi.

Notre conception de la santé au travail repose sur le triptyque santé-travail-environnement. La majorité des problèmes de santé, souvent extrêmement coûteux pour notre système de protection sociale, proviennent du travail, de la mauvaise hygiène de vie ou de la pollution de l'environnement. Il faut s'attaquer à ce triptyque pour assurer ce que nous appelons le développement humain durable. Cela passe par une prévention systématique et non, comme la politique actuelle le préconise, par la gestion de risques ou les réparations. C'est pourquoi le C3P est à nos yeux un pis-aller ; on pourrait le faire disparaître s'il existait une vraie politique de prévention. Cela passe aussi par la solidarité intergénérationnelle et par l'application du droit à l'ensemble des travailleurs et des citoyens. Nous attendons de vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous rouvriez le débat sur ce point et que vous fassiez en sorte que le Gouvernement respecte les engagements qu'il avait pris.

Pourquoi le C3P n'existe-t-il pas encore ? C'est bien parce que les patrons n'en ont pas voulu. Les organisations syndicales en ont arraché le principe dans la douleur lors de la dernière réforme des retraites mais immédiatement après sa création, on a cédé à la pression patronale pour renoncer à identifier les situations pénibles au travail au profit de référentiels de branche. Or personne ne s'affole de cette obstruction patronale ! Comment peut-on donc gérer un référentiel de branche, alors que les situations diffèrent d'une branche à l'autre et que le CPA a pour objectifs l'universalité, la portabilité et la reconnaissance des situations pénibles tout au long de la vie ? Cela me semble contraire à la philosophie de la sécurité sociale professionnelle. La pénibilité doit être réparée, même si cela coûte aux employeurs ; au final, elle doit disparaître grâce à une politique de santé publique et de prévention.

Bien des choses sont à revoir quant au CPF. Ce dispositif va dans le bon sens ; nous défendons la portabilité. Néanmoins, c'est une usine à gaz du fait de la création de listes de formations professionnelles incompréhensibles pour les salariés et les personnes privées d'emploi. On a en effet refusé de présenter le CPF comme un dispositif ayant pour objectif la qualification, car cela mènerait à la classification des salaires, alors que notre société érige en dogme la baisse du coût du travail.

Enfin, nous sommes favorables à l'ouverture du débat sur l'apprentissage. Nous demandons au Gouvernement, depuis deux ans et demi, la tenue d'assises de l'alternance. L'apprentissage et la formation en entreprise des élèves de lycée professionnel posent la question du contrat de professionnalisation. La formation par insertion ne peut pas être confondue avec la formation initiale par apprentissage. L'apprentissage dans l'enseignement supérieur est aujourd'hui le seul à se développer. Ce sujet mérite bien un débat citoyen public national.

Mme Véronique Descacq . - Sur l'articulation entre les différents niveaux de négociation - loi, accord de branche et accord d'entreprise -, j'avoue partager la vision exprimée tout à l'heure par M. Lemoyne : le mouvement visant à donner plus de poids aux négociations d'entreprise est ancien. Je le ferai même remonter à 1968 : la CFDT entendait alors rendre la parole aux salariés sur le terrain et leur donner la possibilité de s'organiser au sein de sections syndicales d'entreprise. Pour la première fois s'exprimait alors l'idée que c'est à ce niveau que doivent se nouer des accords dans l'intérêt bien compris tant des entreprises que des salariés, sans que soient remises en cause les protections offertes par le code du travail ou le rôle de régulation de la branche. On franchit aujourd'hui une étape supplémentaire sur ce chemin.

Nous considérons que, dans sa rédaction actuelle, le présent projet de loi ne remet pas en cause le rôle de la branche, mais le réaffirme. La redéfinition des rôles respectifs des accords de branche et des accords d'entreprise ne concerne, dans le projet de loi, que la question du temps de travail. Sur ce sujet comme sur l'organisation du travail, il nous semble légitime que la négociation se joue au plus près du terrain. Certes, de telles négociations peuvent déjà se tenir, depuis 2004, mais des verrous subsistent au niveau de la branche. Quand d'autres parties du code du travail feront l'objet d'un nouveau travail législatif, nous verrons bien le rôle majeur de régulation de la branche. Nous n'avons donc pas d'inquiétudes à ce sujet, d'autant que le texte crée des commissions chargées d'établir le bilan de la négociation collective de branche.

Quant au mouvement vers les accords majoritaires d'entreprise, vous suggérez de le ralentir encore en procédant par étapes. Nous avons adopté en 2008 sur ce sujet une position commune avec, en particulier, la CGT, dans l'idée de changer progressivement de culture. Une étape a déjà été franchie en matière de culture de l'engagement dans le syndicalisme. Toutes les organisations syndicales, quelles que soient leurs positions dans le débat national, signent des accords d'entreprise quand elles sont confrontées aux besoins tant des entreprises que des salariés.

Le temps est venu d'aller jusqu'au bout de la logique de la culture de l'engagement. En France plus qu'ailleurs, cette question des accords d'entreprise provoque une forte crispation. On se méfie toujours de la négociation, jugée inapte à produire de bons compromis alors que les conflits seraient seuls capables de faire avancer les droits des salariés. Les vingt dernières années ont pourtant montré à quel point cette conception était fausse ! C'est la négociation, qu'elle soit d'entreprise, de branche ou nationale interprofessionnelle, qui a permis la création de nombreux nouveaux droits pour les salariés : droits rechargeables à l'assurance-chômage, CPF ou encore C3P.

Ce dernier représente une réponse au défi du déséquilibre des régimes de retraite et, plus largement, de l'allongement de la durée de vie en bonne santé. Tout en acceptant de tous travailler plus longtemps, nous devions prendre en considération la situation des salariés qui, du fait de leur travail, ne jouissent pas d'une aussi bonne santé que les autres. Le C3P permet de ce point de vue à la fois la prévention et la réparation. Il prévoit en effet non seulement un volet formation, qui permet d'échapper aux situations de travail pénible, mais aussi un outil de réparation par le biais d'un départ anticipé à la retraite.

Il n'y a aucune raison de craindre que les acquis obtenus par la négociation en entreprise soient inférieurs à ceux rendus possibles par la négociation aux autres échelons. Il faut simplement changer la culture de l'engagement, tant dans les organisations patronales que dans les syndicats. L'articulation nouvelle présentée dans ce projet de loi nous séduit. Par ailleurs, rien n'interdit de retoucher à la marge cette formule au regard du bilan, prévu en 2019.

Nous soutenons donc ce mouvement vers l'accord majoritaire d'entreprise, ainsi que l'articulation entre démocratie représentative et démocratie directe permise par le référendum. Cette dernière initiative est audacieuse mais intéressante : elle mérite donc d'être expérimentée. Il n'y a pas en effet à mes yeux de contradiction entre la capacité des organisations syndicales à représenter les salariés et la possibilité de recourir, parfois, au mécanisme du référendum pour valider un accord ayant recueilli, par exemple, le soutien des représentants de 49 % du personnel. Plutôt que de s'en remettre dans ce cas à une décision unilatérale de l'employeur, il serait bon de pouvoir demander aux salariés ce qu'ils en pensent. Il ne s'agit pas de leur poser une question vague ou de les manipuler ; les organisations syndicales prendraient plutôt le risque de leur soumettre un accord préalablement négocié. Cela ne serait d'ailleurs que rarement nécessaire.

Ce mécanisme correspond quelque peu à votre proposition relative aux commissions paritaires. Je doute qu'il faille renforcer leur rôle par la loi. Cela reviendrait à remettre en cause la légitimité de la mesure du principe de faveur en donnant à la branche un droit de censure a posteriori sur les accords d'entreprise. Si ce système ne fonctionne pas aujourd'hui, c'est bien parce qu'il est inefficace et inutile.

J'en viens au problème de la négociation au sein des très petites entreprises, ou TPE. On souligne à juste titre l'insuffisance de la représentation des salariés de ces entreprises. Vous indiquez, monsieur Gabouty, que le dialogue dans ces entreprises repose parfois sur des accords de fait non formalisés, une bonne volonté et une bonne entente généralisées. Je n'y crois guère pour ma part, en raison du lien de subordination qui subsiste. La bonne entente ne peut pas se présumer sans intermédiation d'une organisation syndicale ou d'un représentant élu du personnel.

Il faut mettre en oeuvre certains dispositifs pour assurer le droit constitutionnel de ces salariés à être représentés. La loi Rebsamen va dans ce sens, par la création des commissions paritaires régionales, mais les attributions de ces dernières sont limitées. C'est une bonne idée que de permettre l'adaptation des règles dans les TPE au bénéfice des employeurs comme des salariés. Cette adaptation pourra s'opérer au travers du mandatement, auquel s'ajoutent les accords types négociés au niveau de la branche. Que demander de mieux ? Cela représente une simplification bienvenue pour ces entrepreneurs, qui n'ont pas toujours les compétences requises pour négocier des accords complexes. Mandatement, représentants du personnel, accords types : voilà un triptyque qui va dans le bon sens.

Nous espérons aussi un changement de culture majeur de la part de certains patrons. Sans connaissance directe des organisations syndicales, ils s'en font une idée largement erronée et croient qu'un salarié qui se syndiquerait ferait entrer la lutte des classes dans leur entreprise et ne viserait qu'à la détruire. C'est pourtant le contraire qui se passe ! Les salariés syndiqués sont mieux formés pour comprendre les enjeux économiques, sociaux et médicaux en jeu dans l'entreprise. Ils apportent une valeur ajoutée sous-estimée par de nombreux chefs d'entreprise et permettent un véritable dialogue social. L'extension du mandatement aux TPE peut contribuer à ce changement de mentalité ; ainsi, bien des patrons de moyennes entreprises se rendent à présent compte que le dialogue social sauve des entreprises. Il permet en effet d'anticiper certains problèmes, de discuter de la stratégie de l'entreprise et de surmonter des difficultés majeures.

Vous avez présenté à raison le CPA, monsieur Forissier, comme la compilation de trois comptes. Le mot de « fongibilité » est absent de ce projet de loi comme du relevé de conclusions signé par les partenaires sociaux, le patronat s'étant opposé à son inclusion, mais il s'imposera nécessairement car ces comptes ont vocation à fonctionner ensemble dans l'objectif commun de la sécurisation des parcours professionnels. Il y a d'ailleurs des points de convergence entre le CPF et le C3P : tous deux prévoient des possibilités de financement de formations. Il est par ailleurs faux de dire que le C3P n'est pas appliqué ; il l'est en effet pour six des dix critères prévus par la loi. Certains sujets doivent certes encore être tranchés par la négociation. La CFDT y exprimera sa volonté de simplification pour rendre ces droits effectifs. Il s'agit en effet de droits essentiels pour les salariés, en particulier pour ceux qui sont exposés à des risques professionnels.

Vous préférez parler, monsieur Forissier, de statut des actifs plutôt que de statut des travailleurs. Vous avez raison, du moins en ce qui concerne le CPA. Limiter celui-ci strictement à l'activité professionnelle serait en effet réducteur, du fait notamment de l'allongement de la durée de vie en bonne santé et de la complexification des parcours. Le passage de l'activité à la retraite se fera de façon toujours plus progressive et multiforme. Les activités militantes ou associatives jouent aussi un rôle croissant et peuvent nécessiter l'accès à des formations spécifiques.

Quant à l'apprentissage, c'est une énigme française. Les réformes se succèdent à un rythme effréné. On peine à comprendre pourquoi un dispositif si pertinent sur le papier, qui paraît utile à tous les jeunes comme aux entreprises, ne fonctionne pas. Il est probable que la gouvernance, sur ces questions, est un peu trop complexe ; l'État, les régions et les partenaires sociaux devraient se pencher sur ce problème, sur lequel la CFDT est extrêmement mobilisée.

M. Didier Porte . - À nos yeux, la nouvelle articulation entre la loi, les accords de branche et les accords d'entreprise représente une véritable révolution dans les modes de relations sociales. Vous avez évoqué, monsieur Lemoyne, la négociation de 2001. Notre organisation syndicale n'était en effet pas opposée à la négociation d'entreprise, mais la branche gardait alors toutes ses prérogatives de négociation au niveau national : on respectait la hiérarchie des normes. On peut aussi évoquer les lois Auroux de 1982, qui ont prévu les premières dérogations au code du travail. Pour autant, ce projet de loi prévoit non plus des dérogations, mais de la supplétivité, ce qui, en matière de droits collectifs, peut être encore plus dangereux pour les salariés si la loi ne cadre pas bien les possibilités d'accord.

La démocratie politique et la démocratie sociale ne sont pas, selon moi, comparables. Le lien de subordination existant dans l'entreprise affecte profondément la démocratie sociale. Les élus de la nation défendent l'intérêt général, auquel nous sommes certes nous aussi fortement attachés, tandis que nous représentons, en tant que syndicalistes, l'intérêt particulier des salariés.

La branche peut déjà renvoyer ce qu'elle veut, sans limite, aux accords d'entreprise. Dès lors qu'on respecte le principe de faveur, nous n'avons rien contre la négociation dans l'entreprise.

Quant au changement des règles de majorité dans la négociation d'entreprise, ce sera en effet plus compliqué de parvenir à un accord. Le seuil de 30 % est largement satisfaisant dès lors qu'il existe un droit d'opposition. En outre, toutes les organisations syndicales pouvant faire jouer leur droit d'opposition ne le font pas systématiquement, ce afin de laisser vivre la négociation collective.

La question de la démocratie directe a aussi été évoquée, ou plus précisément la possibilité pour les représentants du personnel de signer des accords. On peut certes discuter de la légitimité comparée des salariés syndiqués et non syndiqués. Pour autant, il s'agit là une fois de plus d'un contournement des organisations syndicales, auquel viennent s'ajouter le référendum et le mandatement. Dans les négociations consécutives à la loi Aubry, on a bien vu des salariés rejoindre des organisations syndicales à la demande de leur employeur afin de signer des accords. Nous préférerions au mandatement la possibilité, pour les organisations syndicales, de désigner un représentant au sein de l'entreprise, quand bien même aucune heure syndicale ne serait dégagée.

S'il existe des élus non syndiqués, c'est bien du fait des discriminations dont sont victimes les salariés syndiqués. Certains employeurs essayent de se séparer d'eux, alors même qu'ils favorisent la discussion au sein de l'entreprise. Ainsi, 80 % des dossiers traités aux prud'hommes concernent des entreprises sans présence syndicale. L'organisation syndicale dans l'entreprise n'est un frein ni au dialogue social ni à la compétitivité. Si un changement de culture doit avoir lieu, c'est donc bien du côté des employeurs.

Les dispositifs prévus par le projet de loi sur la médecine du travail, tel le certificat d'aptitude ou le remplacement des visites par des entretiens, visent quant à eux à pallier le manque de médecins du travail. Il faut absolument rendre plus attractive cette spécialité, qui ne doit pas rester le parent pauvre de la médecine, et faire en sorte qu'un vrai recrutement puisse avoir lieu.

Par ailleurs, les missions du CHSCT vont être complètement diluées : les questions de santé et de sécurité au travail ne seront plus traitées avec autant d'attention qu'auparavant. Certains travailleurs pauvres ne voient pourtant de médecin que dans le cadre de la médecine du travail, qu'il importe donc de préserver. Enfin, on risque de passer à côté de certaines pathologies directement liées au travail.

Quant au C3P, ce dispositif a tout de même servi à justifier la retraite à 62 ans, ce qui nous coûte cher. On voit certains freiner des quatre fers pour sa mise en place, ce qui est assez regrettable, mais il ne faut pas charger la barque : faisons avec ce qui existe déjà. Nous verrons bien au fil du temps ce qui fonctionne dans ce dispositif.

Ce qui importe à nos yeux est la possibilité de liquider ses droits lors du passage à la retraite. On sait pourquoi certains salariés à la retraite sont obligés de travailler : le montant des pensions ne cesse de baisser, ce qui oblige parfois à travailler jusqu'à 70 ans pour pouvoir vivre dignement. Nous ne supportons pas le mélange du travail et de la retraite, qui est faite pour se reposer !

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu . - Je voudrais insister sur la vitalité démontrée des négociations qui ont lieu au niveau des branches. Elles protègent l'ensemble des salariés en évitant que la concurrence entre entreprises d'un même secteur d'activité se fasse à leur détriment. La primauté donnée aux accords d'entreprise dans ce projet de loi conduira en revanche à un dumping entre entreprises et salariés d'un même secteur d'activité. Les TPE et PME non plus ne sont pas forcément favorables à ce changement dans la mesure où la branche les protège : toutes n'ont pas les moyens, par exemple, d'utiliser les heures supplémentaires autant que les grandes entreprises.

Qu'en est-il des entreprises dépourvues, de fait ou de droit, de représentants du personnel ? Dans certaines entreprises assujetties au système d'élections professionnelles, ces élections ne sont pas organisées. Je vous renvoie sur ce point au bilan dressé par le Haut Conseil du dialogue social. Si le taux de syndicalisation est faible en France, c'est bien parce que tout est fait pour éviter l'implantation des organisations syndicales dans l'entreprise. Le mandatement n'y changera rien. Voilà pourquoi il serait important de pouvoir désigner un représentant syndical dans l'entreprise.

La négociation annuelle obligatoire représente déjà souvent un problème : les entreprises ont en effet l'obligation d'ouvrir les négociations, mais pas celle de les conclure ! Là encore, les accords de branche sont supérieurs. On nous affirme que ces négociations d'entreprise créeraient de la vitalité et feraient du salarié un acteur. Dans la vraie vie, cela ne se passe pas ainsi ! On se trouve face à un employeur qui menace de licencier ou de délocaliser si on n'accepte pas une réduction des droits. Il existe un problème de loyauté de la négociation et d'accessibilité des informations pertinentes, telles que la marche générale de l'entreprise : la base de données unique prévue par la loi Rebsamen ne permet pas de négocier les conditions d'accès aux informations utiles à la négociation.

La situation est complexe : on nous affirme que les accords d'entreprise permettent un renforcement du dialogue social, mais, si tel était le cas, il y aurait déjà eu beaucoup plus d'accords conclus à ce niveau. Seules les négociations de branche créent une dynamique de négociation dans l'entreprise.

Le changement des règles de majorité représente une autre difficulté, notamment du fait de l'absence de droit d'opposition et, plus largement, de la fragilisation des syndicats.

J'en viens aux commissions paritaires permanentes prévues dans ce projet de loi. Les commissions paritaires d'interprétation existantes éprouvent des difficultés parce que l'administration du travail n'a pas assez de moyens pour désigner leurs présidents. Pourquoi serait-ce différent pour les nouvelles commissions paritaires permanentes ? Il faut prévoir les moyens adéquats pour qu'elles puissent travailler et dresser le bilan annuel des négociations de branche au regard des informations recueillies auprès des organisations syndicales et patronales. Je doute donc de l'utilité de ces commissions.

M. Franck Mikula . - Je pense que les parallèles faits entre syndicalistes et politiques ont du sens. Nous ne faisons certes pas le même métier et l'intérêt général, ou plutôt l'intérêt commun, est bien votre apanage. On entend partout dire que les syndicats ne représentent personne ou, tout au plus, 5 % des salariés. Les partis politiques sont, eux aussi, confrontés à la faiblesse du nombre de leurs adhérents. Cela ne signifie pas pour autant que vous et nous ne sommes pas légitimes ! Notre légitimité, comme la vôtre, repose sur l'élection ; or la participation aux élections professionnelles dépasse celle relevée pour la plupart des élections nationales. Notre société est fondée sur la démocratie représentative ; l'oublier nous exposerait à de graves périls. Voilà pourquoi il importe de renforcer la représentation des citoyens et des salariés. On renforcerait ainsi le dialogue social, ce qui permettrait d'aboutir à de nouveaux compromis.

Vous avez mentionné les négociations de 2001, qui prévoyaient déjà une place accrue pour les négociations d'entreprise. À l'évidence, le présent projet de loi n'a pas inventé les accords d'entreprise. On en a déjà signé 40 000 ! Ce qui est nouveau, c'est de vouloir permettre la conclusion d'accords d'entreprise dérogatoires à la norme conventionnelle. Le législateur amplifie ainsi le processus d'inversion de la hiérarchie des normes, qui ne date pas d'hier ; après la réforme de 2008, on change aujourd'hui la structure même du code du travail. Le plus choquant dans cette opération n'est pas à mon sens la nouvelle organisation en trois étages, peut-être plus lisible ; c'est plutôt le fait que l'on vide de sa substance, à plusieurs endroits du texte, l'ordre public au profit de la supplétivité. On essaye ainsi de détricoter le principe de faveur en vigueur.

Comment enrichir et mieux faire fonctionner la négociation de branche, qui n'a pas disparu ? Le rapport Combrexelle a formulé plusieurs propositions à ce sujet, notamment l'amélioration de la formation des acteurs et l'octroi de moyens financiers aux branches, celles-ci en étant aujourd'hui totalement dépourvues. Elles n'ont pas même de numéro de téléphone ! Si l'on veut leur confier des missions de service public à destination des TPE et PME, il faut, outre l'octroi de moyens financiers, que ces missions soient précisément définies et que les acteurs responsables soient clairement identifiés. Le chef d'une petite entreprise, à qui on demande d'être, entre autres choses, DRH et expert-comptable, a besoin d'une telle aide. Les branches, dans mon esprit, seraient chargées de recruter les acteurs capables de fournir cette aide.

Les accords types élaborés pour les TPE et les PME représentent un autre effort à accomplir. Le présent projet de loi en contient les prémices. Là encore, quels seront les acteurs responsables et quels moyens seront mis en oeuvre ? Nous devons nous montrer très ambitieux sur cette question.

Par ailleurs, nous ne croyons pas au mandatement dans les petites entreprises. La négociation avec les élus, surtout s'ils ne sont pas syndiqués, ne fonctionne pas dans ces conditions. Il faut trouver une autre solution, qui réside à mon avis dans l'octroi de moyens aux branches pour fournir des services aux entreprises. Celles-ci ne demandent pas tant de pouvoir déroger à la norme que de la connaître et d'avoir de la sécurité.

On discute du champ d'application du CPA dans le temps. Pour ma part, qu'il aille du berceau au cercueil, cela ne m'intéresse pas ! Ce débat permet d'éviter le vrai sujet : que met-on dedans et comment peut-on le mobiliser ? C'est la question fondamentale de la fongibilité. Du temps s'accumule sur ce compte, temps que le salarié peut utiliser pour suivre une formation professionnelle ou cesser temporairement son activité.

La sécurisation des parcours constitue un autre volet du CPA mais on ne doit pas se limiter à cet aspect : le CPA est plus ample que cela, il doit répondre aux aspirations des salariés à une plus grande autonomie dans la gestion, tout au long de la vie, de leur parcours professionnel. Les salariés veulent pouvoir choisir comment et quand ils utiliseront le temps accumulé : le CPA doit représenter pour eux la possibilité d'épargner du temps. On pourrait abonder le CPA à raison de certaines activités associatives socialement utiles, pour inciter les salariés à s'engager, par exemple, dans les pompiers volontaires de leur commune. Une fois créée cette brique fondamentale du dialogue social, ce « crédit-temps », on trouvera, entre partenaires sociaux, des moyens de construire des dispositifs à ces fins.

Je répondrai à présent à votre question concernant la médecine du travail. Nous demandons que les salariés en forfait jours soient considérés comme soumis à un suivi particulier. En effet, ils sont particulièrement exposés au burn-out, à la souffrance au travail. Ce problème est difficile à traiter de manière curative : il faut donc le prévenir par le renforcement de la médecine du travail.

Il n'est pas satisfaisant d'alléger le dispositif de la médecine du travail au prétexte qu'il y a de moins en moins de médecins du travail : que fera-t-on quand il n'y en aura plus aucun ? Plutôt que d'adapter le niveau de garantie offert aux salariés, il faut réfléchir bien plus en amont, comprendre pourquoi ces médecins sont si peu nombreux et comment faire pour en avoir plus.

Quant à l'apprentissage, il est très important pour chacun d'entre nous. Les grandes annonces se succèdent sur ce sujet ; on nous promet de manière récurrente 500 000 nouveaux apprentis. Plutôt que de fixer un tel objectif, il faudrait enfin faire en sorte que ce système fonctionne. Je ne comprends pas plus que vous, monsieur Forissier, pourquoi il est un succès dans d'autres pays et pas chez nous. Un patron étranger m'a expliqué prendre des apprentis pour les transformer en salariés ; en France, à ce qu'on me dit, c'est plutôt pour toucher des subventions !

Mme Élisabeth Doineau . - C'est de la caricature !

M. Franck Mikula . - Certes, mais il y a là un peu de vrai. Je pense tout de même que le problème de l'apprentissage ne pourra pas être résolu simplement par des annonces politiques.

M. Pierre Jardon . - Avons-nous, monsieur Lemoyne, quinze ans de retard pour ce qui est de la négociation d'entreprise ? Je vous répondrai : ne regardons pas le passé, regardons l'avenir. Nous croyons pour notre part à la subsidiarité et à la négociation au plus près des réalités du terrain.

Concernant les nouvelles règles sur la conclusion d'accords majoritaires, qui se substituent au droit d'opposition existant, nous ne sommes pas forcément opposés à une approche par paliers. En revanche, si les organisations syndicales minoritaires sont privées du droit d'opposition, elles doivent néanmoins pouvoir continuer de jouer leur rôle. Il est dès lors légitime de leur donner la possibilité de déclencher un référendum.

Mon expérience de syndicaliste issu du monde agricole et forestier me fait apprécier ce changement de dispositif : nous avions signé un accord d'entreprise prévoyant que l'employeur prenne à sa charge 90 % des coûts de la mutuelle santé -un très bel accord !-, mais une organisation syndicale majoritaire avait fait valoir son droit d'opposition, ce qui l'avait bloqué. Il faut abandonner ces façons d'agir et faire avancer le débat dans l'entreprise en levant des freins plus politiques que pragmatiques.

Nous émettons en revanche des réserves quant à la conclusion d'accords d'entreprise par des salariés élus en l'absence d'organisations syndicales. Il est, selon nous, indispensable que les participants à la négociation d'entreprise soient accompagnés et formés. Le mandatement a un sens dès lors que l'organisation mandataire accompagne les personnes qu'elle désigne. La négociation ne s'invente pas ! Rencontrant chaque jour des élus non syndiqués, nous constatons leurs carences : ils sont de bonne foi et de bonne volonté, mais sont limités par une absence de soutien juridique et d'accompagnement technique.

Je connais très bien les TPE. J'y vois tous les jours des employeurs et des salariés de bonne foi, qui savent s'entendre. Mais quand un différend quelconque survient entre eux, cela se termine aux prud'hommes, car leurs pratiques étaient complètement « en dehors des clous »... Une telle situation n'offre aucune sécurité, à l'entreprise comme au salarié.

Le mandatement peut constituer une solution à ce problème, même si les petites entreprises craignent aujourd'hui qu'un syndicat ne vienne ainsi mettre sa patte dans leurs affaires. Le présent projet de loi apporte aussi une autre réponse : l'accord type, au travers duquel se manifeste la mission de service des branches. Celles-ci ont déjà la possibilité de prévoir dans leurs différents accords des dispositions spécifiques aux TPE par le biais d'accords types que le chef d'entreprise peut reprendre à son compte.

J'en viens aux commissions paritaires permanentes. Nous appelons de nos voeux depuis bien longtemps la mise en place de ce type de structures, que nous souhaitons encore renforcer. Les lois Auroux, qui ont donné la personnalité morale aux comités d'entreprise, auraient dû aller plus loin en la conférant aux branches. Nous avons aujourd'hui l'occasion de donner une personnalité morale à ces commissions, donc une adresse et un téléphone. En effet, à l'heure actuelle, on ne sait trop comment faire quand on veut s'adresser à une branche. L'instauration de commissions paritaires permanentes dotées de la personnalité morale créerait un tel interlocuteur.

Certaines branches ne sont toujours pas dotées de commissions paritaires d'interprétation ; dans d'autres, ces commissions fonctionnent irrégulièrement. Les rendre permanentes et élargir leur champ d'action, comme le fait ce projet de loi, devrait améliorer la situation. La restructuration des branches y contribuera également. Il faudra néanmoins suivre la qualité de leur travail. Il serait possible d'aller encore plus loin, par exemple en confiant aux branches, comme mon collègue l'a suggéré, des missions de service public auprès des TPE.

Concernant le CPA, il s'agit bien à nos yeux du regroupement de trois comptes. Nous demandons justement la fongibilité entre ces comptes pour les rendre plus opérationnels et faciliter les transitions professionnelles et la mobilité. Nous nous félicitons par ailleurs de l'élargissement dans le temps du champ du CPA, de seize ans au décès. Nous préférons nous aussi parler de statut d'actif plutôt que de statut de travailleur, vocable insuffisamment large. Notre volonté est au final de faire évoluer le CPA par la négociation, dans le cadre fixé par la loi, pour répondre à vos préoccupations concernant les retraités ou l'attachement de droits à la personne plutôt qu'au contrat de travail.

Quant au compte engagement citoyen, monsieur Forissier, vous regrettez que son cadre soit insuffisamment précis ; il nous semble néanmoins que certains dispositifs sont clairement cités, même s'ils méritent peut-être d'être précisés.

Le C3P constitue un autre gros sujet. On le dit inapplicable, notamment dans les TPE. Si tel est le cas, faisons-le évoluer. La pénibilité est une question débattue depuis des décennies et à laquelle on n'a jamais su trouver de réponse. Le C3P a le mérite d'exister et de proposer une solution : ne supprimons donc pas le principe de la prévention et du traitement de la pénibilité. Les référentiels, qui peuvent être négociés au niveau de la branche, offrent tout de même un outil utile pour les TPE.

Sur l'apprentissage, je partage l'avis de mes collègues. C'est un vrai tremplin vers des emplois qualifiés et pérennes. Pour autant, il faut reconnaître qu'il existe aujourd'hui certains freins au développement de l'apprentissage, qu'il convient de considérer sans démagogie pour trouver des solutions. On impose souvent des règles trop strictes ; ainsi, il était à une époque interdit à l'apprenti de monter sur un escabeau ! Comment voulez-vous apprendre un métier s'il vous est impossible de participer pleinement aux activités de l'entreprise ? S'il faut un cadre pour garantir la santé et la sécurité des apprentis, il ne faut pas, en revanche, les empêcher d'exercer l'activité même qu'ils sont censés apprendre.

M. Alain Milon , président . - Je vais maintenant laisser la parole à nos collègues.

M. Olivier Cadic . - L'inversion de la hiérarchie des normes paraît indispensable si nous voulons adapter notre droit du travail, diminuer la taille du code et faciliter le dialogue social au niveau des entreprises. C'est la direction retenue dans le rapport Combrexelle. Dans tous les pays où la décentralisation est la plus large, le code du travail est réduit. La négociation n'en est nullement affaiblie, comme le démontrent les exemples du Danemark et de la Suède.

En France, nous sommes confrontés à un problème de représentativité des syndicats. Mme El Khomri nous a déclaré que son projet de loi tendait à renforcer les droits des syndicats. Êtes-vous d'accord avec ce postulat ? L'augmentation de 20 % des heures de délégation est-elle justifiée et suffisante ? Comment justifiez-vous la disposition permettant au comité d'entreprise de dédier une partie de son budget de fonctionnement au financement des délégués du personnel et délégués syndicaux présents dans l'entreprise ?

La France est le seul pays à prendre en compte le périmètre du groupe au niveau international pour évaluer le caractère économique des licenciements. Ne pensez-vous pas qu'en empêchant la France de s'aligner sur les autres pays de l'OCDE nous mettons en jeu la compétitivité économique de notre pays ?

M. Georges Labazée . - Je m'interroge depuis quelque temps sur la notion de branche, qui, avec les évolutions techniques, semble être devenue très complexe. Les organisations syndicales présentes portent-elles la même définition ?

M. Dominique Watrin . - Il est important de dresser un bilan des accords existants de maintien de l'emploi, relativement peu évoqués jusqu'à présent, le projet de loi tendant à pousser plus loin dans cette voie. Plusieurs textes juridiques encadrent ces accords, dont l'objectif est de limiter les suppressions d'emploi en contrepartie d'efforts consentis par les salariés. Seuls douze accords ont été signés, mais sur quelles bases juridiques précises ?

Par ailleurs, quel bilan global en tirez-vous ? Partagez-vous l'interprétation très positive qui en a été faite ? Il est question d'investissements et d'absence de licenciement, mais, dans certains groupes, comme Renault, les suppressions d'emplois ont pu être nombreuses. On constate également des augmentations de temps de travail sans rémunération équivalente, des augmentations des cadences, etc. Enfin, de nombreux salariés ont refusé les conditions nouvelles qui leur étaient imposées. Je souhaiterais vous entendre sur la question, et ce d'autant plus que Mme El Khomri affirmait hier que des accords signés en proximité de l'entreprise garantissaient nécessairement les intérêts des salariés.

M. Daniel Chasseing . - Le rôle du médecin du travail est effectivement essentiel. Pour continuer à susciter des vocations, il faut poursuivre l'effort d'allégement de la formation engagé depuis quelques années et renforcer la rémunération de ces médecins.

Par ailleurs, les normes imposées en matière d'apprentissage sont trop restrictives. L'éducation nationale et les entreprises devraient s'impliquer davantage dans ces dispositifs.

S'agissant de la réduction du temps de travail, dans les secteurs médico-social et hospitalier, l'application des 35 heures a entraîné une diminution de 10 % des personnels, compensée par l'État à hauteur de 5 %. Dans les entreprises, l'annualisation du temps de travail a parfois permis des améliorations, mais le prix de revient des produits et la compétitivité en ont été affectés. Certains d'entre vous proposent désormais un passage à 32 heures par semaine. Mais les prix de journée des centres médico-sociaux et des hôpitaux sont gelés et les petites entreprises ont également très peu de marges. Comment comptez-vous financer cette réduction de trois heures sans fragiliser ces différents acteurs ?

Mme Catherine Perret . - Je ne répondrai pas à l'ensemble des questions, certaines, de nature idéologique, n'appelant pas de réponse.

J'invite le sénateur s'interrogeant sur la réduction du temps de travail à 32 heures à lire l'excellent numéro d'Alternatives économiques de ce mois, qui plaide pour l'ouverture des débats autour des quatre jours travaillés. Nous avançons des propositions très précises pour financer ce projet qui, je le précise, est aussi défendu par un certain nombre de personnalités. La question du partage et de la réorganisation du temps de travail se pose, en lien avec celles de la sécurité sociale professionnelle et du compte personnel d'activité, dans une logique de progrès social.

La question des branches, me semble-t-il, suscite une certaine unité parmi les organisations syndicales. Il faut reprendre le travail que nous avons entamé, voilà plusieurs années, sur leur restructuration afin que toutes puissent vivre et s'adapter aux progrès techniques. Mais, selon nous, les organisations syndicales et patronales doivent avoir la maîtrise de cette évolution. Si l'on veut redynamiser les négociations de branche, il faut faire confiance à ceux qui négocient !

Mme Véronique Descacq . - Ce projet de loi tend incontestablement à renforcer les droits des organisations syndicales, au travers du mandatement ou de l'accroissement des heures de délégation. Les représentants du personnel ont vu leurs responsabilités croître, notamment dans le cadre de la loi Rebsamen ; ils ont besoin de moyens supplémentaires.

Le sénateur ayant évoqué l'utilisation des fonds du comité d'entreprise a omis de préciser que ces sommes seraient consacrées à la seule formation des représentants du personnel - chacun conviendra que cette formation des acteurs de la négociation sociale est fondamentale -, le dispositif demeurant très strictement encadré.

L'argument d'un éventuel déficit de compétitivité dû au périmètre retenu pour évaluer le caractère économique des licenciements n'est pas faux, mais l'Europe doit produire des règles permettant d'éviter le dumping social. Il faut empêcher, au moins dans les pays de la zone euro, que le périmètre retenu ne soit strictement national, ce qui conduirait les dirigeants de groupe à procéder à des arbitrages entre pays européens.

Le faible résultat obtenu en matière d'accords de maintien de l'emploi est lié à un encadrement trop strict du dispositif, lequel, en outre, ne répond pas aux besoins des entreprises et des salariés. Nombre de ces derniers ont effectivement choisi de partir, devant l'alternative qui leur était offerte : accepter les efforts consentis, le plus souvent, sur l'organisation ou le temps de travail, ou entrer dans le plan social.

Cette deuxième solution est, pour nous, un mirage. Elle apparaît favorable au salarié dans un premier temps, mais lui offre peu de visibilité pour la suite. Parmi ceux qui cèdent à l'appel de l'indemnité de départ, certains se retrouveront au bout de quelques mois dans une situation difficile au regard de l'emploi, les autres étant les salariés les plus employables.

Dans ce système, tout le monde était perdant, car l'intérêt individuel pouvait primer l'intérêt général. C'est pourquoi nous privilégions les dispositifs de maintien de l'emploi permettant, au travers de la reconversion, de conserver un maximum de salariés au sein de l'entreprise. L'outil proposé ici nous paraît assurer un équilibre satisfaisant, en offrant des garanties aux salariés sans faire courir de risques à l'entreprise.

Mme Marie-Alice Medeuf-Andrieu . - Les dispositions concernant le mandatement et le recours au référendum ne participent pas au renforcement des organisations syndicales dans l'entreprise.

La possibilité de retirer des fonds sur le budget des comités d'entreprises nous paraît constituer un frein au bon fonctionnement de ces instances.

Nous n'étions pas favorables aux heures de délégation supplémentaires, estimant nécessaire que le CHSCT puisse jouer pleinement son rôle et ne finisse pas par disparaître dans une fusion des instances représentatives du personnel. Des élus qui s'occuperaient de tout ne s'occuperaient en fait de rien !

La définition de la branche retenue est celle que nous avions donnée dans le cadre des discussions avec les organisations patronales. C'est un point positif du projet de loi.

S'agissant des accords de maintien de l'emploi, on empile effectivement des accords au prétexte de favoriser, sauvegarder ou maintenir l'emploi, sans évaluer les dispositifs. Une loi en cache une autre, et finit par la contredire. C'est un véritable problème !

La question de la médecine du travail est très importante et nous soutenons, bien évidemment, les médecins du travail.

Enfin, les 35 heures ont été détournées de leur objet premier, alors que cette mesure aurait pu permettre de partager le temps de travail et, donc, recourir à plus d'embauches.

M. Franck Mikula . - Vous dites que les syndicats ne sont pas représentatifs, faute d'adhérents. Or le législateur a décidé que ce n'était pas un critère de représentativité. Je peux vous renvoyer le compliment : notre personnel politique est le moins représentatif du monde ! Ne jetons pas l'anathème...

À quoi joue-t-on avec ce « concours de beauté » des pays européens les plus libéraux et les moins protecteurs des salariés ? À celui qui prendra le plus de parts de marché au voisin ? Drôle de conception de l'Europe ! Je pensais que l'Europe était une machine permettant de gagner des parts de marché face à la Chine et aux États-Unis. Au lieu de cela, on met en concurrence des régimes de protection sociale et on fait du dumping social ! Effectivement, l'Irlande n'a pas le même modèle social que la France... Si l'on veut jouer ce jeu, il faut continuer à supprimer le code du travail et à diminuer les garanties. Jusqu'où cela ira-t-il ? Nous avons un atout par rapport à la Chine, qui pourrait nous faire un procès en dumping social : ce sont nos salariés au forfait jours qui travaillent le plus au monde, soit 3 600 heures par an. C'est inhumain, et il faut corriger cela.

S'agissant des accords de maintien de l'emploi (AME), les partenaires sociaux, qui font souvent des bilans, se sont demandés pourquoi cela n'avait pas marché. « Les employeurs étaient obligés de licencier pour raison économique les salariés qui refusaient ces accords ! », explique le Medef. Il ajoute qu'ils auraient dû plutôt démissionner... Les employeurs ont fait le choix d'utiliser d'autres dispositifs, comme les plans de sauvegarde de l'emploi, les PSE, plus simples et plus rapides. Un problème se posait en effet avec les AME : le maintien dans l'emploi. Les employeurs veulent bien s'adapter, mais pas aller jusque-là... Ils ont aussi procédé à des plans de départs volontaires, les PDV - ou non volontaires, d'ailleurs. Voilà pourquoi les AME n'ont pas fonctionné !

Le problème revient par la fenêtre avec des accords offensifs qui, dans la première version du texte, étaient des licenciements sui generis afin de répondre à la demande du Medef.

On peut résoudre des problèmes par le dialogue social interprofessionnel, comme en janvier 2013. Les accords de développement de l'emploi, les ADE, prévus dans le projet de loi, nous en passons tous les jours : les accords d'entreprise, eux aussi, sont faits pour préserver ou développer l'emploi.

Au pire, je préfère la voie du licenciement économique, car la rupture du contrat de travail doit avoir un motif économique.

M. Pierre Jardon . - Nous ne partageons pas totalement l'idée selon laquelle l'inversion de la hiérarchie des normes était nécessaire. Nous sommes favorables à la négociation d'entreprise, dès lors qu'elle est cadrée.

Il n'y a pas dans le projet de loi de hiérarchie des normes, mais de nouvelles possibilités de négociation que la branche devra cadrer. Il nécessaire pour les entreprises de s'adapter ; dans cette perspective, les accords d'entreprise constituent une réponse.

Le projet de loi est de nature à renforcer le rôle des organisations syndicales, et je martèle qu'il faut renforcer aussi celui des branches.

La question des licenciements économiques s'intègre dans un ensemble bien plus global, celui de la distorsion de concurrence entre pays européens sur les questions sociales, environnementales, foncières, fiscales. Une question de fond se pose quant à l'harmonisation au niveau européen. Il est réducteur de considérer que le seul coût du travail nuit à la compétitivité des entreprises françaises. C'est loin d'être le seul facteur ! Nous souhaitons que ce débat ait lieu. La réduction de notre modèle social a minima pour accroître notre compétitivité n'est une réponse ni pour les salariés ni pour les entreprises. On constate en effet que ce modèle est protecteur, y compris en cas de crise économique.

J'en viens à la définition de la branche. Nous avons réussi à nous entendre, à l'occasion d'un accord signé entre employeurs et salariés, sur la question de la restructuration des branches, dont nous avons donné une première définition. Exception faite de la CGT, qui n'était pas signataire de ce courrier, nous sommes parvenus à nous mettre d'accord. Le projet de loi reprend en partie cette position.

Nous n'acceptons pas le raccourci selon lequel une convention collective égale une branche. C'est le choix fait par le Gouvernement dans le cadre du chantier de restructuration des branches, et pour la mesure d'audience par conventions collectives. La mesure de représentativité a un sens, puisqu'il s'agit de donner de la légitimité aux accords signés. Il est très réducteur, en revanche, de dire que la convention collective, c'est la même chose que la branche. Celle-ci a en effet des missions qui vont bien au-delà de la négociation collective. Ainsi, lorsqu'il y a deux champs de négociation complémentaires -des conventions territoriales mises en place par une convention collective nationale, par exemple-, la branche est, bien évidemment, de niveau national. De la même façon, pour les conventions collectives catégorielles au sein d'un même secteur professionnel, ce ne sont pas des branches différentes, mais des champs conventionnels au sein d'une même branche. Il est essentiel de s'entendre sur cette définition.

Il faut évidemment faire des bilans sur les AME. Peu d'accords ont été conclus et il faut analyser pourquoi. Mais nous sommes convaincus qu'il s'agit d'un outil essentiel pour limiter la « casse » par le dialogue et sauver les meubles, en dépit des conséquences qui ont été évoquées, comme les licenciements. À défaut d'un tel accord, ces entreprises auraient peut-être mis la clef sous la porte. Nous encourageons donc ces accords, et même les accords dits « offensifs » de développement de l'emploi. Il ne faut cependant pas mélanger AME et ADE, même s'il s'agit dans les deux cas d'outils de survie et de développement.

Enfin, les 32 heures ne constituent pas une demande de la CFTC.

M. Alain Milon , président . - Nous vous remercions, mesdames, messieurs, pour vos réponses. Elles figureront dans le rapport dans la commission.

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