III. AUDITION DE REPRÉSENTANTS
DES ORGANISATIONS REPRÉSENTATIVES DES EMPLOYEURS

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M. Alain Milon, président . - Dans le cadre de nos travaux sur le projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs, nous recevons les représentants des organisations professionnelles d'employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel. Je remercie de leur présence, pour le Medef, M. Alexandre Saubot, vice-président en charge du pôle social et Mme Viviane Chaine-Ribeiro, membre du conseil exécutif et présidente du groupe de travail sur la restructuration des branches ; pour la CG-PME, M. Jean-Michel Pottier, vice-président en charge des affaires sociales et de la formation et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales ; pour l'Union professionnelle artisanale, M. Pierre Burban, secrétaire général.

Quelles sont les positions de votre organisation sur ce projet de loi, compte tenu des modifications et des ajouts qui sont intervenus à l'Assemblée nationale ?

M. Alexandre Saubot, vice-président en charge du pôle social du Medef . - Merci de nous recevoir sur ce texte qui aurait pu être un texte important. Notre pays souffre d'un chômage de masse dont le droit du travail n'est certes pas la seule cause - je pense à la surrèglementation ou à la fiscalité trop élevée, par exemple. Mais sa rigidité est vécue comme un frein à prendre des risques par la plupart de nos adhérents. Que cela nous plaise ou non, notre monde s'est ouvert, l'économie est mondialisée, plus volatile. Nous avions espéré, à la lecture du premier projet, qu'il apporterait des réponses significatives - sans pour autant épuiser le sujet - ce qui nous aurait permis de regarder différemment une situation caractérisée par un chômage de masse doublé d'un marché du travail dual. Souvenons-nous que 80 % du stock des contrats de travail sont des CDI mais que 80 % des embauches se font en CDD ou en contrats d'intérim.

Las. À partir de mi-février, de reculs en compromis et de compromis en petits arrangements, le texte a perdu toute ambition, à tel point qu'aujourd'hui, nous n'en attendons plus rien.

Mme Viviane Chaine-Ribeiro membre du conseil exécutif et présidente du groupe de travail restructuration des branches au Medef . - Le 49-3 nous présente une loi gribouille difficilement acceptable. C'est une occasion ratée, nous le savons tous. A l'origine, ce texte aurait pu redynamiser le marché du travail, pas seulement en facilitant les licenciements, mais surtout en sécurisant l'embauche.

Ce texte devait faire de l'entreprise le lieu principal du dialogue social, redonner confiance en supprimant la double peur - celle d'être systématiquement condamnés pour les employeurs et celle de voir le terrain bloqué par l'inadéquation entre l'offre et la demande du côté des salariés ; il devait enfin simplifier le code du travail, en particulier pour les PME, qui sont - tous les rapports le confirment - les principales sources d'emploi dans notre pays.

Il échoue sur ces trois dimensions. C'est regrettable, au regard de l'urgence sociale dans laquelle nous nous trouvons.

Ce texte cherche à faire de l'entreprise le lieu principal du dialogue social mais sans donner à cette idée une réalité concrète, hors du temps de travail et sans changer la philosophie du code du travail. Le texte refuse le parti de l'intelligence collective sur des sujets aussi importants que la rémunération ou l'organisation du travail. Il reste dans une démarche d'échec en préférant les petits arrangements au dialogue direct. Il favorise les organisations syndicales alors que seulement 8,7 % des salariés du privé sont syndiqués et que les organisations syndicales sont absentes de 95 % des PME et TPE. On ne doit pas pour autant refuser de négocier avec elles, là où elles sont présentes ; mais les imposer dans toute négociation est un déni de démocratie. L'amendement qui impose des instances représentatives du personnel dans les réseaux de franchisés est une absurdité qui peut tuer un modèle économique vertueux qui compte 350 000 employés. Imposer le mandatement syndical pour discuter va contre l'objectif de ce texte. Cette modalité ne représente qu'1 % des accords négociés dans les TPE. Pourquoi refuser le dialogue direct ? Comment comprendre les petits cadeaux que sont les 20 % d'heures de délégation supplémentaires et la possibilité de mettre en ligne les tracts syndicaux sur l'Intranet de l'entreprise ?

Pour redonner confiance aux employeurs, des mesures très simples ont été finalement supprimées du texte, comme le plafonnement des indemnités aux prudhommes -en particulier pour les TPE et les PME- ou pas même envisagés, comme le relèvement ou la simplification des seuils existants. La sécurisation des conditions du licenciement pour motif économique allait dans le bon sens mais la différenciation, selon les tailles d'entreprises, recrée un effet de seuil et ne passera peut-être pas le Conseil constitutionnel.

Le Gouvernement tarde à corriger des monstres de complexités, tels que le compte pénibilité, inapplicable en l'état. Le texte recrée de nouvelles sources de contentieux, comme le référé en matière de congés pour rupture d'égalité entre la vie personnelle et la vie professionnelle.

Pour redonner confiance aux salariés, le compte personnel d'activité (CPA) devait être introduit de manière maîtrisée pour sécuriser les parcours professionnels. Ce concept a été distordu en y associant sans étude ni concertation une notion peu claire, le compte d'engagement citoyen, dont on se demande toujours à quoi il servira.

Le Gouvernement et les organisations syndicales n'ont pas joué le jeu en ignorant les avancées importantes concédées lors de la négociation : le compte personnel de formation, les complémentaires santé, les droits rechargeables en matière d'assurance chômage.

Ce texte devait simplifier - qui ne le souhaiterait pas ? Sur l'apprentissage, que veut-on faire, en autorisant l'expérimentation des fonds directement reversés aux régions ? Une telle nationalisation par la voie des régions est-elle le meilleur moyen de relancer cette voie d'excellence ? Suivons plutôt le modèle de la Suisse ou de l'Allemagne, où les entreprises peuvent financer des CFA. Présidente de la fédération Syntech, je peux vous dire que nous y sommes prêts.

En matière de médecine du travail, à quoi sert la présidence alternée des services de santé au travail, sinon à faire un petit cadeau aux organisations syndicales pour les aider à exister ? Croit-on vraiment que créer une obligation de négocier rendra opérant le droit à la déconnexion ? Imposer une charte obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés n'entre pas dans une démarche de simplification.

Obliger les TPE et PME à reclasser les salariés en cas d'inaptitude, est-ce leur simplifier la vie ? Y a-t-il urgence à ouvrir le compte personnel de formation aux professions libérales et aux artistes auteurs ? Comment expliquer le non-respect de la note paritaire signée par sept organisations trios patronales et quatre syndicales sur la restructuration des branches ?

Notons tout de même quelques timides avancées : élargissement - malheureusement à titre expérimental du contrat de professionnalisation pour les demandeurs d'emploi non qualifiés ; article sur la représentativité des organisations patronales retranscrivant fidèlement l'accord entre nos trois organisations ; possibilité de négocier des accords offensifs, même si le dispositif prévu pour les salariés refusant l'accord risque de bloquer le système en pratique.

C'est néanmoins la frustration et la colère qui dominent face à une loi qui aurait pu redonner confiance aux salariés et aux employeurs. Les blocages, les violences, l'attitude irresponsable de certains syndicats montre que la confiance n'existe pas du côté des salariés. Côté employeurs, il y a eu trop de reculs. Pour l'ensemble du patronat, ce texte ne fait qu'apporter des entraves supplémentaires. C'est un immense gâchis. J'espère que vous pourrez nous aider en l'amendant.

M. Jean-Michel Pottier, vice-président en charge des affaires sociales et de la formation à la CG-PME . - Ce texte est une réforme à l'envers. Nous l'avions qualifiée comme telle depuis le début, et cela se confirme.

Le premier avant-projet nous avait donné un petit espoir d'une prise en compte pour la première fois de la réalité des TPE PME. Cela aurait pu être mobilisateur pour ces entreprises dont on attend qu'elles contribuent à la résorption du chômage.

Ainsi de la possibilité pour le chef d'entreprise de discuter dans un dialogue social direct, par exemple sur la mise en place d'un forfait jour - dans le cadre prévu par la loi, ou sur une modulation du temps de travail sur 16 semaines. Avec une ratification finale individuelle par les salariés, on ne forçait la main à personne, mais cela permettait d'organiser le temps de travail dans l'entreprise. Qui mieux que les salariés et le chef d'entreprise peut-il être capable de régler les problèmes directs de celle-ci ? Il fallait donc les laisser discuter directement. Mais cela a été retiré rapidement.

Autre point intéressant retiré, le plafonnement des dommages et intérêts pour les licenciements sans cause réelle et sérieuse - distincts bien entendu de l'indemnité de licenciement - qui permettait à l'entreprise de prévoir les effets éventuels d'une rupture qui se passe mal pour qu'elle ne mette pas en danger son avenir.

Seul élément ayant perduré, la sécurisation des motifs de licenciement économique. Mais nous restons échaudés par la censure par le Conseil constitutionnel à l'occasion de la loi Macron : la déclinaison en fonction de la taille des entreprises pourra-t-elle perdurer ?

Subordonner les accords d'entreprise à la présence de délégués syndicaux ou de syndicalistes mandatés nécessite beaucoup d'énergie du chef d'entreprise : il faut organiser les rencontres entre le personnel et des organisations syndicales, motiver un salarié pour qu'il accepte de porter la casquette syndicale. C'est hors de portée des moyens humains et juridiques d'une petite entreprise.

Quant à la possibilité de négocier des accords types de branche au bénéfice des TPE-PME, la majorité requise, montée à 50 %, rend les choses plus compliquées. Ces accords seront négociés entre les grandes entreprises et les délégués syndicaux et seront assez loin des réalités des TPE-PME.

C'est une réforme à l'envers qui corsète l'emploi. Elle envoie des messages opposés à ses objectifs affichés. Alors que le Gouvernement veut financer la formation de 500 000 demandeurs d'emplois on verra dans quelles conditions pourquoi ajouter de nouvelles charges financières et administratives aux entreprises ?

A la faveur du 49-3, ont surgi des sources de contentieux sur les congés pour événements familiaux ; des complications, comme la présidence alternée des services de santé au travail, sujet engageant la responsabilité de l'employeur ou un compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) inapplicable. Mon entreprise qui compte 17 salariés est soumise au risque chimique, même si depuis plus de vingt ans, nous sommes passés à l'impression sur textile en base aqueuse : il reste des agents chimiques dans des quantités très faibles. Pour prouver l'absence de risque chimique, il faut faire faire une étude qui est hors de portée des compétences techniques de mon entreprise avec des analyses de l'air et de l'eau, et donc faire appel à un cabinet de conseil et cela coûte 10 000 euros dans une autre branche, cela ne coûterait que 3 000 euros.

L'apprentissage a été malmené depuis trois ans. Dernière couche, la nationalisation - ou plutôt la régionalisation - du financement de l'apprentissage le déconnectera encore un peu plus de l'entreprise. On pourra le passer par pertes et profits alors qu'il était censé être prioritaire...

Nous souhaitons reprendre les choses dans le bon sens, et notamment que l'on reconnaisse la légitimité d'un dialogue direct dans les TPE PME qui ne passe pas obligatoirement par les syndicats. Pourquoi ne pas rendre possible pour l'organisation du travail ce qui l'est pour l'intéressement et la participation ? Nous étions prêts même à une confirmation par référendum à la majorité qualifiée des deux tiers nous n'avons pas peur car nous vivons les mêmes réalités : les conditions de travail des salariés, ce sont les mêmes que celles du chef de TPE ! Les accords pourraient être ensuite soumis au contrôle de légalité des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte). Cela faciliterait grandement la création d'emplois dans notre pays.

M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale (UPA) . - La méthode utilisée est l'exemple même de ce qu'il ne faut pas faire. Toute l'expérience dans ce domaine ne sert à rien car il semble que personne ne se souvienne de rien... L'article L. 1 du code du travail a été introduit par une loi qui porte le nom du président du Sénat - on s'est assis dessus. Cela explique pourquoi nous en sommes là. Je pense à tous les salariés et aux petites entreprises ayant aujourd'hui des difficultés à trouver du carburant et donc à se déplacer. Ça va mieux, nous dit-on ? Pas pour les entreprises représentées par l'UPA, qui ne voient pas la reprise annoncée. Si en plus, le Gouvernement rajoute des grains de sables, l'emploi en subira les conséquences.

Nous sommes loin de la sagesse de l'article L. 1 du code du travail. On ne réformera pas la France sans dégager des consensus ; même si cela nécessite beaucoup de travail, c'est possible.

Ce texte est une grande déception : tout le monde s'accordait à dire que le code du travail s'était sédimenté après des années d'ajouts ce pays sait ajouter, mais pas supprimer à tel point que, sur certains sujets, plusieurs dispositions s'appliquent. Ce gouvernement, comme les précédents, en a bien fait le constat ; il y a eu le rapport Combrexelle, le rapport Badinter. Il y a eu beaucoup de travail et un vieux débat bien français sur la place de la loi, de la branche et de l'entreprise qui a accouché d'une souris. Mais l'UPA est hostile à l'inversion de la hiérarchie des normes.

Le code du travail est trop complexe, c'est une évidence. Les artisans et des commerçants le vivent au quotidien. Nous étions pour recentrer ce code sur l'ordre public social. Vous avez des choses plus importantes à discuter que le temps d'habillage et de déshabillage. Un problème comme celui-ci, qui ne se pose que pour certains secteurs, devrait être traité par les branches. Contrairement au Medef, nous ne considérons pas que tout doive être soumis aux accords d'entreprise. Il faut conserver une cohérence dans la hiérarchie des normes : la branche décline les règles en fonction de l'activité, définissant un ordre public conventionnel disposant de ce sur quoi on déroge ou pas pour un temps de respiration dans l'entreprise.

Un accord de branche ne verrouillera pas tout : il procédera de la négociation par des organisations d'employeurs qui représentent des adhérents. Nous ne cédons pas à cette illusion partagée par bien des courants que tout puisse être renvoyé à un accord d'entreprise. Je suis un particulier comme vous, et je fais appel à un artisan pour construire ma maison ; imaginons qu'elle soit bourrée de malfaçons : que penserais-je s'il me dit de me débrouiller ? De la même manière, comment penser qu'une entreprise pourra régler tout ce qui ne l'a pas été au niveau de la branche ou de la loi ?

Hors secteur agricole, 1 750 000 entreprises ont des salariés. Chaque année, il y a 40 000 accords d'entreprises certaines en signent plusieurs. Il en reste donc au moins 1 120 000 qui n'en signent pas. Il serait illusoire de penser qu'on peut les généraliser : 98 % des entreprises ont moins de 50 salariés ; et vous demandez à ces hommes orchestres que sont les chefs de petites entreprises, qui doivent déjà fabriquer, veiller à la qualité, discuter avec les banques, l'Urssaf et le fisc, de devenir experts en droit du travail ! Cela fait des années que je travaille dessus - je n'en connais pas pour autant tous les détails. Bien des chefs d'entreprises - y compris d'entreprises de 30 à 40 salariés - disent volontiers aux fédérations de branches : c'est à vous de négocier ; on vous paie pour cela ! Même les très grands groupes ont besoin d'experts externes pour négocier et font appel à leur organisation professionnelle.

L'article 19 sur la représentativité patronale est la preuve que, quand on met en responsabilité les acteurs concernés, ils sont capables de trouver un accord. Sur le CPA et le C3P, je confirme les propos de M. Pottier.

Conséquence du 49-3, nous découvrons de nouvelles dispositions, comme cet article 21 bis B nouveau, ubuesque, qui, tel qu'il est écrit, remet en cause le financement de la formation des chefs d'entreprises dans l'artisanat. Il fait en effet référence à un vieil article du code de la sécurité sociale comprenant une définition très spécifique des professions artisanales. Il faut savoir en effet que l'artisanat est défini différemment par le code de commerce, le code des impôts, le code de la sécurité sociale. Plus personne n'y comprend rien, pas même les administrations qui sont chargées de l'appliquer. Le ministère du travail nous a indiqué que cet effet n'était pas volontaire.

Autre effet collatéral du 49-3, ce que le texte prévoit pour les franchisés à l'article 29 bis A. Je connais bien ce système, je le vis au quotidien. Il y a beaucoup de franchisés parmi nos membres ; ce n'est pas parce qu'un coiffeur externalise sa communication et l'apparence de son salon qu'il cesse d'être un artisan. Le franchiseur ne fait pas la loi chez lui ! On nous invente des instances de dialogue du réseau... L'UPA n'est pas contre le dialogue social ; elle a même été soupçonnée par ses organisations soeurs de vouloir trop en faire ! Mais au secours ! Les franchisés vont devoir appliquer cette disposition, mais aussi les commissions paritaires de la loi Rebsamen et, cerise sur le gâteau, les délégués de sites.

Il n'y a plus de médecins du travail. Les étudiants qui veulent faire médecine aujourd'hui se heurtent à un malthusianisme très fort : les cohortes en première année se réduisent à peau de chagrin dès l'année suivante. Et on se plaint qu'il n'y ait plus de médecins !

Les employeurs ne pourront plus recourir à une visite d'aptitude mais resteront soumis à une obligation de résultat et non de moyens. La poussière de farine peut susciter de l'asthme, par exemple ; comment un boulanger saura si un futur employé a une prédisposition s'il n'y a plus de visite d'aptitude ? Quand on fait cotiser les entreprises et les citoyens, il faut que cela serve à quelque chose pour être accepté.

Le texte veut lutter contre le détachement illégal, c'est bien. Mais ne nous faisons pas d'illusions : bientôt, dans certains secteurs, il n'y aura plus que des travailleurs détachés. Tant que la directive ne sera pas modifiée afin que le droit de la protection sociale applicable soit celui du pays d'activité, nous ne nous en sortirons pas.

Deux points me semblent toutefois positifs : l'article 30 sur le motif économique du licenciement, avec le bémol mentionné par d'autres orateurs. Il nous semble réaliste de prendre en compte la taille de l'entreprise ; les petites entreprises françaises manquent souvent de trésorerie, ce qui les rend plus sensibles au risque jurisprudentiel. Mais chat échaudé craint l'eau froide : ayant vu ce que le Conseil constitutionnel avait jugé sur un dispositif comparable, nous craignons qu'il ne censure cette différenciation.

Deuxième ajout positif : l'article 29 bis ajouté par l'Assemblée nationale créant une provision face au risque de procédure prudhommale. Une procédure pour licenciement peut en effet mettre en danger la vie même d'une petite entreprise et l'avenir professionnel des quelques salariés qui y travaillent.

M. Alain Milon, président . - La commission a entendu les organisations syndicales des salariés la semaine dernière et vous cette semaine : nous n'avons entendu que des réquisitoires.

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur . - Pour avoir accès à la réforme, il faudra avoir conclu un accord d'entreprise. Vous avez dessiné les pistes qui permettraient d'avoir de nouvelles voies de dialogue au sein des TPE - PME. S'agissant des entreprises qui peuvent négocier avec les organisations syndicales représentatives, le passage à 50 % ne risque-t-il pas de réduire le nombre d'accords ? Faudrait-il en rester aux règles actuelles ? Faut-il garder l'objectif de 50 %, mais avec une phase intermédiaire à 40 % ?

Parmi les freins à l'embauche, la dimension psychologique est importante. Pour lever les freins à l'embauche, suffirait-il de sécuriser les procédures juridiques aux prud'hommes en termes de délais et de transactions, ou bien faudrait-il de nouveaux contrats ? Nos voisins étrangers, comme l'Italie, ont mis en place de nouveaux contrats avec des droits progressifs qui s'appliquent non pas aux stocks mais aux flux entrants. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur . - Malgré ses imperfections, nous ne sommes pas là pour faire une instruction à charge du texte. Nous voulons plus de simplicité, d'efficacité et d'équité.

La sécurisation du motif de licenciement économique, partant d'une bonne intention et voulant expliciter la jurisprudence de la Cour de cassation, s'est mise à décliner des formules complexes qui ne reflètent pas nécessairement l'ampleur réelle des difficultés rencontrées par les entreprises. Nous essayons d'objectiver ces difficultés et de simplifier le texte en supprimant les critères qui nous apparaissent dangereux, quitte à ce qu'en cas de conflit, une expertise indépendante soit saisie à l'initiative des juges ou d'une des parties. Cette simplification vous agrée-t-elle ?

Ne vous faites pas de souci sur la gouvernance de la médecine du travail : il y a eu sans doute une erreur de casting. Selon vous, quel rôle doit avoir la médecine du travail en termes d'aptitude mais aussi de prévention, de conseil et de contrôle ? Quel serait le périmètre des salariés qui, devant bénéficier d'un suivi renforcé, conserveraient le régime actuel avec un certificat d'aptitude ?

Quel équilibre entre les négociations d'entreprise et les négociations de branche ? Les accords de branche sont quasiment obligatoires, même si certaines d'entre elles ne sont pas très opérationnelles. La branche sera le niveau supplétif si l'on veut des accords d'entreprise. En fonction des domaines, la décentralisation des négociations en fonction des secteurs d'activité et des branches vous agréerait-elle ?

M. Michel Forissier, rapporteur . - Nous nous sommes déjà rencontrés pour traiter de l'apprentissage et de la formation professionnelle. D'après nos premières analyses, il nous faut redéfinir et simplifier le compte d'engagement citoyen et le compte pénibilité, surtout pour les petites entreprises. Je souhaite favoriser l'apprentissage mais les positions des organisations patronales doivent se rapprocher : certains souhaitent que les entreprises prennent complètement en charge l'apprentissage, comme cela se fait en Allemagne. D'autres veulent que l'État finance l'apprentissage et d'autre encore réclament des primes.

Le code du travail devrait également prendre en compte l'évolution des entreprises, pour éviter de freiner leur développement.

Pour favoriser l'apprentissage, les branches pourraient définir les diplômes et faire évoluer les référentiels. Aujourd'hui, l'évolution des métiers est telle que l'on ne peut se contenter de réformer les diplômes tous les dix ans.

M. Alexandre Saubot . - Les souplesses offertes par la loi ne seront accessibles qu'en recourant à la présence de délégués syndicaux - quand ils sont là - ou en faisant appel au mandatement d'un salarié par un syndicat. Or, seules 4 % des entreprises disposent de délégués syndicaux et le mandatement est très peu utilisé en raison de sa complexité.

Dès lors, comment bénéficier des souplesses offertes par la loi ? Il est bien sûr normal de discuter avec les représentants syndicaux lorsqu'ils existent. Quand il n'y en a pas, est-il possible de discuter avec les élus, dans les mêmes conditions ? Enfin, les deux-tiers des entreprises étant dépourvues d'élus, il serait indispensable que les salariés puissent choisir en leur sein un représentant pour mener la négociation et l'éventuel accord serait ensuite ratifié par un référendum. Nous sommes prêts à débattre du niveau d'approbation.

J'en viens à la règle des 50 % : actuellement, l'abstention n'est pas prise en compte lorsqu'il s'agit de valider des accords d'entreprise, puisque l'on prend la représentativité des organisations syndicales telle qu'elle est mesurée au premier tour des élections professionnelles. Ensuite, l'abstention est comptée comme une opposition, puisque seuls sont décomptées les voix favorables. La règle actuelle « 30 sauf si 50 » permet de mesurer cette abstention qui fait que si 50 % des salariés ne se sont pas opposés, l'accord entre en vigueur. Connaissez-vous beaucoup de systèmes où le principe de majorité prend en compte 50 % des inscrits ? C'est le cas aujourd'hui des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) ou des accords emplois, mais en ce qui concerne les accords qui nous occupent, cette règle va empêcher la plupart des entreprises d'en signer.

La réforme adoptée en Italie a montré une certaine efficacité d'autant qu'elle prévoyait un meilleur accompagnement des demandeurs d'emplois et une incitation pour les cotisations. Mais cette réforme n'est pas transposable en France car elle n'est pas compatible avec la ratification de la convention 158 de l'OIT. En outre, le niveau d'indemnisation chômage en Italie est sensiblement inférieur (12 mois, pouvant passer à 18 mois) à ce qu'il est dans notre pays : on ne pourrait prévoir une indemnisation renforcée puisque nous en sommes déjà à une indemnisation sur 24 mois, soit le système le plus généreux d'Europe. Quant à la partie cotisations, une hausse est inenvisageable. Pourquoi ne pas réduire les cotisations sur les CDI pour les rendre plus incitatifs ? Dans de nombreux secteurs, le recours à des contrats de courte durée est une nécessité incontournable pour les entreprises.

De nouvelles formes de contrats ? L'essentiel du problème étant lié au droit et à la jurisprudence, comment traiter le stock ? Si seuls les nouveaux contrats étaient visés, cette réforme n'aurait pas grand impact. Nous souhaitons une réforme de l'existant.

Nous ne sommes pas persuadés que l'article 30 réponde à la problématique juridique des licenciements économiques, mais si on laisse aux juges l'intégralité de leurs capacités d'appréciation, l'outil ne sera pas utilisé sauf dans quelques grandes entreprises dans le cadre de plans sociaux avec tous les risques afférents. Dans les PME, les licenciements économiques ne sont quasiment jamais utilisés car ils sont coûteux, complexes et très risqués juridiquement. L'outil proposé par ce projet de loi va dans la bonne direction car l'objectivation de certains critères donne un cadre plus clair à une entreprise en difficulté économique. N'imaginez pas qu'un chef d'entreprise qui voit son chiffre d'affaires diminuer sur un trimestre va se précipiter pour licencier. Le risque d'une censure par le Conseil constitutionnel, par analogie avec ce qui s'est passé pour le barème, a été évoqué, mais nous n'aurons de réponse qu'une fois le texte adopté et le Conseil constitutionnel saisi. Sans être parfait, cet article va dans la bonne direction.

Pour ce qui est de la médecine du travail, nous voulons un outil qui permette d'assumer notre responsabilité. Tous les postes ne nécessitent pas une visite d'aptitude, mais certains secteurs en ont besoin. Une attestation objective de la santé du salarié lors de son embauche est indispensable. Le rôle des branches est fondamental : qui est mieux placé pour définir les types de postes et de profils qui doivent être concernés que les branches qui connaissent parfaitement leurs entreprises ?

Enfin, nous ne voulons pas réduire le rôle de la branche. Suivant les secteurs, les entreprises sont dans des situations bien différentes et la branche n'est pas capable d'appréhender l'ensemble de ces problématiques. Même si elle fixe des règles et des principes, l'entreprise doit disposer de règles spécifiques. Il ne s'agit pas de réduire les droits, mais de répondre à ses besoins, en accord avec les salariés. Ainsi, dans les chantiers navals, lorsqu'un bateau doit être réparé, il faut travailler 24 heures sur 24 car le temps d'immobilisation coûte extrêmement cher. Tel n'est pas le cas pour la réparation automobile alors que ces deux secteurs relèvent de la convention collective de la métallurgie.

Il ne faut pas que les syndicats puissent bloquer les accords de branche lorsque quelques entreprises ont besoin de souplesse pour s'adapter à leur marché spécifique.

Nous ne savons pas ce que sera le compte engagement citoyen : en tant que président de l'UIMM, il semble que j'y aie droit pour aller me former.

Le dispositif pénibilité est inapplicable : il faut donc le réformer. Les organisations patronales sont conscientes qu'avec l'allongement de la durée de vie au travail, le travail pénible doit être identifié mais l'outil choisi en 2014 dans la loi Touraine est le plus mauvais qu'on puisse imaginer. Il faut donc identifier a posteriori les personnes en difficulté mais ne pas imposer à nos entreprises cette usine à gaz de dix critères dont la moitié est inapplicable. Une telle réforme sera très coûteuse pour les finances publiques, dommageable pour l'attractivité et la compétitivité de notre pays et elle ne ciblera même pas les bonnes personnes.

Les entreprises et les branches ont un rôle fondamental à jouer en faveur de l'apprentissage : il faut identifier les besoins des entreprises et la branche permet de faire le point. Quand l'argent, les responsabilités et l'identification des besoins relève d'un périmètre purement professionnel, rien ne sert de prévoir que la région, le rectorat et l'éducation nationale le fassent. Ainsi, des rectorats refusent la création de places dans des CFA qui n'arrivent pas à répondre aux demandes d'inscription.

Les partenaires sociaux et les organisations professionnelles sont capables de trouver des solutions : passons d'une logique de défiance, de règlementation et de contrôle à une logique de confiance et d'évaluation.

Mme Viviane Chaine-Ribeiro . - S'agissant de la restructuration des branches, nous demandons dans notre accord paritaire que la branche soit définie comme un champ économique cohérent car nous allons devoir faire face à des transformations de compétences. Nous allons devoir faciliter les parcours des salariés au sein d'un champ économique. Il faut que les branches accompagnent les salariés. Pour l'apprentissage, nous sommes en déficit chaque année et nous proposons de financer des CFA à 100 %. L'apprentissage sera d'autant plus crucial pour les populations peu ou pas formées car elles vont être heurtées par les futures transformations des métiers. Il va falloir réagir bassin d'emploi par bassin d'emploi.

M. Jean-Michel Pottier . - J'en reviens à la question des accords majoritaires signés par les organisations représentant plus de 50 % des salariés. Nous avons comptabilisé 30 965 accords en 2014 sur 1,6 million d'entreprises. S'il n'est pas possible de prendre en compte le dialogue social direct sur des sujets bien définis, les petites entreprises n'auront pas les moyens de s'adapter aux réalités de leur quotidien. Avec ces majorités renforcées, nous craignons que les accords type de branches dont l'objectif était de s'adapter à toutes les PME, ne soient jamais signés. Dans les conditions actuelles, cette réforme est mort-née.

J'en viens à la sécurisation juridique des licenciements économiques : dans une TPE ou dans une PME, quand la situation ne va pas bien, la première décision du chef d'entreprise n'est pas de licencier mais de ne pas se verser de salaire. Lors de la crise économique de 2008, il n'y a d'ailleurs pas eu de licenciements massifs dans les PME. Elles n'embauchent pas pour le plaisir de licencier ensuite. L'idée de corréler les licenciements économiques au chiffre d'affaires a du sens. Une PME qui licencie après quatre trimestres consécutifs de baisse du chiffre d'affaires le fait à la barre du tribunal de commerce. N'oubliez pas que c'est un drame pour un chef d'entreprise de devoir licencier.

La médecine du travail ne remplit pas ses obligations : ainsi, la fiche d'entreprise pour les entreprises de plus de 10 salariés est une obligation légale mais les médecins du travail n'ont pas le temps de le faire ce qui n'empêche pas l'inspection du travail de mettre un avertissement à l'entreprise qui ne peut présenter de fiche. La médecine du travail ne doit pas être rationnée : il n'est pas question de réduire les cotisations des entreprises pour ce qui concerne la médecine du travail. Plutôt que de faire de la prévention autrement, commençons par appliquer les lois actuelles.

Les entreprises doivent avoir un salarié référent en matière de prévention des risques du travail et les petites entreprises peuvent confier cette mission à la médecine du travail, qui n'a pas les moyens de le faire. Qui va prendre la responsabilité de définir les surveillances renforcées ? La médecine du travail va envoyer un questionnaire que devra remplir le chef d'entreprise : nouvelle responsabilité qui va lui incomber.

Pour l'apprentissage, nous avions un système très administré. Depuis trois ans, il est devenu suradministré. Demain, ce sera encore pire. Or, à chaque fois, le chef d'entreprise s'éloigne du dispositif, ce qui empêche des jeunes de bénéficier de cette possibilité d'insertion. Les chefs d'entreprise que je côtoie ne veulent plus entendre parler de l'apprentissage, jugé trop compliqué, trop coûteux et trop chronophage. Ne croyez pas que la suradministration permettra de développer l'apprentissage.

M. Pierre Burban . - Dans le projet de loi initial, il était question de mettre en adéquation le temps de travail de l'apprenti avec celui du maître d'apprentissage. Cette disposition a disparu, ce qui est inconcevable pour un certain nombre de professions.

Il n'est pas pensable que des accords soient signés dans toutes les entreprises. Or, pour avoir accès à la réforme, il faudra des accords d'entreprise. A contrario, certaines dispositions ne seront pas accessibles à un grand nombre d'entreprise : c'est problématique.

La question du champ économique cohérent des branches professionnelles est majeure. Certes, toutes les branches ne négocient pas de la même façon, mais les 689 branches ne peuvent être toutes considérées à l'identique. Ne confondons pas branche et identifiants des conventions collectives (IDCC). Dans la métallurgie, il y a au moins une centaine d'IDCC et 60 à 70 dans le bâtiment. La réalité est donc toute autre, mais nous ne disposons pas de définition de la branche. La France est le pays qui, au monde, à la meilleure couverture conventionnelle. Notre politique conventionnelle au niveau des branches est très dynamique, y compris dans des branches à faibles effectifs. De la cadre de la restructuration, il faudra prendre en compte les réalités économiques.

M. Dominique Watrin . - Je ne peux que réagir au discours radical du Medef qui demande toujours plus. Vous voulez licencier sans limite et obtenir la sécurisation des licenciements abusifs. Vous remettez également en cause les seuils alors que ce texte avait pour objectif d'améliorer le dialogue social.

Ces orientations libérales ont produit les résultats inverses à ceux annoncés : M. Gattaz avait promis un million d'emplois et nous nous retrouvons avec un million de chômeurs en plus.

Le représentant de la CGPME s'est écrié devant le coût de 10 000 euros : pour moi, c'est un montant acceptable s'il s'agit de garantir la santé de 17 salariés. Nous sommes dans une logique de prévention. Les PME rencontrent des problèmes mais les causes sont toutes autres, notamment leurs liens de subordination très forts avec les grands groupes.

Nous avons auditionné hier le professeur Lyon-Caen qui partage l'orientation générale de ce projet de loi mais qui critique la primauté des accords d'entreprise sur les accords de branches, comme le prévoit l'article 2. Pensez-vous qu'il y a un risque de moins disant social dès lors que l'entreprise va pouvoir baisser ses prix en réduisant les droits sociaux ? Aux États-Unis, les supermarchés Walmart ont obligé leurs concurrents à s'aligner ou à fermer. Le risque de dumping social est réel.

L'article 28 prévoit l'accès au droit des petites entreprises : le seuil de 300 salariés n'est-il pas trop élevé ? En outre, les salariés qui s'adressent à l'inspection du travail risquent de rencontrer des difficultés.

L'apprentissage doit effectivement être amélioré mais évitons la caricature : l'apprentissage est une formation initiale qui doit relever de l'éducation nationale. Plutôt que d'augmenter le nombre d'apprentis, préoccupons-nous de réduire le taux des décrocheurs : 30 à 40 % dans certaines branches !

Mme Nicole Bricq . - Il n'est pas très facile de vous interroger lorsqu'on est socialiste.

Vous n'êtes pas toujours d'accord entre vous : le cas de la représentativité patronale en témoigne mais je crois que vous êtes parvenus enfin à vous entendre.

Vous préférez le confort du passé au pari du présent et aux défis de l'économie mondialisée. Or, il en va de l'intérêt des chefs d'entreprise comme des salariés. Ce projet de loi cherche à bâtir un chemin de responsabilité pour tous les acteurs : la légitimité des organisations représentatives est donc renforcée, mais vous avez du mal à l'accepter. Certains d'entre vous refusent le mandatement, d'autres refusent l'accord majoritaire à 50 %, ce qui est étonnant, car tous les représentants de salariés s'accordent sur ce point depuis 2008. Vous oubliez de dire qu'à partir de 30 %, un syndicat signataire peut appeler à un référendum des salariés.

Mme Chaine-Ribeiro refuse l'augmentation de 20 % des heures dédiées aux délégations syndicales : mais lorsqu'on a plus de responsabilités, il faut plus de temps. En définitive, vous avez du mal à admettre la démocratie dans l'entreprise.

Vous n'avez pas non plus parlé des évaluations annuelles des accords d'entreprise par les commissions paritaires de branche, des accords type de branches à l'article 29, de l'information des PME par les administrations à l'article 28. En revanche, vous avez évoqué l'article 14 sur la restructuration des branches. Nous avons besoin de savoir concrètement ce qu'il en sera des articles dont nous allons discuter prochainement.

Mme Catherine Deroche . - Lors de l'examen de la loi Macron, nous avions proposé de doubler les seuils en les passant à 20 et à 100. On nous avait dit qu'il fallait attendre la loi Rebsamen, mais rien n'a été fait. Visiblement, ce doublement ne sera pas non plus pour cette fois-ci. Quels seuils vous semblent les plus pertinents ?

Vous n'avez pas évoqué le temps partiels avec un minimum de 24 heures. Des assouplissements ont été proposés. Le texte actuel vous convient-il ?

M. Olivier Cadic . - L'inversion de la hiérarchie des normes est indispensable si nous voulons adapter notre droit du travail, diminuer la taille du code du travail et faciliter le dialogue social dans les entreprises. Le rapport Combrexelle a fait des propositions : dans tous les pays où la décentralisation est la plus large, comme en Europe du Nord, le code du travail est réduit. Accepteriez-vous qu'une entreprise soit libre d'adhérer ou non à un accord de branche ?

Très peu de pays de l'OCDE permettent aux juges d'évaluer le caractère économique d'un licenciement : au mieux, ils vérifient que les consultations ont été respectées. Faut-il retirer aux juges la faculté de contester la raison économique du licenciement ?

Pourrait-on imaginer de faire disparaître la notion de seuil qui n'existe pas dans nombre de pays ?

Le projet de loi propose d'augmenter les heures de délégation de 20 % : est-ce justifié ?

Que pensez-vous de l'article qui permet au comité d'entreprise de dédier une partie de son budget de fonctionnement au financement des délégués du personnel ou des représentants syndicaux dans l'entreprise ?

M. Daniel Chasseing . - Nous cherchons tous à réduire le nombre de jeunes au chômage.

Les critères définissant la pénibilité dans les PME sont inapplicables. Nous sommes tous conscients de la nécessité de l'apprentissage. M. Forissier s'est déplacé en Allemagne où il a pu constater les différences avec notre pays : le contrat des apprentis doit être en rapport avec le travail de l'entreprise.

Comme il a été dit, certains chefs d'entreprise ne se payent pas pour éviter des licenciements lorsque leur entreprise traverse des difficultés.

Vous êtes tous d'accord pour améliorer le dialogue entre employeurs et collaborateurs. Il a été proposé que les accords d'entreprise puissent être confirmés par un référendum, ce qui est une marque de démocratie très forte. Êtes-vous d'accord avec un seuil des deux-tiers des salariés lorsque l'accord a été conclu sans intervention d'une organisation syndicale ?

M. Jean-Marie Morisset . - Lors de la présentation du projet de loi, il y eut des espérances car les rigidités allaient être assouplies et les embauches favorisées. Ensuite, les regrets se sont multipliés alors que les versions se succédaient. Les entreprises se défient de la version actuelle et la logique du donnant-donnant a fait son temps. Ce projet de loi est devenu un outil politique.

Vos priorités, ce sont le mandatement, le compte pénibilité, l'apprentissage et la simplification. Que pensez-vous de la mise en place annoncée du prélèvement à la source ? Vos organisations ont-elles été consultées lorsque cette réforme a été décidée ?

M. Alexandre Saubot . - Je ne connais pas un chef d'entreprise qui embauche pour licencier. Mais l'embauche et la vie de l'entreprise sont deux exercices difficiles : on peut se tromper de collaborateur comme le collaborateur peut se tromper d'entreprise, et une entreprise traverse des aléas imprévisibles. Face à ces aléas, les chefs d'entreprise mesurent les risques, qu'ils soient juridiques, sociaux ou économiques, et plus ils peuvent le faire précisément, plus ils sont prêts à en prendre : la croissance d'un pays se mesure à la capacité des entrepreneurs à prendre des risques. Avec 5 millions de chômeurs, il est temps que les responsables politiques permettent à nos chefs d'entreprise de reprendre le chemin de la croissance et de l'emploi.

Vous avez évoqué le million d'emploi promis par M. Gattaz : en dehors de l'allégement significatif des charges dû au pacte de responsabilité, mesure courageuse qui montre ses premiers effets, aucune autre des dispositions préconisées n'a été mise en oeuvre. La règlementation, la confiance, l'environnement et la volatilité des règles ne permettent pas aux entreprises de se développer.

Les seuils sont une spécificité française : depuis une dizaine d'années, de nombreuses entreprises se sont arrêtées à 49 salariés et parmi elles, certaines pourraient compter aujourd'hui plusieurs milliers d'employés. La règlementation ne doit pas être la raison pour laquelle les entreprises décident d'arrêter leur croissance. Le sujet des seuils est fondamental : les doubler serait une première décision positive mais notre objectif est de parvenir à un continuum dans la vie des entreprises et à ce qu'à aucun moment elles décident d'arrêter leur croissance. Aujourd'hui, passer de 49 à 50 salariés équivaut à 3 à 4 % de masse salariale collective en plus. Ces barrières sont destructrices d'emplois. Notre pays ne peut plus s'offrir ce luxe avec 5 millions de chômeurs.

Mme Viviane Chaine-Ribeiro . - Mon entreprise compte 430 personnes dont 290 en France : j'ai demandé à ma directrice des ressources humaines de ne pas passer à 300 pour éviter de franchir ce seuil. J'ai donc embauché dans le sud de l'Italie.

Mme Bricq a évoqué le confort du passé et le pari du présent : quand je me suis chargée du dossier de la restructuration des branches, je n'ai pas eu le sentiment de m'abriter derrière le confort du passé. Cette restructuration pose la question du dialogue social de demain, dans le cadre de l'évolution des secteurs économiques. Les branches doivent éviter le dumping social.

Nous refuserions les accords majoritaires à 50 % ? Non, nous les refusons avec les organisations syndicales qui ne représentent que 8,7 % des salariés. Mon collègue a évoqué une exigence de majorité encore plus importante en cas de dialogue direct entre le chef d'entreprise et les salariés.

Pourquoi 20 % de temps en plus aux délégués syndicaux s'il n'y a pas négociation d'accords d'entreprise ?

Le projet de loi ne reprend pas la définition de la branche telle qu'elle a été formulée dans la lettre paritaire. Afin de réduire le nombre de branche, il faut un sas de transformation durant les cinq prochaines années.

M. Jean-Michel Pottier . - lorsqu'un chef d'entreprise de TPE PME embauche, il le fait sous le regard de ses salariés. Mes salariés ne comprendraient pas que j'embauche en CDI alors que le carnet de commande n'est pas sûr. Une entreprise est un tout.

Le projet de loi conditionne le renouvellement des contrats saisonniers à un accord de branche : c'est une erreur car ces secteurs sont soumis à des aléas économiques mais aussi climatiques. Pourquoi rigidifier ainsi à l'excès ?

Le compte pénibilité ne va pas améliorer la prévention des risques dans l'entreprise : cette mesure nie les efforts du chef d'entreprise en matière de prévention.

Les 10 000 euros vous semblent négligeables ? C'est l'équivalent de mon CICE annuel.

M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la CGPME . - Initialement, nous avions proposé, selon une idée développée par le professeur Tessier, que les branches professionnelles volontaires définissent les différents types d'entreprises à l'occasion de la signature d'accords. La variété des entreprises dans une même branche est parfois source de difficultés. Nous proposions des dispositions spécifiques pour chacune des catégories d'entreprises. Le professeur Tessier appelait cette mesure le key bargaining, en français, négociation clé. Cette idée nous semblait intéressante et nous l'avons exposée à la commission Combrexelle : elle l'a traduit sous forme d'accords-type pour les PME de moins de 50 salariés susceptibles d'être appliqués directement par l'entreprise. Ce premier pas ne correspond pas tout à fait à nos propositions.

M. Jean-Michel Pottier . - Nous voulons remettre en cause le seuil de 50 salariés : les entreprises « mobylettes », 49,9 cm3, sont bloquées par le passage dans la catégorie supérieure. Il y a le coût de 3 à 4 % de la masse salariale, mais il faut également prendre en compte le temps passé et les ressources humaines en plus pour passer ce cap : la marche se transforme en escalier. Le doublement du seuil serait une bonne nouvelle et libérerait un grand nombre d'emplois.

La suppression totale des seuils reviendrait à traiter à l'identique toutes les entreprises, petites ou grandes. Nous ne le souhaitons pas, à moins que le droit du travail ne traite que des petites entreprises et fasse des exceptions pour les grandes.

Ne parlez pas de prélèvement à la source, mais de prélèvement d'acompte à la source, ce qui est bien différent. Cela fait partie des simplifications administratives chères à la France : en fait, cela consiste à transférer aux entreprises, sans les rémunérer, une tâche jusqu'alors remplie par l'administration, à conserver le même nombre de fonctionnaires et à les affecter aux contrôles. La simplification administrative en oeuvre est un lot d'ennuis supplémentaires pour les chefs d'entreprises des TPE PME. Les banques seraient parfaitement à même de procéder à ces prélèvements d'acompte à la source. Cette réforme va mobiliser beaucoup de temps et d'argent pour un faible résultat.

Enfin, la CGPME souhaiterait qu'un service minimum soit mis en place dans les secteurs de l'énergie

M. Pierre Burban . - Nous ne sommes pas favorables au confort du passé : la mission Combrexelle et la mission Badinter nous ont donné beaucoup d'espoir. Non, la loi ne propose pas un chemin de responsabilité pour tous les acteurs. Nous contestons donc les choix qui ont été faits.

Non, l'entreprise n'est pas une structure démocratique : il ne s'agit pas d'une assemblée élue. C'est d'ailleurs pour cela que le code du travail existe : il protège les salariés.

En revanche, l'UPA est favorable au droit d'expression des salariés et nous n'avons pas attendu le législateur pour développer ce droit. Nous considérons que quelle que soit la taille de l'entreprise, il est légitime que les salariés puissent s'exprimer.

L'article 28 part d'un bon sentiment mais aujourd'hui les Français ne croient plus en la parole publique, qu'elle soit politique ou celle des partenaires sociaux. A l'heure des réductions d'effectifs dans les administrations, je ne vois pas comment nous allons trouver les moyens pour mettre en oeuvre cet article.

On ne parviendra pas à modifier les seuils sans négociations : les partenaires sociaux et les organisations syndicales de salariés sont capables d'évoluer, mais un travail en amont est nécessaire. Des organisations syndicales sont prêtes à des évolutions. La loi Rebsamen a amélioré les choses mais le passage de 49 à 50 salariés fait passer le nombre de délégués du personnel de deux à huit : quelle plaisanterie !

Nous sommes d'accord pour développer le dialogue social à tous les échelons, sous réserve que la réalité soit prise en compte.

Je partage ce qui a été dit sur le prélèvement à la source : je puis vous annoncer d'ores et déjà que la date du 1er janvier 2018 ne sera pas tenue. Encore une fois, une loi sera votée en sachant qu'elle n'entrera pas en vigueur.

M. Alain Milon, président . - Merci pour vos interventions.

Nos rapporteurs présenteront leur rapport le 1er juin en commission et nous aborderons ce texte en séance à partir du 13 juin.

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